Embargo contre Cuba et changement de régime

Le 21 avril dernier, l’Agence de nouvelles Associated Press dévoilait une nouvelle tentative étasunienne de faire déraper la révolution cubaine : le financement d’un réseau social de type Tweeter, baptisé celui-là ZunZuneo, à travers lequel des SPAM de propagande politique étaient envoyés à des dizaines de milliers de citoyens cubains, pour la plupart des jeunes, les incitant à poser des actions subversives contre leur gouvernement.

La USAID utilisait comme paravent une organisation à but non lucratif de Miami, appelée Raices de Esperanza (Rayons d’espoir), qui veut faire des jeunes Cubains « les protagonistes de leur avenir » en leur donnant rien de moins qu’accès à des téléphones cellulaires !

Les premiers SMS parviennent à Cuba, en février 2010, après qu’une équipe étasunienne de criminels cybernétiques se soit introduite dans les banques de données de l’entreprise cubaine de télécoms, ETECSA, y recueillant des informations confidentielles sur plus de 60 000 citoyens et regroupant ces derniers par profils selon l’âge, le sexe, les intérêts, etc.

ZunZuneo cesse brusquement ses activités, en mars 2012. Il est immédiatement remplacé par Piramideo, un second projet dont l’intention de « dégeler Cuba grâce à Internet » montre le même infini mépris envers ce pays.

Piramideo est parrainé par l’Institut républicain international (IRI), la Heritage Foundation, le Cuba Study Group et Google Ideas dont le président, Jared Cohen, est décrit par Julian Assange comme « l’efficace directeur des changements de régimes de Google » et « le canal de transmission entre le Département d’État et la Silicon Valley ».

Ce type d’agression n’est malheureusement pas nouveau pour Cuba, pays contre lequel les Etats-Unis ont tout essayé : isolement diplomatique et politique, blocus économique et commercial, actes de terrorisme, opérations d’espionnage et de sabotage, promotion de la subversion interne pour provoquer un soulèvement contre-révolutionnaire, tentative d’invasion militaire.

Mais, cette fois-ci, dit le journaliste et éditeur cubain, Iroel Sanchez, cela survient alors que Cuba est au milieu d’un délicat processus de réformes économiques et sociales et qu’en ce moment, la lutte idéologique entre le capitalisme et le socialisme y est très vive.

Entrepris peu après l’arrivée au pouvoir de Raul Castro, en 2008, ce processus, entre autres choses, étend la propriété coopérative au détriment de la propriété d’État, qui perd du terrain, et à l’avantage de la petite propriété privée qui, elle, grandit, notamment dans l’agriculture et les nouvelles industries. Il réduit aussi de moitié (de 30% à 15%) l’impôt sur les bénéfices nets des investisseurs étrangers.

Les États-Unis, nous dit Sanchez, cherchent à placer dans le débat interne en cours dans toute l’île, leur propre vision de l’avenir de Cuba. Mais l’embargo maintenu contre ce petit pays depuis plus d’un demi-siècle est devenu un boulet qui les désavantage face à leurs alliés de l’Union européenne. L’échec de ZunZuneo montre encore que Washington n’a pas la même liberté d’action à Cuba qu’au Venezuela, par exemple.

Le 8 novembre 2013, au cours d’une collecte de fonds à la résidence de Jorge Mas Santos, président de la Fondation cubano-américaine, Barack Obama lui-même plaidait pour une politique plus créatrice envers Cuba.

La semaine suivante, son Secrétaire d’État, John Kerry, précisait devantl’Organisation des états américains (OEA) que les voyages d’états-uniens et l’envoi d’argent à Cuba faisaient partie de cette créativité envisagée : « Aux Etats-Unis, dit-il, nous pensons que nos gens sont en réalité nos meilleurs ambassadeurs, les ambassadeurs de nos idéaux, de nos valeurs, de nos croyances ».

On ne peut mieux dire, écrit Iroel Sanchez qui rappelle qu’on peut malheureusement être contre l’embargo et pour un changement de régime à Cuba. Ce que Washington n’est pas parvenu à faire par l’agression, dit-il, il est maintenant prêt à l’essayer par l’ouverture et l’amabilité. Le but demeure toutefois le même : ramener Cuba là où il était, en 1959, c’est-à-dire au capitalisme colonial.

C’est ainsi que le Cuba Study Group vient de consacrer tout le mois de mai à la campagne, CubaNow, dans le métro de Washington, placardant les murs de photos et citations de la blogueuse et opposante cubaine favorite des Etats-Unis, Yoani Sanchez, qui se prononce contre l’embargo.

Le quotidien USA Today répète presque les mots de Kerry quand il dit que CubaNow vise à presser l’administration Obama d’étendre la possibilité pour les Étasuniens de voyager à Cuba et d’envoyer de l’argent à la nouvelle communauté d’affaires émergente, là-bas.

