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Autrice

On va essayer de régler une fois pour toutes le sort d’« auteure » (mais pas « facteure) ou encore « recteure » (mais pas « instituteure »). Pourquoi faut-il à tout prix violer la langue française au prix d’une horreur (horreur ?) langagière et visuelle alors que le français est si riche en ressources, et que rien n’oblige à jouer au kéké en voulant le beure et l’argent du beure (sic).

En 2008, Aurore Évain, qui se présente comme « Metteuse [le correcteur automatique – à moins que ce soit une correcteuse – s’obstine à imposer “ menteuse ”] en scène – Autrice – Editrice – Chercheuse » et non …, publiait dans la revue scientifique SÊMÉION, Travaux de sémiologie  6, un long article sur le mot “ actrice ”, un vocable dont on ne peut que recommander l’usage en s’inspirant tout bêtement d’actrice ou de factrice. En deux mots, lorsqu’on dit « actrice » on ne roule pas des mécaniques : on impose sa légitimité en tant que femme. Comme le démontre Aurore Évain. (LGS)

L’histoire d’autrice est passionnante à plus d’un titre, car elle recoupe à la fois l’histoire de la langue, celle de la fonction auteur et les étapes de l’accès des femmes à la sphère publique en général, et à la création en particulier. Elle permet surtout de mettre à bas certains préjugés concernant la soi-disant incongruité de ce féminin et son incapacité à désigner la femme qui écrit.

1. AUCTOR OU AUCTRIX, UN VIEUX DÉBAT...  

L’emploi du masculin auctor pour désigner des figures féminines (dont deux déesses) par Plaute, Ovide et Virgile dans trois textes relevant de genres littéraires divers – le théâtre, la poésie, l’épopée – a servi en effet de principal argument aux premiers grammairiens latins, puis français pour bannir ce féminin de la langue. C’était pourtant faire l’impasse sur les nombreux usages de l’auctrix latin par les premiers auteurs chrétiens.

En effet, au cours des premiers siècles du christianisme, les occurrences de ce féminin se multiplient. Il sert notamment chez Tertullien et Saint Augustin à désigner les grandes figures féminines des Écritures pour signifier qu’elles sont à l’origine des vertus ou des péchés, créatrices de grâce, essences de pureté, autrices de vie, etc. Après l’Olympe et ses déesses amazones qualifiées au masculin, Marie, Ève, Rachel deviennent les autrices d’une sorte de royaume féminin, où les femmes, porteuses de valeurs et créatrices d’histoire, sont au premier plan au côté de Dieu, le grand Auteur, dans le récit de la chute et de la rédemption de l’humanité. L’emploi d’auctrix vient donc configurer un monde où s’associent masculin et féminin dans l’ordre de la création. Car si auctrix évoque la genèse de la vie dans sa forme féminine, il ne se réduit pas à cette valeur essentialiste, mais évoque aussi un nouvel ordre social qui repose sur le partage et l’égalité des forces. Cas le plus intéressant, les premières ouvrières chrétiennes se parent du titre d’auctrix : alors que le travailleur et la travailleuse incarnent désormais un idéal de vertus, dans un monde fondé sur le mérite, où l’on se glorifie de vivre de son labeur, les mentions "amatrix pauperum et operaria" et "laborum auctrix" font leur apparition sur les tombes des premières chrétiennes. 

Cet usage d’auctrix a été consacré par la tradition chrétienne, au point qu’on le retrouve dans de nombreux sermons tout au long des siècles. En 1600, Saint François de Sales n’hésitera pas d’ailleurs à recourir au français autrice pour traduire le terme latin dans un texte de Tertullien. La tradition médicale poursuivra également dans cette voie, et les traités scientifiques de l’Ancien Régime recourront souvent à auctrix, ou à son équivalent français autrice, pour décrire l’origine d’un mouvement ou d’une action. 

