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...et quelques bières en souvenir de Carlos Gardel

Vendredi soir à Caracas (chronique N° 5)

Avec cette 5ème chronique, notre ami Romain Migus nous conte une soirée qu’il a vécue dans la capitale vénézuélienne avec des amis. Il semblerait qu’ils aient surtout fréquenté les bars sans avoir lu nos médias : c’est la pénurie et, de toute façon, il faut une brouette de billets pour le moindre achat. Suivons-les.
LGS

Le téléphone sonne.

- “Allo ?

Epale hermano, comment tu vas ? C’est Enrique. C’est vendredi soir, tu vas faire quoi ?
Le vendredi, au Venezuela, c’est jour de fête. Le week-end est, quant à lui, consacré aux tâches domestiques et à la famille.

Ayant oublié ce détail, je m’étais plongé dans la lecture de “Jésus t’aime”, le très bon ouvrage de la journaliste Lamia Oualalou sur l’influence croissante des évangélistes au Brésil. L’invitation d’Enrique bouleverse mes plans. Jésus et ses serviteurs de l’Eglise Universelle du Royaume de Dieu attendront bien jusqu’à demain.

“Rendez vous à la Casa Azul, c’est juste derrière chez toi, à San Agustín. A pied, tu en as pour cinq minutes”.

A pied ? A 22 heures. Le souvenir d’avoir, quelquefois, bravé, de nuit, l’avenue Lecuna qui sépare Parque central des ruelles désertes de San Agustín n’augure rien de bon. Mais ça, j’allais le découvrir au fur et à mesure, c’était avant les problèmes de transport.

Aujourd’hui, j’ai juste à me faire guider par le flot de jeunes et moins jeunes qui s’engouffrent, à pied, dans les rues de San Agustín pour arriver au “bar” en question. Son surnom est dû à son apparence. C’est une maison bleue, adossée à la colline du barrio, on y va à pied, on ne frappe pas, lalalala… La comparaison avec la maison hippie de Maxime Leforestier s’arrête là.

En réalité, c’est le rez-de-chaussée d’une maison –dont la façade est en effet bleue- datant du début du XXe siècle. Dans ce local qui sert aussi de garage, on ne vend que de la bière à des prix imbattables. C’est le point de rendez vous idéal pour commencer la soirée. Une quarantaine de personnes s’y entassent. A l’extérieur, sur le trottoir, une soixantaine de jeunes boivent des bières, discutent, fument, rient, s’enlacent, et s’embrassent dans la nuit. Une scène de vie comparable à des dizaines d’autres pays non menacés par « une intervention humanitaire ».

Le contraste entre la description de Caracas par les médias dominants et la réalité de la vie la nuit dans cette zone populaire est saisissant. Si toutes les personnes présentes ce soir à la Casa Azul sont bien évidemment touchées par la situation économique, leurs dépenses nocturnes nous obligent à nuancer fortement les rapports alarmistes des Organisations Financées par d’Autres Gouvernements, ou de leurs relais médiatiques.

Comme je le fais remarquer à Enrique celui-ci me rétorque :
« Un vendredi, à cette heure là, c’est partout pareil à Caracas. Finis ta bière, je t’emmène faire un tour dans l’ouest. »

On monte dans sa voiture, direction l’ouest de la ville, où se concentrent la plupart des barrios de la capitale. Premier arrêt au Gardeliano, dans le quartier de Caño Amarillo, au pied du Cuartel de la Montaña, le mausolée où repose Hugo Chávez.

Ce lieu, de son vrai nom La Estación est surnommé ainsi car le franco-argentin Carlos Gardel y a interprété son fameux tango en 1935 (1) . Il faut jouer des coudes et s’armer de patience pour commander ; le bar est plein à craquer tout comme la petite place qui lui fait face.

« Alors tu vois ? me lance Enrique, assez fier de faire exploser en vol certains stéréotypes médiatiques sur son pays. Et nous ne sommes pas dans les quartiers riches. Allez viens, on va un peu plus à l’ouest. »
A l’ouest, toujours plus à l’ouest. J’ai l’impression de faire la tournée des bars avec le professeur Tournesol.

