Nomination d’Alvaro Uribe : l’ENIM persiste face à la lettre de protestation des parlementaires
A la suite de la lettre que nous avons faite avec certains parlementaires nationaux et européens contre la nomination d’Alvaro Uribe à l’Ecole national d’ingénieurs de Metz (ENIM), de nombreuses instances à cette école nous ont saisi par divers courriers plus ou moins identiques nous demandeant de jusifier nos accusations. C’est avec beaucoup de plaisir que je publie cette réponse de mon collègue allemand de Die Linke, Jurgen Klute, remarquablement argumentée, qui se passe de commentaires et qui est accablante pour la Direction de l’ENIM.
http://www.eurocitoyenne.fr/content/nomination-dalvaro-uribe-lenim-persiste-face-la-lettre-de-protestation-des-parlementaires
Bruxelles, le 18 Mars 2011
Monsieur Pierre Padilla,
Mesdames et Messieurs de l’ENIM
Nous vous remercions d’avoir réagi, à travers vos différents courriers, à notre lettre dénonçant la nomination de l’ex-président de la Colombie, M. Alvaro Uribe Velez, comme enseignant dans votre école.
Etant un des initiateurs de la lettre ouverte, je réponds volontiers à toutes ces lettres de personnes proches de la direction de votre école. De nombreuses questions se recoupant, vous comprendrez bien que je vais répondre par une seule lettre à vos différents courriers.
La première chose qui nous a frappé dans vos multiples courriers, c’est l’absence de préoccupation sur la gravissime situation des droits humains qui affecte le peuple colombien, et qui nous semble pourtant être la question centrale de notre courrier initial. Or il nous paraît essentiel pour la formation de jeunes ingénieurs qu’ils comprennent dans quel monde ils vivent et au service de quel projet ils vont utiliser leurs savoirs.
La direction de votre école ignore-t-elle que la Centrale Syndicale International (CSI) a dénoncé de multiple fois que sous la présidence de M. Uribe, la Colombie était devenue le pays du monde où le plus de syndicalistes étaient assassinés ?
Ignorez-vous que les organisations des droits humains comme Amnesty International disent que sous le même gouvernement de M. Uribe, la Colombie est le pays d’Amérique latine où il y le plus le plus de déplacements internes forcés de personnes (et le 2ème au niveau mondial après le Soudan), et le plus de familles se voient expulsées de leurs terres ?
Vous nous demandez de produire une condamnation judiciaire de M. Uribe. Vous n’ignorez sans doute pas que M. Uribe, comme ex-Président, dispose d’une immunité juridique concernant son action politique. Ni qu’il doit donc être jugé par le Congrès colombien, où il est mis en accusation en ce moment, mais où il a pu, - jusqu’à présent-, compter sur une large majorité d’amis parlementaires, nombre d’entre eux étant lié aux groupes paramilitaires, comme cela a été confirmé par la Cour Suprême de Colombie. Vous n’ignorez pas non plus qu’en Colombie l’impunité des crimes politiques sous le gouvernement de M. Uribe a atteint le niveau record de 98% Vous n’êtes pas sans savoir que l’ONU estime que que sous la présidence de M. Uribe, plus de 3.000 personnes, -principalement des jeunes provenant de quartiers pauvres-, ont été assassinées par l’armée colombienne, pour les faire apparaître comme guérilleros tués au combat (Falsos Positivos)
Ignorez-vous que les collègues les plus proches de M. Uribe, ceux qui travaillaient avec lui à la présidence, sont mis en examen les uns après les autres par la justice colombienne, qui a établi avec certitude, soit qu’ils ont soudoyé des députés pour obtenir la réélection frauduleuse du Président (Yidis-polàtica), soit qu’ils ont participé aux actions du DAS visant à mettre sur écoute, menacer et discréditer des opposants, des journalistes, des juges et des défenseurs des droits humains, en Colombie et en Europe (DasGate), soit qu’ils ont utilisé des fonds pour favoriser de grandes familles qui ont financé ses campagnes électorales (Agro Ingreso Seguro), soit parce qu’ils sont liés aux groupes paramilitaires (Parapoàitica), pour ne donner que quelques exemples.
Tous ces faits sont avérés pour la justice colombienne, et l’étau se referme sur l’exprésident lui-même. Mais nous nous situons ici dans le champ politique, le champ d’une action gouvernementale. Auriez-vous besoin d’une décision judiciaire pour déclarer que M. Ben Ali, pourtant élu à une énorme majorité dans son pays, est digne ou non d’enseigner dans votre école ?
En ce qui concerne les contrats de l’ENIM avec le SENA, nous les avons mentionnés car c’est le site-web de votre école lui même qui met en rapport la nomination de M. Alvaro Uribe, et les contrats passés avec la Colombie durant son mandat. Nous faisions référence aux contrats de plus de mille millions de pesos, que M. Dario Montoya, allié politique de M.Uribe - aujourd’hui candidat à la Mairie de Medellin, et qui était à l’époque directeur du SENA - a souscrit avec vous, ainsi qu’aux autres arrangements périphériques qui les accompagnent : décernement mutuel de décorations, décernement de la nationalité colombienne à votre directeur, chaires, voyages internationaux, etc.
Votre Conseil d’Administration, qui devrait avoir un meilleur accès que nous à toute l’information relative à tout cela, devra assumer ses responsabilités, dans l’intérêt de votre école, mais aussi dans celui de la défense de la démocratie et des droits humains. Nous osons espérer qu’il décidera au minimum, que les faits établis par la justice colombienne sur les faits gravissimes commis par l’administration directe de M. Uribe durant sa présidence et la grave situation dans laquelle il laisse la Colombie (nous n’avons pas parlé de l’approfondissement de la fracture sociale, des concessions minières scandaleuses, ...) ne lui permettent pas d’enseigner dans votre école, ce que de toute évidence il fait pour se donner une respectabilité qu’il ne mérite pas dans un pays comme la France et dans l’Union Européenne qui se revendiquent défenseurs des droits de l’Homme.
Veuillez agréer l’expression de mes sentiments distingués,
Jürgen Klute
Député européen