Les médias dominants proclament la défense de la démocratie comme étant leur cheval de bataille. Mais sans doute y a-t-il pour certains deux types de démocratie ? En l’occurrence, celle qu’affectionnent particulièrement nos multinationales médiatiques, est bien la démocratie représentative capitaliste. En effet, dès qu’elle se rapproche de sa propre définition |1| en donnant le pouvoir au peuple, les grands médias préfèrent la bannir ou bien la discréditer. La démocratie néolibérale est reconnue comme étant la seule valable, du moment qu’elle donne à une minorité la liberté d’entreprendre tandis qu’elle empêche une majorité de décider de l’avenir du pays.
C’était pourtant là le projet du président du Honduras, Manuel Zelaya à l’instar de ce qui a déjà été réalisé en Équateur ou en Bolivie : proposer par vote (la fameuse quatrième urne, les trois premières étant réservées respectivement à l’élection du président, des députés et des maires) une Assemblée constituante qui, si cette proposition était acceptée, définirait ladite Constitution, elle-même soumise ensuite au peuple par référendum. Existe-t-il un processus plus démocratique pour définir la structure politique d’un pays ? Dans ce cas, le peuple est souverain et c’est certainement ce qui effraie les complexes médiatico-industriels. Au Honduras comme ailleurs, les médias commerciaux soutenus par l’oligarchie sont hostiles à ce type de projet. Ce n’est pas un hasard si le 28 juin, le jour même ou Zelaya s’apprête à consulter le peuple pour savoir s’il accepte l’installation d’une quatrième urne aux élections de novembre, l’oligarchie prend le pouvoir suprême par un coup d’État.
Avec la présence massive d’entreprises américaines comme la United Fruit Company |2|, véritable État dans l’État, le Honduras a inspiré l’expression « république bananière » et garde cette tradition de soumission aux multinationales. Les quelques familles qui constituent l’oligarchie du pays, détiennent les plus grosses entreprises, les radios, télévisions et journaux, et siègent dans les arcanes du pouvoir. Mais les arcanes du pouvoir ne suffisant pas devant la « menace chaviste » qui gagne du terrain sur le continent, l’oligarchie s’est installée aux premières loges par la force d’un coup d’État le 28 juin 2009.
Ce jour là , une coupure d’électricité paralyse la capitale, la plupart des médias nationaux et internationaux sont empêchés d’émettre afin de ne pas répandre la nouvelle et éviter que le peuple ne descende dans la rue. L’armée fait irruption dans les locaux de la télévision Canal 36, aussi appelée Cholusat Sur, fidèle à Zelaya. Les trois journalistes de Telesur, Adriana Sàvori, Maràa José Dàaz et Larry Sánchez sont séquestrés à leur hôtel et emmenés de force à l’immigration avec d’autres journalistes de l’agence de presse AP |3|. Leur matériel est alors confisqué et on les empêche d’utiliser leurs téléphones portables. En dehors de Tegucigalpa aussi, quelques heures après le coup d’État, une vingtaine de militaires envahissent le local de Radio Progreso à Choloma l’obligeant à cesser toute activité |4|. Nous connaissons la suite : Manuel Zelaya et Patricia Rodas, sa ministre des Affaires étrangères, expulsés au Costa Rica, entament une négociation diplomatique, alors qu’au Honduras, la population se polarise (entre "zelayistes’ et putschistes) et que le Front national contre le coup d’État |5| centralise la résistance. Le Honduras a été un laboratoire libéral dans les années 70-80 à une époque où on expérimentait la contre révolution |6|, il revient au devant de la scène internationale, révélant le choc d’une guerre froide ressuscitée.
La parole au peuple ?