On continue de sillonner les quartiers populaires pour arriver au 23 de enero, plus précisément dans le secteur La Cañada. El veintitrés (2) , comme on le nomme à Caracas est un quartier emblématique de la ville. De grandes barres d’immeubles s’étalent à perte de vue, séparées entre elles par des centaines de ranchos. Extrêmement organisés et combattifs, les habitants du veintitrés ont souvent été à l’origine des bouleversements politiques qu’a connu le Venezuela. Du renversement du dictateur Perez Jiménez en 1958 à la révolte du Caracazo (3), les habitants de ce quartier très populaire ont toujours été à l’avant-garde des luttes vénézuéliennes. Ce soir, c’est plutôt un combat contre l’ennui qui se déroule dans la nuit claire.

Sur la place, devant une épicerie vendant de l’alcool à tout va, quelques deux cents personnes font la fête, boivent et dansent dans la nuit. Un mur d’enceinte diffuse de la salsa, du merengue, du reggeaton, Les langues et les corps se délient au fur et à mesure que les rhums et les bières se consomment. Avec Enrique, nous nous précipitons à l’épicerie pour reprendre une bière fraiche.

« On a du changer certaines habitudes, me glisse-t-il. On boit un peu moins ou on boit des alcools différents et moins chers comme du Cocuy (4) . Mais pour rien au monde, on arrête de faire la fête, ça nous aide aussi à nous sortir du quotidien. En gros, on fait le choix de la vie ».
- Malgré la situation économique ?
- La situation économique est difficile, mais pas au niveau que l’on décrit à l’étranger. Cette représentation sert avant tout à justifier pour les occidentaux une intervention contre notre pays, et faire accepter la guerre comme normale, voire même comme un service que l’on nous rendrait. Il y a deux mois, c’était la Semaine sainte. 10 millions de Vénézuéliens sont partis en vacances. Les plages étaient bondées. C’était de la folie. Allez, à la tienne ! »

Plage de l’île Margarita durant la Semaine sainte (du 25 au 31 mars 2018).

Je trinque en songeant au consommateur de médias européens ou étatsunien qui s’imagine voir des morts de faim partout. Je me demande comment il réagirait s’il était embarqué ce soir à faire la fête avec nous.

Enrique engloutit sa bière cul-sec. Il me donne un coup de coude dans les côtes et me déclare en rigolant : « Si les médias te disent qu’au Venezuela on meurt de faim, tu pourras toujours leur répondre qu’on n’y meurt pas de soif ».

Romain MIGUS

Prochain épisode : Pénurie organisée de médicaments

NOTES :
(1) Petit clin d’œil à nos lecteurs argentins qui auraient tendance à oublier que Carlos Gardel est né à Toulouse.
(2) El veintitrés = Le 23.
(3) Le Caracazo est le nom donné à cette révolte contre les mesures d’austérité néolibérales décrétés par le président Carlos Andres Perez en 1989. Ne pouvant contenir le mécontentement populaire, ce président social-démocrate, affilié à l’internationale socialiste, fera tirer sur le Peuple. Bilan : 2000 morts. Jeune officier à l’époque, Hugo Chávez restera profondément marqué par cet épisode tragique.
(4) Le cocuy est un alcool produit à partir de l’agave, semblable au mezcal mexicain. Consommé depuis des centaines d’années, sa production était interdite et restait confinée à la clandestinité. Elle fut autorisée par le gouvernement d’Hugo Chávez en 2005. Depuis, les producteurs des Etats du Lara ou de Falcón essaient de rattraper le temps perdu sur leurs homologues mexicains.

COMMENTAIRES  

10/08/2018 11:00 par Made in Québec

« Ayant oublié ce détail, je m’étais plongé dans la lecture de “Jésus t’aime” » — Romain Migus

De là est née l’Église catholique Romaine Migus… ;)

10/08/2018 14:23 par Georges SPORRI

Ah que ! Foutredieu ! Bigre ! Un article neutre et informatif sur le site " anti-k.org " ! Titre : " Les fortunes du Venezuela affolent les prix de l’immobilier espagnol " ...

12/08/2018 08:14 par CN46400

Ci dessous un lien avec un article du Figaro qui en dit long sur l’état de la bourgeoisie vénézuélienne, son moral, son courage (sic), ses précautions, qui ne diffèrent en rien du comportement classique des bourgeois quand les pouvoirs économiques leur échappent. A noter que les représentants connus ne sont pas les derniers à essayer de sortir leurs oeufs du plat à omelette.
https://immobilier.lefigaro.fr/arti...

