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Macron chez les Vikings : quand Jupiter se rêve en Odin.

La déclaration de Macron sur "le Gaulois réfractaire au changement" constitue, politiquement, une forme de félonie : connaît-on un autre exemple de chef d’Etat ou de gouvernement qui profite de ses visites officielles à l’étranger pour casser du sucre sur le dos du peuple qu’il est censé représenter ? Pour moi, il ne me vient à l’esprit que la "boutade" de Léopold Senghor, président du Sénégal, à qui on demandait s’il connaissait la cuisine sénégalaise : "Assez pour préférer la cuisine française".

Mais cette phrase rappelle aussi que les Gaulois ont longtemps constitué en France un enjeu politique et social. L’historien Christian Goudineau remarque que l’expression "gallo-romain" n’a d’équivalent dans aucun autre pays : elle montre à quel point les Français ont profondément accepté la supériorité du conquérant romain. Au contraire, les Allemands se sont identifiés aux héros de la résistance contre les Romains, tel Armen (Arminius en latin) qui, sous Auguste, massacra trois légions romaines et fit reculer l’envahisseur derrière le Rhin ; et ils célèbrent dans le De Germania de l’historien romain Tacite, qui décrit les coutumes et les rites religieux des tribus germaniques, le récit de leurs origines nationales. Et Astérix, dira-t-on ? Ce n’est pas cette BD qui affaiblira l’opposition entre les deux sensibilités nationales : ses Gaulois n’ont pas grand-chose de gaulois, ce sont en fait, sur le plan psychologique, des Français moyens des années 60, affublés d’un curieux casque ailé ; quant à leur mode de vie mythifié, s’il peut susciter des nostalgies (pétainistes ? poujadistes ? don camillesques ?), il est bien plus loin du Français d’aujourd’hui que l’art de vivre romain ; enfin, s’il est vrai que la BD constitue une revanche symbolique sur l’Occupation, il faut avouer qu’elle représente les soldats romains (= nazis) de façon bien indulgente.

Et pourtant, pendant deux siècles stratégiques, de la fin de l’Ancien Régime à l’acceptation générale des conséquences de la Révolution Française, il y a eu un mouvement de revalorisation des Gaulois, avec un fort enjeu social et politique : la phraséologie de Macron nous fait remonter le temps, jusqu’aux XVIIIe et XIXe siècles, où est apparue et s’est développée la théorie de l’origine ethnique des classes sociales. Elle constitue le socle de l’opuscule de 1789 de Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-Etat ?. Il y reprend l’idée que le peuple descend des Gaulois, tandis que l’aristocratie descend des conquérants francs (une tribu germanique) ; il s’agit maintenant pour le peuple autochtone de secouer le joug et retrouver toute sa place, face à la noblesse franque (François Guizot, dans son Histoire de France, reprendra cette thèse).

Cette théorie a connu un grand succès à l’époque romantique : Walter Scott, le créateur du genre du roman historique, oppose dans Ivanhoé (1817) le peuple saxon (peuple au sens de nation, puisqu’il réunit tous les autochtones, seigneurs et manants) au cruel conquérant normand. Eugène Sue, beaucoup plus systématiquement, revoit toute l’histoire de France à la lumière du clivage ethnique : dans Les Mystères du peuple ou Histoire d’une famille de prolétaires à travers les âges*, il associe les notions de gaulois et de prolétaire ; et il suit, de la conquête de la Gaule à Napoléon III, une famille celte, les Lebrenn, qui, génération après génération, lutte contre la famille franque des Neroweg, pour défendre ses valeurs de liberté et d’égalité. Ainsi, jusqu’au milieu du XIXe siècle, les partisans de l’aristocratie vont dénigrer les Gaulois et exalter les Francs, tandis que progressistes et démocrates s’identifient aux Gaulois et vantent leurs qualités.

Cette théorie raciale n’avait évidemment aucun fondement scientifique, et elle ne joue aucun rôle dans la lutte des classes marxiste. C’est donc un écho d’un débat bien archaïque que nous fait entendre Macron, un débat dans lequel il s’aligne du côté de l’aristocratie germanique (et de la défense de ses privilèges).

