Fragments d’un testament dénudé, ébruités depuis Haïti

Comme une vie en sursis, mais encore lucide et consciente de vivre ses derniers moments, je viens livrer et ébruiter sur ce site, qui a donné éclat et rayonnement à mes articles, les fragments d’un testament dénudé. J’habite un quartier de Port-au-Prince, Turgeau, qui est à son tour assiégé par les gangs, et comme d'autres avant lui, il a été livré par les autorités étatiques qui ont été les premiers à fuir. Ce qui permet aux gangs, majoritairement constitués des lumpens des bidons-villes et des quartiers populeux, de progresser et de s'acharner à imprimer la marque de leur déshumanisation à une société qui les a méprisés et exclus. Les tirs de blindés, d'armes lourdes et les déflagrations des drones kamikazes, qui résonnent à moins d'1 kilomètre de chez moi, témoignent d'une lutte violente et désespérante entre les gangs et les brigadiers des zones avoisinantes qui soutiennent quelques policiers, me rapprochent d'une heure fatale. Entre anxiété, désespérance, impuissance et entêtement à rester digne, je livre peut-être là mes dernières inspirations. Craignant de ne pas avoir le temps de produire un article au complet, je livre mon récit en fragments discontinus. Chaque fragment publié à partir d'aujourd'hui peut être le dernier, car le piège de l'indigence se referme sur Haïti et je n'ai pas de plan de fuite. Du reste, je suis convaincu que fuir pour survivre à la déshumanisation n'est ni une option de dignité ni une voie intelligente. Dignité et intelligence sont les deux axes du gradient de valeur qui doit être au-dessus de toute vie pour que la vie reste ce mythe de beauté que cherchent inlassablement à magnifier les fous et les insolents de cette humanité qui, en lambeaux écartelés, dévoile son impuissance.

Entendre le bruit de la déshumanisation derrière l’impuissance

Dans le carrousel des images de chaos et des échos assourdissants de douleur qui défile et projette la déshumanisation et l’impuissance de certains peuples du monde, devant la résurgence de la barbarie des puissances occidentales, deux situations, certes éloignées par la culture et la géographie, mais combien proches par les histoires de détresse humaine qui s’y enchevêtrent, méritent qu’on s’y attarde un peu. Les situations poignantes des peuples de Gaza et d’Haïti constituent le miroir éclatant qui renvoie la vérité grégaire de notre monde. Un monde superficiel et inhumain, dont l’existence s’est désensorialisée, fossilisant son essence dans une abjecte et sourde indigence. Á force de se réfugier derrière des impostures civilisationnelles pour masquer les horreurs de la barbarie esclavagiste qui ont tissé le luxueux voile de sa grandeur, l’Occident a refusé d’assumer sa laideur et de faire le saut éthique de la résurgence vers son humanité. Il a préféré : s’adapter à de petites réussites matérielles, vénérer un progrès technologique ambivalent, magnifier des artefacts dits intelligents jusqu’à dresser l’homme contre l’humain.

Le dévoilement de l’auto-déshumanisation

Comme Gaza a sombré définitivement en octobre 2023, livrant la vérité nue de la barbarie occidentale, après des années d’érosion silencieuse de son humanité par les crimes d’Israël – faut-il le rappeler, cautionnés par les Nations Unies –, Haïti sombre à son tour, et livre, dans un silence encore plus assourdissant, l’image d’une désolation qui n’a rien à envier à la réalité horrifiante de l’esclavage. Dans leur progression acharnée, cherchant à imposer la terreur à la population pauvre et noire d’Haïti, les gangs ne font que réactiver les codes de la déshumanisation tatoués dans leur mémoire. Chaque assaut contre un quartier de la capitale, chaque massacre perpétré, chaque dévastation relayée, chaque mouvement de fuite de la population, chaque adaptation à cette inhumanité, sont autant de pièces d’un puzzle qui, à la fois, redessine le rodéo des razzias esclavagistes du passé ; et ébruite le tam-tam blues qui accompagne la fuite des marrons de jadis. Sauf qu’aujourd’hui, la fuite des marrons, devant la gangrène qui déploie cette explosion de terreur pour imposer la déshumanisation qui l’a structurée, n’a rien à voir avec la liberté ; pas plus d’ailleurs que la tectonique qui rythme l’agitation de cette gangrène ne soit le fait exclusif de forces étrangères.

