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Les ravages de la LRU (suite)

L’université et la recherche en colère

illustration : le nouveau logo (inversé) du CNRS

Hélène Cherrucresco se demande quand nous « enterrerons les fossoyeurs. »

Déjà , sous Chirac, son ministre de la Fonction publique Renaud Dutreil déplorait que « les gens étaient contents des services publics qui fonctionnaient bien. » Il fallait donc «  tenir un discours, expliquer que nous sommes à deux doigts d’une crise majeure mais sans paniquer les gens car alors ils se recroquevillent comme des tortues. » Le ministre aux yeux globuleux aimait faire dans l’animalerie.

Un maître mot : la communication. Suivre, par exemple, les conseils de Christian Morrisson qui, en bon serviteur de l’impérialisme américain, écrit, pour l’OCDE, des textes expliquant comment s’adapter aux desiderata de la finance, le tout dans un français inspiré par Wall Street : "La faisabilité politique de l’ajustement " .

Autre maître mot : précariser. Que les présidents d’université se comportent, avec les administratifs pour commencer (les enseignants suivront), en patrons voyous, par exemple en faisant redémarrer à zéro les personnels précaires demandant des CDD.

Diviser pour régner en institutionnalisant la discrimination entre des « pôles d’excellence » et le tout-venant universitaire. Imposer des partenariats publics-privés aux universités prétendument autonomes. Augmenter le pouvoir des comptables et des gestionnaires des ressources humaines aux dépens des scientifiques. « Exploiter tout le jus de l’enseignement supérieur français sur l’arène du marché mondial de la formation des étudiants.

Contourner la loi, comme l’ancien président de la CPU, Yannick Vallée (condamné à un an de prison avec sursis pour incitation au proxénétisme, mais ne mélangeons pas les niveaux) le proposait dès 2003 : « Aucun député ne prendra le risque d’augmenter les frais d’inscriptions. En revanche, il a été mis en place des frais d’inscription complémentaires et des frais de dossier qui, eux, ne sont pas plafonnés. »

Le travail de sape de la recherche publique avait été préparé par le " socialiste " Claude Allègre qui « avait fait du brevet un élément majeur de l’évaluation, alors que le brevet soustrait au bien public le résultat de l’effort de sa communauté. » La conséquence est que « sur le site du ministère comme ailleurs, la valorisation et l’innovation viennent avant la production des connaissances. »

Qui sont les heureux bénéficiaires de ces politiques de droite et de gauche. D’abord l’armée. Ne pas oublier qu’au CNRS les ordres de mission sont signés par un fonctionnaire de la défense, que la direction générale de l’Armement collabore étroitement avec l’Agence nationale de la recherche. Puis l’industrie privée, en particulier dans le domaine des bio et nanotechnologies.

Nos gouvernants ont demandé à une boîte de comm’ spécialisée dans le relooking des entreprises en faillite de concevoir le nouveau logo du CNRS. Inversé, le logo CNRS se lit « CULS » avec un bâton qui rentre dedans.

Déborah Blocker narre une visite lamentable, honteuse pour l’image de la France, de Valérie Pécresse à Berkeley.

