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Le Communisme ? Autoritaire ?

C’est en 1983 que Maximilien Rubel ajoute un post-scriptum à son «  Marx, théoricien de l’anarchisme », essai publié une dizaine d’années auparavant (1).

Et ce n’est pas pour contredire mais plutôt pour renforcer ce qu’il écrivait alors.

MARX, THEORICIEN DE L’ANARCHISME

«  En cette année du centenaire de la mort de Marx, l’essai ci-dessus, publié il y a dix ans, nécessiterait un remaniement en vue d’en renforcer la thèse centrale : la fondation par Marx d’une théorie politique de l’anarchisme.

En effet, selon Maximilien Rubel, «  si l’on fait abstraction de la critique traditionnelle de caractère purement phraséologique dont cette théorie fait l’objet de la part d’idéologues anarchistes et libertaires, on doit admettre que le véritable débat sur les modes de transition des sociétés dominées par le capital et l’Etat est loin d’être commencé... Le plus souvent l’enseignement du principal intéressé n’est pas réellement pris en considération.

«  Que la quasi-totalité des résolutions «  politiques » rédigées par Marx pour les congrès successifs de l’Internationale ouvrière aient obtenu l’accord unanime des délégués, ce seul fait suffit pourtant pour reconnaître l’inanité des critiques soi-disant anti-autoritaires. »

LES ANTI-AUTORITAIRES ?

«  En réalité, poursuit-il, les «  anti-autoritaires » n’étaient pas moins «  marxistes » que leurs opposants, puisque, en votant ces résolutions dont ils ignoraient probablement l’auteur, ils rendaient hommage à «  l’autorité » de ce dernier.

«  Et que dire du vote unanime, par l’ensemble des sections de l’AIT, de l’adresse sur La Guerre civile en France où le «  vrai secret » de la nature de la Commune est révélé en ces termes :

«  C’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des accapareurs, la forme politique enfin découverte sous laquelle s’accomplira l’émancipation économique du Travail. »

«  Comment ne pas s’étonner, constate Maximilien Rubel, d’une phraséologie «  anti-autoritaire » toujours florissante, lorsqu’on sait que cette conception du caractère politique de la Commune fut partagée sans réserve par les adeptes de Proudhon comme par ceux de Bakounine, lequel, peu de temps après, s’est évertué à répandre parmi ses compagnons de lutte des libelles où Marx est traité de «  représentant de la pensée allemande », de «  Juif allemand », de «  chef des communistes autoritaires de l’Allemagne » aux «  allures de «  dictateur-messie », partisan fanatique du «  pangermanisme ».

MARX ET L’EMANCIPATION HUMAINE

Je fais ici grâce au lecteur de quelques qualifications supplémentaires qui n’enrichissent guère le débat et ne sont guère à l’honneur de leur auteur pour revenir au débat politique exposé par Rubel.

«  Comment prendre au sérieux un «  anarchisme » qui, «  anti-autoritaire » par essence et proclamation, attribue au même Marx le glorieux mérite d’avoir rédigé «  les considérants si beaux et si profonds des statuts », et d’avoir «  donné corps aux aspirations instinctives, unanimes, du prolétariat de presque tous les pays d’Europe, en concevant l’idée et en proposant l’institution de l’Internationale, dans les années 1863-1864 », tout en oubliant ou feignant d’oublier que la Charte de l’Internationale fut d’emblée un document politique, un manifeste qui confère à la lutte politique de la classe des producteurs le caractère d’un impératif catégorique, condition absolue et moyen indubitable de l’émancipation humaine ? »

DE HAUT EN BAS, OU DE BAS EN HAUT ?

«  Ce n’est pas Marx, poursuit Rubel, mais Bakounine qui pratiquait le principe de la libération de «  haut en bas » prônant la constitution d’une autorité centralisée et secrète, d’une élite ayant pour mission d’exercer une «  dictature collective et invisible » afin de faire triompher «  la révolution bien dirigée. »

Et là , Rubel multiplie les exemples et les citations qui confirment son affirmation première.
La carrière de Marx, continue-t-il ensuite, s’inscrit d’un bout à l’autre dans un processus de militantisme contre l’autorité.

L’Etat et l’Eglise de Prusse furent le premier obstacle que le «  docteur en philosophie » eut à affronter, pour pouvoir exercer la profession d’enseignant universitaire : ce fut le premier échec et aussi la première impulsion au combat contre l’autorité politique...

A l’exception de l’Angleterre, lieu de liberté relative, les pays où Marx a séjourné ont mis la police à ses trousses... Bref, son combat était toujours dirigé contre les régimes réactionnaires, donc autoritaires...

UN OUVRAGE SUR L’ETAT ?

