En dépit du discours sur la liberté et la démocratie, les droits des entreprises ont continuellement supplanté les droits souverains de l’individu et de la communauté. L’histoire des classes laborieuses et la multiplication des catastrophes environnementales en sont la preuve. Par exemple, les agences gouvernementales "ostensiblement créées pour protéger la santé publique" autorisent partout l’exploitation du gaz de schiste par fracture hydraulique même lorsque cela empoisonne l’eau potable de la commune et cause des dégâts incalculables à l’environnement.
Toutes nos forêts sont des produits commerciaux et sont mesurées en stères à débiter et à expédier à des prix défiant toute concurrence, comme pour une liquidation. L’admirable biodiversité mondiale cède la place à la désertification et à la monoculture. L’argent change de main. Une toute petite minorité s’enrichit aux dépens de la multitude. La planète et ses habitants sont traités comme des produits à exploiter. On nous dit qu’il n’y a rien de sacré sauf le dollar et les marchés.
Pourtant c’est un fait avéré qu’aucun être humain, pas même les PDG et les membres du Congrès, ne peuvent vivre sans eau potable et sans air pur. Nous sommes littéralement en train de sacrifier ce qui garantit la vie sur la planète et d’hypothéquer l’avenir pour assouvir les désirs insatiables de quelques individus ridiculement riches. Les Américains, endoctrinés depuis leur naissance, sont convaincus que la cupidité égoïste est une bonne chose.
Les riches et les puissants ont décrété que les profits des entreprises, "le Saint Graal du capitalisme étasunien", sont plus précieux que la vie elle-même. Les cyniques qui sont au pouvoir n’ont pas de conscience. L’histoire montre que les sociopathes n’hésitent pas à employer n’importe quels moyens pour tirer parti de leurs victimes sans méfiance.
Mais enfin, même les adeptes de Friedman doivent bien penser que certaines choses ne peuvent ni être transformées en marchandises, ni être achetées ou vendues. Tout être vivant a le droit de respirer de l’air pur et de boire de l’eau potable, par exemple. Ce sont des biens nécessaires à tous ; ils ne peuvent moralement appartenir à des personnes privées. Pourtant, le capitalisme moderne est basé sur deux choses : la propriété privée et la transformation en marchandises des travailleurs et de la nature.
Le capitalisme et le culte des marchés qui va avec, ont fait disparaître la biodiversité de la planète pour lui substituer un univers de marchandises. Ce que nous voyons et pensons savoir n’est pas la réalité. C’est ce que les responsables du marketing et de la perception des consommateurs nous font voir — c’est un hologramme.
Le conflit entre le capitalisme et l’écologie dans laquelle s’origine la vie sur la planète s’intensifie. On assiste à une lutte féroce entre le capital et la démocratie. La botte du capitalisme écrase la démocratie. Nous vivons dans un monde moribond et nous avons hérité de libertés moribondes. L’avidité des multinationales et la surpopulation en sont responsables. La contestation se répand partout.
Pratiquement tous les soulèvements, les inégalités et les problèmes environnementaux d’aujourd’hui proviennent du capitalisme y compris la surpopulation et les agressions armées. Le capitalisme nécessite une expansion économique ininterrompue et un marché en plein essor pour les consommateurs. Ce n’est tout simplement pas possible sur une planète limitée.
Ces tensions sont on ne peut plus manifestes dans la ceinture de charbon et les montagnes de la Virginie occidentale, où j’habite. Ici les montagnes sont dépouillées de leurs forêts avant qu’on les fasse exploser pour extraire à bas coût du charbon pour enrichir la multinationale Massey Energy Corporation. Le procédé, qu’on appelle "écimer les montagnes" a empoisonné des rivières, modifié leur trajet et changé le relief et l’hydrologie du territoire. Il a détruit des communautés humaines et biologiques tout en remplissant les coffres des industriels du bois et du charbon.
L’extraction minière traditionnelle a coûté la vie a des milliers de mineurs qui essayaient de vivre modestement de leur travail. Parfois cela a conduit à des conflits armés entre les mineurs et les agents de sécurité de Pinkerton engagés par les compagnies minières dans des endroits comme Matewan et Blair Mountain.
