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Dimanche soir, 20 heures...

La télévision inapte au changement ?

Il est 20 heures et l’image de François Hollande envahit l’écran de mon poste de télévision ; ça n’est pas une nouvelle nouvelle, car ce triomphe est un plat réchauffé déjà servi avant l’heure constitutionnelle sur d’autres réseaux. Mais, très vite, j’ai l’impression que quelque chose s’est cassé, s’est enrayé. Je zappe du privé au public, mais rien ne varie, la lumière des plateaux me paraît morne et le visage des animateurs blafard.

Ca ne rayonne plus comme au moment de la pub d’avant 20 heures où le réalisme libéral nous a gratifié d’une dose de modes d’emplois sans lesquels la vie ne serait qu’un long fleuve pollué. C’est un peu comme si le centre de gravité de ce petit monde écranique arrogant venait de se désaxer en entraînant la voix de chaque commentateur dans une couleur en berne. J’avais devant moi des gensdetélé orphelins de leur maître à paraître, celui-là même qui ne se gênait pas de les piétiner et de les traiter de tous les noms, jusqu’à se faire passer pour une de leurs victimes. C’est bien connu et le refrain de fin de campagne nous l’a suffisamment rabâché : Nicolas Sarkozy aurait été l’objet d’un lynchage médiatique pendant tout son mandat. D’ailleurs, il suffit de voir la tenue des entretiens télévisés du quinquennat pour le vérifier, non ?

En vérité, durant ces cinq années du candidat sortant, c’est progressivement, mais sûrement, que la plupart de ces gensdetélé sont devenus des larbins serviles passés maîtres dans l’art de manier la prose à reluire.

Des gens, véritables prêtres du nouveau culte du marché, qui avaient intériorisé l’idée que la page était tournée et qu’il était de leur devoir de faire table rase du passé, par conséquent de la fraternité, de l’égalité et de la liberté, de la liberté d’expression pour tous notamment. Ils baignaient dans une exigence de transparence dévoyée par la recherche de poux dans la vie pour exhiber toujours plus, sans limite, le dérisoire, le factice, dans la suture du manque à dire, jusqu’au vertige de l’emballement du Petit Journal de Canal + où triomphe le vide absolu.

En fait, dans un instant, l’image de François Hollande agissait comme l’annonce d’une nouvelle donne où ces gensdetélé ne seraient plus mauvais en tout, mais plutôt bons à rien. J’ai même senti le frisson de la fin d’une exhibition de la jouissance par la puissance de l’argent, avec l’émergence d’une exigence réelle de la représentation et non plus de la présentation. Les plateaux privés et publics n’étaient plus qu’un spectacle de l’absence ; ça sentait la vacance du pouvoir médiatique avec un programme d’une vacuité complète.

C’est vrai, après le discours de Tulle c’est, au centre de l’écran, un cortège de voitures et de motos sur la route de Brive-la-Gaillarde, avec sur les côtés du cadre des vignettes d’invités totalement minorées et leurs paroles souvent masquées par le son d’un concert d’attente sur la place de la Bastille ou surtout par celui des propos d’approche des journalistes à la recherche d’images sur les motos ou autres véhicules intempestifs.

«  Je suis à quelques mètres de la voiture du nouveau Président »… «  je me rapproche »… «  nous arrivons à l’aéroport de Brive »… «  il monte dans son avion »…

Bref une kyrielle de formules creuses au service d’un suspense de pacotille, au coeur d’une fausse course poursuite qui n’était en réalité que la figure d’une défaite de journalistes en quête de pas grand chose. Plus que jamais se vérifiait la formule : si vous fermez le son il n’y a plus d’image. Car c’est un truisme, à vouloir coller à la surface sensible des choses, on finit par ne plus rien voir et oublier de faire image, c’est-à -dire de penser un peu.

