« La science a fait des hommes des dieux avant qu’ils ne deviennent des hommes. »
Jean Rostand (Pensée d’un biologiste)
Un pavé dans la mare le 31 mai, l’OMS publie une étude concernant les dangers potentiels du portable. Cette organisation, on s’en souvient, a été discréditée lourdement dans l’affaire de la grippe aviaire et précédemment dans son rôle de caisse de résonnance de l’Aiea dans l’affaire de Tchernobyl où le drame a été minimisé sur instruction. Comment alors comprendre ce revirement vertueux quand on sait que depuis près de vingt ans, c’est une véritable guerre de tranchées que se livrent les barons mondiaux de la téléphonie mobile et les Etats et les sociétés civiles. Globalement et pendant longtemps, les études sur la nocivité des ondes électromagnétiques ont été financées par...les lobbys, ce qui fait que les résultats étaient, on l’aura compris, favorables aux fabricants de portables.
La téléphonie mobile, ou téléphonie cellulaire, est un moyen de télécommunication par téléphone sans fil. Ce moyen de communication s’est largement répandu à la fin des années 1990. La téléphonie mobile est fondée sur la radiotéléphonie, c’est-à -dire la transmission de la voix à l’aide d’onde radioélectrique (fréquences dans la bande des 900 et 1800 MHz) . Le téléphone mobile semble réussir là où ont échoué des technologies antérieures : devenir un couteau suisse numérique. Comme ce dernier, le téléphone mobile tient dans la poche, est relativement simple à utiliser et recouvre une multitude de fonctions liées au nomadisme. En 2007, le nombre de souscripteurs de téléphone mobile était supérieur au nombre de lignes de téléphone fixe dans 191 pays et territoires sur un total de 197 pour lesquels les données sont disponibles. (1)
Les dangers de l’utilisation portable
L’OMS relève que les risques d’accident de la circulation sont multipliés par 3 ou 4 lors de l’utilisation de mobiles (que le conducteur utilise ou non un kit « mains libres ») . Une étude de l’administration américaine pour la sécurité sur les autoroutes, la National Highway Traffic Safety Administration (Nhtsa), a relevé qu’aux États-Unis en 2005, à un instant donné, environ 6% des conducteurs utilisaient un téléphone tenu en main en conduisant (soit 974.000 véhicules à un moment donné), et que 0,7% des conducteurs téléphonaient avec un écouteur/microphone déporté, et que 0,2%des conducteurs étaient en train de composer un numéro. (1)
On sait que les effets des radiofréquences sont de plus en plus dangereux. Ils se caractérisent surtout par la perte de myéline, substance gainant les fibres nerveuses à 100 MHz les radiations pénètrent tout le cerveau, toute la moelle et tout l’oeil. Selon une équipe de chercheurs de l’université de Coblence, les champs électromagnétiques perturberaient les abeilles dont le sens de l’orientation est basé sur les champs magnétiques terrestres et qui émettent des signaux de 180 à 250 hertzs dans leurs danses de communication.
Déjà dans une étude en l’an 2000, l’attention a été attirée sur les dangers des ondes électromagnétiques : « Maux de tête, troubles auditifs, picotements de la peau, clignements oculaires, pertes de mémoire, troubles de la concentration, bourdonnements d’oreilles... » Les études contradictoires se multiplient pour démontrer les dangers des téléphones portables. Parmi les risques liés à l’utilisation de la technologie des ondes radio, deux sembleraient avoir une incidence directe sur notre cerveau. Les effets thermiques sont les plus palpables. En effet, l’utilisation continue d’un mobile pendant 20 minutes fait augmenter la température des tissus en contact de 1° Celsius. C’est alors le cortex, la partie la plus sensible du cerveau se trouvant à proximité de l’oreille, qui absorbe cette fluctuation thermique. Second danger : l’émission par l’antenne d’ondes ultracourtes de très hautes fréquences émises au niveau de l’antenne qui sont absorbées pour moitié par la tête de l’utilisateur.