CubaNow et les médias, explique Iroel Sanchez, essaient de faire croire que la population étasunienne pousse son gouvernement à assouplir l’embargo alors qu’en réalité, l’initiative vient bel et bien du gouvernement. En se cachant derrière la pression populaire, celui-ci pense minimiser la méfiance cubaine et l’aveu d’une longue erreur de 54 ans suivie d’une honteuse défaite compte tenu des forces en présence.

Beaucoup de publicité est aussi accordée à un récent sondage du Conseil Atlantique, proche de l’OTAN, mené auprès des habitants de l’anticastriste Floride, qui vient montrer que 63% d’entre eux sont favorables à un dégel des relations avec Cuba, un pourcentage supérieur à celui de la moyenne nationale (56%).

À l’intérieur de Cuba, nous dit l’écrivain cubano-étasunien, Emilio Ichikawa, la contre-révolution vêtue de contre-révolution est battue et les Etats-Unis le savent. L’heure est probablement maintenant à la contre-révolution vêtue de révolution.

Ichikawa donne l’exemple d’un événement tenu du 6 au 8 mars dernier, à La Havane, par Espace laïc, organisation liée au Diocèse de La Havane et recevant des fonds de la Norvège. Un séminaire intitulé Foi religieuse, institutions nationale et modèles sociaux, aurait servi de prétexte aux plus jeunes participants pour se quereller avec la vieille dissidence traditionnelle traitée d’inefficace.

Cette nouvelle opposition « révolutionnaire et socialiste », dit Ichikawa, n’hésite pas à critiquer le retour au capitalisme de certaines des réformes en cours telles la création d’une zone spéciale de développement dans le port de Mariel et l’ouverture aux investissements étrangers (surtout s’ils sont brésiliens, russes ou chinois) en même temps qu’elle prône un retour au multipartisme et la fin du monopole de l’État sur l’éducation.

Ce tout petit réseau de blogueurs et twitteurs peut paraître ridicules en ce moment, à Cuba, écrit pour sa part le journaliste espagnol, Rodolfo Crespo, mais il attend son heure qu’il espère voir venir en 2018, année de réforme constitutionnelle et de sortie de scène politique pour Raul Castro, dernier membre de la génération historique de la Révolution.

Il est peut-être aussi moins seul qu’il ne paraît, ajoute Crespo, car plusieurs artistes et intellectuels cubains, comme le chanteur mondialement connu, Silvio Rodriguez (pour qui Cuba ne doit plus rimer avec révolution mais avec évolution), profitent du débat interne pour augmenter leur popularité internationale.

Quelques mois seulement avant la désintégration de l’URSS, rappelle Crespo, la population russe avait voté par référendum le maintien de l’Union Soviétique. Mais, dit-il, la tactique occidentale de flatter la vanité des politiciens, artistes et intellectuels soviétiques, a fini par convertir le politiquement impossible en politiquement inévitable.

ZunZuneo, Piramideo, CubaNow et l’emploi de vedettes comme Yoani Sanchez et Silvio Rodriguez, tout semble faire partie d’un même plan de changement de régime qui viendrait perturber l’atterrissage en douceur dans le capitalisme que se prépare Cuba.

André Maltais

 http://lautjournal.info/default.aspx?page=3&NewsId=5403
Print Friendly and PDF

COMMENTAIRES  

10/06/2014 12:38 par V. Dedaj

Je conteste l’emploi même du terme (très pudique) d’embargo - qui n’est que le terme officiel qui fait office de cache-sexe à une véritable tentative de crime humanitaire contre Cuba de la part des Etats-Unis. Quant aux différentes personnalités et personnages cités, leur influence réelle reste à démontrer (Silvio Rodriguez est hyper connu, certes, mais c’est un chanteur...)

10/06/2014 13:57 par Sierra

C’est incroyable ces quantités de ressources utilisées pour déstabiliser Cuba.

Mais en quoi un réseau "social" même bien habillé aurait il pu mener quelques cubains à vouloir désespérément, une société à l’américaine ?

Ces derniers ont accès depuis 1959 à la propagande US au travers des milliers d’heures Radio/TV. En général, ils attendent plus ou moins exaspéré les résultats de la "pelota" (Base-Ball) ou bien de la loterie. Si le reste avait une quelconque importance dans leur conscience, la Révolution aurait été balayé.

Ces crétins de cow-boys s’imaginent que le changement de support changera les têtes. Mais les têtes sont suffisamment éduqués pour ne pas succomber aux sirènes de l’Internet.