Manuel Zelaya, bien qu’issu d’une riche famille d’entrepreneurs forestiers, avait pris le parti de défendre les intérêts des pauvres avant ceux des entreprises privées. Ne suivant pas l’agenda des grandes entreprises et de l’ambassade américaine, il fut, dès le début de son mandat, calomnié et décrié par la presse. Celle-ci ne lui donne pas plus de six mois en tant que président, puis encore un an, et ainsi de suite jusqu’au jour fatidique où l’armée l’expulsa du pays. Pour rétablir l’équilibre médiatique et donner la parole à ceux que les médias ignorent de plus en plus, Zelaya lance un hebdomadaire public et gratuit fin 2007, El Poder Ciudadano (Le pouvoir citoyen) qui promeut la participation citoyenne, puis nationalise Canal 8, une télévision qui n’émettait plus suite à la gestion désastreuse d’Elias Aspura. Bien sûr, depuis le coup d’Etat, El Poder Ciudadano n’existe plus, ses employés ont été congédiés et Canal 8 revient aux mains de Elias Asfura, son ancien propriétaire |7| qui détient par ailleurs les canaux de télévision 8, 12 et 30.
Le Honduras a donc subi un coup d’État le 28 juin 2009, appuyé par l’oligarchie en place et par les États-Unis depuis la base américaine de Soto Cano, située à quelque 97 km au nord de la capitale Tegucigalpa. Devant la mollesse de la réaction de la communauté internationale, la résistance s’est organisée et la population en marche contre la dictature de l’élite a pris conscience de ses ennemis, les désigne nommément et dénonce leurs actions. On n’avait plus vu de mobilisations d’une telle ampleur depuis mai 1954 |8|, à tel point qu’il semble difficile d’imaginer que le peuple ne désire pas élire une Assemblée constituante. Ce projet politique est devenu au fil du temps un mot d’ordre incontournable. Il est important de souligner que ce désir a surgi du peuple et que Zelaya a voulu l’appuyer, le légitimer par une consultation populaire. Il est tout à fait probable que la proposition d’une quatrième urne pour les élections de novembre 2009 aurait été approuvée si le coup d’État n’avait pas stoppé subitement ce processus démocratique.
L’oligarchie détient les moyens de communications et renforce la manipulation
Dans un pays où les médias dominants traitent de « délinquants » les résistants au coup d’État, une seule télévision sur la dizaine qui émet au niveau national, Canal 36, relate les faits. Une seule radio, Radio Globo, donne la parole au peuple pour l’informer de la résistance en cours. Aucun quotidien national ne parle du mouvement de lutte contre le coup d’État sans manipuler l’opinion et prendre clairement parti pour la dictature de Micheletti. Un seul mensuel, El Libertador, propose des articles de fond montrant clairement la lutte de classe en cours. Nous parlons là des médias nationaux, car au niveau local, il faut relever, entre autres, la présence de Radio Progreso dont un journaliste, Gustavo Carpoza, a été battu dans la rue et pendant son transport jusqu’au poste de police alors qu’il participait à la grande mobilisation de Choloma, le 14 août 2009. |9|
Comme dans bien d’autres pays, un groupe de banquiers, dirigeants d’entreprises et propriétaires de médias, forment les quelques familles étroitement liées aux États-Unis qui détiennent le pouvoir. La quasi totalité des radios, télévisions et journaux à grand tirage appartiennent à l’oligarchie qui soutient le coup d’État du 28 juin dernier.
On peut citer Carlos Flores Facussé, ex-président du Honduras entre 1998 et 2002, proche de Micheletti et suspecté d’être l’un des principaux idéologues du coup d’État. Il détient l’un des principaux quotidiens, La Tribuna ; Jorge Canahuati Larach, du Parti National, propriétaire de El Heraldo et La Prensa, les deux autres quotidiens d’importance |10|. Rafael Ferrari, un membre très connu du Parti Libéral, est le propriétaire des chaînes de télévision 3, 5 et 7(Grupo Televicentro) et de nombreuses stations de radio (Emisoras Unidas, HRN, Radio Norte, etc.). L’entrepreneur Ricardo Maduro, ancien président de la banque centrale (1990-1994) et président de la République entre 2002 et 2006 |11| avant de laisser son poste à Manuel Zelaya, a docilement appliqué les mesures d’ajustement dictées par le FMI (dévaluation de la monnaie nationale, libéralisation des prix…). Il investit au Salvador et au Honduras où il est propriétaire de centres commerciaux (Grupo Roble), banques et moyens de communication. Il s’est présenté devant le Congrès à Washington le 8 juillet, la Constitution à la main, pour défendre les motifs fallacieux de la destitution de Zelaya. Voici succinctement exposés, quelques-uns de ceux qui ont financé et propagé l’idéologie putschiste. Comme au Venezuela en avril 2002, on peut parler ici de "coup d’État médiatique’.
