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13 commentaires

Qui menace la paix en Ukraine ?

La propagande de guerre froide ne fait pas dans la nuance. Voilà des mois que les porte-parole patentés de l’Occident martèlent d’une seule voix que la Russie va envahir l’Ukraine, que la guerre est imminente et qu’il faut se préparer à l’affronter. Vieille rengaine ! Au temps de l’affrontement Est-Ouest, on prétendait en Occident que la menace soviétique était suspendue comme l’épée de Damoclès au-dessus des démocraties. On affirmait même que l’arsenal militaire de l’URSS était nettement supérieur à celui des États-Unis, et qu’elle risquait d’exploiter cette supériorité pour envahir et soumettre l’Europe.

Or tout était faux. Cette menace systémique était une fiction. L’arsenal soviétique fut toujours inférieur à celui de ses adversaires, et les dirigeants de l’URSS n’ont jamais envisagé d’envahir l’Europe occidentale. En fait, la course aux armements fut sciemment entretenue par Washington dès le lendemain de la victoire alliée sur l’Allemagne et le Japon. Cyniquement, le camp occidental avait deux bonnes raisons de provoquer cette compétition : la guerre avait exténué l’URSS, causant 27 millions de morts et détruisant 30% de son potentiel économique, et elle avait fantastiquement enrichi les EU, qui assuraient 50% de la production industrielle mondiale en 1945.

Forgée par la guerre, cette suprématie économique sans précédent favorisait une politique étrangère agressive, hypocritement revêtue des oripeaux idéologiques de la défense du « monde libre » contre le « totalitarisme soviétique ». Cette politique impérialiste, conformément à la doctrine forgée par George Kennan en 1947, avait un objectif clair : l’épuisement progressif de l’URSS – rudement éprouvée par l’invasion hitlérienne – dans une compétition militaire où le système soviétique allait dilapider les moyens qu’il aurait pu consacrer à son développement.

Force est de constater que cette politique a porté ses fruits. Surclassée par un capitalisme occidental qui bénéficiait de conditions nettement plus favorables au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique a fini par quitter la scène en 1991 au terme d’une compétition harassante. Pourtant rien ne semble avoir changé, et la guerre froide continue de plus belle.Trente ans après la disparition de l’URSS, l’hostilité occidentale ne faiblit pas. On continue de prêter à Moscou des intentions belliqueuses, alors même que les démonstrations de force de l’OTAN aux frontières de la Russie illustrent suffisamment la réalité de la menace occidentale.

« De Staline à Poutine ». Quoi de plus ridicule que ce récit où transpire la bonne conscience occidentale, attribuant toutes les tares à la Russie, incriminant une puissance maléfique dont la résilience ferait peser une menace irrésistible sur le monde prétendument civilisé ? Ce discours lancinant s’obstine à désigner dans la Russie actuelle une sorte d’ennemi systémique, l’empire du mal soviétique ayant été simplement repeint aux couleurs russes pour les besoins de la cause. Aux yeux des élites dirigeantes occidentales, il faut croire que Moscou reste Moscou, et que la menace venant de l’Est est une donnée permanente de la géopolitique eurasienne.

Pour les obsédés de l’ogre moscovite, la Russie a tous les torts. Elle ne se contente pas de menacer l’Ukraine en massant ses blindés à ses frontières, elle veut aussi installer à Kiev un pouvoir pro-russe. Singulière inversion accusatoire, qui attribue à Moscou la politique menée par les Occidentaux dans un pays qu’ils ont vassalisé à coup de subventions en espérant le transformer en futur joyau de l’OTAN. En y fomentant le coup d’État de février 2014, ils ont tout fait pour le détacher de son voisin afin d’isoler davantage la Russie, dans la foulée de ces « révolutions colorées » qui ont été savamment orchestrées en Europe orientale et dans le Caucase. C’est depuis cette date que l’Ukraine est en proie à une grave crise intérieure, et Moscou n’y est absolument pour rien.

Car le putsch de Maidan a porté au pouvoir une clique ultra-nationaliste dont la politique a humilié la population russophone des régions orientales. Cette provocation délibérée des autorités usurpatrices de Kiev, soutenues par des groupes néo-nazis, a poussé les patriotes du Donbass et de Crimée à la résistance et à la sécession. Mais il n’y a jamais eu d’invasion moscovite. Aucun char russe ne foule le territoire ukrainien, et Moscou a toujours recommandé, pour résoudre la crise interne, une solution négociée de type fédéral ménageant les intérêts des différentes composantes du peuple ukrainien. Il est ahurissant de voir l’OTAN stigmatiser la Russie pour sa politique à l’égard de ce pays, alors que la seule armée qui tue des Ukrainiens est celle de Kiev, qui bombarde quotidiennement les populations civiles des républiques sécessionnistes de Donetsk et Lougansk.

