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Restructuration des écoles des quartiers pauvres pour les livrer aux marchés mondiaux

Le lycée Locke High School et la solution "Green Dot"

Le lycée Locke High School à Watts (*) a eu les honneurs de la presse nationale quand une bagarre a éclaté entre des centaines de lycéens noirs et latinos. Cette affaire a été racontée dans le New York Times, le Chicago Tribune, USA Today, et Time magazine. Le Los Angeles Times a traité l’événement comme si une sonnette d’alarme avait été tirée - il fallait d’urgence trouver une solution radicale pour régler les problèmes à Locke et dans les écoles de ghettos du même genre.

De multiples façons, Locke High School accumule toutes les tares du système scolaire public qui "dessert" les opprimés au coeur des villes de ce pays. En 2005, seuls 332 élèves de Locke ont réussi l’examen de fin d’études secondaires pour une classe d’âge qui en comptait 1318 en 3eme. 143 élèves seulement ont été admis à l’université ("University of California" et "Cal State University").

En mars 2005, une jeune fille de 15 ans a été tuée par balles devant le lycée.

Même avant que la bagarre à Locke ne fasse l’objet d’articles dans la presse nationale, les autorités scolaires de LA avaient signé un contrat qui livrait la gestion du lycée à un organisme privé du nom de "Green Dot Public Schools". (une "charter school" (*) est une école publique gérée par un organisme privé indépendant).

Ce n’est pas la première école du genre dans la circonscription scolaire de Los Angeles (L.A Unified School District - LAUSD). Et pas la première école "Green Dot" à LA. Ils administrent déjà 12 petites écoles privées. Mais c’est la première fois qu’on confie à un organisme privé toute la responsabilité de l’enseignement public de lycéens d’un important ghetto urbain.

Les pouvoirs publics estiment que cette expérimentation d’envergure de privatisation de l’enseignement public pourrait servir de modèle à une transformation radicale du système éducatif dans les communautés les plus opprimées du prolétariat, en particulier les Noirs et les Latinos, non seulement à LA, mais dans tout le pays. Dans un récent éditorial du Los Angeles Times, on pouvait lire : "Si ça marche, Green Dot aura créé un modèle pour les écoles publiques".

Et beaucoup de gens, à Locke (des parents, des enseignants, l’administration qui est restée fidèle au poste, beaucoup d’élèves, et les gens en général) espèrent aujourd’hui que Green Dot sera véritablement le modèle "qui permettra de combler le fossé existant entre les résultats des élèves noirs et hispaniques et ceux de leurs camarades blancs et asiatiques", comme l’annonce la publicité du Mouvement pour les "charter schools".

Green Dot a pour objectif de faire émerger un petit nombre d’élèves issus des ghettos pour qu’ils contribuent à répondre aux besoins en "travailleurs du savoir" (*) (ceux qui utilisent les outils d’information, tels que les ingénieurs, les analystes, etc.). Et afin que ceux qui parviendront à ce statut de "travailleurs du savoir", servent de poids politique et idéologique permettant de perpétuer ce système d’exploitation et d’inégalités (en servant, par exemple, de caution à eux qui prétendent que "tout le monde peut y arriver dans ce système" ; un mensonge cruel quand, en fait, pour des millions et des millions de jeunes dans les ghettos, leurs soi-disant "opportunités" sont la rue - et une mort vraisemblablement précoce, la prison ou l’armée.

Des inégalités terribles

Les conditions dans les écoles des ghettos aujourd’hui reflètent parfaitement les conditions de vie dans ces quartiers. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale et de façon accélérée autour des années 80, les quartiers pauvres ont vu disparaître les emplois industriels plus stables et mieux rémunérés au fur et à mesure que les impérialistes restructuraient radicalement l’économie américaine pour tirer profit des possibilités d’investissements au niveau international. Les dirigeants au pouvoir ont sciemment décidé de répondre à cette mutation par des mesures qui creusaient considérablement le fossé entre la périphérie (où vit la middle-class, classes-moyennes, NDLT) et ces quartiers dévastés implantés au coeur des villes. En conséquence, c’est dans ces quartiers pauvres que se sont retrouvées de fortes concentrations de non-blancs, avec un taux de chômage en hausse, des boulots de merde pour ceux qui pouvaient en trouver, et un nombre considérable d’incarcérations.

L’effondrement et le démantèlement de l’Union Soviétique au début des années 90 n’a pas apporté les "dividendes de la paix" pour les services sociaux et l’éducation que certains espéraient (en fait, cet événement a permis de lever davantage de barrières pour ouvrir la voie à la mondialisation). Dans les années 90, le capitalisme a supprimé les emplois dans les quartiers défavorisés de façon encore plus radicale, abandonnant, sans emplois, sans services sociaux et sans écoles correctes de larges espaces urbains dévastés.

Il y avait une politique délibérée, en plus des mécanismes du système en soi, derrière le délabrement systématique des écoles publiques des quartiers défavorisés, comme pour tout le reste.