« D’après de nombreux spécialistes, il est possible, à terme, que l’ADN cellulaire soit lésé, ce qui provoquerait des tumeurs cancéreuses. Les kits mains libres (systèmes de plus en plus répandus d’oreillette permettant de téléphoner tout en conduisant) mis récemment sur le marché, font l’objet d’études aux conclusions contradictoires : augmentation de 30% des radiations absorbées par le cerveau selon une enquête britannique, réduction jusqu’à vingt fois des ondes électromagnétiques transmises vers le cerveau, d’après une récente étude israélienne. Suivant l’étude menée par Which, le magazine de l’Association britannique des consommateurs, celui-ci affirme que les kits mains libres pourraient augmenter la transmission des ondes au cerveau. En effet, les chercheurs ont établi que le fil qui va du téléphone à l’oreille agirait comme une antenne véhiculant trois fois plus de radiations au cerveau de l’utilisateur qu’un portable utilisé classiquement. Au contraire, répond l’étude menée par les Israéliens : l’éloignement de l’oreille du télépone au fil du kit mains libres réduirait jusqu’à 20 fois le niveau des ondes électromagnétiques transmises vers le cerveau ». (2)
En se basant sur une revue de littérature d’études épidémiologiques, l’OMS a conclu en 2005 qu’il est peu probable que l’exposition aux ondes électromagnétiques des téléphones mobiles ait des conséquences néfastes sur la santé des usagers. Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) coordonne l’étude internationale « Interphone » qui vise à préciser les liens éventuels entre l’utilisation des mobiles et le cancer. Il s’agit de la plus grande enquête épidémiologique menée sur le sujet. En mai 2010, les premiers résultats de l’étude Interphone ont été publiés dans la revue International Journal of Epidemilogy. Les premiers résultats publiés, portant sur l’observation de 10.700 personnes dans treize pays, concluent qu’« aucune augmentation du risque de gliome ou de méningiome n’a été observée en relation avec l’utilisation du téléphone mobile. (...) Ce consensus pourrait être complètement bouleversé avec la publication, le 31 mai 2011, du dernier rapport du Centre International de recherche sur le cancer, dépendant de l’OMS : à l’opposé de ses conclusions de 2010, le Circ a en effet, conclu que l’utilisation des téléphones portables entraîne un risque accru de développer un gliome. Par conséquent, les champs de radiofréquence sont désormais classés dans la catégorie 2B des cancérogènes potentiels. (1)
L’agence de recherche sur le cancer, écrit Paul Benkimoun de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a indiqué, mardi 31 mai, que l’usage des téléphones portables devait être considéré comme « peut-être cancérogène pour l’homme ». Cette classification marque une évolution notable, alors que le téléphone mobile compte 5 milliards d’abonnés dans le monde. A l’heure où les experts rendaient leur avis, le site de l’OMS indiquait encore qu’il « est clair que si les champs électromagnétiques ont un effet sur le cancer, une augmentation du risque ne sera qu’extrêmement petite ». (...) Les travaux menés chez l’animal ont abouti à « des preuves limitées d’un risque », a déclaré le docteur Samet. Interrogé sur le problème du conflit d’intérêts - qui a provoqué le retrait d’un des experts initialement pressentis -, le docteur Straif a assuré que la question « était prise très au sérieux par le Circ et que la décision n’avait subi aucune influence de la part des opérateurs ». (3)
« A la lumière de conclusions de l’OMS sur le danger des ondes, Corinne Lepage en appelle au principe de précaution. Au nom du principe de précaution, constitutionnel, le législateur pourrait-il imposer le port de l’oreille, face à un téléphone portable « potentiellement cancérigène » ? C’est en tout cas l’idée lancée par la députée européenne (Cap21) Corinne Lepage. Les conclusions du Centre international de recherche sur le cancer de l’OMS, rendues le 31 mai, selon lesquelles il y a « un risque accru de gliome, un type de cancer du cerveau associé à l’usage du téléphone mobile », lui inspirent la réflexion suivante : « Soyons pragmatiques, on ne va pas faire baisser l’utilisation des portables (il y a cinq milliards d’abonnés dans le monde, Ndlr) . Mais on peut imposer aux constructeurs une ergonomie qui empêche l’utilisation sans oreillette. » (4)
C’est la première fois que l’OMS fait un lien aussi direct entre cancer et téléphone portable. En effet, malgré les multiples études et alertes d’associations anti-antennes relais ou d’organisations comme le Priartem, le débat sur le caractère dangereux ou non des téléphones portables, a toujours été sur le mode de l’affrontement, entre soupçons de lobbying et contre-études. Pour nous au quotidien, il est recommandé de privilégier les kits mains libres avec oreillettes, le haut-parleur, qui permet d’éloigner le téléphone de l’oreille pendant la conversation, l’envoi de textos à la place d’un appel, le téléphone fixe notamment. Il est aussi recommandé d’éviter si possible de téléphoner pendant longtemps à l’intérieur d’endroits confinés (ascenseurs ou voiture), car les ondes électromagnétiques émises sont plus puissantes, du fait de la réduction de la surface. Quant aux enfants, du fait de leur croissance, leur cerveau plus fragile, est doublement plus exposé aux ondes électromagnétiques. Ils doivent donc être le moins exposés possible aux téléphones portables. (5)
Les énormes enjeux économiques
Selon plusieurs observateurs, les enjeux économiques du secteur sont tels que les opérateurs de téléphonie mobile créeraient des conflits d’intérêts en finançant partiellement les recherches sur la question pour mieux en contrôler les résultats. Les chercheurs Heny Lai et Ross Adey ont tout deux renoncé à continuer à travailler respectivement pour le Wireless Technology Research Center et Motorola qui souhaitaient orienter ou censurer les résultats de leurs expériences. L’épidémiologiste américain George Carlo a affirmé en 2007 que les études « financées par l’industrie ont six fois plus de chances de ne rien trouver que celles qui sont financées de façon indépendante. » Selon lui, « 95% des études sont financées par l’industrie. L’industrie contrôle quasiment la science et la diffusion des informations scientifiques. Elle contrôle la façon dont le public perçoit ou ne perçoit pas les dangers ». En France, même l’Académie de médecine a priori neutre et non « manipulable », déclare pour sa part que « le principe de précaution ne saurait se transformer en machine alarmiste, surtout quand plusieurs milliards de portables sont utilisés dans le monde sans conséquences sanitaires apparentes depuis 15 ans ». (1)
On l’aura compris, les enjeux économiques se chiffrent par milliards, d’où une omerta qui a longtemps régné sur les risques pour la santé des téléphones portables, mais la vérité finit toujours par percer les barrières de toutes natures. En janvier 2011, le nombre d’abonnements à la téléphonie mobile passe à 5 milliards, selon un rapport de l’ONU. L’usage du téléphone portable a explosé dans les pays les plus pauvres, là où le réseau téléphonique fixe est souvent embryonnaire. En 2008, trois abonnements sur quatre (soit trois milliards) ont été souscrits dans les pays en voie de développement, contre un sur quatre en 2000.