10/06/2014 15:33 par Emilio

Yoani Sanchez et Silvio Rodriguez…
Je ne mettrais pas dans le meme panier une propagandiste payee par la Cia et un chanteur social (comme on dit en Amerique latine) qui porte les espoirs de changements populaires et qui est adore partout dans le continent et les iles. Silvio est libre , mais il reflete aussi un malaise certain de la societe cubaine.

Oui, bien sur, les causes sont connues , mais les effets sur la duree affectent la vie et le moral du peuple cubain. L energie revolutionnaire des discours sont la pour galvaniser et ne pas perdre espoir. Reste que, au quotidien , le reve d aller ailleurs demeure. Et cet ailleurs c est les USA. Oui Cuba offre des reponses au basique du quotidien, sante education gratuite et dignite pour tous. C est beaucoup et beaucoup plus que les reves d immigrants du Guatemala ou du Honduras qui eux fuient la misere ET la violence de societes sans espoirs ET socialement completement decomposes, en putrefaction carrement.

Le reve de quoi au juste ? Pas d une vie plus facile aux USA, chacun sait que c est demerde toi et n attend rien de l Etat. Mais une possibilite de gagner de l argent. Meme en etant esclave les miettes sont plus grosses et toujours ,au nord chez les gringos. De plus les millions de latinos aux USA fonctionnent en solidarite de familles et de peuples. Un de plus qui arrivent et chacun partage le pain le travail etc…
Les emigrants cubains ne fuient pas le Cuba de Castro mais vont vers l argent.
La situation est telle que les dirigeants cubains n ont plus le choix que de laisser partir les aventuriers.
Pas si facile non plus, mais possible.

La route est simple et unique. Un visa de transit uniquement , impossible de plus , pour le Bresil ou plus generalement l Equateur. Et c est le meme parcours pour des chinois des nepalais des soudanais etc… Quelques temps en Equateur pour travailler illegalement (toujours avec des reseaux familiaux ou de peuples freres,) et amasser l argent du grand voyage , une epopee tres risquee mais qui ne tuent pas l espoir d un mieux economique. A Cuba , ce sont celles et ceux qui ont reussit le passage , qui paient le premier voyage, Cuba Equateur , aux nouveaux candidats de Cuba..

Equateur , puis passage de la frontiere colombienne , en taxi ou camión pour les chinois , a des heures precises et en payant des passeurs qui corrompent facilement les douaniers (a 7 heures du soir , les douaniers font leur roulement de travail et le vide permet le passage.) Ensuite bus pour les cubains cubaines , Medellin puis le nord Turbo et le golfe d Uraba . Lieu unique de passage vers le Panama . La ce sont les lanchas , des barques ultra rapides boostees, qui permettent d echapper aux gardes frontieres maritimes. Le plus grand risque dans la traversee de la Colombie est la. Les courants forts , la mer dechainee et une vitesse de barques excessive et obligee .. sont des risques mortels . Et les tombes anonymes des noyes en temoignent . Traverser par la foret est encore plus risqué dans ce coin. Un vrai labyrinthe avec des pieges mortels d animaux sauvages serpents , marecages. Etc. Sans passeurs experimentes, impossible. Et si le passeur laisse tomber son pigeon , la aussi de nombreux morts .

Du Panama vers le Mexique puis les USA. En joignant le flot croissant des honduriens et guatemalteques. Vivre au Guatemala et plus encore au Honduras , c est devenu un cauchemard .. alors risquer sa vie pour aller voir ailleurs , meme si esclave , pas vraiment le choix.

Chaque jour des cubains en transit sont arrêtes en Colombie, des brigades policieres controlent les bus , les arrestations se font dans des barrages de police improvises , a Medellin aussi et vers Turbo, avant le periple du golfe d Uraba. Des arrestations par dizaines. 20 000 cubains traverseraient la Colombie chaque annee. Donc le jeu en vaut la chandelle. En cas d arrestations , certains cubains essaient de faire valoir l asile politique. Ce qui ne marche jamais , les dirigeants colombiens ne sont pas dupes et n accordent jamais cet asile. Mais le vide juridique permet une liberte de quelques jours , qui permet aux exiles de continuer le voyage. Ce qui arrange , et les cubains qui ont fait cette vaine demarche , et les autorites colombiennes qui se lavent les mains et detournent les yeux.

Honnetement je ne sais pas ce qui advient de ces cubains arretes. La situation de cet exil de transit est connu , des documentaires de chaines nationales colombiennes en parlent . Mais jamais en profondeur parce qu il y a corruption , interets etc.. et l Etat colombien a bien d autres soucis sur un territoire grand comme 2 fois et demi la France , en guerre de surcroit. Reste que c est un probleme qui enfle constamment. Certains chinois preferent restes en Colombie , les cubains non.

(Commentaires désactivés)
 Twitter        
« Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »
© CopyLeft : Diffusion du contenu autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
 Contact |   Faire un don