RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Affaires de clan, clan des affaires

"Pendant que l’élite poursuit son voyage vers une destination imaginaire,
quelque part au sommet du monde, les pauvres sont pris dans la spirale du crime et du chaos
" - Zygmunt Bauman, sociologue

L’heure n’est pas encore venue de dire si le sarkozysme n’aura été qu’une parenthèse dans l’histoire politique de la France. En revanche, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que de tous les présidents de la cinquième République M. Nicolas Sarkozy est celui qui est allé le plus loin dans l’étroite imbrication de la vie politique et du monde des affaires. En guise de consolation facile nous pourrions constater que d’autres pays - la Russie de Poutine, l’Italie de Berlusconi - ont connu le même excessif mélange des genres. Nous pouvons même pousser jusqu’à la crainte d’avoir affaire là à une tendance lourde de l’évolution du monde dès lors que ce que l’on nomme pudiquement « la mondialisation « n’est rien d’autre au fond que la prédation progressive de l’économique sur toute autre considération. S’il en est ainsi, nous ne tarderons pas à voir les « révolutions arabes » se confronter tragiquement au diktat du Marché. En France, ce fatalisme nourrit l’absence d’espoir de lendemains meilleurs pour la démocratie bafouée et l’existence difficile des citoyens les plus modestes - de plus en plus nombreux - après cinq ans de gouvernement calamiteux de notre pays. M. Sarkozy avait promis d’être le Président du pouvoir d’achat et voulait une République irréprochable. Cette double promesse était impossible à tenir. Elle était impossible parce qu’elle était tenue précisément par M. Sarkozy. C’est là qu’intervient la spécificité de ce que nous nommons sarkozysme. La cohérence en partie cachée de cette manière originale de gouverner les hommes et les choses d’une nation particulière devra être minutieusement décortiquée par qui voudra vraiment comprendre, lorsque nous en aurons terminé avec elle, l’antidémocratie sarkozienne. Nous ne pourrons ici qu’en dessiner quelques traits car l’histoire n’est pas finie. Ces traits sont pourtant à eux seuls déjà éminemment édifiants.

Affirmons-le d’emblée : au regard de l’idée et des valeurs républicaine le sarkozysme est un énorme mensonge, M. Sarkozy est le mensonge fait homme. Son ascension vers le pouvoir et son incarnation de celui-ci sont étroitement marquées par de nombreuses et troubles affaires tantôt initiées par lui-même, tantôt échafaudées par d’autres à son profit. Un truisme circule depuis longtemps : aujourd’hui, pour accéder au pouvoir suprême il faut se constituer de longue date un réseau d’hommes et de femmes influents. Ainsi, M. Sarkozy ne serait rien d’autre qu’un homme politique moderne ayant eu l’habileté de tisser pendant près d’un quart de siècle des relations plus ou moins intimes avec des grands patrons, des banquiers, des journalistes en vue. Ceci n’est en fait qu’une partie de la vérité et probablement pas la plus importante. L’essentiel tient plutôt en ceci : c’est un clan, au sens véritable du terme, que l’actuel Président de la République, a construit autour de sa personne et cela, en effet, de logue date. Un clan pour le montage d’affaires occultes en marge du monde des affaires. Seuls l’atonie ou la cécité de médias peu regardants et la défaillance de la Justice expliquent qu’il ait été possible d’aller aussi loin dans la transgression de la loi en de multiples domaines. Cela tombait très bien : les médias ne font que trop rarement leur travail d’informer vraiment et la Justice manque cruellement de moyens d’investigation ou bien est aux ordres du pouvoir politique en place. Non respect du code des marchés publics au profit de firmes dirigées par des amis, favoritisme fiscal envers les plus nantis crachant régulièrement au bassinet, rétro commissions sur les ventes d’armes, circulation de mallettes bien garnies pour financement de campagnes ou partis politiques, et « accessoirement » pour enrichissement personnel, utilisation des fonds publics à des fins de propagande politique, écoutes commanditées par un Procureur de la République à l’encontre de journalistes enquêtant sur « les affaires sensibles », tout cela à démarrer plusieurs années avant l’entrée de M. Sarkozy à l’Elisée et à prospérer depuis.

