Aujourd’hui, j’entends à la radio à une heure de grande écoute que l’Assurance Maladie décide de généraliser les contrôles des comptes bancaires des bénéficiaires de la CMU-c, la couverture maladie universelle complémentaire. Le fait est là : dans la loi, le code de la sécurité sociale, le premier titre du premier livre annonce la couleur. Il existe depuis 2011 un droit de communication, qui peut être exercé par les agents de sécurité sociale, envers tous les organismes détenant des informations utiles, et ce PAR DELA LE SECRET PROFESSIONNEL, à des fins de contrôle (art L114-19 Code de la Sécurité Sociale).
Application : la sécu contrôle votre compte en banque pour vérifier votre train de vie et vos déclarations à la recherche des fraudeurs aux prestations. Une phase d’essai conduite dans 4 départements aurait révélé 10% d’anomalies. Encore faut-il définir les anomalies. Etre un couple pauvre et recevoir de l’argent familial pour subvenir à ses besoins : est-ce une anomalie ? Le plafond de la CMU-c est ridiculement bas et fixé à 720euros/mois pour une personne seule, si le compte est créditeur de 750 euros : est-ce une anomalie ? Au bout de combien d’anomalies mensuelles sur le compte est-on est état d’ « anomalisme », suspecté de frauder et amputé des prestations ?
La pratique de la vérification a priori des éléments déclaratifs des usagers est la règle. Elle est d’ailleurs bien intériorisée par tous. Une mesure d’exclusion de plus, qui s’appuie en sous-main sur le « droit » d’accès au système de distribution de soins. Car ce terme contient en lui le germe de la sélection. Et il vaut mieux parler de besoin d’accès au système, dont l’aspect fondamental peut alors primer sur le reste. En en restant au « droit », on convainc les assurés qu’ils ont « droit à ceci », « droit à cela », parce qu’eux au moins, ils ont cotisé…
La pratique de la vérification a posteriori est orientée. Pour assurer les recettes dont le pays a tant besoin, on pourrait vérifier la fraude sociale des entreprises, chiffrée comme plus de 4 à 5 fois plus importante que la fraude sociale des particuliers et vérifier les comptes bancaires des entreprises. Que nenni ! Il ne s’agit pas de lutter efficacement avec une mesure pour assainir les finances, mais d’opération d’intimidation en règle, basée sur le postulat du « pauvre voleur ».
L’Assurance Maladie fonctionne donc sur ce nouveau contrat social. Magnifique. Cependant, pour appâter le chaland, les cadres de ladite assurance vendent le contrôle des comptes comme un récupérateur d’assurés à la dérive, ceux pouvant bénéficier de la CMU-c sans jamais avoir osé le demander. Ben voyons ! Le contrôle comme oeuvre sociale ! Alors que l’administration ne fait que multiplier les barrières aux recours depuis plusieurs années, à ces mêmes fins économiques : disparition des centres d’accueil, plateformes téléphoniques incontrôlables, pertes des dossiers de demandes de prestations, demandes réitérées des mêmes pièces avec rallongement des traitements etc.
La mention « sans que s’y oppose le secret professionnel » dans le texte du code de la sécurité sociale est une notion dangereuse. Outre le secret bancaire, d’autres secrets professionnels existent, notamment le secret médical. Or cette disposition n’est pas inscrite dans le code de déontologie médicale par exemple. Des agents d’organismes de sécurité sociale pourront-ils alors déroger au secret médical à des fins de contrôle de conformité de déclaration ? Il est plus que gênant que des procédures administratives pures puissent s’affranchir des secrets professionnels en dehors de tout cadre judiciaire ou pénal ; il semble que nous avançons là vers une drôle d’idée qui a mené en son temps à des procédés plutôt immondes. Comme pour le renseignement de toute façon, la rupture des secrets et l’intrusion ont un impératif dit « indiscutable ».
Nous banalisons ainsi aussi l’idée que le secret, c’est du luxe et c’est pas fait pour tout le monde.
Des administrés, il s’en fait alors de différentes catégories et comme dirait Coluche, « y’en a des plus égaux que les autres ».
Enfin, on peut se demander quel outil est devenu l’Assurance Maladie. Formidable concept de progrès de civilisation en son temps, accepté bon gré mal gré par le patronat dont les mains sales lui faisait baisser les yeux mais qui a vu là l’occasion de concéder aux salariés pour mieux exiger des efforts de reconstruction colossaux à l’après-guerre ; et aujourd’hui instrument de distillation idéologique contre solidaire ( le trou de la sécurité sociale, les fraudeurs aux prestations sociales, les immigrés profiteurs etc) et caisse de résonance pro-austérité (diminution des dépenses publiques) ; terrible filtre de la conformité sociale : l’assuré modèle est de classe moyenne, est fier de ne pas demander le tiers payant, n’a aucun arrêt maladie ou accident de travail et finit ses 41, 5 annuités sans accroc, sans invalidité et sans incapacité – en bref un client modèle.
Comment alors infléchir la tendance ? Comment arrêter de faire de la nouvelle Assurance Maladie une partition du terrorisme d’Etat contre les populations ? Défendre l’idée de la Sécurité sociale, c’est donc bien plus que défendre la mutualisation. Maintenons un discours sur son éthique, exigeons la participation citoyenne, reposons les bases juridiques de son fonctionnement, voyons loin sur sa signification sociale et politique. Emparons-nous du sujet.
Lanja Andriantsehenoharinala
médecin généraliste