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Effondrements (Pagina 12)

"Irresponsabilité. Egoïsme. Agir comme si les actes étaient sans conséquences. Enfants sans parents. Ecoles sans discipline. Récompenses sans effort. Crime sans châtiment. Droits sans responsabilité. Communautés hors de contrôle. Certains des pires aspects de la nature humaine tolérés, consentis-et parfois même encouragés-par un Etat et ses organismes qui en partie ont perdu littéralement la morale" . Le premier ministre britannique Divid Cameron a expliqué ainsi la violence déchaînée à Tottenham, un des quartiers les plus pauvres de Londres, et dans d’autres villes d’Angleterre (www.guardia.co.uk, 15/8/11). Il a qualifié la situation d’ "effondrement moral" .

J’ai oublié de signaler que le chômage des jeunes londoniens s’élève à 23 pour cent et est encore plus haut à l’intérieur du pays. Ou que les coûts de l’éducation universitaire en font quelque chose d’interdit, sauf pour les enfants de familles riches : 15.000 dollars annuels. J’oublie surtout le coût de 30 ans de thatchérisme pour de larges couches de la société britannique, les communautés dévastées par la désindustrialisation quelque que fut la couleur de l’autorité, conservatrice ou travailliste. Protester contre cet état de choses est "totalement inacceptable" , pour Theresa May, secrétaire d’Etat à l’Intérieur. La violence de la répression policière et la hâte de la Justice à appliquer des peines disproportionnées aux manifestants sont, en conséquence, nécessaires.

Il est vrai que des éléments ou des bandes ont commis des actions condamnables comme l’incendie de maisons et de petits commerces du voisinage, et le pillage de supermarchés. Pour Christian Guy, directeur du Centre pour la Justice Sociale (www.centerforsocialjustice.org.uk), les troubles furent le produit d’une opération bien coordonnée des bandes de la zone. La BBC de Londres a signalé, en revanche, qu’ "en réalité, peu (des arrêtés) sont des membres de bandes authentiques. Et "toute classe de personnes" -assistants d’éducation, un dessinateur graphique, des étudiants universitaires-ont été détenus pour avoir pris part au pillage. Paul Lewis, un journaliste du Guardian, qui passa cinq nuits à observer la violence, déclara qu’il est erroné de tenter de culpabiliser un groupe : "La seule généralisation plausible est que, dans l’ensemble, ils étaient jeunes et pauvres" (www.bbc.co.ukhttp://www.bbc.co.uk/,16/8/11).

L’intention de dissimuler les raisons de fonds paraît claire, aggravées par le nouveau plan d’austérité - que The Financial Times qualifie de "brutal" -, et le gouvernement conservateur ne trouve pas de meilleur chemin que de proposer quelques changements sociaux de courte portée, et, surtout, de revigorer la répression. "La police aura plus de pouvoirs" , insista la secrétaire May. Le cabinet de Cameron étudie la possibilité d’imposer des couvres-feu dans des zones spécifiques et d’appliquer des mesures restrictives aux mineurs de 16 ans (www.bbc.co.uk, 16/8/11). Aucune attention n’est prêtée à ce que le syndicat des travailleurs des services publics Unisom de Londres considère comme nécessaire : "Nous devons nous interroger pourquoi nos jeunes sont si en colère et comment nous pouvons les unir à notre communauté (http://lambethunison.blogspot.com/,9/8/11).

Les analyses psychologisantes abondent sur les raisons des pillages : "Les gens sans pouvoir se sentent soudain puissants et cela intoxique beaucoup" , dit le professeur John Pitts, un criminologue qui conseille diverses autorités londoniennes en matière de jeunes et de bandes (http://www.bbc.co.uk/news/magazine, 9/8/11). Ou ; "Il y a des évidences qui suggèrent que les leaders d’un bande souffrent de tendances psychopathiques" , souligne le Dr Lance Workman. C’est une autre forme de diaboliser la violence de jeunes exclus d’un avenir. Comme le signale le docteur Raul Zaffaroni, membre de la Cour Suprème de Justice d’Argentine et distingué pénaliste, le système châtie les délits qu’il provoque (La palabra de los muertos, Ediar, Buenos Aires, 2011).