Et nous n’avons probablement pas encore tout vu : à chaque jour suffit son affaire !
Fort heureusement, pour tenter de sauver l’honneur de la démocratie, il existe quelques médias aux « méthodes fascistes » qui font courageusement les poubelles nauséabondes de la République souillée par de curieux serviteurs de l’Etat. Fort heureusement encore, il existe des juges qui ne s’en laissent pas conter et osent ouvrir des dossiers qu’ils garnissent consciencieusement de pièces à conviction accablantes. Dans ces affaires des noms reviennent souvent et ce sont très souvent des proches de l’hôte du Château qui sont cités, des membres du Clan. La fréquence des occurrences détruit la présomption de coïncidence. Se côtoient en ces dossiers des marchands d’armes, des ministres ou d’anciens ministres, des avocats entremetteurs, des conseillers payés sur deniers publics pour développer des activités où l’on cherche en vain la défense de l’intérêt général, des milliardaires renvoyant facilement l’ascenseur, etc. Tout un aréopage de gens bien comme il faut qui n’hésitent pas à l’occasion, peut-être pour cacher ce qu’ils savent être leurs turpitudes, à faire aux humbles, toute honte bue, la morale. Un oxymore nous vient presque naturellement : marécageuse probité. Afin de la faire vivre un peu nous allons servir ici quelques-uns de ses meilleurs ragoûts.

La »grosse affaire’ est celle des ventes d’armes à l’Arabie saoudite et au Pakistan où l’un des principaux protagonistes est le marchand d’armes Ziad Takieddine. Des pièces saisies par la police montrent que M. Takieddine a utilisé, en 2005, sa relation avec le ministre du budget de l’époque dans les dossiers fiscaux d’autres hommes d’affaires, dont Gérard Achcar, le patron d’un puissant groupe agroalimentaire, notamment implanté au Mali. Le Ministre du Budget de l’époque n’était autre que M. Jean-François Copé, l’actuel Secrétaire général de l’UMP. La comptabilité de M. Takieddine fait apparaître des « largesses » dont aurait bénéficié M. Copé, entre 2003 et 2005, alors qu’il était ministre et porte-parole du gouvernement Raffarin. Rappelons que M. Copé était devenu, en mars 2004, ministre délégué à l’intérieur, auprès de M. Sarkozy, puis en novembre 2004, ministre du budget. Les « cadeaux » reçus de M. Takieddine sont des invitations et des déplacements au cap d’Antibes (dans une propriété appartenant à M. Takieddine), à Londres, à Venise ou à Beyrouth. Ces dépenses pourraient faire partie du périmètre du recel » d’abus de biens sociaux reprochés à M. Takieddine sur les sommes obtenues dans les marchés d’armement. Dans cette affaire, MM. Thierry Gaubert et Nicolas Bazire, deux proches de M. Copé, ont été mis en examen par le juge Renaud Van Ruymbeke. Possédant un patrimoine estimé à plus de 100 millions d’euros, M. Takieddine ne payait ni l’impôt sur le revenu, ni l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Alors qu’il fréquentait assidûment ses diverses propriétés, M. Copé aurait tout ignoré de la situation fiscale de ce magnat. Qui peut croire à une telle fadaise ?

Thierry Gaubert, ami personnel de M. Sarkozy, sera jugé prochainement à Nanterre pour une autre affaire : un important scandale immobilier. Sa vie « professionnelle » est faite de missions financières occultes. Son épouse a parlé à la Justices de ses voyages en Suisse avec le marchand d’armes Ziad Takieddine, des remises de fonds en espèces à M. Nicolas Bazire, actuel n°2 du géant du luxe LVMH, durant la campagne présidentielle d’Edouard Balladur, en 1995. Elle a aussi rappelé que lorsqu’il se rendait en Suisse avec M. Takieddine », son mari travaillait au ministère du budget sous les ordres de M. Sarkozy. En 2001, Thierry Gaubert a fait construire à Nilo, petit village colombien situé à 150 km de Bogota et 9.000 km de Paris, « la villa de ses rêves », la finca Cactus. Pourquoi si loin des regards indiscrets ? Du beau monde fréquente cette villa colombienne : M. Takieddine a deux reprises au moins et En 2002, pour les fêtes de Noël, un autre homme clé du réseau politique sarkozien, Olivier Dassault, fils du célèbre avionneur, député UMP de l’Oise et administrateur de la Socpresse, société éditrice du Figaro. Cette affaire est sans doute loin d’avoir révélée tous ses secrets.

