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Cela sert-il à quelque chose de mourir pour les africains ?

Cette question aussi abrupte et provocante qu’elle puisse paraître mérite d’être posée en ce moment où l’un des derniers résistants - certes avec ses faiblesses et ses contradictions - en la personne du président Laurent Gbagbo est entre les mains des ennemis de l’Afrique. Sa capture et sa détention depuis lors, par ceux qui n’ont jamais voulu voir l’Afrique jouer un autre rôle en dehors de cette terre pourvoyeuse de matières premières quasi-gratuitement aux pays industrialisés qui lui fournissent des produits finis bas de gamme à prix exorbitants, de terrain de jeu pour les puissances qui y déversent leur excès d’antagonismes et de déchets de toute sorte, au lieu de montrer que les africains sont capables d’être un peuple qui a compris les sales draps dans lesquels il est emballé, ont plutôt clivé. L’immense majorité s’en est plutôt foutue, une majorité a jubilé et une minorité a déploré. Bref, la situation de manière caricaturale est résumée par ce tirailleur sénégalais moderne qui, à la capture du président Laurent Gbagbo, s’écria, un téléphone portable collé à l’oreille : « on a attrapé Gbagbo : vive la libertéééééééé !!! ». Cette image, en réalité dramatique, traduit l’inconscience des africains du rôle qu’on leur fait jouer pour se tuer eux-mêmes. Pour les metteur-en-scène nichés à des milliers de kilomètres dans des palais présidentiels ou dans des tours de multinationales oeuvrant en Afrique, cette image et ce cri de joie décrit plus haut ont dû faire sourire et faire dire « quel enculé ? On vous a eu ! »

La route est encore longue pour parvenir à l’érection d’africains conscients

C’est dire combien au sein de notre peuple, il y a des gens à qui la déliquescence et déchéance ne signifient pas grand-chose. C’est dire aussi combien la route est longue pour parvenir à l’érection d’africains au fait du monde et aptes à identifier, simplement identifier, les intérêts de notre peuple. C’est triste ! Le spectacle est encore plus désolant lorsqu’on a vu Nicolas Sarkozy se faire acclamer lors de son passage en Côte d’Ivoire pour remettre les clés de la maison au chien de garde Alassane Ouattara. Nous ne sommes pas dupes pour savoir la manipulation et l’achat de consciences qui se cachent derrière ce type d’images sur lesquelles on trouve les humiliés accueillir en héros leurs bourreaux. Toutefois, voir ne serait-ce qu’un seul africain acclamer Sarkozy est une initiative idiote de trop. On se souvient d’ailleurs du discours de Sarkozy à l’université Cheik Anta Diop de Dakar où il a insulté l’Afrique durant des dizaines de minutes sous les acclamations d’un public décrit comme l’élite de l’Afrique. Quelle est cette élite, élite de demain disait-on à l’époque, qui acclame celui qui était venu dans son « je suis venu » christique injurier les africains sur leurs propres terres ? Il n’y a qu’en Afrique que pareille infamie soit possible. Bush, essayant de réécrire l’histoire de l’Irak devant une presse bien que triée sur le volet, a dû esquiver les chaussures d’un journaliste irakien qui n’en pouvait plus d’écouter la moquerie de cet envahisseur.