Où étais-je ? Sur la route, entre Tulle et Brive ? Non plutôt dans un voyage au coeur du vide dans le plus grand irrespect de ceux qui ont voulu un changement en choisissant le candidat derrière lequel couraient vainement une meute de prédateurs affamés, pour quelques miettes d’Histoire. Alors, histoire d’en parler, pour rire ou en pleurer, le cortège n’en finissait pas d’avancer dans un immobilisme visuel issu de la répétition du même à l’excès, pour laisser émerger un interlude, un trou de programme ou plutôt un trou de la pensée politique, comme un aveu de l’incapacité journalistique à parler de la nouvelle donne qui pourtant réclamait de manière évidente que les invités sur le plateau aient du temps et de l’espace pour parler, argumenter, controverser… Certes, des gensdetélé figés au centre pour séparer la gauche de la droite invitaient à des tours de table au pas cadencé, avec l’inélégance récurrente de couper la parole pour des urgences souvent peu prioritaires ; mais des tours de table comme des tours de manège où ça tourne en rond, avec un rythme et un temps auxquels il n’est jamais facile de s’adapter et par conséquent où jamais rien ne se creuse. A un moment de la soirée, dans le coin gauche de l’écran de la 2, Jean-Luc Mélenchon parle et tente avec un humour certain et quelques vérités qui fâchent, de recentrer l’image, en vain.

Et toujours, au centre de l’écran, le trou d’une course en temps réel propice aux descriptions les plus vaines, accompagné de lucarnes où la parole politique déclassée tente vainement de murmurer que nous venons de vivre une rupture.
Oui, pour faire honneur à la Nation, cette élection méritait un débat voir un déballage démocratique, car le peuple a répondu présent dans sa diversité. Un peuple au jugement fin et délicat qui a prouvé qu’il n’était pas la camisole de force de la politique, contrairement aux médias qui n’ont cessé d’annoncer en amont qu’il fallait s’attendre à une très grande abstention. C’est à une fête du bulletin de vote qu’il nous a invité, à un arrachement qui prouve à quel point il a la force de tordre le cours des choses et de montrer que le plus difficile est une tâche digne des femmes et des hommes libres, prêts à la fête.

Soudain, le hublot de ma machine à laver à la place de l’écran s’arrête de tourner pour laisser la place à des témoignages plein écran choisis dans la foule de la place de la Bastille ; d’emblée je comprends la pertinence des choix puisque de grands acteurs de la vie politique française me font découvrir l’horizon de leur nombril incandescent ou plutôt indécent : Josiane Balasco, Guy Bedos, Clémentine Célarié volent au peuple le temps de ses paroles, mais rassurent les gensdetélé, ils sont un peu de la famille. A ce moment là , j’ai la rage, car il s’agit bien de la peur, de la haine du peuple ou bien de quelque chose d’approchant. Le peuple vu comme un vulgum pecus, incapable d’être autre chose qu’une foule anonyme, sans diversité de pensée. Alors que le plus souvent son érudition politique, son bon sens, se composent de souvenirs antérieurement éprouvés dans sa vie publique et privé, dans ses engagements, ses souffrances, ses désirs et sa confiance dans le génie politique du pays. La télévision a manqué le rendez-vous, elle a été une nouvelle fois sourde et aveugle, avec un people-tropisme décadent qui a cherché à faire du fils de François Hollande une nouvelle figure glacée de Gala, cette autre feuille merdiatique.

C’était pourtant le soir d’un renouveau et l’occasion de faire autrement. Mais ces gensdetélé-là peuvent-ils faire autrement ? Savent-ils faire autrement que de répéter à l’infini des modèles d’arrogance et de suffisance, chiens de garde d’une pensée unique, jamais calibrée, contraire à l’idée même de pensée, cette qualité en mouvement et en perpétuel changement. Savent-il que la parole est un ensemble de choses mises en scène et non l’exclusion du corps, l’oubli de la situation et que pour se résoudre pleinement elle a besoin de tout autre chose que du cadre d’une vignette au bas de l’écran, masqué, dominé par la béance d’une caravane de journalistes collée au cul de François Hollande.

Alors, si le changement c’est maintenant, pour la télévision il y a une urgence.

Anatole Bernard

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