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L’affaire du bijoutier Niçois et les citoyens-supporters

Depuis quelques jours, une histoire enfle dans les médias et sur les réseaux sociaux : celle du bijoutier de Nice mis en examen pour avoir tué son cambrioleur-agresseur. L’histoire est plutôt banale et n’a, à priori, pas plus d’intérêt que bon nombre de fait-divers du même genre. Agressé lors du cambriolage de sa bijouterie, un bijoutier prend son arme pendant que les voleurs s’enfuient et tue l’un d’eux. L’extraordinaire phénomène de société qui s’en est suivi est en revanche beaucoup plus intéressant.

« Il fallait tirer » Pierre (dit Pierrot)

Que l’histoire alimente la première page de Nice Matin, il n’y a jusque là rien de surprenant. Que seraient les discussions de comptoirs sans les matchs de foot et les fait-divers ? « Il fallait tirer ». Qu’est-ce que tu racontes Pierrot, il était trop loin du but. Non Jeannot le bijoutier... Moi je dis, il a bien fait ! Il a eu des couilles voilà ! Moi j’aurais fait la même chose ! Eh beh alors ! Et ouais !

Sur Facebook, on s’attend aussi à quelques initiatives aussi spontanées qu’inutiles : « Si toi aussi, tu veux que le bijoutier soit libéré clique sur j’aime » voire beaucoup plus débiles « En hommage au bijoutier, mets une photo où tu portes des bijoux » (j’exagère à peine). En fait d’initiative, toute une page est dédiée à cette affaire : « Soutenons ce bijoutier qui ne faisait que son travail ».

« Taubira vide les prisons, faut se défendre soi-même »

De prime abord, force est de constater le succès de cette page. Elle compte énormément de commentaires, eux-mêmes étant énormément « likés ». La plupart révèlent pourtant une grande ignorance. Par exemple, la réaction à l’article évoquant la mise en examen du bijoutier : « "Et pourquoi pas un tube de vaseline pour mieux se faire e****** ?? Limite faut se faire braquer à tout va et fermer sa gueule ??? Il a fait ce que la justice n’arrive pas a faire !!! De nos jours on est jamais mieux servi que par sois même !!!" (4019 « likes »).

Un petit tour sur la page permet quand même de dégager quelques idées générales :
- Le bijoutier a été agressé ? Normal, Taubira vide les prisons
- Il a usé d’un pistolet ? Dans ce pays il faut faire justice soi-même
- Il n’en a tué qu’un sur deux ? Putain il aurait dû tuer les deux.
- Il est mis en examen ? Quoi ! C’est dégueulasse, il faut le libérer et lui donner une médaille.

Certes, un tel degré d’indignation est forcément révélateur d’un malaise social. Personne ne peut nier la délinquance dans les grandes villes, ni le fait que la surpopulation carcérale oblige les juges à un rééchelonnement des peines. On peut aussi trouver des circonstances atténuantes à un homme qui, venant d’être agressé, n’a plus tout à fait les idées claires. De là à ce qu’un million et demi de personnes s’excitent comme des orphelins de guerre, il y a quand même un fossé. En attendant que le prochain voleur soit pendu à un lampadaire par un tribunal populaire, intéressons nous à la question d’un peu plus près.

Emotion ou réflexion, il faut choisir

Noyés dans la surenchère d’hystérie, quelques commentaires sont plus analytiques. Rares sont cependant ceux qui abordent de vraies questions de fond :
- Pourquoi le bijoutier détenait-il illégalement une arme ?
- Un meurtre en réponse à des coups ou bien à un vol d’objets assurés n’est-il pas disproportionné ?
- Quand on tire dans le dos de quelqu’un est-on en légitime défense ?
- Un tir dans la rue est-il sans risques pour les passants ?

