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De militaires à militaires - sur le partage du renseignement étasunien dans la guerre en Syrie (London Review of Books)

L’insistance répétée de Barack Obama selon laquelle Bachar al-Assad doit quitter ses fonctions – et selon laquelle il y aurait des groupes rebelles « modérés » en Syrie capables de le vaincre – a provoqué ces dernières années une dissidence feutrée, et même une opposition ouverte, chez certains des officiers les plus gradés de l’État-major interarmées du Pentagone.

Leur critique a mis l’accent sur ce qu’ils considèrent comme la fixation de l’administration sur le principal allié d’Assad, Vladimir Poutine. À leur avis, Obama est prisonnier d’une pensée issue de la guerre froide lorsqu’il s’agit de la Russie et la Chine, et n’a pas ajusté sa position sur la Syrie au fait que ces deux pays partagent l’inquiétude de Washington quant à la propagation du terrorisme en Syrie et au-delà ; comme Washington, ils croient que l’État islamique doit être endigué.

La réticence au sein de l’armée remonte à l’été 2013, lorsqu’une évaluation hautement confidentielle, réalisée par la Defense Intelligence Agency (DIA – Services de renseignement de l’armée) et les chefs d’état-major, dirigé à l’époque par le général Martin Dempsey, prédisait que la chute du régime Assad conduirait au chaos et, potentiellement, à la prise de contrôle de la Syrie par des extrémistes djihadistes, à l’image de ce qui se déroulait alors en Libye. Un ancien haut conseiller de l’État-major m’a dit que le document était une évaluation « toutes-sources confondues », réalisée à partir d’échanges interceptés, par satellite et par des sources humaines, et voyait d’un mauvais œil l’insistance de l’administration Obama à continuer à financer et armer les soi-disant groupes rebelles modérés. A cette époque, la CIA conspirait depuis plus d’un an avec les alliés du Royaume-Uni, de l’Arabie saoudite et du Qatar pour livrer en Syrie des armes et du matériel – destinés au renversement d’Assad – provenant de Libye, via la Turquie. Le document désignait la Turquie comme un obstacle majeur à la politique d’Obama en Syrie. Le document montrait, m’a dit le conseiller, « que ce qui avait commencé comme un programme étasunien secret pour armer et soutenir les rebelles modérés en lutte contre Assad avait été coopté par la Turquie, et s’était transformé en un programme d’assistance technique, militaire et logistique à l’ensemble de l’opposition, y compris Jabhat al-Nusra et l’Etat islamique. Les soi-disants modérés s’étaient évaporés et l’Armée Syrienne Libre n’était plus qu’un groupe stationné sur une base aérienne en Turquie. » L’évaluation était sombre : il n’y avait pas d’opposition modérée « viable » à Assad, et les Etats-Unis étaient en train d’armer les extrémistes.

Le lieutenant-général Michael Flynn, directeur de la DIA entre 2012 et 2014, a confirmé que son agence avait envoyé un flux constant de petites mises en garde à la direction civile sur les conséquences désastreuses d’un renversement d’Assad. Les djihadistes, dit-il, contrôlaient l’opposition. La Turquie ne faisait pas assez pour arrêter la contrebande d’armes et de combattants étrangers à travers la frontière. « Si le public des Etats-Unis prenait connaissance des informations que nous récoltons chaque jour, au niveau le plus sensible, il serait fou de rage, » m’a dit Flynn. « Nous avons compris la stratégie à long terme de l’EI et ses plans de campagne, et nous avons également discuté du fait que la Turquie faisait semblant de ne rien voir quant à la croissance de l’État islamique en Syrie. » Le rapport de la DIA, dit-il, a été farouchement rejeté par l’administration Obama. « Je sentais qu’ils ne voulaient pas entendre la vérité. »

« Notre politique d’armer l’opposition à Assad avait échoué et avait même un impact négatif, » a déclaré l’ancien conseiller auprès de l’Etat-major. « Les chefs d’état-major pensaient qu’Assad ne devait pas être remplacé par des fondamentalistes. La politique de l’administration était contradictoire. Ils voulaient le départ d’Assad mais l’opposition était dominée par des extrémistes. Alors, par qui le remplacer ? Dire qu’Assad doit partir, c’est bien, mais si on va au bout de cette logique, alors n’importe qui serait mieux. Et c’est ce « n’importe qui serait mieux » de la politique d’Obama qui posait problème à l’Etat-major. » Les chefs d’état-major ont senti qu’un défi direct à la politique d’Obama aurait eu « zéro chance de succès ». Donc, à l’automne de 2013, ils ont décidé de prendre des mesures contre les extrémistes, sans passer par les canaux politiques, en fournissant les renseignements des services des Etats-Unis aux forces armées d’autres nations, avec l’idée qu’ils seraient transmis à l’armée syrienne et utilisés contre l’ennemi commun, Jabhat al-Nusra et l’Etat islamique.

L’Allemagne, Israël et la Russie étaient en contact avec l’armée syrienne et en mesure d’exercer une certaine influence sur les décisions d’Assad – c’était à travers eux que les renseignements étasuniens seraient transmis. Chacun avait ses raisons pour coopérer avec Assad : l’Allemagne craignait ce qui pourrait arriver parmi sa propre population de six millions de musulmans si l’État islamique se renforçait ; Israël était préoccupé par la sécurité de ses frontières ; La Russie avait de très longue date une alliance avec la Syrie et était inquiète par la menace pesant sur sa seule base navale en Méditerranée, à Tartous. « Nous n’avions pas l’intention de changer la politique déclarée d’Obama, » a dit le conseiller. « Mais le partage de nos renseignements via des relations de militaires à militaires avec d’autres pays pouvait se révéler productif. Il était clair qu’Assad avait besoin de meilleurs renseignements tactiques et conseils opérationnels. L’Etat-major a conclu que si ces besoins étaient satisfaits, la lutte globale contre le terrorisme islamiste serait renforcée. Obama n’était pas au courant, mais Obama ne sait pas ce que l’Etat-major fait en toute circonstance et sous chaque président ».

