Dans la pierreuse asphyxie du reg, c’est le seul havre de fraîcheur à des lieues à la ronde, un patio planté de palmiers, de tamaris et de lauriers, ouvrant sur la pénombre silencieuse de longues coursives. Plus loin, un bloc chirurgical est déserté ; le sable s’y engouffre ; au mur, un gecko se prélasse : la pandémie de Covid a stoppé net les opérations pratiquées ici par des médecins étrangers, qui se succèdent en temps normal à l’hôpital central de Rabouni. Dans cette structure accueillant les patients des camps de réfugiés sahraouis de la région de Tindouf, une mission, pourtant, n’a jamais plié bagage : la brigade médicale cubaine, qui assure depuis 1977 une présence permanente auprès de ce peuple en lutte pour son droit à l’autodétermination. Elle a compté jusqu’à 21 membres, médecins, infirmiers, techniciens et formateurs ; ils sont 16 aujourd’hui, de nouvelles recrues n’ayant pu, encore, rejoindre leur affectation, coincés par la dernière vague de Covid.
« Éduqués à l’internationalisme »
Hector Aurelio Mendes Lopez, chirurgien, est chef de brigade. Il exerce ici depuis 2017, aurait dû rentrer à Cuba trois ans plus tard, mais la crise sanitaire et les difficultés de circulation et de roulement qu’elle suscite le retiennent encore dans les camps. « Nous avons été éduqués dans l’internationalisme. De nombreux pays ont apporté leur aide et leur solidarité à Cuba quand nous en avions besoin. Nous apportons à notre tour notre appui à des peuples amis, c’est notre façon d’honorer notre dette envers l’humanité, sourit-il. Avec les Sahraouis, nous nous ressemblons. Nous nous battons pied à pied pour l’indépendance et nous aimons la liberté. »
Pour cette structure médicale précaire, dépendante de l’aide extérieure, la présence de ces Cubains représente une solidarité inestimable. Formé en Algérie, le directeur de l’hôpital, le docteur Fadhel Mokhtar, une soixantaine d’années, en treillis et blouse blanche, a noué avec eux de solides liens de confiance et d’amitié. Lui-même a longtemps exercé en Espagne avant de retrouver les camps. « Je suis revenu par conviction, c’est ma responsabilité. Des femmes sont ici depuis 1975, elles supportent toutes les difficultés : il faut une grande conviction pour vivre sous une tente, à des températures qui peuvent atteindre les 50 degrés », soupire-t-il, avant d’énumérer les coupures d’eau et d’électricité, les médicaments et les instruments chirurgicaux qui font défaut, les cas les plus graves qu’il faut évacuer vers Tindouf, mais aussi les succès miraculeux, comme l’éradication de maladies épidémiques, coqueluche, rougeole, poliomyélite, qui faisaient des ravages dans les années 1970.
Engagement volontaire
Le docteur William Caceres dit avoir « beaucoup appris auprès de ce peuple du désert ». Il est frappé par la prévalence des maux causés par une alimentation déséquilibrée, parfois insuffisante, et par le manque d’eau – l’aide alimentaire dont dépendent les réfugiés manque cruellement de produits frais, et l’eau est strictement rationnée : 15 litres par personne et par jour quand il en faudrait 20, au minimum, pour ne pas se déshydrater et assurer l’hygiène quotidienne. « De nombreux patients souffrent de la formation de calculs ou d’insuffisance rénale. Beaucoup de réfugiés, en particulier les femmes et les enfants, sont anémiés, présentent de sévères carences en fer, en vitamines, à cause de la malnutrition », résume-t-il. Ce médecin généraliste est affecté ici avec son épouse, infirmière, qui contribue in situ à la formation de ses pairs sahraouis. Des personnels soignants sont aussi formés à Cuba ; au total, cursus initial ou spécialité, 300 médecins sahraouis sont passés par la Grande Île depuis l’aube de cette coopération.
Enday Alem a fréquenté l’université de La Havane. Cet agronome formé aux premiers soins par les Cubains fait fonction d’assistant médical au centre de santé qui accueille les patients sahraouis à Oran. « La présence de cette mission médicale cubaine fait de nous, avec le climat et d’autres solidarités extérieures, des privilégiés par rapport à d’autres hôpitaux de réfugiés dans le monde », insiste-t-il. Son engagement volontaire auprès des malades est indissociable de son combat pour la libération de son peuple : « Si nous sommes dans une telle situation, c’est qu’on nous balade depuis des décennies, avec la promesse jamais tenue d’un référendum d’autodétermination. » Dans l’une des chambres de la maternité donnant sur l’oasis de verdure autour de laquelle se love l’hôpital, Ouarda, 28 ans, tout sourires, épaules et tête couvertes d’un malhafa azur, tient dans ses bras une petite fille de deux kilos, née la nuit dernière : c’est son premier enfant, elle l’a baptisée Mewena. Une nouvelle venue, parmi les enfants des nuages.
Publié le mardi 25 Janvier 2022 dans l’Humanité