Que Kwame Nkrumah revienne voir l’état des africains

Notre réalité est que nous sommes un pauvre peuple, un peuple mort, un peuple insouciant et indolent dans un monde vivant et agressif. Que Kwame Nkrumah revienne voir l’état dans lequel nous sommes. Que Sankara revienne voir les africains. Que Lumumba revienne nous voir. Que Samory, Behanzin, Chaka Zulu, Sekou Touré, Sylvanus Olympio, Steve Biko…reviennent tous voir l’état du peuple pour lequel ils ont eu une vie pénible et pour qui ils sont morts pour la plupart, assassinés. Peut-être se demanderont-ils si leur mort avait servi à quelque chose. Le constat est amer et il le sera davantage car beaucoup d’africains habitués à la souffrance ou érodés par l’inconscience n’ont pas encore donné le meilleur d’eux-mêmes pour lacérer l’Afrique. Ils n’ont pas encore donné tout ce dont ils capables pour maintenir l’Afrique sous la tonte. Afrique, chère Afrique : tu seras tondue jusqu’aux os, car certains de tes enfants ont décidé de t’immobiliser à cet effet ! Ils ont choisi, par ignorance crasse ou par cupidité étriquée, de t’immobiliser comme un cabri pour que les vétérinaires, les maîtres du monde t’inoculent non point un vaccin pour te secourir de la mort, mais plutôt des substances létales.

Face à cela, certains ne sont pas restés indifférents ou spectacteurs impassibles. Nous avons tenté des choses. Mais la désillusion est immense et au jour le jour la situation se détériore. Les moyens d’aliénation sont de plus en plus perfectionnés et beaucoup d’africains pris dans les mailles du système louent les outils qui les tuent en réalité. Ainsi, dansent-ils, rient-ils, jubilent-ils face aux bombes et aux actions tutélaires d’un Occident égoïste qui enrobe ses intentions dans le carton de l’humanitaire et des droits de l’homme. Dès qu’un africain démasque ce faux et usage de faux, d’autres africains crient au scandale, lui tombent dessus et le combattent à mort. En agissant ainsi, on démontre que cela ne nous pose aucun problème même si notre territoire nous échappe totalement et si, à l’instar de la Côte d’Ivoire et de la Libye, l’Occident vient y dicter sa loi.

On ne peut libérer un peuple qui trouve qu’il est libre

Le fait est qu’on ne peut libérer un peuple qui trouve qu’il est libre. On ne peut rien faire face à une majorité d’africains prêts à être contre l’anticolonialisme et à proclamer que l’Afrique ne subit rien de la part du monde extérieur. En vertu de cette conviction, des africains sont capables de haïr à mort les leurs qui essaient de leur ouvrir les yeux sur la réalité du monde. C’est-à -dire que dans cette institution d’iversion des responsabilités installée par le colonialisme, les africains prennent effectivement leurs ennemis pour leurs plus fidèles amis et leurs seuls amis, leurs pires ennemis. Que faire si une large part de nous-mêmes n’a pas encore compris où se situe notre devoir et comment notre intérêt vital exige d’organiser à partir de nous-mêmes dans un esprit d’ensemble les moyens de résolution de nos difficultés pour la plupart nées de la rencontre de l’Afrique avec le monde extérieur ? Autant, il n’y pas de créations sans créateurs, autant il n’y a pas de libération sans libérateurs. A nos enfants, nous dirons donc ceci : nous avons essayé de vous laisser une autre Afrique, une voie en dehors de celle imposée par le colonialisme, nous avons essayé de ne pas vous laisser en héritage le statut de peuple à terre. Hélas ! Nous avons été férocement combattus par beaucoup de nos propres frères et soeurs. Ces derniers se sont opposés à nous plus que les maîtres dont ils sont l’émanation et donc des alliés objectifs. Et en matière de combat d’un peuple, il n’y a pas plus redoutables adversaires que ses propres congénères. C’est ainsi que nous avons dû faire face simultanément à deux fronts : celui de notre propre peuple et celui des loups du monde extérieur. Un front solidement uni par les liens de sujétion, de fascination voire de subjugation que les dominateurs ont exercé et exercent sur la partie la plus arriérée et la plus aliénée de notre peuple.

Les larmes ne sont pas une arme

Même si quelques africains pleurent l’écrasement des héros de notre peuple, la vérité est que les larmes ne sont pas une arme face à un monde extérieur qui ne lésine sur aucun moyen pour que l’Afrique lui soit éternellement accessible. Si les larmes et les jérémiades étaient la solution, l’homme noir aurait été libéré depuis. Lorsqu’il s’est retrouvé dans les chaînes et dans les cales des négriers, l’homme noir a pleuré, gémi et supplié. En vain.

