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Comme un vol de charognards hors du charnier natal… les "fonds vautours"

Le capital, nous dit-on, est en crise morale. Il faudrait retrouver éthique et transparence pour empêcher de nouvelles bulles financières d’éclater... De qui se moque-t-on ? Voici, dans le cadre de la crise expliquée à des nuls par une nulle, un portrait particulièrement haut en couleurs de certains acteurs des marchés financiers : les fonds vautours …

Nous sommes en plein Dickens. Le capital a ses flibustiers, ses rapaces, et ils font le lien avec le trafic d’armes, celui de drogue, l’instabilité politique, le chantage... Comme leurs homologues du règne animal, ces fonds s’attaquent aux bêtes affaiblies et dévorent les chairs putréfiées mais aussi bien vivantes… Les peuples des pays sous développés font les frais de leurs assauts sur les créances accumulées, mais ils ne peuvent agir ainsi que parce qu’il se trouve des tribunaux et des Etats, essentiellement les Etats-Unis, pour leur garantir tous les droits sur leur proie. Mieux : le gouvernement Bush a rendu plus aisée leur pratiques usuraires...

Profiter des faillites, des crises

Les fonds vautours sont des institutions financières qui rachètent à très bas prix les titres de la dette des pays pauvres, comme des entreprises au bord de la faillite, et pour les uns comme pour les autres il ne fait pas bon tomber dans leurs serres. La plupart des ces abominables oiseaux de proie sont apparus au début des années 2000, au moment de la bulle Internet (1). Ils repéraient les entreprises au bord de la faillite, les rachetaient pour une bouchée de pain et les revendaient le plus vite possible une fois les société apurées. Encore aujourd’hui ils planent autour de la crise des subprimes. En France, ils ont tourné non sans succès autour d’Eurotunnel. On peut même considérer que sur les marchés financiers ils jouent le rôle traditionnel des vautours, dévorant les actifs en décomposition, gardant les brevets et les actifs ayant de la valeur, bénéficiant des primes étatiques… La crise des subprimes actuelles leur offre des opportunités et ils ressortiront sans doute plus forts et plus nombreux.

Des racketteurs parfaitement légaux

Les fonds vautours se sont d’abord développés aux Etats-Unis. Ils sont toujours aujourd’hui majoritairement d’origine anglo-saxonne : Debt Advisory International, Donegal International Elliott Associates L.P., FG Hemisphere, Kensington International Ltd… Ils ont désormais comme terrain d’exercice les économies du tiers monde. Les actions des fonds vautours sont comparables à des extorsions de fonds sur les économies des pays pauvres tout en restant tout à fait légales. Selon le FMI, ils auraient extorqués deux milliards de dollars. En effet, dans l’état actuel du droit international, il n’existe aucun obstacle à ce que les fonds vautours obtiennent gain de cause devant certains tribunaux (principalement anglo-saxons).

Mais lisez plutôt l’histoire de l’un de ces fonds vautours : Donegal (2).

"Nombre de fonds charognards sont domiciliés dans les îles Caïmans et les îles Vierges britanniques. C’est le cas de Donegal. Son propriétaire, Michael Sheehan - qui conseillait autrefois les pays pauvres en matière de dettes, est également derrière Walker International qui a obtenu gain de cause devant les tribunaux contre le Congo pour 13 millions de dollars. Il est notoirement difficile de connaître le nombre exact de fonds en activité car ils sont souvent créés spécialement pour traiter d’une seule affaire contre un seul pays." (3)

Des mercenaires originaires d’Afrique du Sud et de l’ex-Yougoslavie (Albanie et Kosovo) seraient également engagés dans cette activité, mais on n’en sait guère plus. Ce qu’on en sait, on le voit, laisse dubitatif sur l’origine des fonds et sur le fait qu’il y a imbrication entre des trafics illicites, des capitalistes "honorables" et même comme nous allons le voir l’entourage présidentiel étasunien.

En 1999, Donegal rachète une créance que la Roumanie avait sur la Zambie pour la somme de 3 millions de dollars, alors que la valeur était de 15 millions de dollars avec les arriérés. Donegal a ensuite poursuivi la Zambie devant les tribunaux britanniques en réclamant 55 millions de dollars avec les arriérés. La justice a obligé la Zambie - un des pays les plus pauvres du monde - à verser 17 millions de dollars, soit une plus value de 500%.

Selon les statistiques du FMI, il y a actuellement 46 actions de ce type lancées par ces fonds vautours de par le monde pour une valeur de près de 2 milliards de dollars (4). Ainsi en 2004, le Nicaragua a du payer aux fonds vautours 276 millions de dollars, un montant qui dépasse le budget santé annuel de ce pays.