Sa France en marche marche donc à reculons, et, lorsque les réformes successives des retraites, de l’assurance-chômage et du code du travail auront réduit une bonne partie des travailleurs, actifs ou retraités, à l’indigence, il réinventera peut-être la fameuse "plaisanterie" : "Ils n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent donc de la brioche !"
Mais la petite phrase macronienne recèle encore d’autres sens : le reniement des origines nationales gauloises va de pair avec le reniement des origines culturelles catholiques, puisque "gaulois" s’oppose à "luthérien" : donc, contre le Gaulois catholique, Macron choisit le Germain protestant (on est toujours dans une logique essentialiste) – ce qui confirme la thèse de Régis Debray dans Un nouveau pouvoir (2017) : il analyse l’arrivée au pouvoir de Macron comme le triomphe, en France, du néo-protestantisme globalisé (c’est-à-dire étasunien), qui est la nouvelle forme de L’Ethique protestante étudiée par Max Weber, une idéologie d’origine religieuse qui fournit au capitalisme non seulement une justification mais aussi le cade le plus propice à son développement. D’abord fondé sur la morale du travail et la réussite financière comme signe de l’élection divine, le protestantisme impose aujourd’hui une "éthique" de la transparence, c’est-à-dire, en fait, de l’apparence, qui réduit le concept de démocratie au look managérial : veste sur l’épaule, manches de chemise retroussées, emploi du prénom et tutoiement, verbiage "bienveillant" ou abscons ponctué d’expressions familières ("un pognon de dingue").

J’aurais aimé, pour la beauté de la chose, que Macron prononce sa phrase sur les Gaulois réfractaires au changement aux Pays-Bas, berceau du capitalisme et seul pays européen (en dehors de Genève) à avoir fait le choix de la branche calviniste du protestantisme, la plus favorable au capitalisme selon M. Weber, celle qui a triomphé aux Etats-Unis. Mais le Danemark aussi fait partie de la zone du mark germanique.

Rosa Llorens

* voir la thèse de Laure Lévêque : “ Les Mystères du peuple d’Eugène Sue, une guerre des Gaules du XIXe siècle ”.

COMMENTAIRES  

03/09/2018 22:41 par Xiao Pignouf

La réflexion de Macron est empreinte d’une ignorance honteuse et d’un racisme de bas-étage : les Gaulois n’ont jamais existé, c’est une invention de Jules César, ils n’ont jamais été un peuple, et je pense que les seuls crétins à continuer de véhiculer cette fausse information sont nos dirigeants successifs qui montrent qu’ils ne connaissent pas l’histoire de leur propre peuple.

http://confessionsdhistoire.fr/episodes/episode-la-guerre-des-gaules/

Le Français contemporain a bien davantage hérité des Romains que des Celtes. Mais pour Macron, comparer les Français a des Romains réfractaires au changement, ce serait par trop leur attribuer une certaine noblesse, Macron voit donc les "Gaulois/Français" comme des brutes moustachues et bagarreuses, incapables de finesse et frustes, ergo tels qu’ils sont décrits dans les bouquins d’Uderzo et Goscinny...c’est pas si mal, il pourrait très bien nous décrire comme des analphabètes ou des alcool...hic ! M’enfin c’est un peu léger comme culture historique, mais je vois bien le petit Manu lire Astérix dans son lit le soir cela dit...

Ensuite, comparer les Français à leurs soit-disant ancêtres gaulois, c’est mettre un sacré paquet de nos concitoyens de côté. Je ne crois pas que les Guadeloupéens, les Corses ou les Guyanais s’y retrouvent.

Elève Macron, au piquet ! (à défaut de gibet)

03/09/2018 22:58 par irae

Sur les frustres gaulois, les denières fouilles de sites tendent à démontrer une civilisation beaucoup sophistiquée et évoluée que ne le laissent penser les images des livres scolaires ou d’Astérix.