Marx a cherché à connaître les modes de transformation révolutionnaire des sociétés dans le passé, afin de déduire de ces expériences historiques des enseignements généraux...

Et ce n’est pas en spécialiste de l’économie politique qu’il se posait...L’originalité de sa méthode devait s’exercer dans l’observation des rapports humains qui sous-tendent les phénomènes dits économiques, tant dans leur expression théorique que dans leurs manifestations pratiques.

Séparer le critique de l’économie politique et le théoricien de la politique révolutionnaire, c’est se fermer à la compréhension du sens profond de son oeuvre...

Et là , Rubel dévoile un aspect peu connu de l’oeuvre de Marx.

«  Nous disposons de nombreux indices, dit-il, qui permettent d’affirmer que le livre de l’Etat prévu dans le plan de l’ «  Economie » défini par Marx dans l’Avant-propos de la Critique de l’économie politique (1859) devait exposer une Théorie de l’Anarchisme.

«  Lorsque, pour commémorer le centenaire de la mort de Marx, un chroniqueur regrette que l’économiste l’ait emporté sur le théoricien du politique, il semble se fonder sur ce plan qu’il n’a pas été donné à Marx de mettre à exécution...

UN HALO DE LEGENDE

«  Or, l’auteur de la Critique prétend disposer des «  matériaux » destinés aux cinq «  rubriques » ou «  livres » ; il parle même de «  monographies » susceptibles de se changer, les circonstances aidant, en écrits élaborés conformément au schéma des deux triades où l’on devine facilement le rapport à la méthode dialectique d’un Hegel préalablement «  redressé ».

«  Le halo de légende qui entoure l’oeuvre de Marx a fini par atteindre un degré de mystification jamais atteint jusqu’ici, et l’on est bien obligé d’admettre que «  libertaires » et «  anti-autoritaires » y ont contribué pour une part non-négligeable, se faisant ainsi les complices, souvent involontaires, des idéologues libéraux et démocrates enrôlés au service des intérêts du capitalisme vrai contre le faux socialisme peint sous les couleurs du démon totalitaire...

C’EST LE POLITIQUE QUI TRAVERSE L’OEUVRE DE MARX

«  A la vérité, poursuit Rubel, c’est «  le politique » qui traverse de bout en bout l’ensemble de l’oeuvre de Marx, demeurée fragmentaire pour des raisons évidentes...

«  On sait maintenant que Marx n’a jamais cessé de travailler pour la «  rubrique » intitulée «  l’Etat »...

«  On sait surtout que le premier plan du Livre de l’Etat date de 1845, alors qu’il venait d’écrire la première ébauche d’une critique de l’économie politique.

«  Traiter d’un sujet tel que «  Marx théoricien de l’anarchisme » sans soumettre ce plan au jugement des lecteurs, et plus particulièrement de ceux parmi eux qui ne se passent pas de s’acharner contre le «  communisme d’Etat », c’est se priver d’un argument capital. »

Voici donc, dit-il, les onze thèmes inscrits par Marx dans un carnet utilisé pendant les années 1844-1847, leur date précise n’étant pas établie.

LE PLAN DE L’OUVRAGE

1) L’histoire de la genèse de l’Etat moderne ou la Révolution française ; L’outrecuidance du politique : confusion avec l’Etat antique. Rapport des révolutionnaires à la société bourgeoise. Dédoublement de tous les éléments en bourgeois et citoyens.
2) La proclamation des droits de l’homme et la constitution de l’Etat. La liberté individuelle et la puissance publique. Liberté, égalité, unité. La souveraineté populaire.
3) L’Etat et la société civile.
4) L’Etat représentatif et la Charte. L’Etat représentant constitutionnel, ou l’Etat représentant démocratique.
5) La séparation des pouvoirs. Pouvoir législatif et pouvoir exécutif.
6) Le pouvoir législatif et les corps législatifs. Clubs politiques.
7) Le pouvoir exécutif ; Centralisation et hiérarchie. Centralisation et civilisation politique. Système fédéral et industrialisme. L’administration publique et l’administration communale.
8) Le pouvoir judiciaire et le droit.
9) La nationalité et le peuple.
10) Les partis politiques.
11) Le droit de suffrage, la lutte pour l’abolition de l’Etat et de la société bourgeoise...

L’IRONIE DE MARX

A la liste des textes déjà mentionnés, complète Rubel, il convient d’ajouter un écrit polémique d’une concision et d’une ironie telles qu’il mériterait d’être cité en entier en tant que document conclusif de la théorie politique qui se dégage de l’ensemble de l’oeuvre de Marx et en justifie l’intention stratégique subordonnée à la cause de l’anarchie.