Il reste donc que beaucoup trop d’africains trouvent qu’il n’y a pas de problèmes là où il y en a massivement, en réalité. Pour eux, le colonialisme c’est fini ; même s’il vient de frapper en Côte d’Ivoire et continue de frapper la Libye sous leurs yeux. Même si l’économie africaine fonctionne toujours sur le modèle du pacte colonial avec le franc CFA entre les mains de la France, le colonialisme, c’est fini il y a de cela 50 ans. "L’Afrique est indépendante, elle fait ce qu’elle souhaite depuis 50 ans" et s’il lui arrive de ne pas être en mesure de résoudre ses problèmes, c’est parce qu’elle "refuse le développement" en refusant de mimer l’Occident comme le disait faussement Axel Kabou. Et pour ces africains, il ne sert à rien de mourir. Car, ils sont les premiers à dire que « on te tuera pour rien », « tu vas mourir pour rien » et lorsqu’effectivement le moment fatidique arrive, ils disent « aaah, nous t’avions prévenu », « tu t’es laissé prendre comme un chien », « voilà , tu voulais montrer que c’est toi seul qui a compris non, c’est bien fait pour ta gueule ». Autrement dit, « tu luttais pour toi-même, pas pour nous ». Donc, tu péris non pas pour nous, africains. Mais pour toi-même !

Au fond, beaucoup d’africains sont non seulement fatigants mais surtout désespérants.

Komla KPOGLI

30 mai 2011

Web. http://lajuda.blogspot.com

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COMMENTAIRES  

31/05/2011 21:05 par Nassardine Rachide Jean paul

Cette rhétorique sous fond de nationalisme nous a été servie aussi longtemps que gbagbo et sa clique était au pouvoir.Il n’y a rien de nouveau que je ne sais de votre discours.
Je me demande Pourquoi obstinez vous tant à comparer la lutte des différents leaders africains dont vous énumérés dans votre article à celle de Monsieur Gbagbo.C’est une faute grave.

Reprenons plutôt le contexte de la chute votre "sauveur de l’Afrique". Il a perdu les élections présidentielles du 28 novembre dernier et il voulait se maintenir au pouvoir,quelque chose ne va plus là . Est ce parce qu’on est nationalisme panafricaniste qu’on ne reconnait plus les valeurs universelles dont la vérité des urnes qui est l’expression du peuple souverain ou m^me le respect de la vie humaine ?

Gbagbo pour tenter d’usurper la victoire et de se maintenir au pouvoir, a fait massacrer tant d’hommes, de femmes, de familles. C’est au nom de ce nationalisme ?

Soyons sérieux Monsieur Komla KPOGLI et évitons de prendre des raccourcis pour pervertir la position de Nicolas Sarkozy et de toute la communauté internationale (entendons africaine y comprise).

Par ailleurs, Gbagbo disait " les pays n’ont pas d’amis mais des interêts". Cela est une vérité tant pour la côte d’Ivoire que pour la france et les autres.Gbagbo aimait traiter avec la chine, la Russie, l’Angola, l’Afrique du Sud... personne n’est contre.On lui concède ses choix, ses convictions et aspirations, il est vraiment libre dans la proposition de la constitution. Alassane Ouattara par contre préfère la France , le Nigeria, le Burkina ...alors où se situe le problème ?

Pour finir, je voudrais vous dire ceci : Arrêter d’opposer l’Afrique à l’Occident à tout bout de champs. Personnellement je suis d’une génération qui n’a pas de complexe vis à vis de l’Europe car nous avons été dans les mêmes écoles, souvent assis côte à côte.
Le malheur de l’Afrique vient du culte de la personnalité ce qui favorise les gabegies et les favoritismes.Retenez également :
" En Côte d’Ivoire, les français n’ont pas pris part aux votes et il faut que cela soit claire dans votre tête".

Merci.