Mais, très tôt, du côté des spécialistes de la langue, les résistances se mettent en place, et, en dépit de l’usage, l’autorité des savants aura raison de ce féminin. La première attaque commence dès le IV siècle, au moment où des grammairiens latins, en légiférant la langue, posent les premières règles concernant l’emploi des féminins. Au départ, elles se veulent de simples constats : Maurus Servius Honoratus reconnat ainsi que le terme auctrix est effectivement disponible, mais que la coutume veut qu’on utilise auctor. Or, ce commentateur de Virgile, qui met ici en valeur son propre travail d’érudition sur l’œuvre virgilienne, est aussi un homme de religion romaine : ce faisant, il passe donc sous silence les nombreux emplois du terme chez les auteurs chrétiens. Pourtant, les mécanismes de construction de l’histoire vont opérer, et l’autorité de cet érudit va peser sur ses continuateurs, au point qu’au VII siècle, le très chrétien Isidore de Séville, évêque éminemment cultivé qui a lui-même utilisé le terme auctrix en parlant de Marie (De ecclesiasticis officiis), affirme désormais dans son livre X de l’Étymologie (« De Vocabulis », lettre A, ligne 2) qu’il n’est pas possible classique, l’usage épicène d’auctor par trois grands poètes de la littérature antique entre le II s. ap. J.-C. a pourtant joué un rôle central dans l’histoire de ce féminin, en servant ses opposants.

Une étape est franchie : l’interdit est plus clair, le recours à auctrix est identifié comme un mauvais usage, et la stricte séparation des rôles et des espaces entre les sexes s’invite dans la langue. C’est désormais ce discours qui prévaudra chez les « législateurs » de la langue, et ce jusqu’à nos jours... 

2. LA SAVANTE DU MOYEN ÂGE, UNE "AUCTRIX DEI"  

En revanche, du côté de l’usage, auctrix continue de faire son chemin tout au long du Moyen Âge. Et c’est même entre le X et le XII siècle qu’apparaissent les premières occurrences de ce terme en art et littérature. 

Pour comprendre l’enjeu de ce féminin, il suffit d’étudier les conditions de son référencement dans les premiers lexiques et dictionnaires latin-français qui apparaissent à partir du XIV siècle et de comparer cette indexation avec celle d’un autre féminin, aujourd’hui parfaitement assimilé, à savoir actrix/actrice. Il en ressort que si ces premiers recueils lexicaux intègrent tous le féminin auctrix, ils accordent au couple lexical auctor/auctrix un sens très appauvri, les définitions se contentant d’indiquer accroisseur/accroisseresse, ou encore augmenteur/augmenteresse. À l’inverse, le terme actor y recouvre un champ sémantique large et varié, mais il n’admet pas de féminin. Or, à cette époque, ce mot ne qualifie pas seulement l’homme qui joue la comédie, il désigne surtout des fonctions sociales et des métiers liés au droit, à la justice, à la gestion et même à la littérature, puisqu’il peut désigner un fatiste, un faiseur de livre, bref un auteur... 

Le croisement qui va bientôt s’opérer, au cours du XVII siècle, entre les féminins français autrice et actrice, à une période clef de l’histoire de la langue, illustre de façon très nette les enjeux de la féminisation pour certaines élites : il en ressort une nouvelle fois que l’existence lexicographique d’un féminin dépend moins des critères d’usage, d’analogie ou d’euphonie habituellement mis en avant, mais bien de la valeur sémantique que le terme recouvre au masculin. Quand cette valeur est forte, plurielle et socialement valorisante, le féminin n’est pas référencé dans les ouvrages sur la langue, même si la place des femmes dans la société peut justifier son emploi. C’est le cas en latin pour le féminin d’actor jusqu’au XVI siècle ; ce sera le cas en français pour le féminin d’auteur à partir du XVII siècle. Apparaîtra actrice quand le terme acteur se limitera au sens de « comédien » ; disparaîtra autrice quand la fonction « auteur » s’institutionnalisera et se dotera d’un prestige littéraire et social. 

3. LA RENAISSANCE ET SES PREMIÈRES AUTRICES  

Mais, une fois encore, cette évolution n’ira pas sans résistances. Du côté de l’usage, et en particulier celui des femmes, c’est au moment de l’apparition de l’imprimerie et du développement du français comme langue nationale que les occurrences d’autrice dans cette langue se diversifient, prenant des sens de plus en plus riches et variés. En l’état des recherches, nous devons le premier emploi de ce féminin en français à une princesse, Madeleine de France, fille de Charles VII, qui se présente dans une lettre patente de 1480 comme "mère, autrice et gouvernante de François-Phoebus, roy de Navarre, duc de Nemours". Au siècle suivant, c’est Marguerite d’Autriche qui se déclare "autrice de paix" dans une lettre adressée à l’Empereur (1526). À cette époque, les exemples se multiplient, et tous les types d’écrit sont concernés : correspondance, traité, théâtre, mémoires, poésie, etc. Mais le cas le plus intéressant reste celui du Brief discours : que l’excellence de la femme surpasse celle de l’homme, de Marie de Romieu, publié en 1581. Il s’agit de la première occurrence rencontrée qui a le sens d’écrivaine, de surcroît dans une littérature féministe. Il est employé par l’imprimeur dans son Avis au lecteur, pour mentionner Marie de Romieu, la "demoiselle autrice du précédent discours". 