Lorsque le flux de renseignements étasuniens a commencé, l’Allemagne, Israël et la Russie ont commencé à transmettre des informations à l’armée syrienne sur la localisation et les intentions des groupes de djihadistes radicaux ; en retour, la Syrie a fourni des informations sur ses propres capacités et ses intentions. Il n’y avait pas de contact direct entre les Etats-Unis et l’armée syrienne ; au lieu de cela, déclara le conseiller, « nous avons fourni les informations – y compris des analyses à long terme sur l’avenir de la Syrie, effectuées par des sous-traitants ou par une de nos écoles de guerre – et ces pays pouvaient en faire ce que bon leur semblait, y compris les partager avec Assad. Nous disions aux Allemands et aux autres : « Voici quelques informations assez intéressantes et notre intérêt est partagé. » Fin de la conversation. L’Etat-major pouvait conclure que quelque chose de bénéfique en découlerait – mais il s’agissait d’une affaire entre militaires, et non d’une sorte de complot sinistre de l’Etat-major pour doubler Obama et soutenir Assad. C’était beaucoup plus intelligent que ça. Si Assad reste au pouvoir, ce ne sera pas grâce à ce que nous avons fait. Il y restera parce qu’il sera assez intelligent pour utiliser l’information et les conseils tactiques que nous aurons fournis à d’autres ».

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L’histoire officielle des relations entre les Etats-Unis et la Syrie au cours des dernières décennies a été celle d’une inimitié. Assad a condamné les attaques du 11 septembre, mais s’est opposé à la guerre en Irak. George W. Bush a, tout au long de sa présidence, sans cesse inclus la Syrie dans la liste des pays de l’ « axe du mal » – l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord. Les câbles du département d’État, rendus publics par WikiLeaks, montrent que l’administration Bush a tenté de déstabiliser la Syrie et que ces efforts se sont poursuivis sous Obama. En décembre 2006, William Roebuck, alors responsable de l’ambassade des Etats-Unis à Damas, a rendu une analyse des « vulnérabilités » du gouvernement Assad et une énumération de méthodes « qui permettront d’améliorer la probabilité » de possibilités de déstabilisation. Il a recommandé que Washington collabore avec l’Arabie saoudite et l’Egypte pour augmenter les tensions confessionnelles et se focaliser sur la publicité « des efforts syriens contre les groupes extrémistes » – dissidents Kurdes et factions sunnites radicales – « d’une manière qui suggère une faiblesse, des signes d’instabilité, et de réactions incontrôlées » ; et que « l’isolement de la Syrie » devaient être encouragé par le soutien des Etats-Unis au Front National de Salut, dirigé par Abdul Halim Khaddam, un ancien vice-président syrien dont le gouvernement en exil à Riyad était soutenu financièrement par les Saoudiens et les Frères musulmans. Un autre câble de 2006 a montré que l’ambassade avait versé 5 millions de dollars de financement aux dissidents qui ont présenté des candidats indépendants à l’Assemblée du peuple ; les versements ont été maintenus, même lorsqu’il était devenu évident que les services de renseignements syriens étaient au courant. Un câble de 2010 a averti que le financement d’une chaîne de télévision basée à Londres, dirigée par un groupe de l’opposition syrienne, serait considéré par le gouvernement syrien « comme un geste clandestin et hostile envers le régime ».

Mais il y a aussi, au cours de la même période, une histoire parallèle d’une coopération dans l’ombre entre la Syrie et les États-Unis. Les deux pays ont collaboré contre Al-Qaida, leur ennemi commun. Un consultant de longue date auprès de l’Etat-major a déclaré que, après le 11 septembre, « Bachar nous fut, pendant des années, extrêmement utile alors que, à mon avis, nous fûmes très peu reconnaissants en retour, et maladroits dans notre utilisation des trésors qu’il nous avait a donnés. Cette coopération discrète a continué chez certains, même après la décision [de l’administration Bush] de le vilipender. » En 2002, Assad a autorisé les renseignements syriens a remettre des centaines de fichiers internes sur les activités des Frères musulmans en Syrie et en Allemagne. Plus tard, cette année, ces services de renseignement ont déjoué une attaque d’Al-Qaida contre le siège de la Cinquième Flotte de l’US Navy à Bahreïn, et Assad a accepté de fournir à la CIA le nom d’un informateur vital d’al-Qaida. En violation de cet accord, la CIA a contacté directement l’informateur ; ce dernier a rompu le contact et ses relations avec ses gestionnaires syriens. Assad a aussi discrètement remis aux Etats-Unis des parents de Saddam Hussein qui avaient cherché refuge en Syrie, et – comme les alliés des Etats-Unis en Jordanie, Egypte, Thaïlande et ailleurs – il a fait torturer des terroristes présumés pour la CIA dans une prison de Damas.

C’est cette histoire de coopération qui a permis en 2013 que Damas soit d’accord avec le nouvel arrangement de partage indirect de renseignements avec les Etats-Unis. L’Etat-major a fait savoir que, en retour, les États-Unis voulaient quatre choses d’Assad : qu’il empêche le Hezbollah d’attaquer Israël ; qu’il renouvelle les négociations bloquées avec Israël pour parvenir à un accord sur les hauteurs du Golan ; qu’il accepte des conseillers militaires Russes et autres ; et qu’il s’engage à tenir des élections libres après la guerre, avec un large éventail de factions inclus. « Nous avons eu des commentaires positifs de la part des Israéliens, qui étaient prêts à accepter cette idée, mais ils avaient besoin de savoir ce que serait la réaction de l’Iran et de la Syrie, » m’a dit le conseiller. « Les Syriens nous ont dit qu’Assad ne prendrait pas une décision de façon unilatérale – il avait besoin du soutien de ses alliés militaires et alaouites. L’inquiétude d’Assad était qu’Israël dise oui et ensuite ne tienne pas parole. » Un conseiller du Kremlin sur les affaires au Moyen-Orient m’a dit qu’à la fin de 2012, après avoir subi une série de revers sur le champ de bataille et des défections militaires, Assad avait approché Israël via un contact à Moscou et avait proposé de rouvrir les négociations sur les hauteurs du Golan. Les Israéliens avaient rejeté l’offre. L’officiel russe m’a dit : « selon eux, Assad est fichu ». « Il est proche de la fin. » Il a dit que les Turcs avaient dit la même chose à Moscou. À la mi-2013, cependant, les Syriens pensaient que le pire était derrière eux, et voulaient des garanties que les Américains et d’autres étaient sérieux quant à leurs offres d’aide.

