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FBI contre FIFA : le jeu dur du "soft power"

Les agents du FBI qui ont fait éclater le scandale de la Fédération internationale de football à la fin mai en faisant arrêter un groupe d’étrangers en Suisse sont naturellement convaincus que leur seul but est de lutter contre la corruption. Les idéologues américains qui prônent le « R2P » - le « droit et la responsabilité de protéger » - n’ont aucun doute que l’intervention armée des États-Unis est un moyen approprié pour protéger les droits humains. Les officiers de l’Armée de l’Air qui bombardent les peuples en Afghanistan, au Pakistan ou au Yémen prennent pour acquis qu’ils sont en train d’éradiquer le terrorisme.

Après tout, les mauvaises choses comme la corruption, les violations des droits de l’homme, le terrorisme, existent dans le monde. Les États-Unis d’Amérique n’ont-ils pas été créés par les Pères fondateurs, sinon par Dieu, pour débarrasser le monde du mal ? Les agents du FBI, les éditorialistes des grands médias, les pilotes de l’Air Force, tous emmitouflés comme des astronautes dans le cocon isolant de la moralisation américaine, ne sont pas équipés pour douter de leurs propres bonnes intentions.

Le problème est qu’à l’extérieur de ce cocon, une majorité croissante de gens dans le monde ont de sérieuses doutes.

Extraterritorialité

Dans sa mission perpétuelle d’imposer la vertu sur le monde, les États-Unis ont trois principales armes : leur écrasant arsenal tueur, l’idéologie et le dollar américain. De plus en plus de gens en dehors de l’autoproclamée « communauté internationale » (le monde anglo-saxon et l’Union européenne) perçoivent un seul objectif principal derrière l’utilisation de ces armes : la préservation et mise en oeuvre de l’hégémonie mondiale des États-Unis.

Ainsi, tandis que les Américains se félicitent pour leur initiative de « nettoyer le sport international », beaucoup y voient tout simplement encore un autre exemple des États-Unis utilisant à leur avantage leur pouvoir d’intimidation dans le monde pour obtenir ce qu’ils veulent.

Le dollar est le principal « soft power » des Etats-Unis. La grande majorité des échanges financiers internationaux sont en dollars, et doivent passer par une chambre de compensation aux États-Unis, donnant aux Etats-Unis l’occasion d’exiger que toutes les transactions en dollars soient conformes à la loi des États-Unis. Ce qui a pour effet de donner aux États-Unis des pouvoirs uniques d’extraterritorialité.

A titre d’exemple, les États-Unis ont récemment imposé une énorme amende de plus de huit milliards de dollars à la banque française BNP-Paribas pour avoir simplement réalisé des affaires avec des pays sous embargo américain : Cuba, l’Iran et le Soudan. Les affaires de la banque française étaient parfaitement légales en vertu de la loi française. Mais Washington utilise le dollar pour exiger aux autres pays de se conformer aux sanctions et aux embargos américains.

Ainsi, en dehors de ses avantages financiers presque infinis, posséder la principale monnaie internationale du monde donne également aux Américains la possibilité de jouer parfois leur rôle Hollywoodien préféré de shérif vertueux qui arrive à cheval au bon moment de disperser les tricheurs de leur jeu de poker, désarmer les méchants avec quelques coups de feu bien ciblés, et s’en va à dos de cheval vers le soleil couchant en compagnie de la belle et de quelques contrats pétroliers.

Cette fois, le scénario Hollywoodien a pris la forme d’agents du FBI accusant des responsables de la Fédération internationale de football (FIFA) de transactions financières illégales dans la désignation des nations hôtes de la Coupe du Monde.

Du Pain et des Jeux

Partout dans le monde, les jeunes garçons aiment taper dans un ballon. Mais ce n’est pas juste un divertissement. Grâce au business du foot, l’habileté à frapper un ballon suscite des rêves de gloire, de fortune et de luxe chez les jeunes dont les espoirs sont par ailleurs extrêmement minces. Le football représente un espoir pour des millions de gens, tandis que pour des millions d’autres, c’est une activité de détente, un moyen de provoquer à peu de frais des émotions fortes sans rapport avec des besoins et des dangers réels. Pour les joueurs, il peut signifier le passage de la misère à la richesse. Pour les propriétaires, celui des richesses à plus de richesse.