C’est également au XVI siècle que paraissent les premiers traités de grammaire moderne, où commence à poindre le débat sur les genres . Au XVI siècle, notamment, les grammairiens hésitent encore : pour certains, le français a quatre genres (le masculin, le féminin, le commun et l’épicène), pour d’autres il en a trois (absence de l’épicène ou du genre commun), et pour d’autres encore seulement deux. 

4. LE GRAND SIÈCLE LANCE LA GUERRE À AUTRICE  

Au cours du XVII siècle, on assiste en effet à une véritable guerre menée contre autrice. Tandis que son emploi en littérature et dans l’usage courant poursuit son essor, du côté des grammairiens et de certains lettrés l’opposition à ce féminin se durcit. Car l’enjeu est de taille : alors que ce siècle assiste à "la naissance de l’écrivain", que l’institutionnalisation de la langue et la professionnalisation du champ littéraire ouvrent les portes à l’ascension sociale, l’éducation féminine se développe et une nouvelle génération de femmes de lettres fait son apparition. Issues de milieux moins favorisés que leurs prédécesseuses, elles aspirent à faire carrière et à vivre de leur plume. L’usage de la langue vient d’ailleurs conforter l’émergence de cette nouvelle figure : près de la moitié des occurrences réunies désignent des femmes qui écrivent. Ce féminin a également une entrée spécifique dans un dictionnaire qui suit de près l’usage contemporain (Dictionary of the French and English Tongues, Cotgrave, 1611). C’est enfin et surtout le terme consacré pour désigner, dans la presse et dans les registres administratifs de la Comédie-Française, les premières dramaturges professionnelles qui, entre 1660 et 1690, viennent se confronter à l’un des derniers bastions littéraires masculins que représente le théâtre, ce genre réputé "mâle". 

Le camp des « pro-autrice » et surtout celui des « anti-autrice » s’organisent, de façon sous-jacente, dans la première moitié du siècle, au moment où se mettent en place les nouvelles institutions littéraires censées servir la politique culturelle de Richelieu, et dont l’Académie française, créée en 1634, est la principale pierre. La querelle oppose, par textes et lettres interposés, une artisane de la langue, Marie de Gournay, et l’un des premiers membres de cette Académie non mixte, Guez de Balzac. L’une, latiniste brillante, se pose en défenseuse des mots contre ceux qui veulent, derrière Malherbe, réglementer la langue. L’autre est l’un de ces réformateurs, grand poète de la préciosité et fervent admirateur de la culture antique. Elle est une autodidacte, une féministe et l’une des premières écrivaines à se mêler de la Langue et à faire carrière par la littérature. Lui a eu des mots très durs contre les savantes et les femmes de lettres. Enfin, si Marie de Gournay utilise à plusieurs reprises autrice dans ses œuvres, Guez de Balzac, de son côté, citant auteurs et grammairiens latins, va le bannir et s’employer à établir un certain nombre de règles et d’interdits quant à l’usage des bons et des mauvais féminins.

Ce n’est pas la construction morphologique d’actrice qui peut le gêner. Il est d’ailleurs un défenseur de la loi de l’analogie : il crée ainsi « baladine » et accepte « avocate » (au sens fig.). Il a surtout participé à la promotion des féminins « judicatrice », « divinatrice », « instigratrice ». Mais l’analogie a ses limites, posées par d’autres impératifs que ceux de la langue : une lecture en creux prouve qu’il s’agit moins de censurer un féminin que de condamner la femme qui écrit. Si Guez de Balzac accorde à Marie de Gournay d’être nommée "la traductrice de Virgile", elle ne saurait être une "autrice".

Les grammairiens et lexicographes de la seconde moitié du siècle vont à leur tour s’appuyer sur la lettre de Guez de Balzac et ses citations pour affirmer de façon plus définitive,encore qu’auteur n’admet pas de féminin.

En moins d’un siècle, avec la normalisation et la politisation de la langue, disparaît donc autrice au moment même où son emploi est le plus justifié, alors que de nombreuses femmes aspirent à faire carrière dans les Lettres.