C’est l’agressivité irresponsable de cette armée, noyautée par les ultra-nationalistes et portée à bout de bras par les puissances occidentales, qui entretient un climat d’affrontement. C’est l’hystérie antirusse des puissances occidentales qui jette de l’huile sur le feu dans la région, et non cette menace imaginaire contre l’Ukraine que les affabulateurs de la presse atlantiste attribuent à la Russie. Dans la crise actuelle, il est clair que c’est l’Occident qui représente une menace pour la paix en défiant outrageusement la Russie à ses frontières, et non l’inverse. Que l’on sache, Moscou n’organise pas de manœuvres militaires avec le Mexique ou le Canada, et sa flotte de guerre ne croise guère au large de Manhattan.

Washington, en revanche, poursuit l’encerclement de la Russie en étendant systématiquement le périmètre de l’OTAN à ses frontières. Or cette politique viole l’engagement pris auprès de Mikhaïl Gorbatchev, lequel accepta la réunification de l’Allemagne en échange d’une promesse de non-extension de l’Alliance atlantique vers l’Est européen. Cette offensive géopolitique est d’autant plus menaçante qu’elle s’est accompagnée de l’installation, sur le territoire des nouveaux États-membres, d’un bouclier antimissile américain. Impensable au temps de l’URSS, ce dispositif fait peser sur Moscou la menace d’une première frappe et rend caduc tout accord de désarmement nucléaire.

Impossible d’oublier, enfin, la toile de fond de cette démonstration de force du camp occidental maquillée en riposte aux ambitions de l’ogre russe : colossal, le budget militaire des EU représente près de la moitié des dépenses militaires mondiales, dépassant en 2021 les 740 milliards de dollars. En augmentation constante, il équivaut à neuf fois celui de la Russie, proportion qui s’élève à seize fois pour l’ensemble des États-membres de l’OTAN. Hormis les faux naïfs, qui peut accréditer la fable d’une invasion militaire imminente de l’Ukraine par les forces russes ? Prétendre que Moscou prépare la guerre pour assouvir ses appétits territoriaux aux dépens de ses voisins mériterait un éclat de rire s’il ne s’agissait d’une crise internationale sérieuse au cours de laquelle, une fois de plus, le bellicisme de Washington tente d’enrayer le déclin irrésistible d’un Occident vassalisé.

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COMMENTAIRES  

30/01/2022 12:14 par Xiao Pignouf

Merci ! De deux énarques, je préfère celui-là !

30/01/2022 20:49 par robess73

EXCELLENT .BRUNO .MERCI

31/01/2022 06:57 par carlito

Bonjour,
Cher Bruno GUIGUE,

J’ai un peu de désaccord avec vous, pour une fois, sur le monde post Guerre mondiale 2 et la montée rapide vers la guerre froide :
 elle fut assez chaude en fait ... mais pas en Europe : en Afrique et en Asie, quelque peu aussi en Amérique latine, tout à fait dans la continuation de l’esprit internationaliste, égalitarien., dont la décolonisation (y compris dans l’Empire des Tsars) était plus qu’un dogme : une obligation onthologique.
 1989-1991 une terrible mais indispensable transition (prévue par E. Todd mais pas que) tournée à une catastrophe... à laquelle la Russie à partir de 1999 commença à se sortir.

Aujourd’hui :
Le monde Russe ayant à peu près échappé aux dépeceurs US a rétabli sa puissance militaire.
Revenir sur la taille des budgets militaires sans comparer les résultats me surprend un peu ; c’est d’ailleurs ce thème du PIB comparable à celui de l’Italie (cf Frédérique Encel, Pascal Thomas, Alain Juillé, plus tous les merdias) :
 oui, l’Union Russe a une force militaire bien supérieure à toutes les armées européennes
et si envahir l’ukraine était son objectif se serait déjà fait .

Mais ce n’est aucunement dans ses intentions, ni d’ailleurs dans ses méthodes basées sur le temps long (comme ses partenaires Chinois).
les premiers craquements et discordances chez les euro-nouilles vont dans ce sens ... et me réjouissent.

bien à vous Tous

31/01/2022 09:42 par CAZA

Bonjour
Un sondage d’opinion avait demandé aux français il y a une 15aine d’années (? ou +) quels pays menaçaient la paix mondiale .
Le verdict , USA et Israël , avait contraint les promoteurs , qui attendaient l’Iran ou autre satanic country , à la discrétion .
Les organes de propagande devraient recommencer pour contrôler l’efficacité ( ou pas ) de leur travail .
La course aux armements à permis aux occidentaux d’accélérer la fin de l ’ URSS .
Et de continuer peinard à piller la planète .
Bis repetita avec la Russie et la Chine .
Sauf que pendant que les chinois sortent leur pays du sous développement tout en s’armant le peuple américain y rentre lui dans ce sous développement ( enfin il y était déjà ) .
Là ça risque de ne plus marcher .
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_d%C3%A9penses_militaires