03/09/2018 23:40 par Daniel BESSON

Superbe texte de cette Normalienne , enfin la première partie ! Les " Français " , contrairement aux " Allemands " et aux " Russes " ont accepté cette * onction de la Romanité " même si ce fut par la force . Les " Allemands " et les " Russes " se plaisent à mettre en avant la résistance de Teutoburg à la Romanité ou du lac Peïpous et à la Romanité Occidentale et se réclament chacun d’un Sonderweg spécifique . Le Nazisme tout comme l’expérience Soviétique s’en sont d’ailleurs aussi réclamés et nous devons remercier historiquement chaque jour les Romains d’avoir insufflé leur civilisation dans nos âmes Celto-Ligures . Je sais que Ferdinand Lot doit se retourner dans sa tombe mais je suis fier d’être un Européen de civilisation Gréco-Latine et de philosophie Judéo-Chrétienne .
Mme Rosa Llorens devrait toutefois méditer l’histoire du cordonnier d’Apelle lorsqu’elle rejette au nom de ses convictions Groucho-Marxistes l’absence de liens entre les origines ethniques et le rang social . Je suis sûr que ce qu’elle refuse d’admettre en Europe , la prédominance sociale du conquérant ( Franc , Normand ) sur le conquis ( Gaulois , Saxon ) , elle va l’ériger en axiome sociétal en Amérique Latine avec les méchants colons blancs et les gentils Amérindiens et esclaves noirs . C’est juste une question d’honnêteté intellectuelle … Dans le premier cas cela l’empêche de développer son discours Marxiste , dans le second cela l’alimente .
Quand à ceux qui nient l’existence des "Gaulois" nommés en tant que tels ( thèse gauchiste DeCookoLarrérienne très en vogue ces deux dernières années sur les réseaux sociaux ) je les invite à lire Jean-Louis Brunaux !

04/09/2018 03:09 par babelouest

@ Xiao Pignouf
Je pense au contraire que les Celtes avaient développé une vraie civilisation, avec de grandes découvertes, comme la moissonneuse. Les envahisseurs romains me rappellent terriblement les envahisseurs washingtoniens, prédateurs, accapareurs et juste capables de codifier leurs forfaits. Ils ont réussi à imposer leur "Roman Way of Life", et leur République fut éphémère alors que l’Empire empira, empira, jusqu’à la chute. Je ne le répéterai jamais assez : le samedi 25 octobre 732, nos contrées retombèrent dans la barbarie franque qui de justesse battit la grande civilisation de Grenade et Cordoue. Peut-être ainsi "la chrétienté" viciée jusqu’à l’os par les Borgia, puis Calvin, aurait-elle été évincée, pour le plus grand bien de tous.

On aurait peut-être ainsi échappé à des utopistes comme G. Sporri, productivistes, globalistes et se battant pour ou "contre" l’argent devenu dieu.

04/09/2018 09:15 par gus de nantes

salut a tous ,

Tout cela me rappelle une recherche qui tendait à démontrer que la "mémoire" générationelle survit grosso merdo sur 7 génération .... alors les gaulois ...... franchement ..... comme la "judéo chrétienté" on en sent le filigranne en recherchant un peu beaucoup et en tirant sur la corde de l’analyse facile on peut faire correspondre des choses qui n’ont rien à voir , comparer l’occupation allemande et la pax romana ? dire que les celtes furent une grande nation ? vous comprenez ma réserve ? on sait deja pas qui a fait le coup du 11 septembre ..... qui a assassiné la démocratie en amérique du sud ? sur quels ordres avec quel argent et pour quel interet ? ( non mais je sais moi aussi merci ) je veux juste par ces questions vous rappeller à tous que grace au travail constant de nos juristes et de nos services secrets nous ne savons en général pas grand chose sur les conditions exactes de la marche du monde ....
Il y a fort à parier que le banquier-président-dictateur , ne fait que faire du bruit , a l’attention des uns pour vendre le papier des autres "il existe une très mauvaise publicité , c’est celle ou l’on ne parle pas de vous"