Dans son édition du dimanche 16 août, le journal El Heraldo dénonce « un attentat terroriste » qui « menace la liberté d’expression ». On constate en effet un incendie dû à deux cocktails Molotov lancés contre ce journal. Pour comprendre cet acte « terroriste », il suffit de lire, dans la même édition, ces quelques lignes cinq pages plus loin : « Il n’a pas suffit à l’ex-président, Manuel Zelaya, d’appeler les Honduriens à l’affrontement, il veut maintenant que la communauté internationale désapprouve le processus électoral… » Le quotidien poursuit : « Zelaya a été remplacé au pouvoir le 28 juin dernier après avoir violé la Constitution de la République et enfreint la justice qui l’empêchait de mener à bien une consultation illégale pour convoquer une Assemblée Nationale Constituante. » (El Heraldo, 16 août 2009, p.8). Ce positionnement idéologique se retrouve tous les jours dans les colonnes de tous les quotidiens nationaux. Ce manque de professionnalisme journalistique, représentant une véritable désinformation, fait enrager certains militants, comme ce professeur rencontré lors d’une assemblée populaire de résistance contre le coup d’État et qui propose de distribuer des tracts afin de rectifier l’information falsifiée par les médias commerciaux.
Dans ce contexte, la résistance s’organise autour des seuls médias qui donnent la parole au peuple, principalement Radio Globo et Canal 36. Rappelons que « l’attentat » de El Heraldo s’est produit suite à une série d’intimidations et de violences envers d’autres médias. Les journalistes de Telesur ont été séquestrés à leur hôtel le 11 juillet pour la seconde fois depuis le coup d’État, leurs passeports ont été confisqués et ils ont subi des menaces |12| de la part des forces de police du gouvernement de facto. Telesur est une des rares télévisions internationales à couvrir les évènements sur la durée : la plupart des autres équipes de télévision internationale ont quitté le pays une fois la tension du coup d’État retombée (en apparence...). L’équipe de télévision publique vénézuelienne, Venezolana de Televisión (VTV) a elle aussi été séquestrée le 11 juillet.
Canal 36 et Radio Globo qui continuent de subir des pressions et des attaques pirates affectant leurs transmissions, ont vu leurs programmes coupés le 16 juillet. Le 23 août, des hommes armés et encagoulés ont détruit des appareils de transmission de Canal 36. Le programme Hable como habla de Maya Tv a dû interrompre, lui aussi, sa transmission suite à des dégâts matériels. Et ces attaques se poursuivent pendant que les médias dominants manipulent tranquillement l’opinion.
Suite au décret émis dimanche 27 septembre, les garanties constitutionnelles que représentent les libertés d’expression, de circulation et de réunion sont suspendues afin de systématiser la répression. Le lendemain 28 septembre, l’armée réquisitionne et embarque tout le matériel audiovisuel aux sièges de Canal 36 et Radio Globo. Seule Radio Globo qui, rompue à l’exercice, avait prévu différents plans alternatifs, continue à émettre sur Internet depuis un lieu tenu secret.
Guerre médiatique
Cette guerre médiatique se produit à un moment où différents gouvernements progressistes, sur le continent, répliquent aux médias commerciaux en tentant de légiférer pour limiter le rôle déstabilisateur promu par un pouvoir monopolistique tentaculaire.
