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Le comble du luxe capitaliste

Payer pour jeûner : l'immonde toujours pleinement en phase avec son lectorat de bobos parisiano-centrés, et en décalage absolu avec l’actualité et le reste de la société, nous gratifie d'un article à des années lumière du quotidien et des pratiques de ceux qui ne sont rien. En s'offrant au passage le luxe facile et lâche d’égratigner un Bourdieu, qui ne peut plus répondre et que les bobos honnissent pour avoir démonté avec brio les ressorts de leur illégitimité.

Je jeûne donc je suis....un privilégié ?

2022 restera après 2020 l’année de poursuite du grand dévoilement. Le libre-échangisme néolibéral n’a tenu aucune des promesses fallacieuses de ses contempteurs. Le monde selon Ricardo, Smith, Say ou leurs héritiers, Friedman, Hayek, allait être une merveille où chacun, à l’abri des bas besoins matériels, se livrerait à la culture dans le luxe et l’abondance de biens. La réalité démontre depuis la chute du mur, et les crises successives à répétition qui en découlent, que l’application des préceptes néolibéraux n’a été qu’au service exclusif des classes aisées et bourgeoises qui ont préservé et même accru de manière indécente leurs patrimoines comme leurs privilèges.

Ainsi, contrairement à la lecture du monde qu’en livre Mme Bacqué, les français ne sont pas majoritairement soucieux de se payer une bonne semaine de jeûne. Il se divise entre ceux, les plus nombreux, qui luttent pour manger et ceux qui ont les moyens très élitistes, la chance de ne pas manger mais dans les règles de l’art.

Ainsi, désormais, il faudrait débourser pour se payer le luxe d’un jeûne pratiqué dans un entre soi de bon aloi. A l’autre bout de la chaîne sociale, les gueux, ceux qui ne sont rien, n’ont pas le luxe de ce type de pratiques. Tout au contraire, leur lutte à eux, c’est comment pouvoir encore, tout simplement s’alimenter. Leur nourriture, pour les plus chanceux est composée de productions à la qualité nutritionnelle nulle quand ce n’est pas avariée et au rabais, de l’industrie agro-alimentaire. Pour d’autres, faute de moyens, surtout depuis que l’inflation est de retour, la préoccupation n’est pas de bien jeûner mais de savoir comment simplement être en mesure de manger jusqu’à la fin d’un mois de plus en plus court. Le plus grand nombre en est ainsi réduit à se serrer la ceinture, ou à faire la queue devant les banques alimentaires à l’instar des étudiants. Enfin, les plus désespérés se livrent désormais en masse, au vol à l’étalage. Les produits alimentaires sont à présent équipés d’anti-vols comme des produits de luxe. Ne doutons pas que notre chère justice, au service exclusif de la classe dominante, saura châtier ces indélicats comme il se doit.

Bourdieu avait raison mais pas pour une journaliste du monde hors sol.

Dans son témoignage élogieux du jeûne de luxe, Mme Bacqué nous livre au passage une analyse sociologique de comptoir de café du commerce, probablement afin de justifier son salaire. Bourdieu le vilain, moquait, dans La distinction, le goût des « élites » pour toutes les pratiques venues d’Inde, jeûne, végétarisme, homéopathie. Déjà des préoccupations de classe hors de portée des plus modestes. Selon elle, un dégoût de Bourdieu pour les goûts de cette petite bourgeoisie, dit-elle, pillant sans honte, pour étayer son argument, une des idées lumineuses du maître. N’écoutant que son courage, elle assène sans trembler un coup, ou du moins ce qu’elle croit être un coup, à Bourdieu. Exercice dont la bourgeoisie parisienne s’est fait une spécialité depuis son décès. Elle livre du haut de sa position sociale, une critique, qu’elle pense bien sentie, à défaut de bien pensée, au sociologue détesté par les siens pour son œuvre de dévoilement des turpitudes de la classe bourgeoise. Elle prétend donc dans son article que les pratiques de sobriété choisie se sont depuis les années 1970, largement démocratisées. A ce stade on saisit mieux à quelle distance de la planète terre vit cette journaliste.

En effet, son texte tout en anecdotes approbatrices trace des portraits d’heureux jeûneurs, qui selon elle, seraient des quidams, du tout venant, du monsieur ou madame tout le monde de classe populaire en somme. Or, ces personnes, telles que nous les décrits la journaliste semblent inscrites dans une idéologique et des modes de vie parfaitement individualistes néolibéraux. Ces jeûneurs heureux disposent des moyens matériels, de l’aisance intellectuelle et de la tranquillité d’esprit de ceux qui n’ont pas la préoccupation du lendemain et sont, comme il se doit, avant tout, soucieux de leur bien être physique et mental. Qu’importe à leurs yeux, le chaos qui se développe partout ailleurs autour d’eux. A se demander d’ailleurs, s’ils en ont même conscience.
Premier portrait : l’organisatrice de ce juteux business du jeûne entre opulents (850 euros la semaine pour un bouillon matin et soir, sans hébergement). Une ancienne mannequin qui, à 68 ans écrit-elle, en paraît 10 de moins. Assurément, les caissières ou les aides soignantes exerçant de nuit seront après 42 ou bientôt 43 ans de cotisations retraite et de salaires indignes, marquées et feront probablement 10 ans de plus que leur âge. Vient ensuite l’ancienne marathonienne, coiffeuse de son état. Enfin, se dit-on, une vraie personne issue des classes populaires, que nenni. Coiffeuse oui, mais avec son compagnon décédé, amie proche de Franck Provost et propriétaire d’une chaîne de salons de coiffure. C’est sûrement un détail pour Mme Bacqué mais pour nous ça veut dire beaucoup. La meilleure pour la fin, la jeune mère avec son bébé. On commence à avoir de l’empathie, pour un peu on s’y laisserait prendre. Toutefois, accrochez-vous bien, la jeune maman en quête de sens et de perte de poids, loge sa nounou sri-lankaise dans un Airbnb à proximité du centre de jeûne, en Bretagne bien entendu, pas dans le 9-3. Patatras, pas vraiment le portrait de mes voisins, pas vraiment les pratiques que j’ai pu observer autour de moi, pas vraiment le genre de dépenses que m’auraient permis mes modestes moyens non plus.

Alors ne lui en déplaise, oui Bourdieu avait raison. Oui les pratiques décriées par Bourdieu comme étant caractéristiques d’une classe aisée, insouciante, restent le privilège d’une élite fortunée et à l’abri des coups du sort.

Ainsi l’immonde dans ses œuvres, financées par nos impôts, rémunère une journaliste pour se livrer aux délices du jeûne raffiné, alors que le pays est sur point d’exploser sous les coups de la destruction des services publics (santé, éducation, transports), des dispositifs de protection sociale (chômage et retraites), de la perte de pouvoir d’achat due à l’incurie des gouvernements qui se sont succédé. On est à ce stade largement au-delà des cons ça ose tout et on reste bouche bée devant tant d’angélisme hors sol. Mme Bacqué est-elle consciente de nous narguer en nous chantant, les vertus de la frugalité hors de prix alors que la majeure partie de ses concitoyens se débat dans la frugalité imposée ? Est-ce qu’indécent serait trop fort pour qualifier ce trop long article ?

»» https://www.lemonde.fr/m-le-mag/art...
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