La grosse affaire est au centre d’une constellation. Contemplons-en deux astres radieux. Dans l’affaire du futur siège du ministère de la défense, prévu dans le quartier Balard à Paris, l’opacité est aussi de mise. Cette nouvelle affaire fait l’objet d’une information judiciaire pour corruption et trafic d’influence. Les conditions d’attribution du chantier sont en effet pour le moins « troublantes ». Le dossier de l’entreprise Bouygues n’est pas conforme au plan local d’urbanisme (PLU) de la Ville de Paris. L’Etat a pourtant retenu ce projet, alors que d’autres offres respectaient le PLU. Par ailleurs, où est l’intérêt BUDGÉTAIRE DE CE « BALARDGONE »" qui devrait coûter à l’Etat la bagatelle de 4,2 milliards d’euros. On est très loin de « la règle d’or » brandie par le Président de la République et ses principaux ministres ! Dans l’affaire des concessions portuaires d’Afrique de l’Ouest, l’homme d’affaires franco-espagnol Jacques Dupuydauby, président du groupe portuaire Progosa, dénonce les pressions de M. Sarkozy sur plusieurs chefs d’Etat de cette partie de l’Afrique afin que l’industriel Vincent Bolloré, ami intime du président français, décroche de très profitables concessions. Ainsi, la société Progosa qui avait remporté en 2001 la concession du port de Lomé au Togo, l’a brutalement perdue en 2009 au profit du groupe Bolloré. M. Dupuydauby parle d’une véritable spoliation orchestrée par le Président du Togo. Le soir de son élection, M. Nicolas Sarkozy avait fait, juste avant de rejoindre la bande du Fouquet’s, une autre promesse : les relations entre la France et l’Afrique allaient profondément changer. Le lendemain il partait se reposer en Méditerranée sur le yacht de son ami Vincent.

Nous aurions pu revenir sur l’affaire Woerth-Bettencourt qui n’en finit pas de rebondir, sur l’affaire Lagarde qui finira par être jugée un jour, sur l’affaire Giacometti qui n’éclatera peut-être jamais… Il y en a tant ! Il faut savoir s’arrêter avant la nausée. La nausée ? Oui, car dans le même temps où le Clan tripatouille, les « gens de peu » sont matraqués à grands coups de plans d’austérité successifs. Quand la fiscalité des plus riches a été divisé par trois en cinq ans, la « France d’en bas » s’enfonce un peu plus chaque jour dans son mal de vivre. La clientèle désespérée de l’extrême-droite va encore enfler. Et le corps social de se disloquer davantage.

Yann Fiévet

Le Sarkophage - 15 janvier 2012 - http://www.lesarkophage.com/

URL de cet article 15604
   
AGENDA
Même Thème
Michel Boujut : Le jour où Gary Cooper est mort.
Bernard GENSANE
Le jour de la mort de Gary Cooper, Michel Boujut est entré en insoumission comme il est entré dans les films, en devenant un cinéphile authentique, juste avant que naisse sa vocation de critique de cinéma. Chez qui d’autre que lui ces deux états ont-ils pu à ce point s’interpénétrer, se modeler de concert ? Cinéma et dissidence furent, dès lors, à jamais inséparables pour lui. Il s’abreuva d’images « libératrices », alors qu’on sait bien qu’aujourd’hui les images auraient plutôt tendance à (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

L’abstrait n’a pas d’image, c’est son défaut ontologique. Seul le réel est filmable. Pas la réalité.

Ignacio Ramonet

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.