RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Confucius contre Nobel : la déconstruction d’un mythe fondateur occidental

« Dès que nous perdons la base morale, écrit Gandhi, nous cessons d’être religieux. » « Les paroles de Mahomet sont un trésor de sagesse, pas seulement pour les musulmans mais pour l’humanité entière. » « Je suis hindouiste, je suis aussi un chrétien, un musulman, un bouddhiste et un juif. »
Mahatma Gandhi

Il y a quelques jours était décerné avec un vacarme assourdissant le prix Nobel de la paix à un universitaire chinois de 54 ans qui purge une peine de 11 ans dans son pays pour avoir perturbé l’ordre public, selon le gouvernement chinois, et pour s’être battu pour les droits de l’homme, selon la doxa occidentale. Une mise en scène pitoyable a été retransmise à des millions de téléspectateurs, on voit le président du comité Nobel déposer sur une chaise vide la médaille et le diplôme attribué à Liu Xiaobo. Il était à la fois le héros et le grand absent de la cérémonie : le prix Nobel de la paix a été remis symboliquement, vendredi 10 décembre à Oslo, au dissident chinois Liu Xiaobo, qui le dédie aux « âmes perdues » dans la répression de la révolte de la place
Tian anmen en 1989, selon le président du comité Nobel. La réaction hostile de la Chine prouve que ce choix était « nécessaire et opportun », a estimé le président du comité, Thorbjörn Jagland. « Si le pays est capable de développer une économie sociale de marché, tout en garantissant les droits de l’homme, cela aura un impact favorable énorme sur le monde. Sinon, il y aura le danger d’une crise sociale et économique [...] avec des conséquences pour tous. » (1)

Voilà ce que pense la presse. Naturellement, cette mise en scène n’est pas innocente, elle fait partie d’une stratégie qui demeure le fondement de l’idéologie capitaliste, impérialiste, colonialiste, bref, le rouleau compresseur du capital qui broie tous ceux qui s’opposent à cette civilisation du chaos pour les plus faibles. D’ailleurs, même ces messes basses quant à l’attribution du prix Nobel sont connues. On se souvient que l’apôtre de la non-violence, Gandhi, n’a jamais eu le prix, car il ne rentrait pas dans le cadre occidentalo-centriste tracé par l’Empire britannique et repris par l’Empire américain. Par contre, on dit qu’Hitler, Mussolini ont été nominés. Bref, le prix Nobel à de rares exceptions, doit servir l’idéologie dominante. On se souvient que l’empire soviétique a été démoli grâce notamment à plusieurs prix Nobel : Boris Pasternak [pour un manuscrit exfiltré par la CIA...] qui ne fit pas le déplacement, Soljenitsyne, Vaclav Havel, et Lech Walesa, et même Gorbatchev pour, dit-on, services rendus.. (2)

Le chantage

Si la Chine a réagi négativement, il en fut de même de l’Occident qui lui aussi menace, admoneste, se souvient. L’Occident, qui accuse la Chine de faire pression sur certains pays pour ne pas aller à la cérémonie, est bien mal placé pour le faire. On apprend par exemple que l’Union européenne a fait pression sur tous ceux qui aspirent à être dans ses bons papiers. D’abord, la Serbie, pays candidat à l’UE, l’Ukraine, l’Egypte, la Tunisie et le Maroc, ont « déçu » la Commission européenne Ces pays ont cédé à la pression exercée par la Chine. « Nous sommes évidemment très déçus d’entendre cette décision [de la Serbie] », a dit Angela Filote, porte-parole du commissaire en charge de l’Elargissement, Stefan Füle. Elle a indiqué que ce mouvement n’était pas conforme à la récente décision de l’UE sur l’ouverture des discussions d’adhésion avec Belgrade.

