RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
Auteur : Giorgio AGAMBEN

Liberté et insécurité

Giorgio AGAMBEN
Dans son roman prophétique Argénis (1621), John Barclay a défini le paradigme de la sécurité que les gouvernements européens allaient progressivement adopter par la suite, dans ces termes : « Soit on rend aux hommes leur liberté, soit on leur donne la sécurité, pour laquelle ils abandonneront la liberté ». Liberté et sécurité sont ainsi deux paradigmes de gouvernement antithétiques, entre lesquels l’État doit chaque fois effectuer son choix. S’il veut promettre à ses sujets la sécurité, le souverain devra sacrifier leur liberté, et, vice versa, s’il veut la liberté, il devra sacrifier leur sécurité. Cependant, Michel Foucault a montré comment il fallait entendre la sécurité (« la sûreté publique ») que les gouvernements physiocrates, à partir de Quesnay, sont les premiers à assumer explicitement comme étant au nombre de leurs tâches dans la France du XVIIIe siècle. Il ne s’agissait pas - alors comme aujourd’hui – de prévenir les catastrophes, qui, dans l’Europe de cette époque, étaient essentiellement les disettes, (...) Lire la suite »

Le licite, l’obligatoire et l’interdit.

Giorgio AGAMBEN

Ce que dit ce texte de la réglementation draconienne des comportements est particulièrement vrai en ce qui concerne le langage : là, aucune situation d'urgence n'a été nécessaire pour instaurer la censure.

Selon les juristes arabes, les actions humaines se classent en cinq catégories, qu’ils énumèrent ainsi : obligatoire, louable, licite, blâmable, interdit. A l’obligatoire s’oppose l’interdit, à ce qui mérite louange ce qui doit être blâmé. Mais la catégorie la plus importante est celle qui se trouve au centre et qui constitue pour ainsi dire le fléau de la balance qui pèse les actions humaines et en mesure la responsabilité (responsabilité se dit, dans le langage juridique arabe, « poids »). Si est louable ce dont l’accomplissement est récompensé et dont l’omission n’est pas interdite, et blâmable ce dont l’omission est récompensée et dont l’accomplissement n’est pas interdit, le licite est ce sur quoi le droit doit se taire et qui n’est donc ni obligatoire ni interdit, ni louable ni blâmable. Il correspond à l’état paradisiaque, dans lequel les actions humaines ne produisent aucune responsabilité, ne sont d’aucune façon « pesées » par le droit. Mais – et c’est là le point décisif –, selon les juristes arabes, (...) Lire la suite »

Sur le droit de résistance

Giorgio AGAMBEN

Le philosophe Giorgio Agamben a réagi aux mesures attentatoires aux libertés prises à l'occasion du Covid non seulement par ses prises de position mais aussi par une élaboration théorique : elles sont à situer dans un cadre plus large, celui d'un état d'exception permanent qui mène au totalitarisme, et de la "vie nue" (l'Etat ne considère plus les hommes comme des citoyens mais comme des corps aux besoins strictement matériels).

Je vais essayer de partager avec vous quelques réflexions sur la résistance et sur la guerre civile (1). Il est inutile de rappeler qu’un droit de résistance existe déjà dans le monde antique, qui connaît une tradition d’éloges du tyrannicide, et au Moyen-Age. Thomas d’Aquin a résumé la position de la théologie scolastique dans le principe selon lequel le régime tyrannique, dans la mesure où il substitue au bien commun l’intérêt d’une partie, ne peut être justum. La résistance – Thomas dit la perturbatio – contre ce régime n’est donc pas une seditio. Il va de soi que le sujet comporte nécessairement une dose d’ambiguïté en ce qui concerne la définition du caractère tyrannique d’un régime donné ; en témoignent les précautions de Bartolo qui, dans son Traité sur les Guelfes et les Gibelins, distingue un tyran ex defectu tituli [par défaut de titre légitime] d’un tyran ex parte exercitii [du fait de son exercice du pouvoir], mais il a ensuite du mal à identifier une justa causa resistendi. Cette ambiguïté réapparaît (...) Lire la suite »
11 

Citoyens de seconde classe

Giorgio AGAMBEN
Le pass sanitaire en Italie Comme il arrive chaque fois qu'est instauré un régime despotique d'urgence et que les garanties constitutionnelles sont suspendues, le résultat c'est, comme cela s'est produit pour les Juifs sous le fascisme, la discrimination d'une certaine catégorie d'hommes, qui deviennent automatiquement des citoyens de seconde classe. C'est à quoi tend la création de ce qu'on appelé le green pass [équivalent du pass sanitaire]. Qu'il s'agisse d'une discrimination en fonction des convictions personnelles et non pas d'une certitude scientifique objective est démontré par le fait que, dans les milieux scientifiques, se poursuit encore le débat sur la sécurité et sur l'efficacité des vaccins qui, selon l'avis de médecins et de scientifiques qu'il n'y a pas de raisons d'ignorer, ont été produits à la hâte et sans une expérimentation adéquate. Malgré cela, ceux qui s'en tiennent à leur propre conviction libre et fondée et refusent de se vacciner seront exclus de la vie sociale. Que le (...) Lire la suite »

Comment l’obsession sécuritaire fait muter la démocratie

Giorgio AGAMBEN

L’article 20 de la loi de programmation militaire, promulguée le 19 décembre, autorise une surveillance généralisée des données numériques, au point que l’on parle de « Patriot Act à la française ». Erigé en priorité absolue, l’impératif de sécurité change souvent de prétexte (subversion politique, « terrorisme ») mais conserve sa visée : gouverner les populations. Pour comprendre son origine et tenter de le déjouer, il faut remonter au XVIIIe siècle...

Janvier 2014 La formule « pour raisons de sécurité » (« for security reasons », « per ragioni di sicurezza ») fonctionne comme un argument d’autorité qui, coupant court à toute discussion, permet d’imposer des perspectives et des mesures que l’on n’accepterait pas sans cela. Il faut lui opposer l’analyse d’un concept d’apparence anodine, mais qui semble avoir supplanté toute autre notion politique : la sécurité. On pourrait penser que le but des politiques de sécurité est simplement de prévenir des dangers, des troubles, voire des catastrophes. Une certaine généalogie fait en effet remonter l’origine du concept au dicton romain Salus publica suprema lex (« Le salut du peuple est la loi suprême »), et l’inscrit ainsi dans le paradigme de l’état d’exception. Pensons au senatus consultum ultimum et à la dictature à Rome (1) ; au principe du droit canon selon lequel Necessitas non habet legem (« Nécessité n’a point de loi ») ; aux comités de salut public (2) pendant la Révolution française ; à la Constitution du 22 (...) Lire la suite »