Par le subterfuge d’un pastiche, Marx prête la parole à un défenseur de «  l’indifférentisme politique », si bien que les propos cités, avant même d’être commentés, révèlent l’inanité du raisonnement soit-disant anarchiste. Il suffit de modifier le caractère ironique du discours fictif pour parvenir à reconstituer la conception positive du prétendu «  communisme d’Etat » :

«  La classe ouvrière doit se constituer en parti politique, elle doit entreprendre des actions politiques, au risque de heurter les «  principes éternels » selon lesquels le combat contre l’Etat signifie la reconnaissance de l’Etat. Ils doivent organiser des grèves, lutter pour des salaires plus élevés ou empêcher leur réduction, au risque de reconnaître le système du salariat et de renier les principes éternels de la libération de la classe ouvrière...

«  Aux yeux des «  anti-autoritaires », les travailleurs commettent l’horrible crime de violation des principes si, pour satisfaire leurs mesquins et profanes besoins quotidiens et pour briser la résistance de la bourgeoisie, ils mènent le combat politique sans reculer devant des moyens violents, en mettant à la place de la dictature de la bourgeoisie leur propre dictature révolutionnaire. »

UN COMMUNISME D’ETAT !!!

Maximilien Rubel reprend le fil :

«  Marx ne s’avise nullement de désigner cette dictature ouvrière de «  communisme d’Etat », bien qu’il emploie une formule non dépourvue d’ambiguïté, en déclarant que le nouveau pouvoir, «  au lieu de déposer les armes et d’abolir l’Etat », conserve en quelque sorte l’appareil de coercition existant en «  donnant à l’Etat une forme révolutionnaire et transitoire. »

Ces lignes, dit-il, écrites dix-huit mois après l’écrasement de la Commune de Paris, nous prouvent à l’évidence que, dans la théorie politique de Marx, les événements de 1871 en France n’avaient rien d’une expérience susceptible d’être évoquée pour illustrer le concept de «  dictature du prolétariat ».

«  Nous avons signalé ailleurs, poursuit-il, l’erreur commise par Engels à cet égard et nous jugeons utile de la rappeler dans ce post-scriptum - qui est loin d’épuiser le débat sur le thème examiné - par quelques passages d’un texte publié en 1971 :

L’ERREUR D’ENGELS

«  Engels ne pouvait ignorer que, pour Marx, la dictature du prolétariat était une phase de transition «  nécessaire » - au sens historique et éthique - entre le système capitaliste et le mode de production socialiste, «  négation » du précédent.

«  La théorie politique de Marx - qu’il aurait sans doute développée dans le Livre sur l’Etat prévu dans le plan de l’ «  Economie » - repose sur le principe de l’évolution progressive des «  modes de production » dont chacun crée, en se développant, les conditions matérielles et morales de son dépassement par le suivant.

«  En vertu de ses propres antagonismes sociaux, le capitalisme prépare le terrain économique et social de sa mutation révolutionnaire qui n’a rien d’un phénomène accidentel : afin que puisse se réaliser la dictature du prolétariat, les conditions matérielles et intellectuelles doivent avoir atteint un niveau de développement qui rende tout retour en arrière impossible...

LA DICTATURE DU PROLETARIAT EXCLUT L’ECHEC

«  En d’autres termes, poursuit-il, le postulat de la dictature prolétarienne exclut l’éventualité d’un échec. Une dictature, pour mériter le nom de prolétarienne, doit aboutir au type de société qu’elle a aidé à naître.

«  Son existence ne peut être démontrée qu’a posteriori.

«  Par conséquent, l’échec de la Commune prouve qu’il n’y eut pas de dictature du prolétariat et qu’il ne pouvait pas y en avoir. »

Ce rappel effectué, Maximilien Rubel conclut son post-scriptum :

«  En accordant à l’oeuvre de Marx une place éminente parmi les contributions à une théorie de l’anarchisme, nous nous efforçons de préserver l’héritage intellectuel des penseurs révolutionnaires du 19ème siècle...

LA NOUVELLE THEORIE NAITRA DU MOUVEMENT REVOLUTIONNAIRE

«  La nouvelle théorie, dit-il, naîtra d’un mouvement révolutionnaire à l’échelle mondiale, sans quoi la «  loi économique du mouvement de la société moderne » - que Marx prétendait avoir révélée - l’emportera sur l’instinct de survie et de conservation de notre espèce.

«  Alors que cette «  loi » relève de l’analyse scientifique du mode de production capitaliste - qui semble loin d’être parvenu au terme de son évolution - l’impératif catégorique de la révolution prolétarienne s’inscrit dans cette éthique de l’anarchie dont Kropotkine nous a légué les prolégomènes. »
M.R. Octobre 1983

Notes :
Voir mon article : «  Marx anarchiste ? » dans ma «  Tribune » de «  Rouge Midi ».
On trouvera le texte intégral de ce post-scriptum dans La Bataille socialiste.

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