La raison de ces attentats

Non, l’islamisme radical n’est pas la raison première du terrorisme, et son éradication n’est pas la solution miracle : un peu comme si les pompiers confrontés à un incendie se contentaient d’enlever du brasier le briquet du pyromane.

Sans remonter aux croisades et à la cohabitation médiévale avec les musulmans finalement ratée (malgré «  l’enrichissement  » réciproque) en Europe, à s’en tenir à l’histoire moderne, tout témoigne d’une politique conduite par nos pays dans le seul souci de leurs intérêts «  impérialistes  » : la guerre d’Algérie, le soutien aux moudjahidin afghans (assassins d’instituteurs, maltraitant des femmes), contre le gouvernement laïque, l’instrumentation de l’Irak contre l’Iran, sa manipulation avec le Koweït, le mensonge sur les armes de destruction massive pour détruire Saddam Hussein (pas un saint), et maîtriser la région, le soutien aux royaumes totalitaires de la région du Moyen-Orient, la guerre à la Libye et l’assassinat de Kadhafi (pour le faire taire ?), jusqu’au calcul sordide de laisser l’« État islamique » (mal nommé) régler son compte à Bachar Al Assad, abandonnant entre deux feux la résistance née de la révolution du printemps arabe… Et il faudrait évoquer les retournements d’alliances : hier soutenant le tyran, aujourd’hui le dénonçant pour la même tyrannie en fonction des alliances et sans doute de l’opportunité de se partager les richesses de la région, et la vente d’armes à tous les camps. Le pire est sans doute de laisser s’éterniser le conflit israélo-palestinien dont les Palestiniens paient le plus lourd tribut, un peu comme si nous étions assurés d’un déséquilibre perpétuel et d’un motif tout trouvé d’intervention chez les voisins que ce conflit inquiète légitimement… Le tableau est à peaufiner (Rwanda, Mali, Tchad, Niger, République centrafricaine…).

Les attentats de Paris constituent un crime atroce et il convient de sortir de la logique qui amènera inéluctablement à leur répétition, plus terrible encore. Depuis des années, les mesures de sécurité ne cessent d’augmenter : forces de police, contrôles, portiques de sécurité, agences de surveillance privées, administration de plus en plus exigeante, mobilisation de l’armée, développement des services secrets, lois autorisant le contrôle et l’espionnage des particuliers, juridictions d’exception, collaborations internationales (pas toujours en confiance), autres mesures parfois aux limites de la démocratie ou franchement liberticides, et maintenant couvre-feu et état d’urgence. Elles n’ont jamais évité la survenue d’un crime de masse, d’autant plus important qu’il a dû s’élever au-dessus du mur de sécurité dressé pour protéger les citoyens : en nous proposant d’élever le mur encore plus haut, on crée les conditions pour des crimes encore plus odieux.

Non, malgré le nombre de morts, ce crime n’est pas le plus important que notre monde ait connu : le bombardement atomique délibéré des populations civiles d’Hiroshima et de Nagasaki, pour s’en tenir à celui-là, reste, espérons pour longtemps, une figure d’horreur difficilement égalable ! Mais c’était chez les «  autres  », et nous la pensions justifiée par la guerre ! Nous sommes d’un monde où il n’y a pas de place pour l’autre, le différent. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à regarder comment sont traités les migrants – bien sûr aujourd’hui soupçonnés de receler les terroristes infiltrés, dont il faudrait mettre les suspects en camp de concentration. Sans compter que nous avons connu trois heures de guérilla urbaine (avec un cortège de morts et de blessures), quand d’autres vivent sous les bombes (y compris les nôtres). Le tri entre les réfugiés de guerre, invités à repartir une fois la paix revenue (jamais ?), et les réfugiés économiques, invités à aller mourir ailleurs que sur notre paillasson, révèle cette incapacité à penser l’altérité autrement que comme un danger à combattre : si nous ne sommes pas capables d’accueillir convenablement l’altérité là où elle se voit, il n’est pas étonnant qu’elle soit maltraitée là où elle est moins soupçonnée : cf. l’augmentation des violences à l’endroit des enfants et des femmes (ce n’est qu’un exemple !), et, finalement, le mépris de ce qui fait l’altérité de chacun (l’art, le handicap, la vieillesse…). C’est la démocratie à terme qui est menacée au nom d’un politiquement correct qui voudrait prendre l’allure d’un «  tous unis  ».