Il faut se demander où réside le véritable "effondrement moral" du Royaume Uni. "La classe politique explore peu sa propre responsabilité dans la création de la marginalisation sociale qui conduit à l’ "anarchie" - avertit la chercheuse Michelle Chen (www.inthesetimes.com, 10/8/11). Cela suppose que le problème n’est pas l’excès policier, mais son insuffisance, qui n’est pas le manque d’opportunités éducationnelles ou de programmes pour la jeunesse dans ces quartiers, mais les parents qui ne peuvent contrôler leurs enfants" .

Il est possible, néanmoins, d’être d’accord avec le premier ministre David Cameron pour qui un Etat et ses organismes qui ont perdu en partie la morale tolèrent, permettent et même encouragent certains des pires aspects de la nature humaine. C’est ce que montrent les bombardements de la R.A.F. (forces aériennes britanniques - NdR) contre des populations civiles désarmées en Irak et en Afghanistan.

Juan Gelman

Source : http://pagina12.com.ar/diario/contratapa/13-174965-2011-08-21-html

Traduit de l’espagnol par G.J.

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COMMENTAIRES  

31/08/2011 10:59 par Alain L

"Cela suppose que le problème n’est pas l’excès policier, mais son insuffisance, qui n’est pas le manque d’opportunités éducationnelles ou de programmes pour la jeunesse dans ces quartiers, mais les parents qui ne peuvent contrôler leurs enfants" .

Il est avéré que Cameron et son staff, de par les indélicatesses, sorties dans la presse, de son équipe absolument avide, ainsi que par les soutiens répugnants dont il s’entoure - notamment l’ex-directeur du tabloïd espionnant les gens pour vomir ensuite sur eux et faire de l’argent avec ça - ne parle de rien d’autre que de sa propre faillite morale, faillite générique d’une classe de parasites brutaux dont il est un des plus profilés membres.

Presque aussi inquiétante est la réaction de la chercheuse, qui ne voit comme solution au problème des banlieues londonniennes, que la multiplication des forces de police.
On peut voir là un esprit d’époque que Cameron porte à incandescence, mais qui formate l’ensemble des élites, c’est-à -dire ceux qui échappent, pour l’heure à cette misère dos au mur qui se répand.
Cet esprit manifeste une volonté non pas de résoudre, mais de contenir, et une incapacité à voir les racines du mal : chômage endémique, racisme, déculturation généralisée diluant les possibilités de former un tissu collectif fédérateur et protecteur.

En quelque sorte, pour l’Angleterre préservée, voire choyée, il s’agit de considérer les personnes et les événements comme une menace. Deux, de valider et utiliser la contrainte alors qu’elle n’a pas de légitimité et n’aura aucun résultat probablement, si ce n’est l’inverse. Ce comportement typique des régimes autoritaires est sans doute validé et intériorisé comme horizon conceptuel indépassable, par la droite et la "gauche" anglaise.
On pourrait le comprendre comme une conséquence de la marchandisation du monde appliquée aux individus.

Les êtres transformés en marchandises ont pour caractéristique principale de ne pas avoir de caractéristiques et donc de ne pas mériter un traitement singulier, personnalisé. En quelque "ils" ne sont pas là , donc n’ont pas être des facteurs perturbateurs, ni même des éléments à prendre en compte a priori, pas plus qu’on n’articule le plan d’un quartier autour d’un lampadaire ou d’un abribus.

Etat d’esprit réifié, qui n’épargne pas les "élites". Elles aussi sont sommées par l’esprit-marchandise qui les traverse de même, de faire une réponse qui privilégie la circulation, le maintien d’un ordre sinon naturel qui soit une réponse évitant d’analyser des causes et de prendre en compte les demandes des gens, des personnes vivantes, des êtres. En quelque sorte, Cameron et la chercheuse arbitrent un match ou deux joueurs ont eu une jambe brisée, tant le match est dur. Mais pas peur de révéler l’affrontement réel, les enjeux qui dépassent et dénaturent ce qui apparaissait comme du sport, ils préfèrent dire " Jouez !".

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