En 2005, le fond Kensington a porté plainte contre le Congo-Brazzaville devant une cour londonienne : il accusait la SNPC (entreprise nationale qui commercialise le pétrole congolais) d’avoir cherché à détourner des revenus du pétrole pour le bénéfice d’importantes personnalités publiques congolaises tout en empêchant les créanciers légitimes de saisir soit le pétrole soit les revenus du pétrole. D’après le conseiller spécial du président Sassou n’Guesso, le fond avait racheté une dette du Congo de 32 millions $ pour 1,5 millions et après procédures judiciaires demandait 300 millions de dollars !
Mais le cas du Congo est assez complexe. C’est le pays contre lequel existent le plus grand nombre de plaintes de créanciers commerciaux. (5)

Le chantage et les campagnes de presse, la mobilisation des ONG

C’est là qu’apparait un autre aspect des fonds vautours : la manière dont ils utilisent les ONG et les médias pour faire pression contre les "corrupteurs", une sorte de racket vertueux avec campagne de presse qui garantissent le chantage et permettent de saisir tribunaux et institutions financières internationales pour forcer les pays récalcitrants à venir négocier leur "faillite".

Aux Etats-Unis, un autre jugement a donné raison à Kensington au détriment de la SNPC et autorisé le fonds vautour à saisir les cargaisons et recettes pétrolières congolaises présentes sur le sol américain. En réaction, la SNPC a interrompu en mars 2007 ses exportations pétrolières vers les Etats-Unis. Les différentes cours ont donné le droit à Elliott Associates (qui détient Kensington) de tripler le montant de ses réclamations, selon la législation RICO. Législation qui a connu des modifications sous l’administration Bush pour faciliter les procès des fonds vautours. Car le PDG d’Elliott, Paul E. Singer, a été le plus important donateur de la campagne Bush en 2001 a été recemment le conseiller de la campagne de Rudolph Giuliani (ex-maire de New-York) pour la Maison Blanche. Ce qui lui permet de faire du lobbying.

C’est là que l’affaire devient particulièrement intéressante parce que les fonds vautours offrent des informations sur le pays qu’ils attaquent et les transmettent à des ONG ou à des journalistes, voir des grands reporters pas trés regardants, et on assiste à des campagnes sur la "corruption" des dirigeants qui refusent de casquer (6). De son côté, le Président Sassou Nguesso justifie l’opacité de la gestion du pétrole par la menace et la pression exercée par les créanciers commerciaux, alors que les fonds vautours estiment au contraire qu’ils contribuent à révéler la corruption au Congo. Corruption qu’ils ont aidé à dénoncer en fournissant des informations à des ONG, comme Global Witness, qui luttent contre la corruption dans le monde et qui ne prêtent pas toujours une grande attention à la source du renseignement. Certaines ONG peuvent ainsi être victimes d’une campagne de désinformation. Actuellement la pression est faite sur ces ONG et sur les médias pour dénoncer l’endettement de ces pays auprès de la Chine, endettement qui selon ces sources "vertueuses" empêcherait les pays endettés qui ont bénéficié d’un "allégement" de la dette de retrouver une économie saine.

Pourtant, si l’on fouille bien l’analyse, on s’aperçoit que l’on ne sait pas qui gagnera la bataille entre les fonds et les pays pauvres. A qui le Congo devra-t-il payer… s’il doit payer ? Ce qui est sûr c’est que les peuples seront toujours les vrais perdants.

Guetter les remises totales ou partielles des dettes

Mieux, le fond vautour guette les fonds octroyés au titre du développement et les remises totales ou partielles de dettes pour fondre sur le pays qui, de ce fait, est un peu plus solvable surtout si les philanthropes ont quelques liens avec les vautours qui bénéficient d’un privilège d’initiés.

Pour Caroline Pearce, de Jubilee Debt Campaign, la situation a empiré ces dernières années à cause, paradoxalement, de l’allégement de la dette. Dans le cadre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), les pays riches ont essayé d’annuler la dette de certains Etats afin de leur permettre de libérer des ressources pour lutter contre la pauvreté. "Les vautours se sont aperçus que, grâce à ce programme, la trésorerie de certains PPTE s’était améliorée, et qu’il était donc possible de les obliger à rembourser une partie de leurs dettes commerciales", dénonce Mme Pearce.

Les PPTE ont contracté de nombreux prêts auprès de riches Etats et d’organismes multilatéraux comme la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire Iinternational (FMI). Mais ils ont également des créanciers commerciaux qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’initiative. Le FMI et la Banque Mondiale publient chaque année la liste des créanciers commerciaux qui poursuivent en justice des PPTE. Trois nouveaux noms y ont fait leur entrée en 2006 et quatre l’année précédente, ce qui porte le total à 44. Ils ont réclamé au total près de 1 milliard de dollars à 11 pays, intérêts et frais compris." (4)

On mesure l’hypocrisie du discours sur la responsabilité des pays pauvres dans leur surendettement. Les pays riches justifient alors la tutelle exercée via le FMI sur ces pays et sur leurs ressources (7), ils présentent les allégements de la dette comme un signe de leur générosité en les comptabilisant comme aide publique au développement et des gens totalement liés au pouvoir dans ces pays fondent alors sur les pays rendus momentanément solvables pour rafler la mise.

