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Le sublime est-il chose du passé ?

nébuleuse Cone, photographiée par le téléscope Hubble

Voilà une certitude : peu de choses nous poussent, dans nos sociétés contemporaines, à la recherche du sublime de la tradition philosophique. Tout au contraire, nous assistons à une glorification directe et sans vergogne de l’éphémère et du matériel. Est-ce à dire que l’homme a perdu son esprit ou que, ne pouvant l’acheter ni le posséder, à la manière d’une chose, il ne le regarde plus ? Et l’esprit aurait besoin qu’on s’intéresse à lui de la même manière qu’une fleur a besoin d’eau. Le constat est accablant et regarder la nature dénaturée par l’abondance des publicités qui n’incitent surtout pas à remplir son esprit ne rend guère plus optimiste. Qu’avons nous perdu en gagnant le confort matériel ? Était-ce inévitable ? Est-ce une fatalité ? Est-ce un constat objectif malgré son pessimisme affiché ? Y a-t-il une incompatibilité totale entre nos vies modernes et la recherche du sublime ? Et, le cas échéant, pourrions-nous retrouver cet émerveillement philosophique voire mystique ?

Dernièrement, j’ai vu une publicité pour un parfum qui disait ceci : L’Absolu. Nous pouvons concentrer dans cette publicité la quintessence du monde occidental moderne. Voilà un concept totalisant et transcendant réduit à définir un parfum qui n’est sûrement pas, comme son nom le suggère ou devrait le suggérer, le dernier parfum créé, celui qui les dépasse et les englobe tous, celui qui les transcende et les unifie. Non, ce n’est qu’un parfum parmi tant d’autres, un parfum sans passé éminent et surtout sans futur glorieux ou héroïque. De toute façon, comment un parfum pourrait-il être héroïque ? Cette publicité est le miroir de la société de consommation car elle représente la tendance marquée qu’a notre société à appauvrir les mots et les concepts, à jouer sur leur ambiguïté pour donner l’impression qu’on peut, avec quelques euros, atteindre ce que ces mots signifiaient autrefois. La transcendance passerait par l’abondance. Possédons pour être. Accumulons pour devenir. Ramassons pour nous enrichir. Avoir n’est pas un mal en soi, certes. Ce qui est mauvais et malsain c’est de croire et/ou de faire croire que c’est là la valeur d’un homme, dans ses possessions. Comment parler encore de sublime quand à notre époque ce mot est utilisé pour définir un téléphone portable ? Sait-on vraiment ce que les mots signifient ? Fait-on attention à leur emploi ? Non, en les utilisant presque instinctivement nous les vidons de leurs richesse et profondeur. Restons prudents, mais un vocabulaire où les mots lourds de sens ne renvoient qu’à des choses superficielles n’est-il pas le reflet d’un être qui vit superficiellement ? Un être qui effleure les choses par manque de temps ou d’intérêt et aussi à cause de la vitesse à laquelle de nouvelles choses censées plus parfaites remplacent les anciennes ? Et cet être n’est-il pas un produit en même temps qu’un élément créateur de la société de consommation ? Quel abîme entre ce monde et le monde antique ! C’est le même abîme qu’entre l’apparence et l’essence. Le sublime est un état dit Longin. Non, il est une possession rétorque notre société. Le sublime est une grandeur dit Longin. Oui, la grandeur d’une voiture ou d’une maison, répond notre société. Et pourtant, même à l’époque de Descartes la recherche du sublime n’était pas un impératif. Vico retourne le constat amer de Descartes, « nous avons tous été enfants avant que d’être hommes » en disant que, justement, les enfants sont plus portés vers le sublime ou le héroïque que les adultes. Vico voulait donc initier les enfants à la connaissance de l’homme et de ce qu’il a de (plus) sublime plutôt qu’à la connaissance de la nature. En chaque enfant se cache un héros qu’il faut découvrir ou inventer car le héros est plus réel que le reste des hommes. Pourquoi ? Parce qu’il vit plus profondément et plus intensément. Nous observons que, même si notre époque est la pire de ce point de vue, la recherche du sublime n’a pas souvent été au premier rang des aspirations des sociétés. Au final, est-ce à dire que maintenant il n’y a plus de sublime ou de choses sublimes ? Est-ce à dire que le sublime est mort avec la civilisation grecque ? Citons Oscar Wilde : « la beauté est dans les yeux de celui qui regarde. »