Le football est l’ultime panem et circenses du monde globalisé.

Seuls les États-Unis demeurent relativement à l’écart. Et les Etats-Unis veulent diriger le spectacle.

La FIFA est un secteur extrêmement riche de l’activité commerciale dans l’industrie du divertissement. Beaucoup, beaucoup de dollars tournent autour. Ses droits de publicité et de télévision se chiffrent en milliards. Le Football international a été intégré dans l’économie mondialisée, qui est en proie à des transactions douteuses, d’évasions fiscales et de corruption. Personne ne doute une seconde que de grosses sommes d’argent sont échangées ’sous la table’ dans le FIFA. La principale cible de corruption potentielle est sans aucun doute le choix du pays hôte de la Coupe du Monde. Des pressions de toutes sortes sont appliquées pour influencer un choix essentiellement arbitraire. Le prix peut coûter cher au pays hôte, mais rapporte des affaires, de la publicité, du prestige - et même le plaisir de regarder les matchs.

Il s’agit d’un très gros business, mais il n’est pas considéré comme un business américain. Les Américains appellent ce jeu le ’soccer’ et ont leur propre ’football’, qui ressemble plus à du rugby avec du rembourrage. Et donc - et c’est la réaction dans une grande partie du monde – de quoi se mêlent les Américains dans notre jeu ?

L’Occident est le meilleur, au diable le reste.

La réponse n’a pas tardé à venir. Bien que des rapports sur la corruption à la FIFA circulent depuis des années, en particulier concernant les Jeux de 2010 en Afrique du Sud, le moment choisi pour cette répression brutale ne peut s’expliquer que par une volonté de discréditer les deux futures épreuves de la Coupe du Monde, prévues en Russie en 2018 et au Qatar en 2022. Il se trouve que le Royaume-Uni avait postulé sans succès pour 2018 et les Etats-Unis pour 2022. À une époque où les États-Unis sont en train de chercher tous les moyens imaginables pour « isoler la Russie de Poutine », le FBI a choisi pour perturber la FIFA un moment propice pour monter une campagne visant à demander l’annulation ou le boycott de la Coupe du Monde en Russie en 2018.

Des commentateurs non-occidentaux comme Sukant Chandan voient la campagne pour déloger Sepp Blatter comme un autre ’changement de régime’ dirigé depuis Washington.

Le président suisse de la FIFA, Sepp Blatter, 79 ans, n’a jamais été un fidèle serviteur de la « communauté internationale » anglo-américaine. Sa politique était de promouvoir le culte du football partout dans le monde, en accord avec la montée des pays en développement non-occidentaux. L’ouverture de Blatter au

Tiers-Monde n’aurait guère été possible sans quelques coups tordus quelque part. L’Europe avec les Etats-Unis contrôlent normalement tout « honnêtement », ou du moins légalement, parce qu’ils ont naturellement le pouvoir et l’influence, ainsi que les avocats.

La corruption est la façon de faire des affaires en Afrique du Sud, ce que les Sud-Africains eux-mêmes sont les premiers à admettre et à déplorer. Cependant, est-ce à des tribunaux des États-Unis de punir la corruption qui est endémique dans les pays africains ?

Le choix du Qatar pour 2022 ne pouvait que causer des ennuis, car seuls des pots de vin pourraient expliquer un tel choix. Voici un pays sans tradition de foot, sans joueurs, sans supporters, rien que des tas d’argent et, surtout, un climat tellement inapproprié qu’il faut le refroidir artificiellement pour l’événement. Plus le fait que les infrastructures sont construites par une main d’oeuvre semi-esclave. Un cas de reductio ad absurdum de la corruption qui régnait à la FIFA.

Le choix était tellement bizarre que les autorités suisses ont ouvert une enquête le 10 Mars. Les États-Unis auraient pu choisir d’aider cette enquête au lieu de se précipiter sous le feu des projecteurs. Mais cela aurait évité de soulever des questions à propos de la Russie.