5. LA NÉOLOGISATION D’AUTRICE AU SIÈCLE DES LUMIÈRES

Au cours du XVIII siècle, alors que la professionnalisation du statut d’auteur suit son cours, les occurrences d’autricese raréfient. Le terme continue cependant à être utilisé dans la presse, notamment dans les périodiques rendant compte d’une production littéraire féminine en pleine expansion. Mais ce sont surtout les rénovateurs de la langue qui vont relancer le débat sur les féminins dans la France prérévolutionnaire, et en particulier Rétif de La Bretonne. Son emploi d’autrice s’intègre dans un vaste programme de réforme de la langue, qui "la rendra analogue et régulière, comme l’italien, le latin et le grec", avec une "ortografe facile et parlante", dont il appelle à "corriger la non-analogie" (Monsieur Nicolas, 1797) : bref une langue proche du peuple, accessible, et où les féminins retrouvent leur place. Les trois désignations, famme auteur, autrice etauteuse, auxquels il recourt répondent ainsi à la règle qu’il s’est fixée : "écrire les mots de trois fasons : ordinaire, moyenne et à réforme entière" (Mes Inscripcion, 21 sep. 1785). Car si autrice est désormais promu, c’est en tant que néologisme : vidés de leur légitimité historique après un siècle d’éradication, de nombreux féminins – citons aussi amatrice – sont l’occasion pour ces auteurs de se poser en novateurs. Promoteurs d’une langue égalitaire et démocratisée, ils s’opposent à la langue dominante, celle de l’aristocratie, injuste et élitiste, élaborée dans le cénacle de l’Académie française et qui a fini par valider le fameux femme auteur. C’est d’ailleurs un ami de Rétif, Louis-Sébastien Mercier, qui, reprenant en partie son projet non abouti du Glossographe, va intégrer autrice dans son dictionnaire de Néologie, ou vocabulaire de mots nouveaux à renouveler ou pris dans des acceptations nouvelles (1801). À l’inverse, la même année, un autre auteur de la Révolution, Sylvain Maréchal, dans son Projet de loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes, sous-entend que l’aspect choquant du masculin auteur pour parler d’une femme tient au fait qu’il est contre-nature pour elle d’écrire et d’exercer le métier d’écrivaine. Le lien entre discrimination terminologique et discrimination sociale commence désormais à se dire. Pour la première fois, dans les deux camps, la place des femmes dans la société et les choix pour les nommer sont mis en rapport. 

Cette évolution se confirme au cours du XIX siècle alors que les "solutions linguistiques" pour désigner la femme qui écrit se multiplient . Bien que les dictionnaires de français se contentent désormais de statuer sur l’emploi épicène d’auteur, du côté des grammairiens et des esthètes de la langue, la proscription d’autrice ne fait plus l’unanimité . En outre, la querelle étant désormais frontale et portée sur l’espace public, elle se radicalise et oblige pro- et anti- à affûter leurs arguments. Surtout les écrivaines et les féministes s’invitent dans le débat. Néologisme ou barbarisme, avancée sociale ou conservatisme, autrice sera désormais au cœur de la politisation du débat autour de la féminisation.

6. DE LA LÉGITIMITÉ TERMINOLOGIQUE D’AUTRICE AUXXIX ET XX SIÈCLES  

C’est au nom d’une langue fonctionnelle, au service de la société et du progrès social, que va désormais s’ancrer le débat sur la féminisation, et autrice va y tenir un rôle de premier plan. Des écrivaines, journalistes, militants et militantes féministes s’emparent notamment de la question pour revendiquer dans le même temps la reconnaissance et la visibilité des femmes qui accèdent aux métiers intellectuels et artistiques. Le débat avec l’Académie française s’ouvre en 1891, lorsque la romancière Marie-Louise Gagneur interpelle les Académiciens à propos de la rédaction de l’article auteur. Comme le souligne Claudie Baudino, c’est un moment clef dans l’histoire de la langue, car pour la première fois féminisation et légitimation vont de pair. Or, comble d’ironie, c’est l’Académie française elle-même qui affirme ce lien, contre lequel elle s’acharnera un siècle plus tard... Considérant que le métier d’écrivain ne convient pas à une femme, elle en conclut qu’« écrivaine » n’a pas lieu d’être, et classe autrice et « auteuse » parmi les féminins qui "déchire[nt] absolument les oreilles". 