Dans les premiers stades des négociations, a dit le conseiller, les Chefs d’Etat-major ont tenté d’établir ce qu’Assad demandait comme un signe de leurs bonnes intentions. La réponse fut transmise par un des amis de M. Assad : « Appportez-lui la tête du prince Bandar ». Les Chefs d’Etat-major n’ont pas exaucé son voeu. Bandar bin Sultan avait servi l’Arabie Saoudite depuis des décennies dans le renseignement et les affaires de sécurité nationale, et avait passé plus de vingt ans comme ambassadeur à Washington. Au cours des dernières années, on l’a connu pour être un défenseur de l’élimination d’Assad de ses fonctions par tous les moyens. En mauvaise santé, il a démissionné l’année dernière du poste de directeur du Conseil de sécurité nationale saoudienne, mais l’Arabie saoudite continue d’être un important fournisseur de fonds à l’opposition syrienne, estimée par les services de renseignement étasuniens l’an dernier à $700 millions.

En Juillet 2013, les Chefs d’Etat-major ont trouvé un moyen plus direct de démontrer à Assad qu’ils étaient sérieux. A cette époque, le flux clandestin d’armes en provenance de Libye vers l’opposition syrienne, via la Turquie et couvert par la CIA, était en cours depuis plus d’un an (il a commencé peu de temps après la mort de Kadhafi, le 20 Octobre 2011). L’opération était menée principalement à partir d’une annexe secrète de la CIA à Benghazi, avec l’assentiment du département d’Etat. Le 11 Septembre 2012, l’ambassadeur des Etats-Unis en Libye, Christopher Stevens, fut tué lors d’une manifestation anti-américaine qui se finit par l’incendie du consulat des Etas-Unis à Benghazi ; des journalistes du Washington Post trouvèrent des copies de l’emploi du temps de l’ambassadeur dans les ruines de l’immeuble. Elles montrèrent que le 10 Septembre, Stevens avait rencontré le chef de l’opération de l’annexe de la CIA. Le lendemain, peu avant sa mort, il rencontra un représentant des services portuaires et maritimes d’Al-Marfa, une société basée à Tripoli et connue par l’état-major, selon le conseiller, comme la société chargé de transporter les armes.

A la fin de l’été 2013, l’évaluation de la DIA avait été largement diffusée, mais bien que beaucoup de personnes dans la communauté étasunienne du renseignement étaient au courant que l’opposition syrienne était dominée par des extrémistes, les armes payées par la CIA ont continué d’affluer, ce qui constituait un problème permanent pour l’armée d’Assad. Le stock d’armes de Kadhafi avait créé un bazar international d’armes, même si les prix étaient élevés. « Il n’y avait pas moyen d’arrêter des livraisons d’armes qui avaient été autorisées par le président, » a dit le conseiller. « Il fallait faire travailler les méninges. La CIA fut contactée par un représentant de l’Etat-major avec une suggestion : Il y avait des armes beaucoup moins coûteuses disponibles dans les arsenaux turcs qui pouvaient être expédiés aux rebelles syriens en quelques jours, et sans transport par bateau. » Il n’y avait pas que la CIA qui y trouvait un avantage. « Nous avons travaillé avec des Turcs de confiance qui n’étaient pas fidèles à Erdogan, » a dit le conseiller, « et nous les avons amenés à envoyer aux djihadistes en Syrie toutes les armes obsolètes de l’arsenal, y compris des fusils M1 qu’on n’avait pas vus depuis la guerre de Corée et beaucoup d’armes soviétiques. C’était un message qu’Assad pouvait comprendre : « Nous avons le pouvoir d’entraver une politique décidée par le Président »  »

La transmission des renseignements américains à l’armée syrienne, et la dégradation de la qualité des armes fournies aux rebelles, sont arrivées à un moment critique. L’armée syrienne avait subie de lourdes pertes au cours du printemps 2013 dans la lutte contre Jabhat al-Nusra et d’autres groupes extrémistes lorsqu’elle a perdu la capitale de la province de Raqqa. Des raids sporadiques de l’armée et des forces aériennes syriennes se sont poursuivies dans la région pendant quelques mois, avec peu de succès, jusqu’à ce qu’il fut décidé de se retirer de Raqqa et d’autres régions peu peuplées et difficiles à défendre dans le nord et l’ouest du pays et de se concentrer plutôt sur la consolidation de l’emprise du gouvernement sur Damas et les zones fortement peuplées reliant la capitale à Lattaquié dans le nord-est. Mais alors que l’armée gagnait en force avec le soutien de l’Etat-major interarmées, l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie ont intensifié leur financement et armement de Jabhat al-Nusra et de l’Etat islamique qui, à la fin de 2013, avaient remporté des victoires énormes des deux côtés de la frontière en la Syrie et l’Iraq. Les rebelles non-fondamentalistes qui restaient se sont retrouvés à mener des batailles rangées – et à les perdre – contre les extrémistes. En Janvier 2014, l’EI prit le contrôle total de Raqqa et des zones tribales à l’entour, contrôlés alors par al-Nusra, et a établi la ville comme sa base. Assad contrôlait toujours 80 pour cent de la population syrienne, mais il avait perdu une grande quantité du territoire.

