Plein écran
commentaires

Crimes ordinaires de l’État français

« Mon coeur abrite toute la tristesse d’une vie entière
Mais si j’me laisse faire , c’est un aller direct au cimetière »
MANU KEY, Karl et Yezy L’Escroc : « Dans nos têtes et dans nos coeurs »

Ali Ziri 69 ans, Mohamed Boukrourou 41 ans, Abou Bakari Tandia 38ans, Pascal Taïs 32 ans, Abdelkarim Aouad 30 ans, Wissam El-Yamni, 30 ans, Mohammed Saoud 26 ans, Abdelilah El Jabri 25 ans, Malik Oussekin 22 ans, Hakim Ajimi 22 ans, Zied et Bouna 17 et 15 ans … La liste des hommes morts dans les commissariats, ou lors des interpellations policières est longue, trop longue. Et il ne s’agit là que de quelques noms des victimes connues et répertoriées. D’autres morts viendront, hélas s’ajouter à cette interminable liste macabre. Car la police n’est qu’un instrument parmi tant d’autres que la bourgeoisie utilise pour asseoir sa domination de classe. L’ordre bourgeois, défendu par les forces de l’ordre, a constamment besoin pour se maintenir d’inventer des boucs émissaires. Chaque période, chaque crise produit ses propres victimes. Aujourd’hui en France, les enfants et les petits-enfants des travailleurs immigrés parqués dans des ghettos entourant les grandes métropoles industrielles sont l’une des cibles privilégiées de la classe dirigeante, ce qui lui permet de mieux masquer son désastre économique, social et politique.

La brutalité exercée sur cette partie de la population fragilisée par le chômage de masse (1) n’est pas seulement le fait de la police. La propagande médiatique présente souvent les jeunes des quartiers populaires comme des « voleurs », « dealeurs », « violeurs » etc. Cette stigmatisation généralisée facilite par la suite la tâche des hommes politiques en mal de voix d’une frange de la population élevée dans la haine de l’autre. Il faut nettoyer au « Kärcher » les cités de ces « sauvageons » et de cette « racaille » qui troublent la paix des « honnêtes gens ». Il faut reconquérir ces « zones de non droit ».

Les tribunaux, où les verdicts sont connus d’avance, prennent la relève des hommes politiques. La présomption d’innocence est rarement respectée. Les peines d’emprisonnement ferme et les comparutions immédiates où les droits de la défense sont moins garantis, restent largement supérieures à la moyenne nationale (2). La rapidité avec laquelle les jeunes des quartiers ouvriers sont jetés en prison n’a d’égale que la lenteur des procédures impliquant des policiers. En France, il est difficile pour cette partie de la population d’obtenir la condamnation d’un policier. C’est une constante inscrite non pas dans un quelconque code, loi ou constitution, mais dans les faits. « Il vaut mieux être policier que simple citoyen. Ils sont couverts » disait Boubaker Ajimi, père d’Hakim Ajimi mort, victime des violences policières(3). Amnesty International constate les faits suivants : « Insultes racistes, recours excessif à la force, coups, homicides illégaux - telles sont les allégations de violations des droits humains commises par certains policiers français ». L’organisation dénonce « un système qui favorise l’impunité des policiers accusés de ces actes » (4). Il s’agit d’une véritable justice de classe. L’indépendance de la justice est une chimère que le discours dominant a du mal à masquer.

Police, justice, médias et hommes politiques sont ainsi unis, sans jamais le reconnaître, dans leur croisade contre les jeunes des cités populaires. Ce sont eux qui attisent la haine entre citoyens pour mieux les diviser en jouant sur les préjugés nationaux, raciaux et religieux. Ce sont eux qui fabriquent des coupables en utilisant la délation rémunérée. Et ce sont toujours eux qui présentent les jeunes des cités comme responsables des malheurs de la France pour mieux masquer la faillite économique, sociale et morale de la bourgeoisie qu’ils servent.

