RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
Sommet des Amériques 2009 (Le Monde Diplomatique)

L’Amérique latine cordiale mais ferme face à M. Barack Obama.

Moment exceptionnel que ce cinquième Sommet des Amériques qui, réunissant trente-quatre nations (tous les pays de la région sauf Cuba), s’est tenu les 18 et 19 avril à Port-of-Spain, dans l’île de Trinité-et-Tobago. Après la rencontre de Mar del Plata (Argentine), en novembre 2005, au cours de laquelle des milliers de manifestants conspuèrent M. George W. Bush tandis que de fortes dissensions agitaient les pays membres, on attendait avec impatience le premier contact du « sous-continent » avec le président Barack Obama.

En ce sens, les attentes n’ont pas été déçues, la nouvelle administration des Etats-Unis opérant une franche rupture avec la condescendance, l’arrogance et l’interventionnisme de l’ère Bush. L’ambiance a été cordiale - y compris avec des pays comme le Venezuela, la Bolivie ou l’Equateur. On retiendra l’annonce faite par M. Hugo Chávez d’un rétablissement des relations diplomatiques avec Washington, suspendues en septembre 2008 par solidarité avec la Bolivie, qui avait elle-même expulsé l’ambassadeur américain pour ses liens avec une opposition alors en pleine tentative de déstabilisation de M. Evo Morales.

Toutefois, malgré l’a priori favorable manifesté par tous à l’égard du nouveau locataire de la Maison Blanche, la première puissance mondiale n’a pu imposer son agenda.

Cuba, le seul pays non invité, fut en effet très présent. L’ensemble des nations latino-américaines avaient, avant même le Sommet, insisté sur l’importance d’une normalisation des relations entre les Etats-Unis et l’île. Conscient de l’importance de cette demande pour la réussite de sa tentative de « dégel », M. Obama, dès le 13 avril, s’était employé à déminer le terrain en annonçant la levée de toutes les restrictions sur les voyages et les transferts d’argent des Cubano-Américains vers leur pays d’origine, revenant ainsi sur les mesures imposées par M. Bush en 2004. En revanche, il ne paraît pas encore disposé à lever l’embargo économique, commercial et financier imposé à Cuba depuis 1962.

Dès le 16 avril (date anniversaire du débarquement de la baie des Cochons en 1961), marquant leur solidarité avec La Havane, les membres de l’Alternative bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA) [1], réunis à Cumaná (Venezuela), avaient défini une stratégie commune face à un projet de déclaration finale, en cours d’élaboration depuis deux ans, jugé insuffisant et inacceptable. A cette occasion, ils ont d’ailleurs approuvé et mis en oeuvre (avec l’Equateur) le Système unique de compensation régional des paiements (Sucre), une monnaie virtuelle (et éventuellement physique à l’avenir) destinée à échapper au rôle hégémonique du dollar [2].

De fait, il n’y a eu aucun consensus sur le document final du Sommet des Amériques - la « Déclaration d’engagement de Port-of-Spain » -, les membres de l’ALBA refusant, avec le soutien unanime de l’ensemble des autres pays latino-américains et caraïbes, de cautionner un texte qui ne demandait pas la levée de l’embargo imposé à Cuba. Les présidents ont annulé la cérémonie de signature de la déclaration finale et, pour sauver la face, le texte n’a été paraphé que par M. Patrick Manning, premier ministre du pays d’accueil et, à ce titre, président du Sommet.

Passés généralement sous silence par les observateurs, d’autres sujets de dissension expliquent également ce refus : l’absence de perspective claire face à la crise économique et financière déclenchée par « les banquiers aux yeux bleus », selon l’expression du président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva ; et, pour l’ALBA, le refus de laisser au seul G20 (dont font partie l’Argentine, le Brésil, le Canada, les Etats-Unis et le Mexique) le privilège de décider des grandes affaires du monde.

Lors de la clôture du Sommet, le ministre des affaires étrangères du Brésil, M. Celso Amorim, a assuré que le président Lula jugeait « très difficile qu’un nouveau Sommet des Amériques ait lieu sans la présence de Cuba [3] ».

Or, après les mesures d’assouplissement prises par l’administration Obama à l’égard de l’île, les Etats-Unis semblent considérer que la balle est maintenant dans le camp de Cuba. Le 16 avril, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton demandait la réciprocité et « pressait instamment Cuba de libérer les prisonniers politiques, de permettre le libre flux d’information et la liberté de réunion ».

A La Havane, le président Raúl Castro a déclaré que Cuba était disposé à négocier avec les Etats-Unis, « en terrain neutre, en conditions d’égalité et sans conditions ».

On s’accordera à reconnaître que M. Obama n’a pas forcément les mains libres - la suspension de l’embargo implique un débat au Congrès, sous pression des exilés cubains affaiblis, mais toujours vivants ! - et que les relations entre les deux pays ne peuvent pas changer du jour au lendemain. La Havane, par ailleurs, ne souhaite pas précipiter le mouvement.

Néanmoins, la demande de l’ensemble des pays latino-américains (y compris Cuba) demeure parfaitement légitime : l’embargo doit être levé par Washington de manière « immédiate, unilatérale et inconditionnelle ». Dans cette affaire, avatar d’une guerre froide terminée depuis longtemps, l’agresseur a toujours été la Maison-Blanche. Dix-sept résolutions successives approuvées par l’Assemblée générale des Nations unies ont condamné cet embargo.

Quant à la volonté inébranlable du gouvernement américain, au nom des « droits de l’homme », de contraindre Cuba à renoncer à son système politique - quoi qu’on puisse penser de celui-ci -, elle fait sourire : c’est la Chine - parti unique ; contrôle total de l’information ; mille dix exécutions capitales en 2006 - qui, devenue le premier détenteur de bons du Trésor américain, finance une bonne partie du déficit des Etats-Unis.

Maurice Lemoine
Le Monde Diplomatique
27 avril 2009

Notes :

[1] Bolivie, Cuba, La Dominique, Honduras, Nicaragua et Venezuela. Le Sommet de Cumana a entériné l’adhésion d’un nouveau membre : Saint-Vincent et les Grenadines, Etat anglophone (120 000 habitants) des Petites Antilles.

[2] Lire Bernard Cassen, « Le Sucre contre le FMI », La valise diplomatique, décembre 2008.

[3] BBC Mundo, 18 avril 2009.

ARTICLE ORIGINAL
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-04-24-L-Amerique-latine-cordiale

URL de cet article 8528
  

Même Auteur
Sur les eaux noires du fleuve.
Maurice LEMOINE
Plus de six décennies de conflit armé affectent la Colombie, pays considéré, d’un point de vue formel, comme une démocratie. Aux guérillas nées en réaction à la violence structurelle et à l’injustice sociale a répondu une épouvantable répression. En cette année 2002, le gouvernement a rompu les négociations avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie. Ces terribles FARC viennent d’enlever Ingrid Betancourt. L’élection présidentielle se profile, dont est favori un dur, un certain à lvaro. De (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

L’illusion de la liberté se perpétuera tant qu’il sera rentable de maintenir l’illusion. À partir du moment où l’illusion deviendra trop coûteuse à maintenir, ils démonteront simplement le décor, ils écarteront les rideaux, ils déplaceront les tables et les chaises et vous verrez alors le mur de briques au fond de la salle.

Frank Zappa

Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.