Les efforts de la CIA pour former les forces rebelles modérés étaient également en train d’échouer lamentablement. « Le camp d’entraînement de la CIA était situé en Jordanie et était contrôlé par un groupe tribal syrien » selon le conseiller. On soupçonnait que certains de ceux qui s’étaient enrôlés pour la formation étaient en fait des soldats de l’armée syrienne sans leurs uniformes. On avait déjà connu cela, au plus fort de la guerre en Irak, lorsque des centaines de membres des milices chiites se sont présentés aux camps d’entraînement des Etats-Unis pour recevoir de nouveaux uniformes, des armes et une formation de quelques jours, puis ont disparu dans le désert. Un programme de formation distinct, mis en place par le Pentagone en Turquie, n’a pas fait mieux. Le Pentagone a reconnu en Septembre que seulement « quatre ou cinq » de ses recrues combattaient encore l’Etat islamique ; quelques jours plus tard, 70 ont fait défection et rejoint Jabhat al-Nusra immédiatement après avoir traversé la frontière vers la Syrie.

En Janvier 2014, se désespérant devant l’absence de progrès, John Brennan, le directeur de la CIA, a convoqué les chefs de renseignement étasuniens et arabes sunnites de tout le Moyen-Orient à une réunion secrète à Washington, dans le but de persuader l’Arabie saoudite de cesser de soutenir les extrémistes en Syrie. « Les Saoudiens nous ont dit qu’ils séraient heureux de nous entendre, » a dit le conseiller, « alors tout le monde est venu à Washington pour entendre Brennan leur dire qu’ils devaient s’allier aux soi-disant modérés. Son message était que si tout le monde dans la région cessait de soutenir al-Nusra et l’EI, leurs munitions et armes s’épuiseraient, et les modérés prendraient le dessus. » Les Saoudiens ont ignoré le message de Brennan, a dit le conseiller, et ils « sont rentrés à la maison et ont accru leurs efforts en faveur des extrémistes et nous ont demandé plus de soutien technique. Et nous avons répondu OK, et le résultat fut que nous nous sommes retrouvés en train de renforcer les extrémistes. »

Mais les Saoudiens étaient loin d’être le seul problème : les services de renseignement des Etats-Unis avaient accumulé et intercepté des informations démontrant que le gouvernement Erdoğan soutenait Jabhat al-Nusra depuis des années, et était en train de faire la même chose pour l’Etat islamique. « Nous pouvons gérer les Saoudiens, » a dit le conseiller. « Nous pouvons gérer les Frères musulmans. Vous pouvez prétendre que tout l’équilibre au Moyen-Orient est basé sur une forme de destruction mutuelle assurée entre Israël et le reste du Moyen-Orient, et la Turquie peut perturber cet équilibre – ce qui est le rêve d’Erdoğan. Nous lui avons dit que nous voulions qu’il arrête le flux de djihadistes étrangers qui se déversait en Turquie. Mais il a des rêves de grandeur – la restauration de l’Empire ottoman – et ne savait pas à quel point il pouvait être couronné de succès. »

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Une des constantes dans les affaires des États-Unis depuis la chute de l’Union soviétique a été une relation de militaires à militaires avec la Russie. Après 1991, les Etats-Unis ont dépensé des milliards de dollars pour aider la Russie à sécuriser son complexe d’armes nucléaires, incluant une opération conjointe hautement secrète pour éliminer l’uranium de qualité des dépôts de stockage non sécurisés au Kazakhstan. Des programmes conjoints visant à surveiller la sécurité des matières de qualité militaire se sont poursuivies pendant 20 ans. Pendant la guerre menée par les Etats-Unis en Afghanistan, la Russie a accordé des droits de survol pour les avions de transport étasuniens, ainsi que l’accès pour la circulation des armes, des munitions, de la nourriture et de l’eau quotidiens nécessaires à la machine de guerre étasunienne. L’armée russe a fourni des renseignements sur les allées et venues d’Oussama ben Laden et a aidé les Etats-Unis à négocier le droit d’utiliser une base aérienne au Kirghizistan. Les Chefs d’Etat-major ont été en communication avec leurs homologues russes pendant toute la guerre en Syrie, et les liens entre les deux armées s’établissent d’abord au sommet. Au mois d’Août, quelques semaines avant sa retraite en tant que Chef d’Etat-major, Dempsey a effectué une visite d’adieu au siège des Forces de défense irlandaises à Dublin et a déclaré à son auditoire qu’il avait pris soin en cours de son mandat de rester en contact avec le chef de l’Etat-major russe, le général Valery Gerasimov. « Je lui ai même suggéré que nous ne terminions pas nos carrières comme nous les avions commencées. » a déclaré Dempsey – l’un était commandant de chars en Allemagne de l’Ouest, et l’autre à l’Est.

Lorsqu’il s’agit de l’État islamique, la Russie et les Etats-Unis ont beaucoup à s’offrir. Beaucoup de cadres et militants de l’EI ont combattu pendant dix ans contre la Russie dans les deux guerres de Tchétchénie qui ont commencé en 1994, et le gouvernement Poutine a beaucoup investi dans la lutte contre le terrorisme islamiste. « La Russie connaît la direction de l’EI, » a dit le conseiller, « et a un aperçu de ses techniques opérationnelles, et a beaucoup de renseignements à partager. » En retour, dit-il, « nous avons d’excellents formateurs avec des années d’expérience dans la formation de combattants étrangers – une expérience que la Russie n’a pas ». Le conseiller a refusé de discuter un avantage que les services de renseignement des Etats-Unis sont soupçonnés d’avoir : la capacité d’obtenir des données sur des cibles, souvent par le versement d’énormes sommes d’argent à certaines sources au sein des milices rebelles.