Dans la Virginie occidentale, le Roi Charbon et l’industrie du gaz et du pétrole font la loi. Le gouvernement est entièrement soumis aux lobbys industriels. Il est donc inutile de recourir aux tribunaux ni d’en appeler au sens moral des gouvernements pour obtenir réparation. Si nous nous limitons aux moyens mis à notre disposition par nos oppresseurs, toute la région sera sacrifiée. Les travailleurs et les pauvres font les sacrifices ; les milliardaires et l’industrie récoltent les profits. Et c’est nous qui devrons assumer les conséquences.
L’illusion de la démocratie "y compris voter en l’absence d’un choix réel" est loin de valoir l’action directe et l’anarchie. La démocratie ne peut pas prospérer sur le sol stérile que le capitalisme laisse derrière lui. Soit nous avons la démocratie, soit nous avons le capitalisme, soit nous créons quelque chose d’entièrement différent. On ne peut pas concilier des concepts aussi radicalement opposées.
Les hommes modernes habitent un monde absurde et contradictoire fabriqué par les hommes. En dépit de ce qu’affirme la Cour Suprême, les multinationales ne sont pas des personnes et l’argent n’est pas la parole. Tout le monde le sait bien. Mais la loi en a décidé autrement. Nous devons refuser de concéder cette victoire à l’état marchand en refusant de capituler.
La lutte pour les droits de la communauté, l’égalité, et la justice sociale, économique et environnementale doit se faire à l’extérieur du système qui crée les inégalités et engendre la destruction gratuite des biens communs. Des quantités d’espèces de plantes et d’animaux d’une inestimable valeur écologique sont éliminées pour permettre la construction de centres commerciaux, de blocs d’appartements sécurisés, de casinos et de terrains de golf. Une catastrophe écologique et économique se profile. Nous sommes menacés par une famine mondiale dans un monde anthropocentrique surchauffé.
Dans le monde entier, de riches multinationales pillent les ressources biologiques et minérales communes. Quoi de plus absurde et de plus immoral ?
Il est facile de démontrer que le capitalisme, l’invention d’Adam Smith qui a remplacé le féodalisme pendant la révolution française, est fondé sur beaucoup de principes erronés dont on ne pouvait pas connaître la fausseté à l’époque de Smith. Malgré cela, les économistes qui ont reçu une formation classique affirment que le capitalisme est une force naturelle alors que c’est une construction humaine défectueuse. Le capitalisme moderne présente des symptômes pathologiques et témoigne d’une approche contraire à la vie et à la liberté. Il détruit la planète et hypothèque l’évolution.
De fait, même si on met de côté les considérations éthiques et que l’on se place d’un point de vue strictement biologique, le capitalisme moderne est sans nul doute un cancer virulent qui dévore son hôte. Mais la plupart d’entre nous se refusent à le voir. On demande aux gens comme moi de ne pas prononcer de mots qui fâchent en public. Cela pourrait offenser les bons croyants. Quand cela m’arrive, je pense à Thoreau qui disait : "N’importe quelle vérité est meilleure que les faux-semblants." Nous avons l’obligation morale de dire ce que nous savons clairement et nettement.
Tout le monde sait qu’une idéologie d’expansion constante sur une planète limitée est en contradiction avec les impératifs écologiques comme la capacité de la planète, le dépassement écologique et l’épuisement des ressources. Mais les économistes classiques se comportent comme si ces impératifs n’existaient pas ou comme si ils allaient mystérieusement disparaître sous l’irrationnelle exubérance du capitalisme.
En réalité, toute l’économie politique est basée sur l’écologie et sur des systèmes biologiques vivants et évolutifs. L’écologie est la seule économie qui importe.
Même sans être très versé en écologie, on peut prédire certaines choses avec une certitude mathématique. Par exemple, la poursuite du capitalisme comme économie politique principale conduira nécessairement soit à la destruction de la biosphère, ce qui signifie la mort des organismes qui y vivent, soit à l’abolition du système capitaliste.
A quoi ressemblerait une ère post-capitaliste et comment fonctionnerait-elle ?
Le capitalisme mondial qui dépend des énergies fossiles et des produits pétrochimiques bon marchés pour produire de la nourriture doit céder le pas à l’agriculture organique et aux économies locales à échelle humaine. La nourriture doit être cultivée localement ainsi que les autres produits de première nécessité dans toute la mesure du possible. L’ère des énergies fossiles bon marchés arrive à son terme. L’homme industrialisé doit affronter courageusement ses addictions et embrasser la sobriété ou il s’autodétruira.
On dit que la nature a le dernier mot. Les hommes ont intérêt à s’inspirer des systèmes naturels qui se sont adaptés sur des périodes infinies.