« La journée de Valérie Pécresse sur le campus de Berkeley a commencé par une visite chez le chancelier, un professeur de physique passé maître dans l’art de faire l’éloge du savant mélange d’excellence académique et de méritocratie démocratique qui caractérise ce qui est sans doute la meilleure des universités publiques au monde. Après cet entretien, Valérie Pécresse et les membres de son cabinet qui l’accompagnaient avaient rendez-vous dans le tout nouveau CITRIS Building, un bâtiment érigé pour accueillir le Center for Information Technology Research in the Interest of Society, un centre de recherche spécialisé dans l’informatique appliquée. Là , Valérie Pécresse et son cabinet ont visité un laboratoire qui développe actuellement un projet intitulé Mobile Millenium. Ce projet ne pouvait guère que séduire une ministre qui chante les vertus de la recherche appliquée, en prônant sans trop sourciller le financement de ces travaux par les industriels qui seraient le plus susceptibles d’en tirer profit. Il s’agit en effet d’un effort qui se présente pourtant comme un projet de nature « industrielle », sans doute avant tout au nom du fait que les compagnies privées (Nokia et Navteq) qui y participent pourtant de manière relativement marginale ont toutes les chances d’en être les premières bénéficiaires. Le but de l’entreprise est de mettre au point un système permettant de faciliter la circulation automobile sur le réseau routier. La finalité est de permettre aux usagers du réseau de visualiser en temps réel les conditions de circulation sur les routes et autoroutes à partir de leurs téléphones portables, en utilisant comme point d’appui les GPS dont ces mêmes téléphones sont maintenant généralement porteurs. La présentation, fort bien faite, enchanta Valérie Pécresse. Seul bémol de taille, que les organisateurs n’avaient apparemment pas pensé à anticiper : la ministre s’étonna beaucoup de trouver ce jeune laboratoire peuplé presque exclusivement de doctorants et post-doctorants français (polytechniciens de tous corps et autres normaliens formés à grands frais dans les grandes écoles françaises), dont fort peu, lorsque je leur posais incidemment la question, manifestèrent l’intention de rentrer sagement au pays une fois leurs recherches terminées. L’auteur de ces lignes avoue ne pas avoir été mécontente que la « fuite des cerveaux » ait ainsi, comme par inadvertance, sauté aux yeux du ministre.

[…] Plutôt que de nous écouter parler de Berkeley, la ministre préféra donc jouer devant nous un numéro sans doute déjà bien rodé, dans lequel elle présenta la révolte que soulèvent les réformes en cours en France comme une sorte de quiproquo. Dans cette lecture des événements, une ministre moderne et éclairée, soucieuse seulement du rayonnement de la science française, du développement de universités du pays, de la prospérité de celui-ci à l’avenir et du bonheur de ses étudiants actuels et futurs, s’affronte courageusement à l’autisme incompréhensible d’universitaires rétrogrades, préoccupés principalement de leurs salaires, de leur avancement et de leurs conditions de travail. Pour ma part, je restais étonnée de tant d’audace ou d’inconscience. Pouvait-on réellement soutenir que nos collègues français, ulcérés par vingt-cinq ans de réformes ineptes, se révoltaient par simple plaisir de créer toujours plus de chaos dans le lieu même des activités auxquelles ils avaient consacré leur vie ? Pouvait-on vraiment insinuer que, de la vision de l’université et de la recherche que développent actuellement des associations ou collectifs comme Sauvons la recherche et Sauvons l’université, il ne se dégageait pas une vision très cohérente de ce que devait être l’université française pour servir au mieux l’intérêt général ?

[…] Pendant sa journée à Berkeley, Mme la Ministre ne manquerait certainement pas d’éviter de regarder ce qui s’étale pourtant à la vue de tous sur ce campus, à savoir que (quoiqu’on en dise parfois dans cette « gauche » française qui critique volontiers chez Valérie Pécresse la prétendue imitation d’un hypothétique « système universitaire américain », qui n’existe sans doute que dans leur imagination), les universités publiques américaines ne se gèrent pas comme se gèrent les banques, les administrations ou les industries dans la plupart des pays du monde, mais dans une forme de concertation soigneusement entretenue et, qui, à Berkeley, est particulièrement intéressante - voire exemplaire. La ministre éviterait ainsi une nouvelle fois de voir ce qui pourtant crève les yeux de nombre d’observateurs, tant français qu’étrangers, à savoir que pour réformer une institution aussi complexe que l’université et dynamiser une communauté d’enseignants et de chercheurs - afin de leur permettre de donner, avec et pour leurs étudiants, le meilleur d’eux-mêmes - encore faudrait-il penser à demander l’avis des principaux intéressés sur leur présent, comme sur leur avenir. Mais Valérie Pécresse, fermement décidée, comme le prouva le conseil des ministres du 22 avril suivant, à faire passer en force en France sa réforme de l’université, n’était visiblement pas venue pour voir ou entendre cette évidence. »

La Nouvelle-Zélande était autrefois un petit paradis social-démocrate. Elle est devenue en quelques années, dans tous les domaines, une horreur néolibérale. La contribution de Ian Vickeridge est, à cet égard, très éclairante.