Un ancien conseiller de la Maison Blanche sur les affaires russes m’a dit que, avant le 11 septembre, Poutine « avait pour habitude de nous dire : « Nous avons les mêmes cauchemars mais à des endroits différents. » Il faisait allusion à ses problèmes avec le califat en Tchétchénie et nos premiers problèmes avec al-Qaida. A présent, après l’attentat contre l’avion civil russe au-dessus du le Sinaï et les massacres à Paris et ailleurs, il est difficile d’éviter la conclusion que nous avons en réalité les mêmes cauchemars aux mêmes endroits. »

Pourtant, l’administration Obama continue de condamner la Russie pour son soutien à Assad. Un diplomate de haut rang à la retraite qui a servi à l’ambassade des Etats-Unis à Moscou a exprimé sa sympathie pour le dilemme d’Obama en tant que leader de la coalition occidentale opposée à l’agression de la Russie contre l’Ukraine : « l’Ukraine est un problème grave et Obama le gère fermement avec les sanctions nécessaires. Mais notre politique vis-à-vis de la Syrie n’est pas assez souvent ciblée. Il ne s’agit pas de nous en Syrie. Il s’agit de faire en sorte que Bachar ne perde pas. La réalité est que Poutine ne veut pas voir le chaos en Syrie s’étendre à la Jordanie ou au Liban, comme cela s’est produit pour l’Irak, et il ne veut pas voir la Syrie tomber entre les mains de l’EI. La chose la plus contre-productive qu’Obama a faite, et cela a fait beaucoup du mal à nos efforts pour mettre fin aux combats, a été de dire : " le départ d’Assad est une prémisse à toute négociation"  » Il a également fait écho à une opinion partagée par certains au Pentagone lorsqu’il a fait allusion à un autre facteur derrière la décision russe du 30 septembre de lancer des frappes aériennes pour appuyer l’armée syrienne : le désir de Poutine d’empêcher qu’Assad connaisse le même sort que Kadhafi. On dit que Poutine a regardé à trois reprises une vidéo de la mise à mort sauvage de Kadhafi, une vidéo qui montre Kadhafi être sodomisé avec une baïonnette. Le conseiller m’a également dit qu’un rapport du renseignement américain conclut que Poutine avait été consterné par le sort de Kadhafi : « Poutine se rend responsable d’avoir abandonné Kadhafi, de n’avoir pas joué un rôle plus important dans les coulisses » à l’ONU lorsque la coalition occidentale a fait du lobbying pour être autorisée à lancer les frappes aériennes qui ont détruit le régime. « Poutine croit que s’il ne s’engage pas, Bachar subira le même sort – mutilé. Et il assisterait à la destruction de ses alliés en Syrie ».

Dans un discours prononcé le 22 Novembre, Obama a déclaré que les « cibles principales » des frappes aériennes russes « ont été l’opposition modérée ». C’est un discours duquel l’administration – ainsi que la plupart des médias étasuniens traditionnels – s’écartent rarement. Les Russes affirment avec force qu’ils ciblent tous les groupes rebelles qui menacent la stabilité de la Syrie – y compris l’Etat islamique. Le conseiller du Kremlin sur le Moyen-Orient a expliqué dans une interview que la première vague de frappes aériennes russes visait à renforcer la sécurité autour d’une base aérienne russe à Lattaquié, un bastion alaouite. L’objectif stratégique, a-t-il dit, était d’établir un couloir libéré de Damas à Lattaquié et la base navale russe à Tartous et ensuite de diriger les bombardements progressivement vers le sud et l’est, avec une plus grande concentration des missions de bombardement au-dessus des zones tenues par l’EI. Des frappes russes sur des cibles de l’EI à Raqqa et les environs ont été signalées dès le début d’Octobre ; en Novembre, il y eut de nouvelles frappes sur les positions de l’EI près de la ville historique de Palmyre et dans la province d’Idlib, un bastion âprement disputé à la frontière turque.

Les incursions russes dans l’espace aérien turc ont commencé peu de temps après que Poutine eut autorisé les bombardements, et la force aérienne russe a déployée des systèmes de brouillage électronique qui interféraient avec les radars turcs. Le message envoyé à l’armée de l’air turque, a déclaré le conseiller, était : « Nous allons faire voler nos avions de combat là où nous voulons et quand nous le voulons et brouiller vos radars. Ne déconnez pas avec nous. Poutine a fait savoir aux Turcs ce à quoi ils avaient affaire. » L’agression de la Russie a conduit à des plaintes turques et des dénégations russes, provoquant des patrouilles de frontière plus agressives par l’armée de l’air turque. Il n’y eut aucun incident notable jusqu’au 24 Novembre, lorsque deux chasseurs F-16 turcs, apparemment agissant en vertu de règles d’engagement plus agressifs, ont abattu un avion russe Su-24M qui avaient traversé l’espace aérien turc pendant 17 secondes au plus. Dans les jours qui ont suivi, Obama a exprimé son soutien à Erdoğan, et après leur rencontre privé du 1er Décembre, il a dit lors d’une conférence de presse que son administration était « très attachée à la sécurité et souveraineté de la Turquie ». Il a dit que tant que la Russie était l’alliée d’Assad, « beaucoup de moyens russes vont toujours cibler des groupes de l’opposition ... que nous soutenons ... Je ne pense donc pas que nous devrions avoir l’illusion qu’en quelque sorte la Russie ne frapperait que des cibles de l’EI. Ce n’est pas le cas. Cela n’a jamais été le cas. Et cela ne sera pas le cas dans les semaines qui viennent. »

Le conseiller du Kremlin pour le Moyen-Orient, à l’instar des chefs d’Etat-major et la DIA, rejettent les « modérés » qui ont le soutien d’Obama, et les voit comme des groupes islamistes extrémistes qui se battent aux côtés de Jabhat al-Nusra et l’EI (« Inutile de jouer sur les mots et de distinguer les terroristes modérés et non modérés, » a déclaré M. Poutine lors d’un discours prononcé le 22 Octobre). Les généraux étasuniens les considèrent comme des milices épuisées qui ont été forcés de s’accommoder de Jabhat al-Nusra pour une question de survie. À la fin de 2014, Jürgen Todenhöfer, un journaliste allemand autorisé à passer dix jours à visiter le territoire contrôlé par l’EI en Irak et en Syrie, a déclaré à CNN que la direction de l’EI « rigole à propos de l’Armée Libre Syrienne. Ils ne les prennent pas au sérieux. Ils disent : « Les meilleures vendeurs d’armes dont nous disposons sont ceux de l’ASL. S’ils obtiennent une bonne arme, ils nous la vendent. » Ils ne les prennent pas au sérieux. Ils prennent Assad au sérieux. Ils prennent au sérieux, bien sûr, les bombes. Mais ils n’ont peur de rien, et l’ASL ne compte pas. »