Le drame de l’impuissance agonisante de la population haïtienne devant la terreur des gangs révèle une tout autre histoire, qui, au fond, se joue de l’Histoire. C’est un peu une version tragi-comique de l’histoire qui s’entête à enseigner ses vérités à un collectif dont la mémoire s’est fissurée dans les nuits barbares de la déshumanisation. Cette histoire actualisée de gangs, pourtant enchevêtrée dans le passé, est tissée dans une complexité méconnue : c’est celle de la déliance d’un lieu qui porte les douleurs d’un passé prégnant. C’est celle du mysticisme éclaté d’une terre, qui s’étant abreuvée du sang des génocides occultés et invisibilisés, refuse l’imposture et le métissage du faire semblant. C’est le spectacle paradoxal, lancinant et violent, des va-nu-pieds et laissés pour compte qui impriment leur marque de déshumanisation à une société peuplée d’insignifiants anoblis et de déracinés corrompus qui vivent dans les rêves blancs d’ailleurs. C’est l’histoire transfigurée d’un héritage de liberté, de dignité et d’humanité qui a été laissée en déshérence par des groupes dominants plus occupés à survivre ou à réussir dans l’indignité et la servitude qu’à oser l’insolence et l’intelligence éthique pour innover leur pays.

La vérité primitive et douloureuse de ce qui se joue en Haïti est celle du dévoilement d’une auto-déshumanisation. Si l’on croit les enseignements d’Ilya Prigogine, dans La fin des certitudes (Odile Jacob, 1996), et de Jean Claude Ameisen, dans La Sculpture du vivant (Points, 2014), c’est là un processus dissipatif et d’autodestruction qui s’empare du vivant dès qu’il se trouve dans un milieu déliant où les échanges se font pour dégrader la vie et non pour la sublimer. Dans les sociétés humaines, ce processus déliant survient partout où la richesse, le pouvoir et le savoir ont été accaparés ou confiés à des insignifiants anoblis. Par insignifiants anoblis, il s’entend ces médiocres à succès qui ne pensent qu’à leurs petites réussites sociales, économiques, académiques et politiques, en se détournant des problèmes de leur environnement et en se focalisant sur les plaisirs du paraître, du ventre, du bas-ventre et du bas du dos (innovation LGBT oblige). Ces êtres décérébrés et déracinés ne vivent que d’impensés, de catastrophes et d’indigences. Et pour cause ! C’est par la perduration de ces défaillances que viendra la promesse de l’assistance dont ils dépendent, et qui est le carburant de leur performance.

Notre propos dans les prochains fragments, s’il nous reste du temps, sera de mettre en évidence l’impensé agissant et le paradoxe anthropologique qui régulent la tectonique de la gangstérisation et de la shitholisation d’Haïti.

COMMENTAIRES  

22/03/2025 19:14 par Erno Renoncourt

Dans l’attente de mes seconds fragments, si le temps m’est donné, je viens juste rappeler aux lecteurs et lectrices de ce site, qui ne connaissent rien du contexte haïtien et qui cherchent, vainement, à se l’approprier à travers son envol historique originel en 1804, les délires analytiques des experts et médias, les impostures culturelles de ses talents littéraires, une petite vérité occultée : la gangrène purulente qui infecte la société haïtienne, par l’émergence des gangs comme nouveaux acteurs du paysage politique, vient d’une sombre réalité que j’ai cherchée à cartographier et à modéliser dans quelques manuscrits (non publiés) que j’appelle Les récits de l’axiomatique de l’indigence. Cette réalité est la suivante :