Finies les expressions à l’emporte-pièce, défendre de tels actes oblige alors à fixer les limites de ce qui est « illégalement acceptable ». Le responsable d’un accrochage en voiture qui se barre, on le dézingue ? Et des adolescents qui commettent un larcin parce qu’ils sont mal influencés et échappent momentanément à l’autorité de leurs parents ? Un proche qui reçoit la balle perdue d’un justicier solitaire, on se satisfait de son statut de victime collatérale ? Et la racaille ça englobe quoi ? Celui qui fait rembourser ses lunettes Dior par la sécurité sociale ? L’employé qui pique du matériel sur un chantier ? Un élu qui fait travailler ses copains en contournant le code des marchés ? Un patron multi-millionnaire qui fraude la fiscalité ? Laissez votre ordinateur portable sur un siège public et revenez 10 minutes après ; comme David Vincent dans les envahisseurs, vous en conclurez peut être que « Le cauchemar à déjà commencé et les racailles sont partout autour de nous ».

Œil pour œil, tout le monde est aveugle

Aux États-Unis, la rhétorique du lobby pro-armes est bien rodée : comme les malfaiteurs sont dans tous les cas armés, accorder ce droit aux honnêtes citoyens rend ces derniers moins vulnérables. D’une part, les armes seraient dissuasives, d’autre part elles permettraient de rééquilibrer le rapport de force en cas d’agression. En pratique, il suffit de comparer le taux d’homicides aux États-Unis et en France pour se rendre compte de l’inefficacité du concept.

Dans un affrontement armé, il est difficile de prévoir celui qui va dissuader l’autre de vivre. Le bijoutier serait-il encore en vie si l’agresseur savait qu’il était armé ? Quant à l’agressé, libre à lui de fixer la « ligne rouge » où bon lui semble. Le sentiment d’agression comme la nécessité d’une riposte peuvent ainsi devenir complètement subjectifs. Le producteur de musique Phil Spector avait l’habitude de sortir son flingue à la moindre contrariété (musiciens qui voulaient quitter le studio avant la fin de l’enregistrement, etc...) ; il a fini par buter sa compagne. Quant aux auteurs de fusillades dans les lycées étasuniens, ils devaient certainement se sentir agressés par les moqueries de leurs camarades.

Une société schizophrène

Il n’est pas difficile de se donner raison à partir d’observations en « bout de chaîne ». C’est vrai que personne ne doit menacer, frapper, voler. Mais dans une société que beaucoup trouvent malade, on peut aussi choisir de s’intéresser aux causes plutôt qu’aux symptômes. Cinéma, séries télés, jeux vidéos, que veulent les gens sinon des histoires de flingues et de dollars ? Les jeux télés montrant des candidats qui courent après des boi-boites remplies de pognon sont à des heures de grande écoute. Quand des vidéos sordides sont postées sur Youtube, elles peuvent être 1000 fois plus regardées que des documentaires instructifs. Quand des rappeurs exhibent flingues et billets sur leurs pochettes d’albums, personne ne s’indigne de leurs cartons au box-office. Bref, quand une société glorifie l’argent et sublime la violence, il ne faut pas s’étonner de certaines conséquences. Il y aura toujours un psy télé pour venir vous expliquer qu’il ne faut pas confondre la fiction avec la réalité. Malheureusement, les gens sont plus ou moins équilibrés et l’éventail de leurs comportements dépend donc du référentiel dans lequel on les place.

À monter sans cesse en épingle de simples faits divers, on peut finir par croire que certains veulent se rassurer ou bien exorciser leurs propres démons. Combien d’entre eux seraient prêts à se ruer sur des contrefaçons ou des objets « tombés du camion » ? Combien continueraient sans sourciller à fréquenter des établissements de nuits précédemment fermés pour raisons judiciaires ? Et à voter pour le représentant d’une étiquette politique, bien que précédemment condamné pour détournement de fonds publics ? Dans cette affaire, il est d’ailleurs assez amusant de voir le maire de Nice hurler avec la meute. Lancé en politique par Jacques Médecin (l’ancien maire de Nice qui s’est enfui en Uruguay pour échapper à la justice), mis en cause dans le détournement de 750.000 Francs au golf de Nice, Estrosi s’érige aujourd’hui en icône de l’anti-délinquance. Lundi 16 septembre, il manifestait Place Massena avec Ciotti, Peyrat et 1000 autres personnes. Beau message que celui de responsables politiques justifiant la violence. Quand les chasseurs se présentent aujourd’hui comme des régulateurs de la nature, certains commerçants se présenterons peut être demain comme des régulateurs urbains …

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