La campagne de bombardement de Poutine a provoqué une série d’articles anti-Russes dans la presse des Etats-Unis. Le 25 Octobre, le New York Times a rapporté, citant des responsables de l’administration Obama, que les sous-marins russes et les navires d’espionnage étaient "agressifs" près des câbles sous-marins qui transportent une bonne partie du trafic Internet dans le monde – bien que, comme l’article l’a ensuite reconnu, il n’y avait « pas encore de preuves » d’une quelconque tentative russe d’interférer avec ce trafic. Dix jours plus tôt, le Times a publié un résumé des intrusions russes dans ses anciennes républiques satellites soviétiques, et décrit le bombardement russe en Syrie comme étant « à certains égards, un retour aux ambitieux mouvements militaires du passé soviétique ». L’article n’a pas mentionné que l’administration Assad avait invité la Russie à intervenir, ni que les bombardements étasuniens à l’intérieur de la Syrie qui se déroulaient depuis Septembre dernier l’étaient sans l’accord de la Syrie. Un éditorial du mois d’octobre dans le même journal de Michael McFaul, l’ambassadeur d’Obama en Russie entre 2012 et 2014, a déclaré que la campagne aérienne de Russie attaquait « tout le monde sauf l’Etat islamique ». Les articles anti-Russes n’ont pas diminué après l’attentat revendiqué par l’Etat Islamique contre l’avion de ligne russe. Peu de gens dans le gouvernement et les médias des Etats-Unis se sont demandés pourquoi l’EI viserait un avion de ligne russe, avec ses 224 passagers et membres d’équipage, si l’armée de l’air russe n’attaquait que les « modérés » syriens.

Pendant ce temps, les sanctions économiques contre la Russie sont toujours en vigueur pour ce qu’un grand nombre d’Américains considèrent comme des crimes de guerre de Poutine en Ukraine, ainsi que les sanctions du département du Trésor des États-Unis contre la Syrie et contre les Américains qui y font des affaires. Le New York Times, dans un article sur les sanctions publié fin novembre, a relancé une vieille et affirmation sans fondement selon laquelle les actions du Trésor « soulignent un argument que l’administration avance de plus en plus à propos de M. Assad tandis qu’elle cherche à faire pression sur la Russie pour abandonner son soutien au président syrien : bien qu’Assad prétende être en guerre contre les terroristes islamistes, il a une relation symbiotique avec l’État islamique qui lui a permis de survivre et de s’accrocher au pouvoir ».

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Les quatre éléments au cœur de la politique d’Obama envers la Syrie demeurent intacts aujourd’hui : une insistance qu’Assad doit partir ; qu’aucune coalition anti-EI avec la Russie n’est possible ; que la Turquie est une alliée indéfectible dans la guerre contre le terrorisme ; et qu’il existe réellement des forces d’opposition modérées importantes que les Etats-Unis peuvent soutenir. Les attentats à Paris du 13 Novembre qui ont tué 130 personnes n’ont pas modifié la position officielle de la Maison Blanche, bien que de nombreux dirigeants européens, dont François Hollande, aient préconisé une plus grande coopération avec la Russie et convenu d’une coordination plus étroite avec son armée de l’air ; on a aussi parlé de la nécessité d’être plus souple sur le calendrier du départ d’Assad. Le 24 Novembre, Hollande s’est envolé pour Washington pour discuter de la façon dont la France et les Etats-Unis pourraient collaborer plus étroitement dans la lutte contre l’État islamique. Lors d’une conférence de presse conjointe à la Maison Blanche, Obama a dit que lui et Hollande avaient convenu que « les frappes de la Russie contre l’opposition modérée ne font que renforcer le régime d’Assad, dont la brutalité a contribué à alimenter la montée » de l’EI. Hollande n’a pas été aussi loin, mais il a dit que le processus diplomatique à Vienne « entraînerait le départ de Bachar al-Assad ... un gouvernement d’unité est nécessaire. » La conférence de presse n’a pas abordé l’impasse beaucoup plus urgente entre les deux hommes sur la question d’Erdoğan. Obama a défendu le droit de la Turquie à défendre ses frontières ; Hollande a dit qu’il était « urgent » que la Turquie prenne des mesures contre les terroristes. Le conseiller m’a dit que l’un des principaux objectifs de Hollande à Washington avait été d’essayer de persuader Obama de rejoindre l’UE dans une déclaration conjointe de guerre contre l’Etat islamique. Obama a refusé. Les Européens avaient ostensiblement évité de s’adresser à l’OTAN, à laquelle la Turquie appartient, pour une telle déclaration. « Le problème, c’est la Turquie », a déclaré le conseiller.

Naturellement, Assad refuse qu’un groupe de dirigeants étrangers décide de son avenir. Imad Moustapha, actuel ambassadeur de la Syrie en Chine, était doyen de la faculté d’informatique de l’Université de Damas, et un proche collaborateur d’Assad, quand il a été nommé en 2004 comme Ambassadeur de Syrie aux Etats-Unis, un poste qu’il a occupé pendant sept ans. Moustapha est connu pour être un proche d’Assad, et on peut lui faire confiance pour répercuter ce qu’il pense. Il m’a dit que, pour Assad, céder le pouvoir signifierait capituler devant des « groupes terroristes armés » et que la présence de ministres dans un gouvernement d’union nationale – comme cela a été proposé par les Européens – serait considérée comme une dette envers les puissances étrangères qui les ont nommés. Ces puissances pourraient rappeler au nouveau président « qu’ils pouvaient facilement le remplacer comme ils l’ont fait avec son prédécesseur... Assad le doit à son peuple : il ne peut pas partir parce que les ennemis historiques de la Syrie exigent son départ. »