Paupérisés, marginalisés et méprisés par une bourgeoisie qui n’a plus besoin de leur force de travail, les jeunes des cités se révoltent à intervalles réguliers. Leur rage et leur colère jaillissent, comme les flammes des voitures qu’ils brûlent, des conditions matérielles d’existence inhumaines. Leur révolte n’est pas dirigée uniquement contre les brutalités policières ; elle embrasse l’ensemble des symboles et institutions de l’ordre bourgeois qui les opprime au quotidien à commencer par l’école. Celle-ci n’est que le reflet d’une société de classe. Le tri, le classement, la hiérarchisation et la sélection restent, pour l’essentiel, son mode de fonctionnement. L’école broie celles et ceux qui ne possèdent pas ou qui ne maîtrisent pas les codes culturels eux-mêmes déterminés par le milieu social malgré le courage et le dévouement de ses personnels qui travaillent dans des conditions difficiles. Même les experts d’une organisation libérale comme l’OCDE le reconnaissent : « En France plus qu’ailleurs, la réussite dépend du milieu économique » (5).

La révolte des cités n’est pas seulement le fait des jeunes. Nombre d’adultes témoignent de leur solidarité à l’égard des émeutiers, sans parler des familles qui soutiennent leurs enfants, car elles subissent les mêmes problèmes et les mêmes humiliations.

Ces humiliés ont montré à plusieurs reprises qu’ils sont capables de se mettre en colère, de se révolter et de se dresser contre un ordre injuste contrairement à un lumpenproletariat qui se trouve souvent du côté de la classe dominante. Leur révolte est un acte social et politique dirigé contre un État policier qui opprime et punit les plus fragiles de la classe ouvrière même si l’on s’obstine à ne pas le reconnaître. Pour la classe dirigeante, il ne s’agit que de « voyous » et de bruleurs de voitures organisés en bandes qui troublent l’ordre public et qu’il faut impitoyablement réprimer. « le rétablissement de l’ordre public était un préalable (...) Nous faisons face à des individus déterminés, à des bandes structurées, à de la criminalité organisée, qui ne recule devant aucun moyen pour faire régner le désordre et la violence » déclarait Dominique de Villepin dans un ton aristocratique devant un hémicycle de l’Assemblée Nationale comble (6).

« La racaille » va alors payer cher son audace et son insolence à vouloir secouer cet ordre qui l’humilie et la méprise en permanence. Après les émeutes de 2005, la police a procédé à des milliers d’interpellations et les tribunaux ont distribué des années de prison ferme. Le gouvernement a même proclamé l’état d’urgence et le couvre-feu qui l’accompagne ; décision rare dans l’histoire récente de la France. En fouillant dans son passé, la République bourgeoise a trouvé une loi, celle 1955, conçue pour imposer l’ordre colonial en Algérie. Cinquante ans après, elle l’exhume pour mater la révolte des enfants et des petits-enfants des travailleurs immigrés ! Aux problèmes sociaux et politiques, l’État français répond par des mesures guerrières !

Cet État qui mobilise des moyen répressifs extraordinaires pour briser les révoltes d’une population qui n’aspire qu’à vivre dignement, montre une grande faiblesse complice face par exemple aux marchés financiers qui détruisent l’économie de tout un peuple ! La bonne société bourgeoise qui s’indigne tant de la violence des jeunes des quartiers ouvriers s’accommode très bien de la brutalité autrement plus profonde des vautours de la finance internationale. Cette révolte a eu au moins le mérite de montrer au grand jour la lâcheté de la bourgeoisie et les valeurs hypocrites de sa République.

Les forces du progrès ne doivent pas abandonner les habitants des ghettos-cités aux forces obscures et réactionnaires. Les travailleurs immigrés, leurs enfants et leurs petits-enfants qui sont nés sur le sol de ce pays font partie intégrante, pour la grande majorité d’entre eux, de la classe ouvrière. Ils subissent plus que les autres les ravages du chômage, de la précarité et les affres des humiliations en tout genre. Cette insécurité et cette violence permanentes exercées sur cette fraction vulnérable et fragile de la société par une bourgeoisie arrogante et brutale, montrent à l’évidence que leur révolte est légitime. Ses morts, nombreux et anonymes, ne sont pas reconnus et encore moins décorés par la République.

Leur combat doit être celui de toutes les forces qui s’opposent à cet ordre injuste. Prolétaires, précaires et chômeurs de tous les quartiers unissez-vous contre votre ennemi commun, la bourgeoisie.