«  Tous unis  » pour quoi ? Pour que nous ne changions rien à la logique délétère qui voit le capitalisme accumuler de plus en plus en plus d’argent, les pauvres devenir de plus en plus en plus pauvres ? Six millions de morts de faim par an (une Shoah annuelle), un million pour ne pas avoir accès au vaccin contre les pneumopathies parce que vendu trop cher (pourtant amorti), et autant de morts pour bien d’autres vaccins et médicaments, à quoi il faut ajouter les victimes des maladies de l’eau, les maladies infantiles non soignées de par le monde, l’écrasement des peuples par les politiques d’austérité supposées sauver les banques et assurer les profits des spéculateurs, et finalement toutes les victimes du capitalisme (suicides, accidents du travail, management jusqu’au burn-out, etc.) : le voilà le plus grand crime contre l’humanité ! L’épisode des chemises d’Air France est éclairant de ce point de vue : il démontre que les serviteurs du discours capitaliste, médias, justice (et finalement beaucoup d’entre nous), considèrent spontanément qu’il y a une violence légitime du système qui nous enrôle, et une violence illégitime de ceux qui défendent leur vie.

Ce système ravale l’individu à sa valeur marchande, disqualifiant tous les idéaux nécessaires à donner un sens à leur existence que le calcul économique ne saurait fournir. Nos politiques ne ressortent les idéaux que pour tenter de maintenir la cohésion des peuples qu’ils régissent autour de ceux qui en profitent. Le nouveau maître, véritable religion des temps modernes, est cette «  économystification  » à laquelle les mêmes politiques ont fait allégeance. Rien d’étonnant à ce que certains cherchent alors des valeurs dans des formes capables de rivaliser avec ce scientisme (tout s’expliquerait par un calcul en dernière instance économique) : ils les trouvent dans des religions d’allure paranoïaque, et il n’y a pas que l’islamisme radical à s’offrir comme (fausse) solution. L’« État islamique » n’est que le reflet de notre monde, une maladie terrible et à combattre. La montée de l’extrême droite dans tous nos pays (et d’autres intégrismes religieux : christianisme, bouddhisme, judaïsme et d’autres sont dans la course) démontre que nous sommes largement contaminés : il ne suffira pas d’éradiquer les terroristes islamistes. Il convient de rendre impossibles les paranoïas religieuses et fascisantes.

Pour cela, il faut encore sortir du discours capitaliste, effacer la raison de la raison de ces attentats. Et rendre aux sujets, y compris à celui que tentait la religion folle, la possibilité de contribuer autrement à la construction du vivre-ensemble que nous souhaitons : l’énergie du migrant qui risque délibérément sa vie pour offrir un avenir meilleur à ses proches, l’énergie du terroriste qui se fait exploser préférant mourir que laisser l’«  autre  » vivre, pourraient rejoindre l’énergie de ceux qui témoignent dans les deux cas de leur solidarité pour éponger les dégâts. Il y a là les ressources dont nous pourrions disposer si nous savions éviter le gâchis criminel... Et nous devons inventer comment l’éviter.

Marie-Jean Sauret est psychanalyste, professeur de psychopathologie clinique à l’université Toulouse Jean-Jaurès.

COMMENTAIRES  

20/11/2015 03:24 par depassage

Quand je commente, mon seul but est d’enrichir l’autre par une vision qui dénote ou qui peut lui permettre de saisir un autre angle. Dans ce cas précis, je fais la chasse aux préjugés et ne commente pas l’article que je trouve bien et adéquat.
Les réflexes et les préjugés sont de même nature et on en a tous.

... pour détruire Saddam Hussein (pas un saint).

On sait qu’il n’était pas un saint comme personne ne peut l’être à moins de vivre en ermite ou en marge des remous de la vie. L’auteur retient qu’il n’était pas un saint, alors qu’on l’a déjà diabolisé à l’extrême. Il faudra un miracle pour qu’il revienne à être considéré comme un être normal, du moins pour l’Occident.
Par contre, moi, je vois qu’il a été pendu comme un vulgaire bandit des grands chemins par des soi-disant chiites pour créer un grand fossé entre les chiites et les sunnites et les diviser. Je vois que toutes l’équipe de son gouvernement a été traité de même, avec une rançon pour leur capture, mort ou vif, ou leur dénonciation, en plus d’associer à chacun d’eux une carte de jeu.
Agir avec un tel mépris vis-à-vis d’un peuple, d’une culture et d’un monde qu’on dit arabe ou musulman, dépasse tous les entendements et laisse des traces que rien ne peut effacer. Rien.
On a envahi un pays et on l’a conquis, soit, c’est de bonne guerre, mais ajouter l’humiliation à une défaite, il faut ne pas un être humain ou un humain avec des desseins monstrueux.
Si cela s’était arrêté là, à la rigueur, il fallait encore le refaire avec Kadhafi et aller jusqu’à faire disparaitre son cadavre.
À un moment ou à un autre, il faut faire éclater les abcès pour qu’ils guérissent.
Il ne suffit pas donc de dire que l’autre n’est pas un saint, il faut aussi s’interroger sur l’empreinte qu’on a laissée dans la tête de l’autre.