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Moustapha a également évoqué la Chine, une alliée d’Assad qui se serait engagée pour plus de $30 milliards à la reconstruction d’après-guerre en Syrie. La Chine, elle aussi, s’inquiète des menées de l’Etat islamique. « La Chine considère la crise syrienne sous trois angles, » dit-il : le droit international et la légitimité ; le positionnement stratégique mondial ; et les activités des Ouïghours djihadistes, de la province du Xinjiang dans l’extrême ouest de la Chine. Le Xinjiang borde huit pays – la Mongolie, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde – et, de l’avis de la Chine, sert d’entonnoir au terrorisme à travers le monde et en Chine. Beaucoup de combattants ouïghours actuellement en Syrie sont connus pour être membres du Mouvement islamique du Turkestan oriental – une organisation séparatiste souvent violente qui cherche à établir un état islamiste ouïghour au Xinjiang. « Le fait qu’ils ont été aidés par les services de renseignement turcs pour se rendre en Syrie via la Turquie a provoqué une très grande tension entre les services de renseignement chinois et turcs », a déclaré Moustapha. « La Chine est préoccupée que le soutien de la Turquie aux combattants ouïghours en Syrie puisse s’étendre dans l’avenir pour appuyer les visées de la Turquie dans le Xinjiang. Nous fournissons déjà aux services de renseignement chinois des informations concernant ces terroristes et les routes qu’ils ont empruntées pour rejoindre la Syrie  ».

Les préoccupations de Moustapha ont été reprises par un analyste des Affaires étrangères à Washington qui a suivi de près le passage des djihadistes à travers la Turquie vers la Syrie. L’analyste, dont les points de vues sont systématiquement recherchés par de hauts responsables gouvernementaux, m’a dit que « Erdoğan a amené des Ouïghours en Syrie par transport spécial tandis que son gouvernement s’agitait en faveur de leur lutte en Chine. Des terroristes musulmans Ouïghours et birmans qui s’échappent vers la Thaïlande réussissent à obtenir des passeports turcs et sont ensuite transportés vers la Turquie puis la Syrie » Il a ajouté qu’il y avait aussi un autre « réseau d’acheminement » pour les Ouïghours – les estimations vont de quelques centaines à plusieurs milliers au fil des ans – en provenance de Chine vers le Kazakhstan avec une étape éventuelle en Turquie, et ensuite vers une zone contrôlée par l’EI en Syrie. « Les services de renseignement des Etats-Unis, » dit-il,« ne reçoivent pas de bonnes informations sur ces activités parce que les initiés à l’intérieur qui sont mécontents de notre politique ne leur parlent pas. » Il a également dit qu’on « ne savait pas trop » si les responsables de la politique syrienne au sein du Département d’Etat et de la Maison Blanche « comprenaient ce qui se passe ». Le magazine IHS-Jane’s Defence Weekly a estimé en octobre que pas moins de cinq mille ouïghours et combattants en devenir étaient arrivés en Turquie depuis 2013, avec peut-être deux mille qui sont entrés en Syrie. Moustapha a dit qu’il avait des informations selon lesquelles « jusqu’à 860 combattants ouïghours se trouvent actuellement en Syrie. »

La préoccupation grandissante de la Chine pour le problème ouïghour et son lien avec la Syrie et l’Etat islamique ont intéressé Christina Lin, une universitaire qui a étudié les questions chinoises il y a dix ans lorsqu’elle travaillait au Pentagone sous Donald Rumsfeld. « J’ai grandi à Taiwan et j’ai rejoint le Pentagone en tant que critique de la Chine, » m’a dit Lin. « J’avais pour habitude de diaboliser les Chinois en tant qu’idéologues, et ils ne sont pas parfaits. Mais au fil des ans que je les vois s’ouvrir et en constante évolution. J’ai commencé à changer mon point de vue. Je vois la Chine comme un partenaire potentiel pour divers défis mondiaux, en particulier au Moyen-Orient. Il y a beaucoup d’endroits – la Syrie pour ne citer que celui-là – où les Etats-Unis et la Chine doivent coopérer à la sécurité régionale et la lutte contre le terrorisme » Quelques semaines plus tôt, dit-elle, la Chine et l’Inde, deux ennemis de la guerre froide qui « se détestaient plus que la Chine et les États-Unis, ont mené une série d’exercices antiterroristes conjoints. Et aujourd’hui, la Chine et la Russie veulent toutes deux coopérer sur les questions de terrorisme avec les États-Unis. » Selon la Chine, suggère Lin, les militants ouïghours qui ont rejoint la Syrie sont formés par l’Etat islamique en techniques de survie destinées à les aider lors de retours clandestins vers la Chine continentale, pour y mener de futures attaques terroristes. « Si Assad échoue, » a écrit Lin dans un article publié en septembre, « les combattants djihadistes de la Tchétchénie russe, du Xinjiang chinois et du Cachemire indien rentreront chez eux pour continuer le djihad, soutenus par une nouvelle et bien-équipée base syrienne au cœur du Moyen-Orient ».

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Le général Dempsey et ses collègues au sein de l’Etat-major ont exprimé leur dissidence en dehors des canaux bureaucratiques, et ont gardé leur poste. Le Général Michael Flynn, lui, l’a perdu. «  Flynn a subi la colère de la Maison Blanche en insistant qu’il fallait dire la vérité sur la Syrie », a déclaré Patrick Lang, un colonel de l’armée à la retraite qui a servi pendant près de dix ans comme officier du renseignement civil en chef sur le Moyen-Orient au sein des services de renseignement de l’armée (DIA). « Il pensait que la vérité était la meilleure option et ils l’ont poussé dehors. Il ne voulait pas se taire. » Flynn m’a dit que ses problèmes allaient au-delà de la Syrie. « Je secouais le cocotier à la DIAje ne faisais pas que déplacer les chaises longues sur le Titanic. C’était une réforme radicale. Je sentais que les dirigeants civils ne voulaient pas entendre la vérité. J’en ai souffert, mais je suis OK avec ça » Dans une récente interview au magazine Der Spiegel, Flynn s’est exprimé sans détours sur l’entrée de la Russie dans la guerre syrienne : « Nous devons travailler de manière constructive avec la Russie. Que cela nous plaise ou non, la Russie a pris la décision d’être là et d’agir militairement. Ils sont là, et cela a considérablement changé la dynamique. Donc, vous ne pouvez pas dire que la Russie est mauvaise, qu’elle doit rentrer chez elle Cela ne se produira pas. Soyons réalistes ».

