Nouveau tour de chauffe pour le projet de loi travail, qui est examiné aujourd’hui en commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, après son passage par la commission économique, alors que deux nouvelles journées d’action, aujourd’hui à l’initiative principalement des jeunes, et samedi, sont programmées contre cette réforme. Le texte arrive lesté d’environ 750 amendements, déposés à la veille du week-end. Soit des amendements de suppression, comme pour une partie des écologistes ou le Front de gauche, pour qui « la refondation du Code du travail, telle qu’elle est formulée dans l’article 1er, repose sur l’inversion de la hiérarchie des normes et par conséquent constitue un recul sans précédent des droits et libertés des salariés ». Soit pour aménager à la marge le texte, comme cet amendement socialiste qui aligne les chambres d’agriculture sur le droit commun en termes de représentativité des organisations syndicales.
Manuel Valls devrait recevoir « avant la mi-avril »les organisations de jeunesse
Catherine Lemorton, la présidente PS de la commission des Affaires sociales, entend, elle, « muscler » le compte personnel d’activité (CPA). Sans compter les amendements à venir du gouvernement et du rapporteur du projet, Christophe Sirugue (PS, Saône-et-Loire). Celui-ci, à l’instar d’autres députés socialistes, entend améliorer le texte, il veut notamment revenir sur l’encadrement du licenciement économique, les accords de maintien dans l’emploi (et le licenciement « pour motif personnel » imposé aux salariés qui les refuseraient), les mesures spécifiques pour les petites entreprises. Le rapporteur veut aussi des changements sur les heures supplémentaires ou les accords dits offensifs qui pourront entraîner, si un salarié les refuse, un licenciement pour motif non économique.
Devant le député PCF André Chassaigne, la ministre a pourtant assuré que son projet « encadre » simplement le licenciement économique.
Pour le gouvernement, qui tente de sauver à l’Assemblée un texte contesté au sein du groupe socialiste et dans le reste de la gauche, et désormais boudé par la droite depuis sa réécriture partielle, il s’agit de contenir l’incendie. Manuel Valls, chargé de déminer la contestation parmi la jeunesse, devrait recevoir « avant la mi-avril » les organisations de jeunesse à Matignon. Dans l’intervalle, le président de l’Unef, William Martinet, sera reçu mercredi par les ministres de l’Éducation, du Travail et de la Jeunesse, pour « améliorer l’ensemble des politiques publiques vers la jeunesse » et leur accès au marché du travail. À cette ouverture en direction de l’Unef, quand jusqu’ici les réformistes de la Fage étaient les interlocuteurs privilégiés, a répondu par avance la coordination nationale étudiante, réunie à Rennes ce week-end et issue de 70 universités et établissements d’enseignement supérieur. Ses membres continuent de réclamer « le retrait total et sans négociation » du projet gouvernemental et appellent à « intensifier les rythmes de mobilisation » au delà de ce mardi et de la journée de samedi, pour poursuivre le mouvement « le 12, le 14, le 20 avril ».
Compter sur un retour en cours dans les universités en échange de quelques mesures d’insertion des jeunes et sur les vacances scolaires des Franciliens apparaît un pari risqué. Une majorité des Français (1) interrogés par BVA pour I-Télé soutient la mobilisation (56 %) et pense (51 %) que le texte devrait être retiré et « entièrement réécrit ». Le soutien au mouvement « décroît avec l’âge », note BVA : il est plus fort chez les moins de 35 ans (72 %) que
chez les 65 ans et plus (32 %). Les chiffres varient dans une moindre mesure en fonction du statut social : 70 % des ouvriers et 65 % des moins diplômés soutiennent le mouvement, mais aussi 55 % des cadres. On n’est pas loin de la « grève par procuration » décelée en 1995. Le tableau que brosse ce sondage est ainsi à l’exact inverse de ce que défend le gouvernement, pour qui le projet est d’abord en direction des jeunes et des plus fragiles : les premiers intéressés n’y croient pas.
Les cadres boudent la loi
À l’image de leur confédération goûtant peu le diktat du Medef, les cadres sont en majorité sceptiques envers la loi El Khomri, selon un sondage Viavoice pour HEC, le Figaro et France Inter, publié lundi. Près des deux tiers d’entre eux (62 %) estiment qu’elle n’aura pas d’effet sur l’économie et l’emploi, et 66 % pensent qu’elle « ne favorisera pas la création d’emplois en France ». Les cadres doutent encore plus de ses effets au niveau microéconomique : pour 75 % de ceux du secteur privé, la loi El Khomri n’aura pas d’impact sur l’économie de leur propre entreprise, ni sur l’emploi à cette échelle pour 78 % d’entre eux.
Lionel VENTURINI, mardi 5 avril 2016.
L’HUMANITÉ.
(Les illustrations ont été ajoutées par LGS).
(1) Sondage réalisé en ligne le 31 mars et le 1er avril 2016 auprès d’un échantillon représentatif de 998 personnes, selon la méthode des quotas.