Evo Morales accuse le journal La Razón (propriété du groupe PRISA qui détient aussi Le Monde et El Pais) de suivre les directives de l’ambassade des États-Unis à La Paz |13|. Le gouvernement argentin tente de promouvoir une loi afin de limiter les monopoles médiatiques actuellement concentrés en peu de mains tout en faisant face aux réprobations énergiques des grosses entreprises. Cette loi qui remplacerait celle en vigueur depuis la dictature militaire (1976-83), prévoit de limiter les licences pour les entreprises. La filiale locale de Telefonica (espagnole) conteste vigoureusement l’interdiction de participer aux entreprises de télévision et Claràn, principal groupe médiatique en Argentine se sent évidemment concerné. N’ayant pas peur des mots, le directeur de Claràn, Ricardo Roa, parle de loi « franquiste », « fasciste » et « chaviste », les adjectifs allant, selon lui, ensemble…
Cet affrontement révèle une ligne de fracture entre certains gouvernements progressistes de la région et les multinationales médiatiques. Au sein de la Société Interaméricaine de presse (SIP), l’ancien président péruvien, Alejandro Toledo, et l’ancien président bolivien, Carlos Mesa, parlent « d’atteinte à la liberté d’expression » de la part des gouvernements qui s’attaquent au complexe médiatico-industriel pour laisser un créneau aux médias citoyens |14| . Attribuer à l’ennemi ce que l’on fait soi-même est un processus efficace de diversion pour peu qu’il soit relayé…par les médias.
Au Honduras, ces médias sont les porte-parole de l’oligarchie du pays qui appuie le coup d’État et défendent leurs intérêts financiers. Ils sont favorables au maintien de cette démocratie représentative corrompue et contre toutes les tentatives de changement constitutionnel qui affecteraient leurs privilèges. Kissinger parlait du Chili d’Allende comme d’un « virus » qui pouvait « infecter » la région |15| . Les forces réactionnaires pensent la même chose à propos de Chávez au Venezuela, mais n’ayant pas réussi à le renverser malgré le coup d’État d’avril 2002, elles s’en sont prises au dernier « contaminé » par l’idée de justice sociale, le Honduras.
Jérome Duval
www.cadtm.org/Coup-d-Etat-mediatique-au-Honduras
notes articles :
|1| En grec, « demos » signifie peuple et « kratos » le pouvoir.
|2| La United Fruit Company, devenue Chiquita, critiquait Zelaya et soutient le gouvernement de Micheletti. Lire : http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=14634
|3| http://www.telesurtv.net/noticias/s...
|4| Voir : http://zapateando2.wordpress.com/20...
|5| Voir le site du Front national de Résistance contre le coup d’Etat : http://contraelgolpedeestadohn.blogspot.com/
|6| C’est à partir du Honduras qu’étaient organisés les approvisionnements à la Contra et les attaques contre les sandinistes au Nicaragua.
|7| Frecuencia de Canal ocho retornará a Elàas Asfura : http://www.latribuna.hn/web2.0/?p=26401
|8| Les 1er et 2 mai 1954, les travailleurs des plantations de bananes du Honduras ne jouissant d’aucuns droits du travail, se mettent en grève. En une semaine, ce mouvement social sans précédent couvre tout le pays. La United Fruit Co et la Standard Fruit Co dominent alors l’économie du pays et de la Caraïbe, ils forment un Etat dans l’Etat, contrôlant le Congrès et les lois. Dans la ville de El Progresso, les travailleurs forment un « petit gouvernement » qu’on appela « commune de Paris embryonnaire ».
|9| On dénombrait au moins 39 détenus et 4 blessés graves hospitalisés lors de cette répression.
|10| Il possède aussi le journal de sport Diez. Mario Canahuati, autre grande fortune du Honduras, est aussi un magnat du secteur textile. Jesús Canahuati est président des maquiladores. Les maquiladores sont des entreprises de confection de grandes marques qui recherchent toujours les plus bas salaires sans se soucier des droits du travail. Il y en a un grand nombre au Honduras.
|11| La Constitution de 1982, actuellement en vigueur, requiert la nationalité hondurienne pour être élu président. Né au Panama, Ricardo Maduro viola, de fait, la Constitution et soulèvera une intense polémique.
|12| http://www.telesurtv.net/noticias/s... et http://www.radiolaprimerisima.com/noticias/general/56603
|13| El Pais, 15 septembre 2009. http://www.elpais.com/articulo/espa...
|14| Voir : http://www.globovision.com/news.php?nid=127775
|15| Lire l’article de Noam Chomsky : http://www.legrandsoir.info/La-menace-d-un-bon-exemple.html