Mme Filote explique qu’un pays aspirant à rejoindre l’Union européenne, un pays candidat, doit pleinement partager les valeurs de l’UE, et que la protection des droits de l’homme représente l’une de ces valeurs fondamentales. Mme Filote a déclaré que la Commission avait noté avec regret que l’Ukraine, l’Egypte, la Tunisie et le Maroc, qui sont des membres de l’initiative Union of the Mediterranean, ont également refusé de participer. » (3)

En réaction, la Chine a mis en place le prix Confucius. Confucius a consacré sa vie entière à l’éducation avant de quitter ce monde en 479 av. J.-C. Le confucianisme insiste sur l’harmonie et l’équilibre. « Qui, écrit le journal Le Monde, du lauréat Confucius ou Nobel incarnera la paix en 2010 ? La compétition entre la vision pacifique du philosophe chinois et celle du comité norvégien est officiellement ouverte avec l’organisation, jeudi 9 décembre à Pékin, du "prix de la paix Confucius" à la veille de la cérémonie de remise du prix Nobel de la paix, attribué en octobre au dissident chinois Liu Xiaobo. Une distinction inédite, qui sera décernée à l’ancien vice-président taïwanais Lien Chan, un haut responsable politique qui a « construit un pont de paix entre Taïwan et le continent [chinois], apportant joie et chance aux peuples des deux rives du détroit de Taïwan ». L’idée d’un prix Confucius de la paix a été lancée le 17 novembre dernier dans une tribune du Global Times. « C’est une espèce de réponse pacifique au prix Nobel de la paix 2010 (...) qui exprime la vision de paix du peuple chinois », ont déclaré, dans un communiqué diffusé mercredi, les organisateurs. « La Chine est une grande nation qui a été influencée par le concept de paix depuis très longtemps », a affirmé Tan Changliu. « Nous voulons promouvoir la paix dans le monde dans une perspective orientale », a-t-il ajouté, soulignant que « l’Europe est emplie de petits pays qui se sont combattus pendant des siècles ». « Nous ne voulons pas voir des gens qui ne comprennent pas la paix en saper le concept », a conclu M.Tan. (4)

Le secrétaire exécutif du comité Nobel, Geir Lundestad, a pour sa part souligné qu’en cent neuf ans d’histoire du Nobel de la paix, ce ne sera que la deuxième fois que la récompense ne pourra être remise au lauréat ou à un de ses représentants. Le seul exemple comparable remonte à 1936, au temps de l’Allemagne nazie, lorsque le pacifiste Carl von Ossietzky, lauréat a posteriori du Nobel 1935, n’avait pu recevoir sa récompense.

Justement à la même période d’attribution du prix Nobel et dans un silence assourdissant de la majorité des médias occidentaux, était délivré le prix Carl von Ossietzky à Mordechaï Vanunu, un pacifiste israélien en résidence surveillée après avoir passé dix huit-ans de prison pour avoir dénoncé le programme nucléaire israélien. Nous lisons dans une contribution à ce sujet : « La presse française est une des pires qui soient si on la compare à celle qu’on trouve dans des pays comparables. La presse espagnole par exemple, est bien meilleure que la presse française avec ses journaux soi-disant de qualité. Ce n’est en effet pas par la presse française, en dehors de la presse internet militante et d’une brève sur Rue 89, que vous pourrez savoir que Mordechai Vanunu devait recevoir un prix pour la paix à Berlin, le prix Carl von Ossietzky, mais qu’il n’a pas pu être présent car il est toujours sous étroite surveillance dans l’entité sioniste après avoir purgé une longue peine de prison. Il y a eu de fait un black-out des journaux français sur cette information et on peut se demander pourquoi. Le journal espagnol La Vanguardia en parle cependant et pas sous la forme d’une brève puisqu’il nous gratifie d’une belle interview de Gideon Spiro, un militant antinucléaire de l’entité sioniste et qui anime un comité de soutien à Mordechai Vanunu. Je dois dire que le discours de Gideon Spiro, d’une grande qualité et d’une grande lucidité, mérite d’être porté à la connaissance des lecteurs francophones. C’est donc chose faite. La Ligue Internationale des Droits de l’Homme, une organisation des plus vénérables, a tenu hier à Berlin la cérémonie annuelle de remise de prix, une tradition vieille d’un demi-siècle, décerné cette année au pacifiste et dissident israélien Mordechai Vanunu. A l’instar du dissident et prix Nobel de la paix chinois Liu Xiaobo, Vanunu n’a pas été en mesure de recevoir à Berlin son prix qui porte le nom de Carl von Ossietzky, un journaliste pacifiste allemand des années 1930 ». (5)