« Si vous trouvez que la mort du CNRS est impensable, que la perte du statut de fonctionnaire des chercheurs et enseignant-chercheurs est impensable, que le licenciement économique de chercheurs publiant bien mais n’ayant pas assez de contrats de type ANR pour justifier leur salaire est impensable, qu’un conseil de direction d’un Institut Scientifique comportant ZERO chercheurs, ou même ex-chercheurs est impensable, alors je vous rappelle que petit à petit, de proche en proche, l’impensable peut devenir pensable, envisageable, et enfin normalisable et faisable.

[…] En 1995, notre Institut, une société anonyme, n’a pas réalisé un bénéfice suffisant par rapport à l’investissement fait par l’actionnaire : le gouvernement. Il manquait 2 millions de dollars (car le bénéfice n’était que de 3 millions, alors que les financiers estimaient que 5 millions étaient nécessaires ...). Pour augmenter la rentabilité de la société le PDG a décidé de virer les 20 chercheurs qui coûtaient le plus cher (seniors ...) et qui n’attiraient pas assez de contrats. Graeme a été licencié économiquement à l’âge de 60 ans, et est décédé d’une crise cardiaque 2 ans plus tard, après une période de stress intense : l’impensable était arrivé.

Depuis mon départ voilà dix ans, les choses ont évolué ... j’ai constaté qu’actuellement le Conseil de direction de mon ancien institut (Geological and Nuclear Sciences : www.gns.cri.nz/who/directors.html) est constitué d’un avocat (Chairman), un économiste, un "research funding strategist’, un directeur marketing (accessoirement président du parti des travaillistes), un autre avocat, un ingénieur civil (anciennement Environmental Manager pour BP Oil New Zealand) et un PhD/MBA directeur générique (entre autres dans des banques, dans l’audiovisuel ...). Ce Conseil de Direction, nommé directement par les ministres concernés, a les compétences, on le voit clairement, pour donner une direction scientifique stratégique en Géologie et Nucléaire à l’Institut … sans être gêné par des personnes connaissant la recherche en physique nucléaire ou en géologie : l’impensable est arrivé. Personnellement j’ai eu la chance de pouvoir partir, mais bon nombre de mes collègues qui sont restés se plaignent encore gravement, 15 ans après. Les dégâts pour la science ont dépassé même mes propres prédictions pessimistes.

Venant du monde de la recherche, ou l’honnêteté, l’intégrité, la réflexion approfondie et le respect du point de vue de l’autre sont privilégiés devant les manoeuvres tactiques, fumistes, calculatrices et cyniques, nous ne jouons pas dans la cour des grands politiciens. Nous allons être bouffés politiquement car nous sommes trop idéalistes, optimistes, et honnêtes pour emporter la bataille (et devrons le rester - ce sont des valeurs sûres à la longue), comme celle déjà perdue il y a 4 ans avec Sauvons La Recherche (on a cru à la concertation ….), mais face au rouleau compresseur fou devant nous, il est maintenant important au moins de laisser une trace, et peut-être même de remporter quelques batailles : j’adhère entièrement au slogan du SNCS : " Nous ne sommes pas des victimes consentantes " . »

La conclusion de ce livre est à déguster. La France a désormais une université où « toute analyse politique du monde et des pratiques universitaires » est gommée. Le pouvoir étant d’abord du discours, il faut analyser avec soin le langage ministériel avec son vocable qui tue la République : autonomie, gouvernance, professionnalisation, compétition, classements, responsabilité, société de la connaissance, compétences, évaluation, excellence, modernisation, innovation. Ces mots ne sont pas neutres : ce sont des chaînes qui vont asservir les universitaires et les étudiants pour le seul profit des managers et de la finance.

Attendons-nous à la fin du contrat social, à la fin de tous les " maillons faibles " , à la fin de la pensée critique.

Bernard GENSANE

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