Ils ne sont pas nombreux au Congrès des Etats-Unis à partager cette opinion. Une exception est Tulsi Gabbard, Démocrate de Hawaï et membre de la Commission des Armées à la Chambre des Représentants (Assemblée Nationale - NdT), qui fut Major au sein de la Garde Nationale et fut envoyée deux fois au Moyen-Orient. Dans une interview sur CNN en Octobre, elle a déclaré : « Les États-Unis et la CIA doivent cesser cette guerre illégale et contre-productive pour renverser le gouvernement syrien d’Assad et devraient rester concentrés sur la lutte contre ... les groupes extrémistes islamiques. »

« Est-ce que cela ne vous préoccupe pas, » a demandé l’intervieweur, « que le régime d’Assad a été brutal, tuant au moins 200 000 et peut-être 300 000 de ses propres citoyens ? »

« Les choses qui l’on raconte sur Assad aujourd’hui, » a répondu Gabbard, « sont les mêmes que celle qui ont été racontées sur Kadhafi, et ce sont les mêmes qui ont été racontées sur Saddam Hussein, par ceux qui prônaient... le renversement de ces régimes ... Si cela se produit ici, en Syrie ... nous nous retrouverons dans une situation avec beaucoup plus de souffrances, avec beaucoup plus de persécutions des minorités religieuses et des chrétiens en Syrie, et notre ennemi sera beaucoup plus fort. »

« Donc ce que vous dites, » a demandé l’intervieweur, « est que l’intervention aérienne russe et l’intervention terrestre iranienne – rendent un réel service aux Etats-Unis ? »

« Ils travaillent à vaincre notre ennemi commun, » répondit Gabbard.

Gabbard m’a dit plus tard que beaucoup de ses collègues du Congrès, démocrates et républicains, l’ont remerciée en privé pour avoir parlé. « Il y a beaucoup de personnes dans le public, et même au sein du Congrès, qui ont besoin que les choses soient clairement expliquées, » a dit Gabbard. « Mais c’est difficile lorsqu’il y a tellement de manipulations sur ce qui se passe. La vérité ne passe pas. » Il est rare pour un politicien de contester ouvertement la politique étrangère de son parti. Pour quelqu’un de l’intérieur, avec un accès aux informations les plus secrètes, parler ouvertement et de façon critique peut se conclure par une fin de carrière anticipée. Une dissidence bien informée peut être communiquée au moyen d’une relation de confiance entre un journaliste et quelqu’un de l’intérieur, mais cela se produit pratiquement toujours sous anonymat. Cependant, la dissidence existe. Le consultant de longue date ne put cacher son mépris quand je lui ai demandé son point de vue sur la politique des Etats-Unis en Syrie. « La solution en Syrie est juste devant notre nez, » dit-il. « Notre principale menace est l’EI et nous tous – les États-Unis, la Russie et la Chine – devons travailler ensemble. Bachar restera en fonction et, lorsque le pays sera stabilisé, il y aura une élection. Il n’y a pas d’autre solution. »

La relation indirecte de l’armée avec Assad a disparu lorsque Dempsey a pris sa retraite en Septembre. Son remplaçant, le général Joseph Dunford, a témoigné devant la Commission des armées du Sénat en Juillet, deux mois avant son entrée en fonction.

La voie d’accès indirecte de l’armée à Assad a disparu avec la retraite de Dempsey en septembre. Son remplaçant en tant que président de l’Etat-major des armées, le général Joseph Dunford, a témoigné devant le Comité des services armés du Sénat en Juillet, deux mois avant son entrée en fonction. « Si vous voulez le nom d’un pays qui pourrait constituer une menace existentielle pour les États-Unis, je citerais la Russie, » a dit Dunford. « Si vous observez leur comportement, il est pour le moins alarmant. » En Octobre, Dunford a rejeté d’un revers de la main les bombardements russes en Syrie, en déclarant devant la même commission que la Russie « ne combat pas » l’EI. Il a ajouté que les Etats-Unis doivent « travailler avec des partenaires turcs pour sécuriser la frontière nord de la Syrie » et « faire tout leur possible pour permettre à des forces choisies de l’opposition syrienne » – c’est à dire les « modérés » de combattre les extrémistes.

Obama a maintenant un Pentagone plus docile. Il n’y aura plus de défis indirects au sein de la direction militaire à sa politique de mépris envers Assad et de soutien à Erdoğan. Dempsey et ses collègues restent perplexes devant le soutien persistant d’Obama à Erdoğan, eu égard à l’épaisseur du dossier que les services de renseignements des états-Unis ont contre lui – et par le fait que M. Obama, en privé, est d’accord avec le contenu du dossier. « Nous savons ce que vous faites avec les radicaux en Syrie, » a déclaré le président au chef des services de renseignement d’Erdogan lors d’une réunion tendue à la Maison Blanche (comme je l’ai signalé dans le London Review of Books du 17 Avril 2014). L’Etat-major et la DIA ont constamment averti les dirigeants de Washington de la menace djihadiste en Syrie, et de son soutien par la Turquie. On ne les a jamais écoutés. Pourquoi ?

Seymour HERSH

Traduction "avec la retraite des derniers généraux US un peu sensés, la perspective d’Hillary Clinton présidente et Hollande réélu, je t’adresse mes chers et tendres adieux, belle et bleue planète" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

»» http://www.lrb.co.uk/v38/n01/seymour-m-hersh/military-to-military
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