« Von Ossietzky fut condamné pour « trahison » pour avoir divulgué en 1931 dans la revue Die Weltbuhne, le réarmement secret de l’Allemagne. En 1936, il se vit décerner le prix Nobel de la paix, mais les nazis ne permirent pas à Ossietzky d’aller le chercher. De même, Mordechai Vanunu a été condamné en 1986 à 18 ans de prison pour trahison et « espionnage ». Son crime fit de révéler que les Israéliens disposaient secrètement de l’arme nucléaire. Libéré en 2004, il reste interdit de tout contact avec la presse et n’est pas libre de ses mouvements. A la cérémonie berlinoise, où le nom de Julian Assange, autre divulgateur de secrets, était sur toutes les lèvres, était présente Mairead Corrigan-Maguire, prix Nobel de la paix 1976, qui a qualifié de « honte » l’absence imposée à Vanunu. Corrigan-Maguire et cinq autres prix Nobel, dont l’Allemand Gunter Grass, avaient demandé que Vanunu soit autorisé à venir à Berlin, sans obtenir aucune réponse. En son absence, des pacifistes israéliens proches de Vanunu ont participé à la cérémonie, dont le journaliste Gideon Spiro, fondateur du comité de soutien à Vanunu. (5) »

Les nouveaux missionnaires

Pourquoi en définitive, cet acharnement dont on connaît les fondements largement impérialistes, pour tenter d’empêcher l’éveil paisible de la Chine ? Dominico Losurdo nous donne une explication. Nous l’écoutons : « Transmis en direct par toutes les plus importantes chaînes de télévision du monde, le discours prononcé par le président du Comité Nobel à l’occasion de la remise du prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo se présente comme un véritable manifeste de guerre. Le concept fondamental est aussi clair que grossier et manichéen : les démocraties ne se sont jamais fait la guerre et ne se font pas la guerre entre elles ; et donc pour faire triompher une fois pour toutes la cause de la paix, il faut diffuser la démocratie à l’échelle planétaire. Celui qui parle ainsi ignore l’histoire, il ignore par exemple la guerre qui, de 1812 à 1815, se développe entre la Grande-Bretagne et les USA. Ce sont deux pays « démocratiques » et qui, de plus, font partie tous les deux de la « pragmatique » et « pacifique » souche anglo-saxonne. Et pourtant, la fureur de la guerre est telle que Thomas Jefferson compare le gouvernement de Londres à « Satan », et va jusqu’à déclarer que la Grande-Bretagne et les USA sont engagés dans une « guerre éternelle » (eternal war), laquelle est destinée à se conclure par l’ « extermination » (extermination) de l’une ou l’autre partie. » (6)

« En identifiant cause de la paix et cause de la démocratie, le président du Comité Nobel embellit l’histoire du colonialisme, qui a souvent vu des pays « démocratiques » promouvoir l’expansionnisme, en ayant recours à la guerre, à la violence la plus brutale et jusqu’à des pratiques génocides. Mais il ne s’agit pas seulement du passé. Par son discours, le président du Comité Nobel a légitimé a posteriori la première guerre du Golfe, la guerre de Yougoslavie et la seconde guerre du Golfe, toutes conduites par de grandes « démocraties » et au nom de la « démocratie ». Maintenant, le plus grand obstacle à la diffusion universelle de la démocratie est représenté par la Chine, qui constitue donc en même temps le foyer de guerre le plus périlleux ; lutter par tous les moyens pour qu’un « régime change » à Pékin est une noble entreprise au service de la paix : voilà le message qui a été transmis depuis Oslo et bombardé dans le monde entier, et il a été transmis et bombardé tandis que la flotte militaire états-unienne ne cesse de « s’entraîner » à faible distance des côtes chinoises. En son temps, un illustre philosophe démocrate et occidental, John Stuart Mill, a défendu les guerres de l’opium contre la Chine comme une contribution à la cause de la liberté : liberté de l’ « acquéreur » avant même celle « du producteur ou du vendeur ». C’est dans le sillage de cette funeste tradition colonialiste que se sont placés les seigneurs de la guerre d’Oslo. Le manifeste lancé par le président du Comité Nobel doit retentir comme une sonnette d’alarme pour tous ceux qui ont réellement à coeur la cause de la paix. » (6)

