En l’espace de deux semaines, deux gouvernements progressistes d’Amérique latine ont été réélus avec des majorités historiques.
Au Nicaragua, le 6 novembre, le président et chef du Front sandiniste de libération nationale, Daniel Ortega, obtenait 63% des voix contre 31% pour son plus proche rival, Fabio Gadea, à la tête d’une coalition de libéraux et de dissidents sandinistes.
Deux semaines auparavant, la présidente de l’Argentine, Cristina Fernandez, était réélue au premier tour avec 54% des suffrages devenant ainsi la candidate présidentielle avec le plus d’appuis populaires depuis le retour à la démocratie au cours des années 1980. Son principal adversaire, Hermes Binner, a obtenu 17% du vote.
La droite, écrit le journaliste équatorien, Alberto Maldonado, continue de perdre des consultations populaires de tous les côtés, en Amérique latine, et l’un de ses principaux moyens de déstabilisation, la guerre médiatique, commence à perdre de son efficacité.
« Les peuples pensent différemment de ceux qui leur disent ce qu’ils doivent penser », continue Maldonado, sinon comment expliquer ces victoires électorales successives des Chavez, Morales, Correa, Humala, Ortega et Fernandez ?
Bien sûr, cela n’échappe pas au gouvernement états-unien dont la nouvelle doctrine de guerre irrégulière est déjà déployée dans toute la région.
Alors que la guerre traditionnelle consiste à défaire les forces armées de l’adversaire, explique l’avocate états-unienne et vénézuélienne, Eva Golinder, « la guerre irrégulière est une lutte violente entre acteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux pour dominer et influencer la population civile du pays adverse. »
L’aide internationale et les nobles causes défendues par les ONG (écologie, liberté d’expression, autonomie des peuples indigènes, féminisme, droits humains, etc.) sont au coeur de la guerre irrégulière.
Par exemple, en juin dernier, le président équatorien, Rafael Correa, dénonçait le fait que des ONG étrangères travaillaient auprès des populations indigènes à la frontière colombienne pour « faire de la politique, générer le chaos, imposer des points de vue étrangers » et déstabiliser son gouvernement.
Le 5 juillet, son gouvernement passe à l’action et adopte le décret exécutif 812 exigeant des ONG étrangères qu’elles fassent connaître l’origine et l’usage des millions de dollars qu’elles dépensent en Équateur en déclarant leurs programmations annuelles et rapports financiers, la pertinence de leur action avec le plan national du « bien vivre », les territoires où elles opèrent et les acteurs sociaux auprès de qui elles agissent.
Conservation internationale (CI) a refusé de se conformer à la loi équatorienne et a donc été chassée du pays. Fondée en 1987, l’ONG écologiste états-unienne opère dans une dizaine de pays d’Amérique latine là où se trouvent ce qu’elle appelle les « points chauds » de la biodiversité situés en Amazonie et dans la forêt maya d’Amérique centrale.
En plus de l’USAID, elle compte parmi ses partenaires et bailleurs de fonds des transnationales comme Rio Tinto, Ford, Monsanto, Intel, Coca Cola, Starbucks, Walmart, Walt Disney, MacDonalds et Chevron.
Comment comprendre, se demande le journaliste pour l’Agence latino-américaine d’information, Eduardo Tamayo, que CI travaille réellement à la conservation de la nature en Équateur quand Chevron la finance et participe à ses projets ?
Entre 1964 et 1990, la pétrolière états-unienne a causé l’un des désastres environnementaux les plus graves de l’Amazonie en déversant ses eaux résiduelles dans les cours d’eau équatoriens, provoquant des maladies graves chez les populations vivant autour de ses sites d’extraction.
Pour cela, Chevron a été jugée en Équateur et condamnée à une amende record de 20 milliards de dollars. Elle rétorque maintenant en intentant des poursuites contre l’État équatorien et en convainquant le gouvernement des États-Unis d’exclure l’Équateur des préférences douanières de l’ATPDEA.
L’ONG équatorienne, Accion Ecologica, dénonce l’appropriation par des ONG étrangères comme CI, souvent en échange d’une partie de la dette extérieure d’un pays, de vastes territoires qui deviennent ensuite des « zones naturelles protégées » soustraites au contrôle des gouvernements.
Une fois la zone protégée officialisée, arrivent les scientifiques et autres chercheurs universitaires qui sont aussi des bio-prospecteurs travaillant pour les sponsors et partenaires de l’ONG propriétaire.
D’autres scientifiques ressemblent à s’y méprendre à des militaires. Au Chiapas, CI est apparue quelques mois après le soulèvement zapatiste du 1er janvier 1994 et ses premières activités ont été des vols de surveillance de couverture végétale et une cartographie très précise de la Réserve de la biosphère Monte Azul (REBIMA), dans la Forêt lacandone où avait été contraintes de se réfugier l’EZLN et ses bases d’appuis indigènes.
Depuis dix ans, CI presse le gouvernement mexicain de déplacer les communautés indigènes zapatistes sous le prétexte qu’il y a trop de monde dans la REBIMA. Dans d’autres pays, l’ONG prive les habitants des zones protégées de l’usage de la forêt sous prétexte que les cultures et les incendies menacent cette dernière.
En chassant CI du pays, l’État équatorien a repris la souveraineté sur la gestion de ses programmes et politiques environnementales. Mais, quelques semaines plus tard, trois journalistes indigènes et une ONG, la Fondation andine pour l’observation et l’étude des médias (FUNDAMEDIOS), ouvraient un nouveau front contre le gouvernement en dénonçant auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) de l’OEA, une supposée répression d’état contre les médias équatoriens.
Cela fait suite à l’affaire El Universo où trois directeurs et un éditorialiste de ce quotidien ont été condamnés à trois ans de prison chacun et à une amende de 40 millions $ pour avoir gravement calomnié le président Correa.
Alexis Ponce, conseiller social au ministère de l’Eau équatorien, nous dit que les trois journalistes, Cristhian Zurita, Cesar Ricaurte et Wilson Cabrera, ont été amenés à la CIDH par une autre ONG états-unienne, Due Process of Law Foundation (DPLF), dont l’objectif est la « modernisation des systèmes nationaux de justice de l’Amérique latine ».
Pour y parvenir, DPLF, selon son site Web, offre à ses « partenaires », aux prises avec des « litiges stratégiques » dans les pays latino-américains, des formations et conseils sur les « bonnes pratiques » en matière de législation et de justice.
La « presse libre » et « l’indépendance du pouvoir judiciaire » font partie des litiges stratégiques visés, ajoute Ponce, et, en plus des services mentionnés, DPLF met en contact ses clients de la « société civile » avec des acteurs clé comme des officiels gouvernementaux, juges et hauts fonctionnaires de l’ONU et de l’OEA.
De cette manière, les partenaires de DPLF peuvent nouer des liens importants et « relever leur profil public », optimisant ainsi leur « pouvoir d’influencer la conception et l’exécution des politiques publiques dans la région ».
C’est ainsi, conclut Ponce, que d’obscurs journalistes locaux, dirigeants indigènes et membres d’ONG écologiques et des droits de l’homme équatoriens, forts de leur profil public renforcé, se retrouvent à parader à l’antenne de CNN et à faire les manchettes des médias états-uniens pour discréditer le gouvernement Correa !
C’est en pensant sans doute à ces tactiques que, le soir de son triomphe électoral, Cristina Fernandez lançait un vibrant appel à la mobilisation et à l’organisation du peuple argentin pour que, dit-elle, « personne ne puisse défaire ce qu’on est parvenu à faire ».
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