12/08/2018 22:49 par Bruno Marmier

Il n’y a pas que la bourgeoisie, il y a aussi la bourgeoisie bolivarienne ou bolibourgeoisie qui investit dans le monde entier y compris en Espagne.
Les énormes ressources pétrolières des 15 dernières années ont été en grande partie détournées. Il faut se rappeler que sous Chavez, le Venezuela est devenu l’un des pays les plus corrompus au monde. Ce n’était pas brillant avant, mais après c’est encore pire : https://www.transparency.org/country/VEN

13/08/2018 20:35 par legrandsoir

Plutôt constant avec une légère amélioration en 2017 : https://www.transparency.org/news/feature/corruption_perceptions_index_2017 (comparatif de 2012 à 2017)

14/08/2018 13:23 par Romain Migus

ahhh Bruno, je me demandais où vous étiez passé vu que vous ne répandiez plus vos anneries sur mon fil twitter. Vous avez découvert le Grand Soir ? Tant mieux. Je souligne juste que Transparency International n´est pas du tout une source fiable mais partisane. Je vous conseille la lecture entre autre de La Telaraña Imperial. C’est un peu comme si on demandait au likoud de juger le gouvernement de Mr. Bashar Al Assad.

22/08/2018 12:19 par Bruno Marmier

Vous voulez-dire qu’il n’y a pas de corruption au Venezuela ? Que la situation est satisfaisante ? Je ne pense pas que la situation ce soit améliorée ces 20 dernières années, bien au contraire.
Comment se fait-il que ce gouvernement absolument génial, qui ne fait aucune erreur, qui est victime de tous les complots, est-il incapable de lutter contre la corruption ? M. Chavez n’avait-il pas promis d’en finir avec ce fléau ?
Où sont passés les milliards de revenus issus de la manne pétrolière ?

22/08/2018 14:24 par legrandsoir

Vos propres références, une fois vérifiées, vous contredisent.

22/08/2018 15:59 par Comité de Défense du Style Interrogatif Indirect

Ne dites pas " Comment se fait-il que ce gouvernement est-il incapable de lutter contre la corruption ? " mais dites :
"Comment se fait-il que ce gouvernement est incapable de lutter contre la corruption ?"

22/08/2018 23:09 par Made in Québec

« Vous voulez-dire qu’il n’y a pas de corruption au Venezuela ? » — Bruno Marmier

Personne n’a rien affirmé de tel ! Et nommez-moi un pays sur la terre entière et même dans les tréfonds de l’univers où il n’y a pas de corruption, UN SEUL ! Comme je me plaisais à le faire remarquer à deux de vos semblables : « Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie ! ».

« Que la situation est satisfaisante ? » — Bruno Marmier

Compte tenu de la situation d’agression permanente à laquelle les différentes administrations bolivariennes ont dû faire face depuis leur ascension au pouvoir : guerre médiatique, économique et politique, guerre de rue par les sympathisants de droite et d’extrême droite financés à grand coup de millions annuellement par des organismes de subversion et de corruption comme la NED, la USAID, la Freedom House et plusieurs autres (la NED avait quadruplé son financement à l’opposition un peu avant le coup d’état contre Hugo Chávez en 2002), sans oublier les sanctions, blocus et embargo des pays occidentaux (États-Terroristes-Unis d’Amérique, Canada, Union Européenne) qui entravent l’importation de nourriture, de médicaments et bloquent les paiements de la dette, OUI, la situation m’apparaît satisfaisante !

« Je ne pense pas que la situation ce soit améliorée ces 20 dernières années, bien au contraire. » Bruno Marmier