Il y a quelques siècles, les missionnaires chrétiens disaient que ceux qui ne se convertissaient pas au christianisme iront en enfer. Les nouveaux missionnaires des droits de l’homme disaient la même chose. Sans la démocratie, c’est l’enfer ! L’Histoire nous dira qui a raison. Cet argumentaire selon lequel il n’y aurait en Chine qu’une alternative : la dictature (on n’ose plus dire du prolétariat : même le cynisme a ses limites) ou le chaos, s’inscrit dans l’ensemble plus vaste de l’idéologie relativiste, qui soutient qu’il n’y a pas de droit universel, que donc les droits de l’homme sont une fiction hypocrite de l’impérialisme, etc. Cette idéologie qui prétend faire de la Chine (et de l’Afrique !) une terre de non-droit, doit être combattue sans faiblesse. A lire certains commentaires, on constate sans surprise que les régimes forts auront toujours leurs thuriféraires - avec les meilleures intentions du monde, mais justement on dit que l’enfer en est pavé.

L’argument selon lequel une Chine démocratique serait livrée au chaos pour le plus grand bénéfice de l’Impérialisme a déjà beaucoup servi, surtout en Chine. Obama, qui ordonne qu’on relâche sans délai Liu Xiaobo, oublie le vrai danger pour la stabilité du monde : le conflit palestinien, sur lequel il a tout pouvoir d’imposer une solution juste et humaine. Malgré son Nobel à lui, il préfère préserver les intérêts d’une poignée de colons... Le Nobel d’Obama a débouché sur l’envoi de 30.000 soldats supplémentaires pour une paix des cimetières au quotidien pour les Afghans harassés par tant de malheurs. A tout prendre, le prix Confucius de la paix contre celui du Nobel dont on sait qu’il a un fondement explosif, est peut-être un premier pas vers un affranchissement de cet Occident qui dicte la norme et qui est loin d’être une référence. La déconstruction de ce mythe, travail de longue haleine, ne suffit pas, il faut progressivement répondre à l’instar de la Chine, par un travail scientifique continu qui ne laisse pas de place à la démagogie. Sortir de la doxa occidentale du « magister dixit » sera le signe de la vraie indépendance des esprits et le début du dialogue des civilisations.

Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique enp-edu.dz

1. Le Prix Nobel a été symboliquement remis à Liu Xiaobo, grand absent à Oslo LeMonde.fr avec AFP et Reuters 10.12.10

2. Chems Edidine Chitour : Stratégie d’attribution du Prix Nobel. L’Expression 10 ocotbre 2010

3. Réseau EurActiv Nobel de la paix : L’UE critique le boycott de la cérémonie 09.12.2010

4. Prix Confucius : Le contre-prix Nobel chinois LeMonde.fr avec AFP 09.12.10

5. Rafael Poch, La Vanguardia 12.12.2010 Entretien avec Gideon Spiro, fondateur du Comité israélien de soutien à Mordechai Vanunu..traduction Monadhil Djazairi 17 décembre 2010.

http://www.legrandsoir.info/Black-out-de-la-presse-francaise-sur-le-prix-Carl-von-Ossietzky-decerne-a-Mordechai-Vanunu.html

6. Domenico Losurdo : Un manifeste de guerre Sur le prix Nobel à Liu Xiaobo Mondialisation.ca 10.12.2010 Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio.

URL de cet article 12296
   
Même Thème
Les trajectoires chinoises de modernisation, Jean-Claude Delaunay
La Chine est entrée dans les temps modernes, au xixe siècle, avec un mode de production inapte à assurer sa modernisation. La dynastie Qing en a fait l’expérience. Le républicain Sun Yatsen n’a pas réussi à le dépasser. Seule la révolution communiste a débarrassé ce pays de ses structures anciennes. Depuis lors, son économie a suivi de nouvelles trajectoires. La première partie du livre décrit les trajectoires réelles contemporaines de la Chine (démographiques, agricoles, industrielles, (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes.

Karl Marx

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.