Il se pourrait bien que de l’argent ait passé ’sous la table’ à chaque attribution de la Coupe du Monde. En France, soit-dit en passant, il y a de sérieux soupçons quant à l’influence anglo-saxonne pour faire attribuer les Jeux Olympiques de 2012 à Londres qui était incomparablement moins bien préparé Paris. Cependant, du point de vue impérial, le choix de la Grande-Bretagne ou des États-Unis paraîtra toujours « normal », et tout bakchich serait considéré comme superflu. En revanche, on peut s’attendre à une très grand zèle dans la recherche d’affaires troubles autour du choix de la Russie, même si la Russie est une grande nation sportive dotée de tous les moyens pour accueillir les jeux.

Qu’est-ce que la corruption ?

Les Etats-Unis ont encouragé une certaine ’mondialisation’, ce qui signifie la privatisation et la déréglementation, donnant aux institutions financières et aux grandes entreprises des possibilités infinies pour exploiter et escroquer les pays du Sud, ainsi que leurs propres citoyens. L’ensemble du système est un terrain fertile pour les pots de vin et la corruption. Il favorise un vaste commerce des armes meurtrier, accompagné de ’pourcentages’. Le commerce de la drogue est florissant, ainsi que toutes sortes de trafics illicites.

Il y a de sérieuses raisons de penser qu’il a fallu des pots de vin pour organiser la Coupe du Monde en Afrique du Sud. Ça c’est de la corruption. Mais s’agit-il ou non de la corruption lorsque Coca Cola, Adidas et McDonald menacent de ne pas parrainer la FIFA si les choses ne vont pas comme ils veulent ? Cela se fait ouvertement, mais n’est-ce pas une forme de corruption ?

Et quand l’argent passe sur plutôt que sous la table, ce n’est pas la corruption ? Utiliser l’argent pour l’influence, ce n’est la corruption que lorsque c’est caché ? Qu’en est-il du système électoral américain, où l’influence de l’argent a des effets beaucoup plus importants sur le monde que les matchs de foot ? Qu’en est-il d’un système électoral où les milliardaires peuvent ouvertement ’fixer le jeu’ grâce à des contributions de campagne parfaitement légales ?

Qu’en est-il de la hâte avec laquelle le Congrès a changé sa position le 14 mai dernier et adopté par une procédure dite de ’voie rapide’ la loi sur le Partenariat Trans-Pacifique - sans débat ni amendements - dès que les membres du Congrès eurent été arrosés de dollars venant de Goldman Sachs, UPS, Citigroup , FedEx, Coca Cola, Boeing, Pfizer, Northrop Grumman, Morgan Stanley, Wal-Mart, Disney, Monsanto, etc., etc., etc. Ce vote aura une incidence sur la vie de millions d’Américains, leurs emplois, leur qualité de vie. Il est infiniment plus important que le lieu où se jouent les matchs de foot.

Et que fait le FBI à ce sujet ?

Les Etats-Unis décident de ce qui est ou non de la corruption. Ils décident de ce que sont ou ne sont pas les droits humains. Des peines de prison extraordinairement longues ne sont pas des violations des droits de l’homme parce qu’elles sont pratiquées aux États-Unis, par exemple. Que les grandes entreprises achètent des « représentants du peuple » n’est pas de la corruption : on appelle ça la liberté.

Les États-Unis cherchent à imposer des règles morales sur les pratiques immorales qu’ils suscitent. Tout en menant des guerres partout sur la planète, Washington cherche à imposer des règles « humanitaires » sur la guerre faisant stigmatiser ses adversaires faibles comme criminels de guerre et les traînant devant les Cours et tribunaux internationaux (dont les Etats-Unis sont eux-mêmes dispensés).

Par la même occasion, les États-Unis insistent sur l’imposition d’un système de « libre entreprise » mondial qui engendre inévitablement toutes sortes de corruptions incontrôlables, mais tente de se faire bien voir en réprimant la corruption de manière sélective.

Ce mélange américain de croisade moral et d’égoïsme risque de donner une mauvaise réputation à la vertu.

Diana Johnstone

Traduction "juges, gendarmes et voyous, tout en un" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

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