Il suffit de comparer le taux de pauvreté avant la révolution bolivarienne à celui d’aujourd’hui pour démontrer que vous avez tort. Il suffit de comparer le taux de pauvreté extrême avant la révolution bolivarienne à celui d’aujourd’hui pour démontrer que vous avez tort. Il suffit de comparer le taux de mortalité infantile avant la révolution bolivarienne à celui d’aujourd’hui pour démontrer que vous avez tort. Il suffit de comparer les ratios médecins/population avant la révolution bolivarienne à celui d’aujourd’hui pour démontrer que vous avez tort. Il suffit de comparer le nombre de logements sociaux avant la révolution bolivarienne à celui d’aujourd’hui pour démontrer que vous avez tort. Il suffit de comparer le taux d’analphabétisme avant la révolution bolivarienne à celui d’aujourd’hui pour démontrer que vous avez tort. Il suffit de comparer le nombre de vénézuéliens et de vénézuéliennes ayant le droit de vote avant la révolution bolivarienne à celui d’aujourd’hui pour démontrer que vous avez tort. Il suffit de comparer le nombre de vénézuéliens et de vénézuéliennes ayant accès à des études universitaires avant la révolution bolivarienne à celui d’aujourd’hui pour démontrer que vous avez tort. Il suffit de, il suffit de, il suffit de, il suffit de le voir pour le croire…

« Comment se fait-il que ce gouvernement absolument génial […] » — Bruno Marmier

Merci, ça fait du bien à entendre (à lire…) !

« qui ne fait aucune erreur » — Bruno Marmier

Personne n’a rien affirmé de tel ! Et nommez-moi un pays sur la terre entière et même dans les profondeurs de l’univers où les gouvernements ne font pas d’erreurs, UN SEUL ! Comme je me plaisais à le faire remarquer à deux de vos semblables : « Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie ! ».

« […] qui est victime de tous les complots, » — Bruno Marmier

Vous semblez insinuer que ce ne serait pas le cas alors que les multiples complots des ennemis de tout horizon de la révolution bolivarienne sont véridiques, vérifiables et indéniables.

« est-il incapable de lutter contre la corruption ? » — Bruno Marmier

Et si vous vous contentiez de balayer devant votre porte ? Comment se porte la corruption dans votre pays occicon ? J’imagine que vous ignorez que dans les dernières années, plusieurs mesures ont été prises pour combattre plus efficacement la corruption et que des dizaines d’arrestations et de condamnations ont eu lieu ?

« M. Chavez n’avait-il pas promis d’en finir avec ce fléau ? » — Bruno Marmier

Sources ? Et je vous ferai remarquer qu’Hugo Chávez est décédé en mars 2013 et que depuis, depuis 2015 en fait, les opposants de droite et d’extrême droite sont majoritaires à l’Assemblée nationale et à part crier à la dictature dans les médias, à part quémander l’imposition de sanctions et de blocus contre leur propre pays et même une intervention militaire dans les cas les plus extrêmes, qu’ont-ils fait de CONCRET pour réellement aidé le Venezuela à sortir de la crise dont la population fait face courageusement ? (Pourquoi ai-je toujours l’impression de me répéter, de me répéter, de me répéter et de me re-répéter ?)

« Où sont passés les milliards de revenus issus de la manne pétrolière ? » — Bruno Marmier

Contrer la pauvreté et la pauvreté extrême ?
Diminuer la mortalité infantile et augmenter l’espérance de vie ?
Augmenter le nombre de médecin par tête de pipe ?
Construire des hôpitaux, cliniques en tout genre et entretenir le réseau existant ?
Construire des routes et entretenir le réseau routier existant ?
Étendre le réseau électrique et entretenir le réseau existant ?
Éradiquer l’analphabétisme ?
Financer la création de médias communautaires de proximité (journaux, radios et télés) ?
Construire des écoles et universités et augmenter le niveau de scolarité de la population ?
Construire des millions et des millions de logements sociaux ?
Et des centaines et centaines d’autres services à la population ?
Rembourser la dette (73 milliards 359 millions de dollars remboursés ces quatre dernières années) ?
Réparer les pots cassés qui se chiffre en milliards à chaque tentative de coup d’état et/ou chaque fois que les gourous de droite et l’extrême droite refusent les résultats électoraux et incitent leurs adeptes à descendre dans la rue pour mettre le pays à feu et à sang (réseau électrique vandalisé, cliniques médicales et autres édifices gouvernementaux saccagés et incendiés, etc.) ?

23/08/2018 22:15 par Assimbonanga

Voici un reportage diffusé hier sur France 2 au JT de 20h. Bon courage ! Ça coupe un peu les pattes. Durée 1,30 minute. Titre : VENEZUELA, UN EXODE MASSIF : https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/venezuela-un-exode-massif_2906843.html
Et merci aux auteurs du GS s’ils veulent bien apporter leur avis sur ce reportage.

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