C’est dans les années 60 et 70 que le mouvement féministe conduit les écrivaines à reposer le lien entre féminisation et légitimation dans une vaste réflexion sur le rapport sexué au langage. Elles n’ont plus à lutter avec l’interdit d’écrire, mais avec une langue qui leur résiste. Reprenant à leur compte l’argument de la légitimité mise en avant un siècle plus tôt par l’Académie, elles posent alors de façon catégorique le rapport entre l’absence de certains féminins et le sexisme de la langue. L’enjeu d’une légitimité terminologique est notamment portée auprès du grand public par une écrivaine populaire, Benoîte Groult. Quand le débat se politise et s’inscrit dans l’agenda gouvernemental, c’est d’ailleurs sous son égide et celle d’une femme politique, Yvette Roudy, ministre des Droits des femmes, que s’organise la commission de terminologie chargée de la féminisation des noms de métier et de fonction. 

Face à ces attaques souvent virulentes, l’heure sera au compromis. Si la commission exprime d’abord, dans une circulaire jamais publiée, le souhait d’une formation analogique « auteur/autrice », elle préconisera finalement l’emploi épicène « une auteur ». En 1998, la nouvelle commission mise en place par Lionel Jospin « ose » le féminin auteure, selon un principe de précaution qui avait déjà guidé le choix des Québecois en la matière, et malgré les autres usages en cours dans la francophonie, la Suisse et l’Afrique francophone employant quant à eux le féminin autrice. En outre, pour la première fois, la relance de ce débat sur la féminisation n’est plus le fait d’écrivaines : ce sont les femmes politiques qui, en faisant une entrée massive dans les instances exécutives et législatives, s’emparent de la question. La polémique sera d’autant plus violente, et l’Académie Française opposera un arsenal d’arguments, notamment celui de la différenciation entre métiers et fonctions, qui vise surtout à éradiquer les féminins désignant des femmes politiques. Dans ce contexte, la question d’autrice passe au second plan, y compris du côté des pro-féminisation, qui mettent surtout en avant les féminins liés à cette visibilité politique. La promotion du terme autrice en octobre 1999 revient d’ailleurs à une ministre, Ségolène Royal, qui l’emploie dans le journal Elle pour se révolter contre l’absence des femmes dans l’histoire littéraire enseignée aux élèves. La politisation du débat permet ainsi de replacer les enjeux de la féminisation à un niveau collectif et civique : la revendication à être nommée dans son métier d’écrivaine devient désormais l’enjeu d’une légitimité culturelle pour l’ensemble des citoyennes, et celle-ci passe avant tout par l’éducation.

7. ET AUJOURD’HUI ? RETOUR À L’USAGE !  

Si la réhabilitation d’autrice ne fait plus partie du calendrier gouvernemental, son retour dans l’usage est en revanche manifeste. Près de quatre siècles après le dictionnaire de Cotgrave, il fait sa réapparition dans les dictionnaires de français : en 1996, le Petit Robert précise à l’article auteur qu’"il existe un féminin, autrice", et dans son édition de 2003, une entrée lui est même consacrée . Disparaissent dans le même temps les citations péjoratives sur les féminins d’auteur, tandis que le renvoi à l’étymologie latine auctrix lui confère toute sa légitimité. En 2004, le dictionnaire Hachette l’intègre à son tour, tandis que l’O.D.S (L’Officiel du Jeu Scrabble) officialise le terme autrice dans sa nouvelle édition... Mais c’est surtout du côté des revues, des ouvrages scientifiques, des blogs internet, des "courriers des lecteurs" que fleurissent les occurrences, car comme au XVIII siècle, les usagers de la langue, sans se soucier de l’agenda politique ou des règles académiciennes, s’invitent au débat et s’emparent de ce féminin. Peut-être le XXI siècle écrit-il ici le dernier chapitre de cette guerre à autrice, en rendant enfin à ce mot "ses lettres de naturalité" ... 

Non seulement autrice n’est pas un néologisme, mais il puise même sa légitimité terminologique dans une histoire aussi longue que passionnante.

Ce féminin, loin d’avoir une connotation essentialiste qui enfermerait les femmes dans une littérature dite féminine, porte la marque d’une intervention politique de celles-ci dans la langue et a désigné bon nombre de pionnières qui se sont risquées dans des métiers de l’écrit jusqu’alors fermés aux femmes, comme le théâtre, la rhétorique, le journalisme, la lexicographie, etc. 

Pour conclure, l’histoire du féminin autrice illustre la nécessité de redonner une "épaisseur historique" au débat sur la féminisation, afin, comme vient nous le rappeler l’un de ses défenseurs, Alain Rey, de se réapproprier "une langue bien vivante, que l’on peut d’autant mieux défendre que l’on connaît son histoire" . 

Aurore Évain

Merci à Laure Perrière de nous avoir fait connaître cet article.

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