En grec, hupsos signifie grandeur (par opposition à largeur ou longueur) ou élévation (au sens physique du terme). Passé en latin, ce substantif se transforme en adjectif, sublimus, qui désigne non pas un état ou une aspiration mais le caractère d’une chose. En tant qu’état d’esprit, le sublime n’est pas dépendant des choses extérieures et de leur sublimité bien qu’elles aient une importance certaine (il est bien-sûr plus facile d’avoir le sentiment du sublime en regardant -tout en étant à l’abri- une tempête violente plutôt qu’en regardant un téléphone portable). Il n’empêche que le sublime est dans l’esprit de celui qui regarde ou entend ou ressent, pour revenir à Wilde. Les choses extérieures peuvent être belles mais elles ne nous incitent pas obligatoirement au sublime. C’est surtout notre façon de regarder qui est créatrice de sublime. Le sublime est donc presque indépendant du monde extérieur, ce qui veut dire qu’il peut exister à tous les instants, à toutes les époques...Même à l’époque actuelle. En effet, rien n’empêche l’apparition du sublime et rien n’oblige sa disparition. Le sublime n’est pas prisonnier du temps mais, à l’instar du héros de Longin, qui « jette autour du temps le filet de sa gloire » il dépasse le temporel pour s’inscrire dans l’atemporel. Le sublime n’est pas transcendant comme une Idée de Platon, il est transcendantal, il s’occupe des conditions de possibilité d’un sentiment ou d’une expérience donnés. Est sublime tout ce qui dépasse la nature de l’homme tout en l’ayant comme source. Le sublime n’est pas à confondre avec un style d’écriture sublime mais, comme disait Boileau, il est ce dont il s’agit et non pas la manière dont on en parle. Il faut remarquer qu’on considère sublime ce qui s’attache à l’obscurité, à la violence de la nature, à l’infini de l’espace, des choses qui sont largement plus « visibles » la nuit que le jour. Le ciel étoilé égare dans le mystère de l’existence, trouble par son immensité, effraye par son caractère infini ou du moins indéfini. Le jour réduit notre regard et par sa lumière limite le mystère du monde. Nous imaginons plus Leibniz avoir dit « pourquoi y a-t-il plutôt quelque chose que rien » par une nuit étoilée que devant un soleil éblouissant. « Quand le soleil disparaît, le ciel éclate » a dit Claudel. Et le soleil disparaît tous les jours et, en nous éloignant des lumières obscurcissantes des villes, nous pouvons voir cet éclatement du ciel. Remarquons aussi que ce qui touche le plus n’est pas le joyeux ou le beau mais le tragique voire l’odieux. Nous applaudissons d’autant plus quand une pièce de théâtre nous a affligés. « On peut être grand dans le bonheur, on ne peut être sublime que dans le malheur » disait Schiller. Est-ce à dire que le sublime découvre en nous une partie plus profonde de notre être, qui est le sentiment tragique de toute existence ? Est-ce à dire que dans le malheur nous accédons à des profondeurs abyssales que le bonheur ne pourra jamais atteindre ? Ou est-ce à dire que c’est dans le malheur, la souffrance, l’adversité qu’un homme se découvre ? Car, comme disait Hugo, « qu’être bon c’est bien vivre et que l’adversité peut tout chasser d’une âme excepté la bonté ». A mieux regarder le sublime est toujours là , dans notre esprit, comme aptitude à s’émerveiller et s’émouvoir, comme capacité à s’élever spirituellement et s’unir au cosmos. Le plus court chemin pour arriver à soi c’est de passer par l’univers entier. Considérer l’univers comme un tout et soi-même comme une partie infime de ce tout est sublime. Se considérer sans déconsidérer le monde est sublime. Chercher le sublime c’est déjà le voir à l’horizon.

Ce n’est pas en critiquant les apparences que nous ferons apparaître le sublime. C’est en recherchant le sublime que nous nous débarrasserons du banal et du monotone. Et pour y arriver il faut plutôt élever nos aspirations que de rabaisser le monde qui nous entoure.

CB

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