Le cabinet d’audit AT Kearney a publié en 2009 une étude sur l’impact environnemental de la téléphonie mobile. Il estime que la consommation en énergie d’une heure de conversation téléphonique équivaut à celle d’un lave-linge à 40°C. De plus, l’émission de CO2 des 3,5 milliards de téléphones portables en circulation dans le monde s’élève à 40 millions de tonnes, soit l’équivalent de 21,5 millions d’automobiles de petite cylindrée.
Sociologie du portable et néfaste addiction
Le téléphone portable brouille la limite, auparavant assez imperméable, entre vie professionnelle et vie privée, notamment en période de vacances. Le téléphone portable, devenu objet multimédia généraliste, provoque des phénomènes de dépendance psychologique personnelle. Certains lui reprochent de supprimer les « temps morts », désormais consacrés à des conversations, des SMS ou des jeux, et qui permettaient notamment l’observation, la réflexion, etc. Le mobile a habitué le citoyen du début du xxie siècle à pouvoir joindre n’importe qui n’importe quand. Certains lui reprochent de créer un sentiment d’urgence et d’impatience artificiel, brouillant la hiérarchie entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas.
Il faut reconnaître que les téléphones portables permettent de s’exprimer de diverses manières, qui se sont beaucoup développés ces dernières années. Cette polyvalence, ce renouvellement constant des fonctionnalités, vise la cible privilégiée des adolescents. Sans doute l’adolescent est-il un individu idéologiquement malléable, mais il n’empêche que tout est mis en oeuvre pour qu’il achète, renouvelle ses achats, consomme en masse.
En 2005, une étude de la London Business School affirmait aussi que, chaque fois que le taux d’équipement en mobiles d’un pays augmente de 10%, le PIB croît de 0,5%. Voilà pour la doxa néo-libérale. Il n’empêche que cette information de l’OMS a jeté la panique ; On parle maintenant de kit main libre pour sauver le marché juteux des portables tout en créant un autre segment pour la fabrication de ces kit main libre ; Pourtant, beaucoup de scientifiques disent que l’oreillette et le fil qui la relie au portable agissent comme antenne décuplant ainsi le flux d’onde.. Faisons confiance aux fabricants ; nul doute qu’ils proposeront une autre question qui leur permettra de gagner du temps et de l’argent.
On peut s’interroger sur la valeur ajoutée d’un portable à coté d’autres priorités, notamment pour les citoyens des PVD qui en face du monde des technologies de l’information et de la communication à défaut, de la voie royale du savoir utile, ils y entrent par une voie dérobée et par effraction, ne goutant que le côté ludique sans lendemain et c’est là la grande arnaque.
L’addiction, à titre d’exemple est particulièrement significative en Algérie où on compterait plus de 20 millions de portables pour 35 millions d’habitants. Est-ce pour autant que le portable crée de la richesse ? Nous ne le croyons pas. L’Algérie transfère chaque année l’équivalent de 2 milliards de dollars et on comprend que la bataille soit féroce entre les différents opérateurs. L’utilité du portable est de loin discutable, créant des habitudes de consommation qui ne sont pas le fruit d’un effort, un portable scotché à l’oreille pour parler dans le vide comme le recommande un opérateur, est non seulement inutile, coûteux mais pourrait amener à de nouvelles pathologies coûteuses pour la société. Est-ce cela le développement ?
Plus largement, la citation de Jean Rostand est d’une brûlante actualité ; des technologies de plus en plus dangereuses, du fait qu’elles n’ont pas été éprouvées sur la durée, sont mises sur le marché pour le plus grand bien de cette mondialisation-laminoir qui fabrique des consommateurs qui ne pensent pas mais qui dépensent en victimes consentantes. Ces découvertes insuffisamment mâtures doivent être mieux encadrés et les docteurs Faust qui proposent ces nouvelles technologies doivent prendre toutes leurs responsabilités Doit-on laisser, la mondialisation, cette machine du diable pour reprendre l’expression du philosophe Dufour, broyer dans sa marche vers l’abîme, aussi des rapports sociaux qui ont littéralement explosé alors qu’ils ont mis des siècles à se sédimenter ? disparaître en une ou deux générations ? La question reste posée.
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-du.dz