je mets en doute la judéo chrétienté pour le simple fait que depuis deux a trois génération le cathéchisme est optionnel voire inconnu , et si par le truchement du code pénal et de la culture judéo chrétienne nos enfants apprenent encore deux ou trois trucs de cette philosophie de pédophile je doute qu’ils en aient l’exact meme foi que leur grand parents .
Pour ce qui est de la thèse de dire que le "protestantisme" serait la nouvelle norme de nos élites laisse moi rire , enfin ,on est d’accord sauf que moi je l’appelle " impérialisme étazunien " ou "dictature du pognon" . Je ne donnerai pas une morale ou une religion à ceux qui n’ont que l’argent pour tout philo et le plaisir comme seul boussole.
Quelque part dire de mes ennemis qu’ils le sont de père en fils car d’un lignage différent du mien et c’est ainsi que je lis la thèse "franc-noble-protestant" contre "gaulois-populi-catho" c’est dire à leur suite que tout est dans la nature or c’est leur thèse principale .

04/09/2018 09:37 par J.J.

Ensuite, comparer les Français à leurs soit-disant ancêtres gaulois, c’est mettre un sacré paquet de nos concitoyens de côté. Je ne crois pas que les Guadeloupéens, les Corses ou les Guyanais s’y retrouvent.

Elève Macron, au piquet ! (à défaut de gibet)

Faut wigoler ! Faut wigoler de peu’ que l’ciel nous tomb’ su la tête !

04/09/2018 10:08 par Xiao Pignouf

@Irae et Babelouest

Je me suis mal fait comprendre : je ne pense pas que la civilisation celte y compris celle des "Gaulois" ait été fruste ou barbare, je pense que Macron le pense et qu’il perçoit ces peuples à un niveau guère plus élaboré que les aventures d’Astérix, d’où sa remarque où le mépris pour les Français le dispute à l’ignorance des cultures celtiques.

Les Gaulois ont bon dos pour nos politiques : soit on les met sur le tapis pour des visées racialo-communautaristes, soit parce qu’on entend prouver que les Français sont des réacs mal dégrossis...

04/09/2018 10:34 par Xiao Pignouf

Non, mon bon D. BESSON, à l’instar des Indiens (d’Amérique), si mal nommés par les conquistadors, la Gaule et les Gaulois furent nommés par les Romains pour désigner une zone géographique englobant une multitude de peuples aussi différents les uns des autres que pouvaient l’être les Sioux des Apaches. Quant à dire que les intéressés eux-mêmes se catégorisaient sous cette étiquette avant la guerre des Gaules et la période gallo-romaine, ça reste à voir. L’existence et le consensus sur le terme gaulois se sont faits a posteriori, mais on ne peut pas persister à véhiculer l’idée qu’il s’agissait d’une nation, d’un peuple unique qui serait représentatif de ce que sont les Français (de... beurk !... souche, oeuf corse).

En outre, ce genre de simplification réductrice de la réalité est toujours venue des plus forts, ça doit les arranger en somme.

04/09/2018 13:21 par Georges SPORRI

@Babelouest / Admirable lucidité ... Je propose sans me fatiguer des projets hyper chers qui ne seront amortis que 10 ou 15 ans après et rapporteront assez peu mais pendant très longtemps ... Les texte de Marx sont tous des " Critiques de l’économie politique " et pas des traités d’économie . Marx nous propose d’organiser une société libérée des lois de l’économie ... .

04/09/2018 13:55 par Buffaud

D’accord sur le fond, mais pas sur l’étrange « analyse » d’Astérix, la BD de René Goscinny, qui fut avant tout une critique acerbe de la société française et surtout du capitalisme (le chaudron, Obélix et compagnie, le domaine des dieux, etc…) du temps du vivant de son créateur. Madame LLorens ne semble pas avoir lu les bons albums ou ne pas y avoir porté suffisamment d’attention … Quand à parler d’indulgence vis-à-vis des Nazis, rappelons que Goscinny était issu d’une famille juive polonaise et qu’une partie de sa famille est morte à Auschwitz … les romains de la BD symbolisent plus l’ordre et l’armée (Astérix légionnaire, Astérix en Corse, le devin) que l’envahisseur nazi.

04/09/2018 18:38 par Xiao Pignouf

@Buffaud, d’accord avec vous sur le procès fait à la BD de notre enfance. A côté de la plaque et condescendant.

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