Danielle Bleitrach

(1) Tout aussi édifiants sont les fonds spéculatifs ou alternatifs (hedge funds). Il y en a plus de 10.000 dans le monde gérant 1000 milliards d’euros. On peut même considérer que le jeu sur les produits dérivés auquel se livrait pour la Société Générale le trader fou qui lui fit perdre 4 milliards avait pour job d’utiliser la tentative de réguler le marché : des gens achètent un produit à un prix actuel et d’autres assument risques et profits au jour de la livraison. C’est ce qu’on appelle un "produit dérivé". Jouer sur les dérivés, acheter et vendre, tel est le job. Et c’est ce qui fait que personne ne sait plus ce qu’il détient dans son portefeuille. Il peut avoir des subprimes sinistrés et on ne le sait qu’à échéance. Ce qui profite aux vautours qui se jettent sur les titres dépréciés. Ce qu’il faut bien comprendre c’est que, loin de produire de la transparence, chaque bulle engendre son propre système de charognards qui se jettent sur les titres dévalorisés et réclament toujours plus d’opacité.

(2) Jean Maerckaert, chargé du programme au Comité Cathiolique contre la faim et pour le développement (CCFD), signe un éditorial dans Alternatives économiques n° 267, mars 2008 dans lequel il déclare en titre "le fond Donegal a fait une plus value de 500% sur le dos de la Zambie, un des pays les plus pauvres du monde".

(3) Article d’Ashley Seager dans The Guardian du 29/03/2007

(4) Ce n’est pas grand-chose en regard à la fois des autres fonds (fonds d’investissement, fond de pension, fonds spéculatifs et fonds souverains) et même par rapport à la dette extérieure publique des pays du sud qui est de 1600 milliards de dollars, mais c’est énorme pour ces pays.

(5) Sont montées en épingle dans des articles des anecdotes effectivement scandaleuses. Ainsi il y a eu publication dans le Sunday Times de la note d’hôtel de la délégation congolaise lors de son déplacement à New York à l’ONU où il était venu réclamer "un accroissement significatif de l’ aide au développement" avec une note de 295.000 dollars pour huit nuits. A l’époque le président de la Banque Mondiale Paul Wolfowitz avait vu rouge. On sait ce qu’il advint de ce vertueux directeur. L’indignation sélective bien orientée permet aux fonds vautours d’imposer leurs exigences, le Congo n’a pu bénéficier d’allégements quand il a été convaincu de l’évaporation des fonds du pétrole, et le fonds souverain peut alors obtenir des saisies à l’extérieur du pays de cargaisons de pétrole, de comptes bancaires, d’immeubles. (article de la Tribune : les fonds vautour au secours des pauvres, mardi 14 mars 2006). L’article en question prend bien sûr position pour le rôle positif du fond vautour qui, en dénonçant la corruption, va permettre que l’éducation et la santé congolaise se développent, d’où le titre.

(6) Au Congo, le pétrole contribue à 67% du PNB et représente 90% des recettes provenant des exportations. Denis Gokana (autre conseiller spécial du président Sassou Nguesso) dirige à la fois la SNPC et plusieurs entreprises privées dont AOGC (Africa Oil and Gas Corporation), Sphinx Bermuda Ltd et Sphinx UK Ltd,.Ce montage de sociétés, toutes basées dans des paradis fiscaux tels que les Bermudes ou les Iles Vierges Britanniques, avait pour objectif d’empêcher les saisies de pétrole. On ne sait plus trés bien ce qui relève de la corruption et ce qui relève de la tentative de protéger les ressources nationales même pour les redistribuer de manière régionale. Les fonds souverains ne craignent pas d’attiser les rivalités et les crises toujours par la diffusion d’information autant que par le recours à des tribunaux anglo-saxons qui décident la main-mise sur les avoirs.

(7) En 1996, à Lyon, le G7 a lancé l’initiative pour les pays pauvres. Un pays comme la Bolivie en « bénéficie » comme 41 autres pays. Résultat le niveau de revenu par habitant a chuté de plus 1.100 dollars par an, et c’est au prix des renforcements d’inégalités puisqu’on en arrive qu’un cinquième de la population concentre un tiers de la richesse nationale. La pauvreté touche 64% de la population et 82% en zone rurale. Sans comprendre cela on ne voit pas sur quel fond terrible - qui met en cause la survie des habitants - se déroulent les événements politiques, les antagonismes et les crises.

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