Une économie sans argent, basée sur le besoin doit remplacer le système actuel d’exploitation pour le profit. De la même manière, les biens et les services doivent s’échanger sans être soumis aux marchés. Ces échanges seraient de valeur égale et donc intrinsèquement justes.
Le modèle classiques d’entreprises sera remplacé par des coopératives possédées et gérées par les travailleurs. De la sorte, les travailleurs -et non le conseil d’administration- prendront toutes les décisions. Ils partageront les risques et les profits et distribueront les excédents de production tout en réduisant le temps de travail quotidien et hebdomadaire. Une part des excédents sera alloué à la communauté et à la protection des biens communs.
Les nouveaux modèles économiques doivent être soumis aux lois écologiques ou ils échoueront. Les alternatives au capitalisme existantes, comme la coopérative espagnole de Mondragon doivent être analysées et évaluées pour en faire des modèles qui pourraient être adaptés ailleurs.
Il n’y a pas de meilleur maître que l’évolution et la sélection naturelle. L’histoire confirme que les idées les plus révolutionnaires sont parfois les plus anciennes. Par exemple, des études anthropologiques montrent que l’Homo sapiens à ses débuts a évolué en instituant des principes égalitaires à l’intérieur des clans tribaux. Les peuples et les cultures qu’ils créent doivent s’adapter ou périr.
Les sociétés égalitaires du futur seront très différentes de la société capitaliste d’aujourd’hui. Les campagnes politiques et les élections finiront aux oubliettes de l’histoire. Des sociétés évoluées n’ont pas besoin de leaders et d’officiels élus.
Tous les membres d’une communauté égalitaires sont des leaders. Le pouvoir circule d’une manière circulaire et non sous la forme linéaire d’une hiérarchie du haut vers le bas. Il n’y aura pas de classes sociales ou économiques. Personne n’aura des privilèges ou des droits qui sont déniées aux autres. Tous les membres de la communauté auront des pouvoirs égaux et auront la même valeur. Tous auront les mêmes accès aux opportunités. La santé et l’éducation supérieure, comme l’air pur et l’eau claire seront considérés comme un droit de naissance et seront gratuits.
L’action directe remplacera les élections politiques. Au lieu d’accepter d’être gouverné, le peuple souverain peut créer le monde qu’il veut habiter. Quand les membres d’une communauté partagent le pouvoir et jouissent de l’égalité des chances, ils sont désireux de participer. Tout le monde apporte quelque chose à la table. Tout le monde contribue et toute la société en bénéficie.
Les communautés deviendront aussi interconnectées et interdépendantes que des systèmes écologiques. Mais chacune restera autonome dans la vaste matrice de la nature. Les états et les nations tels que nous les connaissons finiront sans doute aussi aux oubliettes de l’histoire.
Au lieu de l’exploitation et de la compétition cynique du capitalisme, ce sont des principes de coopération et de besoins sociaux qui régiront ces communautés. Dans un écosystème sain, le bien-être des individus dépend du bien-être de la communauté et vice versa. Personne ne sera abandonné. Nous avancerons tous ensemble.
Tous les organisme vivants ont une origine commune et une destinée commune. L’écologie et l’économie doivent se fondre en un système naturel intégré qui favorise la survie sur le long terme dans un monde déjà dévasté par l’homme industrialisé. La guérison écologique et sociale doit faire partie du processus de construction de communautés soutenables.
La transition du capitalisme à la coopération ne sera ni facile ni douce. Il y aura de nombreux faux départs. Au début il y aura une résistance féroce au changement révolutionnaire. Nous avons tendance à nous accrocher à ce qui nous est familier et confortable, à ce que nous connaissons, même quand le paradigme dominant et la culture populaire nous nuisent.
Les premiers pas sur une nouvelle route sont souvent les plus difficiles. Le chemin n’est pas tracé. Il y aura des angoisses et des incertitudes. Mais il faut se lancer. L’alternative est l’oubli. Si nous engageons dans cette nouvelle odyssée, cela assurera la survie de l’espèce et nous verrons l’avènement d’un nouvel âge des lumières.
Charles Sullivan
Charles Sullivan a une maîtrise en sciences de la nature ; c’est un militant communautaire et un auteur indépendant qui habite dans the Ridge et Valley Province de la Virginie Occidentale.
Pour consulter l’original : http://dissidentvoice.org/2012/01/ecology-and-the-pathology-of-capitalism/
Traduction : Dominique Muselet