31/01/2022 10:23 par Danael

Excellent article de Bruno Guigue encore une fois.
La stratégie des USA qui consistait à conduire l’URSS dans une course aux armements pour l’affaiblir et la voir s’effondrer est une arme qui à présent se retourne contre eux : des dépenses militaires extravagantes alors qu’ils ne gagnent aucune guerre et d’énormes problèmes intérieurs dû en grande partie à une longue mise à l’écart des demandes sociales dans le pays pour satisfaire le capital financier et la machine de guerre en place. Ce pays a donc perdu son image de société enviable aux yeux du monde vu les violences qui ne cessent de le secouer et de le fracturer et les horreurs qu’il commet à l’extérieur en mentant sur ses intentions. Il a donc perdu toute crédibilité pour une majorité de pays . Si ce n’est pas la fin, ça lui ressemble. Et les Russes font barrage encore une fois à ce naufrage d’une Europe vassale et inquiétante.

31/01/2022 19:12 par Vania

Très bon article concis et très clair. Merci M Guigue

01/02/2022 13:05 par ozerfil

Excellente réflexion dont j’élargis la considération - vous l’abordez d’ailleurs : quel pays menace l’autre et a des intentions guerrières au simple vu de sa quantité d’armes et de ses exercices militaires aux abords de l’autre ?

Quel est le budget militaire de la Russie et celui des USA ?
Combien de bases militaires russes hors de Russie et combien de ces bases aux abords des USA ?
Maintenant, combien de bases étatsuniennes dans le Monde et combien aux abords de la Russie ?

Cherchez "bellimètre de Monson "...

Enfin, ce n’est qu’un rappel historique, quelle a été la réaction des USA lorsque l’URSS a voulu installer des missiles nucléaires à Cuba ? Menace militaire envers l’URSS et manœuvres d’intimidation à la limite de la guerre ouverte contre Cuba !!

Pour l’Ukraine, plus spécifiquement, une question : l’attitude de V. Poutine serait-elle la même si les Russes de l’Est de ce pays, en révolte, ne vivaient pas sous une menace permanente d’extermination et si les russophones n’étaient pas persécutés par le Pouvoir de Kiev...?!! Plus la perspective d’installer de nouvelles bases de l’OTAN dirigées vers la Russie, directement à sa frontière...

Dit autrement, quel serait le regard de la Russie si les dirigeants ukrainiens n’avaient pas un comportement anti-russe permanent, faisant le jeu menaçant des USA ?

01/02/2022 15:18 par michel PAPON

En effet la Russie a "tous les torts", elle possede sur son territoire plus de richesses que tous les autres pays de la planete.
La geographie a de ces injustices !

02/02/2022 04:18 par Vania

La journaliste Inna Afinogenova explique dans la vidéo ci-dessous que la crise en Ukraine cache également l’intention sournoise des EEUU de saboter l’arrivée du gaz russe en Europe. Elle montre l’augmentation des ventes en Europe de gaz liquéfié en provenance des EEUU à un prix bien plus élevé que le gaz russe ! Les EEUU veulent anéantir l’économie russe et viserait également l’alliance Russie/Chine.
Voici la vidéo (en espagnol) :
https://www.youtube.com/watch?v=qrk2bNnZoTU&t=49s

10/02/2022 17:58 par zorbeck

Merci pour cette lucidité si rare et tellement absente des media mainstream qui ont remplacé leur anti-communisme par une russophobie avérée.
Mais la cerise sur le gateau, c’est quand même les causes de l’intransigeance américaine dont tout le monde détourne le regard et qui est exprimée ici d’une manière très claire : https://youtu.be/emCEfEYom4A

27/02/2022 16:36 par sega

Hello Bruno

quel goût à ton chapeau ?

j’attends tes prochaines digressions bien rigolotes et tes justifications avec beaucoup d’impatience.

Sega ( ancien élève de l’école maternelle des baumettes à Nice)

27/02/2022 16:54 par legrandsoir

Il s’en est passé des choses depuis.

28/02/2022 11:53 par sega

Hello

votre mea culpa est un peu mince !

Relisez la conclusion de la thèse de Bruno qui est vraiment prémonitoire :

« Hormis les faux naïfs, qui peut accréditer la fable d’une invasion militaire imminente de l’Ukraine par les forces russes ? Prétendre que Moscou prépare la guerre pour assouvir ses appétits territoriaux aux dépens de ses voisins mériterait un éclat de rire s’il ne s’agissait d’une crise internationale sérieuse au cours de laquelle, une fois de plus, le bellicisme de Washington tente d’enrayer le déclin irrésistible d’un Occident vassalisé. »

Le plus drôle c’est que Bruno, lui non plus, ne fait pas son mea culpa et continue à distiller ses analyses très sérieuses… mais bien marrantes !

sega (ancien élève de l’école maternelle des Baumettes à Nice)

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