01/06/2011 02:35 par Scual

Contrairement au commentaire précédent je pense que les urnes n’ont pas été claires, et pour les deux candidats. Il n’y a donc pas de "vérité des urnes".

De plus quand une force militaire porte au pouvoir un candidat élu de manière frauduleuse et qui préfère traiter économiquement justement avec cette puissance militaire, il n’y a plus la moindre légitimité. Ce qu’il y a eu en Cote d’Ivoire ressemble plus à coup d’État qu’à une élection libre et même qu’à une élection truquée.

Donc pour moi il n’y a pas de doute, Ouattara est tout sauf légitime. Quand à Gbagbo, il ne l’est peut-être pas lui aussi, mais de toute façon la question ne se pose plus. La situation actuelle c’est un président illégitime arrivé au pouvoir par la force des armes de la France.

En tout cas quoi qu’on en pense il devra rendre la pareille à la France pour le "coup de pouce" qui l’ a amené au pouvoir... et puis ça serait bête qu’il lui arrive comme à Gbagbo, alors il réfléchira pas longtemps avant de s’exécuter.

01/06/2011 13:28 par Fethi GHARBI

@ Komla KPOGLI

L’intervention de monsieur Nassardine Rachide Jean paul est une belle démonstration de la justesse de votre analyse.En effet il y a lieu de quoi désespérer et croyez-moi, je ne peux que partager votre amertume.

En septembre 1961, de Gaulle explique la future politique française en Afrique : « Notre ligne de conduite, c’est celle qui sauvegarde nos intérêts... » Le tristement célèbre Jacques Foccart, se chargera d’appliquer cette nouvelle politique néo-coloniale. Ainsi est né ce réseau occulte du nom de Françafrique. Tous les chefs d’état qui ont succédé à de Gaulle ne ce sont jamais écartés de sa politique africaine mais dans la discrétion. Sarkozy, lui, se distingue par son arrogance...

Je propose à monsieur Nassardine Rachide Jean paul de lire mon article avec l’espoir que cela le rendra un peu moins "décomplexé" :

01/06/2011 16:24 par Camille Loty MALEBRANCHE

Mon seul souhait, est que les africains dépassent les nationalismes et les tribalismes pour, tout en gardant leurs identités ethniques, agir d’un même bras contre l’éternel ennemi prédateur colonialo-esclavagiste raciste occidental. Car toute l’arrogance des gnomes présidents agressifs d’Europe et des marionnettes fumeuses des palais nord-américains, n’est possible que parce que l’Afrique est émiettée par ses micro-nationalismes virulents et autodestructeurs... Il faut au moins être uni dans l’autodéfense continentale. Il ne s’agit pas de blâmer la victime mais pour l’Afrique de prendre en main l’organisation de ses forces.

02/06/2011 23:33 par JAR

@ Nassardine Rachide Jean paul

""Il [Gbagbo]a perdu les élections présidentielles du 28 novembre dernier""

Si je ne me trompe pas le Conseil Electoral le donnait perdant tandis que le Conseil Constitutionnel (hierarchiquement supérieur) donnait perdant Ouattara. > Vous dites une demie-vérité > "une demi-vérité est pire qu’un mensonge" > n’insultez pas notre intelligence svp.

"Gbagbo (...) a fait massacrer tant d’hommes, de femmes, de familles."

Si je ne me trompe pas, Amnesty International a fait état (dans un rapport public) de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité perpétrés par les forces des deux camps. > Vous dites une demie-vérité > "une demi-vérité est pire qu’un mensonge" > n’insultez pas notre intelligence svp.

" En Côte d’Ivoire, les français n’ont pas pris part aux votes et il faut que cela soit claire dans votre tête".

> Si je ne me trompe pas par contre ils n’ont effectivement pas voté mais ils ont bien pris part à un assault contre la résidence d’un président pour le faire chuter. C’était peut-être plus simple de les faire voter tout compte fait, ça nous aurait fait économiser pas mal d’argent de nos impôts.

merci.

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