L’écosystème haïtien s’est structuré, sur ses 221 ans d’histoire, exclusivement à travers des liaisons malicieuses entre crapules et couillons (3 variables anthropologiques forment un génome de réussite, appelé marronnage déviant, lequel est port la Malice, la Crapulerie et la Couillonnerie). Voilà pourquoi, devenues purulentes, ces liaisons exhalent les senteurs d’une société faite de Misère et qui cherche à survivre par la Corruption et la Criminalité (3 variables sociologiques structurantes comme équilibre dissipatif). Tout cela peut se modéliser comme l’équation d’une Errance portée par la Malice, la Crapulerie et la Couillonnerie et qui rejaillit invariablement sur la société par la Misère, la Corruption et la Criminalité. 99.99% des réussites haïtiennes sont générées par un fumier que je dessine par le dessin ci-dessous. Seule une régénération de l’âme haïtienne, en rupture de son marronnage déviant, peut offrir un levier stratégique pour un possible humain dans ce chaos.

23/03/2025 07:36 par Dominique Muselet

Bonjour Erno Renoncourt,
Je m’aperçois que dans la liste des pays en souffrance, pour la plupart du fait de l’US/UE qui y sèment, depuis des siècles, la mort, le chaos et la misère pour piller leur richesse et créer une armée d’esclaves, j’ai oublié de citer Haïti... Pardon !
Que Dieu (l’énergie d’amour qui tient tout ensemble et imprègne tout, le Grand Esprit des Amérindiens) vous garde en vie et en possession de tous vos moyens, physiques, mentaux psychologiques et artistiques qui m’ont l’air impressionnants...

23/03/2025 15:04 par Erno Renoncourt

Bonjour @Dominique Muselet, cette omission n’est en rien une faute, il y a tant de peuples qui souffrent de cette géostratégie de l’indigence, et depuis si longtemps, qu’on peut ne pas toujours les avoir en tête. Merci pour vos souhaits. Le rapport de forces n’est pas en faveur de ceux et celles qui résistent face à cette terreur, et c’est pourquoi tout peut basculer vers un pogrom silencieux. Car ce qui se joue n’est pas compris par les acteurs : le pouvoir en place et la dite communauté internationale ont donné carte blanche aux Gangs pour pousser la population dans se derniers retranchements afin qu’elle accepte le pacte immonde qu’on lui propose : Vivre Ensemble avec les gangs, en dépit des crimes atroces que ceux-ci commettent, et en dépit de la nature odieuse de cette proposition. C’est une guerre d’usure collective et d’attrition stratégique. Et la population n’est, hélas, culturellement pas armée pour résister sur la durée. Les groupes dominants lui ont appris à vivre si longtemps en-deça de toute dignité, et dans la célébration de tant d’impostures, que la majorité de cette population constituée de démunis et de désespérés, sans le dire ouvertement, serait prête à accepter ce deal immonde pour survivre. Et c’est sur cet aspect culturel que se joue la vraie terreur. Ce sera la thématique de mon prochain billet.

Merci d’avoir pris le temps de lire, de réagir et de témoigner votre solidarité avec ce peuple doublement martyrisé, par l’histoire et par sa culture. Et encore merci aux administrateurs de @LGS de relayer les fragments de cette lutte asymétrique, si mal comprise et si peu médiatisée.

28/03/2025 10:52 par Anonyme

Pourtant ce que la bourgeoisie appelle "gang" a plutôt l’aspect d’un refus du désespoir. Les lumpen des bidonvilles s’opposent aux lumpen de la bourgeoisie incarné par l’armée africaine kényane appelée en renfort.Une espèce de reconnaissance malvenue de "l’africanité" d’Haïti Les gangs sont une façon d’autodéfense, de suppléer à l’ordre que la police ne peut plus assumer ce sont les excès de la police qui sont responsables de cette excès d’ordre populaire. Ecouter les responsables de ces gangs est bien plus interessant que d’écouter les responsables de l’Etat ou des organisations humanitaires.

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