Mohamed Belaali

http://belaali.over-blog.com/

(1) http://www.ville.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_onzus_2011.pdf

(2) Voir l’intéressante étude de Fabien Jobard et Sophie Névanen « La couleur du jugement » http://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2007-2-page-243.htm

(3) http://lmsi.net/Des-policiers-au-dessus-des-lois

(4) http://www.amnesty.org/fr/library/asset/EUR21/003/2009/fr/37f51e9b-e064-4f1f-8656-1683851cc215/eur210032009fra.html

(5) http://www.france24.com/fr/20101207-france-education-ocde-rapport-systeme-enseignement-baisse-niveau-scolaire-chatel-zep

(6) http://www.lemonde.fr/societe/article/2005/11/08/a-l-assemblee-m-de-villepin-justifie-l-etat-d-urgence_708050_3224.html

Print Friendly and PDF

COMMENTAIRES  

02/02/2012 13:05 par Clyde Barrow

La plaque commémorative pour Ali Ziri, dont vous présentez la photo, a été retirée à la demande du préfet.

http://www.leparisien.fr/argenteuil-95100/la-plaque-commemorative-pour-ali-ziri-retiree-01-02-2012-1840325.php

02/02/2012 17:46 par pierre

Pour les personnes intéressées par cet article, je vous invite à lire le livre "la rage et la révolte" d’Alessi Dell’Umbria aux éditions Agone.

03/02/2012 18:37 par Odile

En lisant cet article, je me suis interrogée sur la position de la gauche concernant les émeutes régulières des banlieues. Je constate que celle-ci observe un certain silence voire une gêne vis-à -vis des émeutiers. Je n’ai pas réussi à trouver un texte, un tract ou un simple communiqué soutenant clairement les révoltés des cités. Par ailleurs les banlieues sont absentes ou presque des programmes des candidats de gauche. Seule l’extrême droite veut s’attaquer aux "zones de non droit".
Comment peut-on expliquer cette attitude de la gauche face à la misère des banlieues et aux révoltes de ses habitants ? Quelqu’un peut-il nous éclairer...

04/02/2012 21:05 par Charlot

Je ne suis pas spécialiste de ce sujet, mais je constate que la position et le discours du PS se confondent avec ceux de l’UMP. Je constate également que la gauche laminée par le chômage a déserté depuis longtemps les banlieues. L es habitants de ces cités ne font pas partie de ses priorités. Pire, elle jette sur eux un regard méprisant bourré de préjugés, les traitant de lumpenprolétariat ce qui l’empêche de comprendre la situation objective de ces quartiers populaires. Elle regrettera peut-être plus tard son attitude d’aujourd’hui comme elle l’a fait avec la guerre de libération en Algérie.

05/02/2012 19:04 par Anonyme

On dirait que « la gauche » fait l’hypothèse que « la majorité » des Français se moque éperdument (pour ceux qui ne sont pas carrément racistes), des « banlieues », se contentant d’habiter… ailleurs compte tenu de ce que nous « racontent » les médias.

C’est peut-être une erreur… Car non seulement ce n’est sûrement pas une majorité de français qui est raciste, mais encore des liens entre les Algériens et les Français se sont étroitement noués depuis la dernière guerre : amitiés, mariages mixtes, entr’aide, militantisme commun, etc…

Laisser les descendants d’’immigrés à la peau brune aux partisans des « Souchiens », fussent-ils déguisés en tolérants le temps d’une élection, est-ce vraiment :

1. Un cadeau à leur faire - qu’ils aient un Certificat de Nationalité Française ou pas ?
2. Bien intelligent ?
3. Humain… ???

Les Arabes de France, même à gauche, même non croyants, sont muets. (Les médias donnant le racisme d’Etat en exemple, les barbouzes, les policiers, et la Guerre d’Algérie, y veillent). Voteront-ils Marine ?

Les Juifs de France, même à gauche, même non croyants, sont muets (le CRIF, le BETAR, l’Anti Defamation Ligue et la manipulation fondée sur la peur, y veillent.) Voteront-ils Hollande ?

Ils seraient ejoints en cela par une bonne partie des Français, descendants de catholiques romains, et qui auront exclu les uns et les autres ?

En 2006 ,:déjà , un « jeune de banlieue » ne comprenait pas pourquoi il n’y avait pas de jonction entre les révoltes de banlieue et le mouvement étudiant contre le CPE…

2006 - 2012 : les choses ont-elles changé ?

(Commentaires désactivés)
 Twitter        
 Contact |   Faire un don
logo
« Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »
© CopyLeft :
Diffusion du contenu autorisée et même encouragée.
Merci de mentionner les sources.