20/11/2015 09:45 par reymans

@depassage
Entièrement d’accords, et d’autant plus avec khadafi, ce qui démontre que le probleme est bien plus large que cela finalement
Du coté occidental et depuis bien lgtps, on ne se contente pas d’opprimer et de manipuler, en particulier le monde arabo musulman, avec un jusqu’au-boutisme (me plait bien ce mot, qu’on peut remplacer à loisir par extremisme, plus à la mode ^^) crasse. Le pire ce sont les humiliations qu’on fait subir qui, elle, ne partiront pas
Ca démontre globalement le respect de l’autre quand il s’agit de comparaison entre orient et occident
Ca va des caricatures au traitement des dirigeants comme hussein ou khadafi, en passant par le mépris de la vie humaine qu’on constate avec les sorts faits au peuples non occidentaux (orient au sens large, on peut aisément pousser jusqu’en asie)

Le sujet est sensible, mais je reste convaincu qu’en occident on ne parvient pas à se débarrasser d’un fond de préjugés hérités directement du colonialisme, alors qu’il suffit pourtant de regarder et de se poser des question, finalement, assez simples : au vu de tout ce qui peut se passer, en considérant nos modèles sociaux occidentaux, peut on vraiment se prétendre plus civilisés que d’autres ?

Peut etre que chacn à ses réponses à cette question, me concernant je garde mes convictions chevillées au corps pour répondre que non, vraiment pas, nous ne sommes pas plus civilisés que d’autres que nous traitons avec un mépris criminel.
Et c’est bien cela le probleme de mon point de vue.

Merci une fois de plus à LGS pour cet article

20/11/2015 13:45 par reymans

Désolé pour les fautes d’ortho que je ne peux corriger, il manque une édition des posts sur le site...

20/11/2015 18:57 par Michel Maugis

pour détruire Saddam Hussein ( pas un saint)

Je rajoute mon commentaire à celui de Depassage.
Il faudrait une fois pour toute que ces auteurs de billets ou articles qui vont dans le bon sens, cessent de se déculpabiliser ou de s’excuser de devoir écrire leurs vérités incontestables par des remarques complaisantes à l’égard de cette idéologie dominante qui nous envahie.
L’ auteur a particulièrement tort de soutenir QU’UN SAINT aurait fait moins de victimes que Saddam Hussein en assurant un régime laïc refoulant le terrorisme.
D’ ailleurs c’ était un saint pour les USA, en un temps lointain, puisque’ il donna à la CIA une liste des communistes irakiens à assassiner.
Pourquoi dire que Saddam Hussein n’ est pas un saint ? C’ est pour s’excuser ? Qu’ est ce qu’ il n’ est pas encore ? Serait ce pour ne pas dire l’ essentiel de ce qu’ il était devenu ?
Un résistant à l´Empire fasciste Usraélien !!
Est ce un appel aux résistants qui seraient des saints en laissant pénétrer le terrorisme financé par l’ occident raciste et colonialiste ( chrétien) ?

Obama, Hollande, Sarkonazi, Fabius etc..seraient ils des saints ?

Avec ce genre d’ aparté, ces auteurs dévalorisent leurs propos.

J’ en suis certain, Bachar el Assad aura après la fin de cette guerre la stature d’un de Gaulle qui n’ était, lui non plus, un saint.

20/11/2015 19:25 par mandrin

cacher se saint que je ne saurai voir derrière ses lunettes...

21/11/2015 15:45 par marie-ange patrizio

Merci à Michel Maugis pour son commentaire sur un article où hélas se vérifie aussi, une fois de plus, le diton généralement utilisé dans le domaine agricole :
"beaucoup de feuilles, peu de fruits" , Marie-Jean Sauret...
Pour un toulousain, vous auriez pu penser à un autre bombardement, avant Hiroshima. Voir le très beau texte de Miroslav Lazanski :
Guernica
voirhttp://www.voltairenet.org/article189346.html
m-a patrizio

29/11/2015 09:55 par m weber

Merci pour cette mise au point.
A bien y regarder, un seul concept permet de comprendre les enjeux, et il a malheureusement été plus ou moins démonétisé : la guerre des classes.
Pour le reste : http://www.academia.edu/11395939/_Le_nouveau_r%C3%A8gne_de_la_terreur_un_peu_d_optimisme_ne_serait-il_pas_de_mise_2015_

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