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La jungle - Upton Sinclair

Ce roman d’Upton Sinclair, publié en 1905, décrit les terribles conditions de vie et de travail de milliers de travailleuses et travailleurs de la classe ouvrière dans les abattoirs de Chicago, véritable jungle où règne la loi des plus forts.

Cette plongée vertigineuse dans l’envers du décor (misère, déchéance physique et morale, alcoolisme, prostitution) montre le combat au début du siècle d’une famille lituanienne arrivée récemment aux Etats-Unis dans l’espoir d’une vie meilleure. Pourtant, l’existence de Jurgis et des siens devient rapidement une inexorable et épouvantable marche vers le néant et un combat menant pour certains jusqu’à la mort, omniprésente dans cet univers infernal. L’organisation de l’excès de main d’œuvre disponible pour mettre en place une concurrence entre ouvriers et ainsi utiliser leur peur du chômage afin d’assurer un bas niveau de salaire et briser les grèves est particulièrement mise en évidence, tout comme la corruption et la collusion entre industriels et politiciens. Le constat ? Seul, un individu ne peut lutter contre les puissants et les forces du capitalisme. D’abord obscures, celles-ci s’éclaircissent progressivement pour Jurgis qui chemine d’un individualisme insouciant vers un anarchisme amer puis une prise de conscience le menant petit à petit vers le socialisme dans les magnifiques soixante-dix dernières pages.

Après sa publication, les horreurs décrites dans le livre ont un tel écho qu’elles poussent le président des Etats-Unis (Théodore Roosevelt) à engager une commission d’enquête sur les conditions de travail dans l’industrie de la viande et à afficher une volonté de réforme du droit du travail et de réglementation en matière de production alimentaire pour contrôler la qualité de la nourriture. Dans un contexte explosif, céder à une poignée de revendications syndicales fut alors un moyen de conserver la paix sociale… et la soumission du peuple. Ci-dessous, quelques extraits de ce roman effarant d’actualité et de modernité, à lire et à faire lire.

RB

« Il avait à présent compris que la vie était une lutte où chacun était seul contre tous, où chacun ne devait penser qu’à soi. Plutôt que d’organiser soi-même des banquets, il valait mieux attendre d’être invité. Il fallait rester sur ses gardes, le cœur plein de haine, conscient que rôdaient alentour des puissances hostiles qui en voulaient à votre bien et usaient de toutes leurs séductions pour vous prendre au piège. Les devantures des magasins étaient constellées d’inscriptions faussement alléchantes ; les clôtures le long des routes, les réverbères, les poteaux télégraphiques étaient recouverts d’affiches trompeuses. La gigantesque Compagnie qui vous employait vous mentait, à vous et au monde entier ; tout, du haut jusqu’en bas, n’était qu’une phénoménale mystification. Jurgis disait avoir conscience de tout cela. Pourtant, il enrageait, car la lutte était inégale ; un des deux camps était par trop avantagé. »

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« Où était la justice, Où était le bien ? Nulle part. Dans cette société, il n’y avait place que pour la force, la tyrannie, l’arbitraire ! Seule comptait la recherche effrénée d’un pouvoir individuel sans limites ! Ceux qui dominaient ce monde l’avaient écrasé, lui, Jurgis, sous leur talon, avaient dévoré ce qui faisait sa substance même. Ils avaient assassiné son vieux père, brisé et déshonoré sa femme, piétiné et asservi toute sa famille. Maintenant qu’ils étaient arrivés à leurs fins, ils n’avaient plus besoin de lui. Parce qu’il s’était regimbé, parce qu’il s’était mis en travers de leur route, voilà quel sort on lui réservait ! On l’avait mis derrière des barreaux comme une bête sauvage, comme une pauvre chose dépourvue de toute raison, de tout droit, de tout sentiment, de toute émotion. D’ailleurs non ! Même un animal n’aurait pas été traité de la sorte ! Quel homme sain d’esprit serait allé prendre un fauve au piège dans sa tanière, en condamnant ses petits à la mort ? Ces heures au plein cœur de la nuit scellèrent le destin de Jurgis. C’est alors que germèrent sa révolte, son mépris des lois et son scepticisme. Son intelligence des choses n’était pas suffisante pour lui permettre de remonter à l’origine de cette société criminelle ; il ignorait que c’était le « système », comme on disait, qui l’avait anéanti, que c’étaient les patrons, ses maîtres, qui, ayant acheté les lois du pays, lui avaient assené leur volonté brutale par la bouche du juge. Il savait seulement qu’il avait été injustement traité et que le monde en était responsable ; que toutes les instances de la société lui avaient déclaré la guerre. Au fil des heures, son âme se chargeait d’amertume, sa colère enflait. Il imaginait d’autres rêves de vengeance, de défi. Il était envahi d’une haine à chaque minute plus féroce, plus frénétique. »

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« Malgré ces difficultés, Jurgis devait néanmoins se procurer l’argent nécessaire pour se loger la nuit et boire un verre de temps en temps, sous peine de mourir de froid. Jour après jour, dévoré d’amertume et de désespoir, il errait dans les rues glaciales. Jamais auparavant il n’avait porté un regard aussi lucide sur le monde civilisé, ce monde qui ne reconnaissait que la force brutale, où l’ordre social avait été établi par ceux qui possédaient tout pour asservir ceux qui n’avaient rien. Comme lui, Jurgis. Tout ce qui l’entourait, la vie même, lui apparaissait comme une gigantesque prison dans laquelle il tournait en rond tel un lion en cage ; il essayait d’en desceller les barreaux l’un après l’autre, mais aucun ne cédait. Parce qu’il avait été vaincu dans l’impitoyable course aux biens matériels, il était condamné à l’extermination et la société toute entière était là pour veiller à l’exécution de la sentence. Où qu’il aille, il se heurtait aux grilles de la geôle et sentait les yeux hostiles braqués sur lui : ceux des policiers gras et luisants, dont le moindre regard le faisait trembler, et qui, à son passage, semblaient resserrer leurs doigts autour de leur matraque ; ceux des tenanciers de bar qui le surveillaient du coin de l’œil, impatients de le voir vider les lieux ; ceux de la foule des passants pressés et indifférents qui restaient sourds à ses prières et devenaient féroces et méprisants lorsqu’il insistait. Tous ces gens avaient leur propre vie, dont lui, Jurgis, était exclu. De quelque côté qu’il se tournât, il devait se rendre à l’évidence : nulle part il n’y avait de place pour lui. Tout était là pour le lui signifier : les belles demeures aux murs épais, avec leurs portes verrouillées et leurs soupiraux grillagés, les immenses entrepôts regorgeant de produits du monde entier, défendus par des rideaux métalliques et de lourdes portes, les banques qui cachaient dans leurs chambres fortes en acier d’inimaginables richesses se comptant par milliards de dollars. »

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« Cremada » de Maïté Pinero
Bernard Revel
Prix Odette Coste des Vendanges littéraires 2017 Maïté Pinero est née à Ille-sur-Têt. Journaliste, elle a été correspondante de presse en Amérique Latine dans les années quatre-vingts. Elle a couvert la révolution sandiniste au Nicaragua, les guérillas au Salvador et en Colombie, la chute des dictatures chiliennes et haïtiennes. Elle a écrit plusieurs romans et recueils de nouvelles dont « Le trouble des eaux » (Julliard, 1995). Les huit nouvelles de « Cremada », rééditées par Philippe (…)
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« Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance. »

Abraham Lincoln, 16ème président des Etats-Unis de 1861 à 1865, 1809-1865, assassiné

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