Dans ses livres, Jonathan Kozola dénonce la volonté des autorités d’attribuer moins de moyens aux établissements scolaires des quartiers pauvres qu’à ceux en périphérie des villes fréquentés par la classe moyenne et les terribles conséquences de cette politique sur la qualité de l’éducation et la vie des jeunes dans les ghettos. Une surpopulation scolaire considérable, des locaux délabrés, la pénurie de manuels et de matériel pédagogique, une rétribution insuffisante pour attirer de bons enseignants dans les écoles des centres-villes, qui doivent se contenter de vacataires - un contraste frappant avec la situation dans les écoles pour les Blancs en périphérie.

Dans son livre paru en 2005, "La honte d’un pays : la restauration de l’apartheid scolaire en Amérique", Kozol raconte avoir constaté au cours de sa tournée récente dans les écoles de tout le pays que le pourcentage d’élèves noirs dans les établissements scolaires à majorité blanche était, cette année-là , le plus bas depuis 1968. Et les établissements scolaires publics les plus importants ont tous été abandonnés par les blancs. Et cela, au moment même où la Cour Suprême des Etats-Unis précipitait cette polarisation en rejetant délibérément tous les efforts pour mettre en place une forme de discrimination positive, ne serait-ce que pour stopper l’amplification du phénomène.

Voici les pourcentages d’élèves noirs et latinos dans les écoles publiques des grandes villes aux Etats-Unis : Chicago-87% ; Washington DC-94% ; St. Louis-82% ; Philadelphia-78% ; Los Angeles-84% ; Detroit-95% ; New York City-73%. Et au sein des différents secteurs, la ségrégation est souvent encore plus flagrante, les élèves blancs étant concentrés essentiellement dans un petit nombre de quartiers riches ou dans des établissements pilotes multiraciaux ("magnet schools"). Et près de 3/4 des noirs et latinos vont dans des écoles qui sont essentiellement fréquentées par des enfants issus de minorités ethniques.

Greg Anrig écrit dans le Washington Monthly : "Les établissements scolaires dans les ghettos en Amérique souffrent toujours de dysfonctionnements graves, essentiellement parce que l’ensemble du pays est pratiquement tout aussi divisé selon l’origine ethnique et les revenus qu’au cours de n’importe quelle autre période depuis le mouvement pour les droits civiques".

C’est la triste réalité des centres-villes de ce pays, et des établissements scolaires qui les desservent. A cause de cela, il y a un nombre considérable de jeunes révoltés qui ont été écartés du système, à qui on a dit "Il n’y a rien pour vous ici" et qui ont alors été jetés en prison dans des proportions qui atteignent des records mondiaux.

C’est honteux au niveau mondial qu’une puissance impérialiste qui se veut le modèle à suivre pour la planète, et c’est scandaleux pour certaines couches de la middle-class qui commencent à en faire l’expérience. Et dans certaines circonstances, la situation peut devenir extrêmement explosive, comme on l’a vu avec les émeutes de Los Angeles en 1992. C’est un gros souci pour ceux qui poussent à la transformation et à la privatisation du système éducatif.

Les propositions de modèles de "réformes"

La classe dirigeante a réagi aux graves difficultés du système scolaire dans les villes non pas dans l’optique d’offrir à chaque enfant un enseignement de qualité, mais en prenant toute une série de mesures qui n’ont fait qu’aggraver la situation.

Deux de ces mesures importantes ont été : l’attribution de bons scolaires (*) - ce qui déstabilise les écoles publiques et favorise souvent les écoles confessionnelles - et la loi "No Child Left Behind" ("NCLB", "pas un enfant ne sera abandonné") qui a imposé aux établissements scolaires des programmes rigides ponctués par des tests.

Cette loi proposée par Bush en 2001 était votée avec le soutien des Démocrates.

Derrière les expressions vides de sens telles que : "l’obtention de résultats remarquables", "une éducation de classe internationale" et "combler le fossé existant entre les résultats des différents élèves", la loi NCLB ne se résume qu’à des tests normalisés (avec, à la clé, des sanctions sévères, plutôt que de l’aide, si les résultats de ces tests ne s’améliorent pas). Les établissements scolaires qui ne parviennent pas à améliorer leurs performances sont tenus, en premier lieu, de faire appel, à leurs frais, à des consultants privés. Et s’il n’y a toujours pas de progrès, ils devront sous-traiter l’éducation scolaire à des sociétés privées. Les écoles fréquentées par les enfants des classes moyennes ne sont pas concernées puisque ces mesures ne visent que les établissements où les résultats aux tests sont très faibles.

La loi NCLB consiste essentiellement à imposer aux professeurs d’améliorer coûte que coûte les performances de leurs élèves, parce que c’est l’existence même de l’école qui est en jeu. C’est ainsi que le travail de classe vise désormais à préparer les élèves aux tests normalisés (un enseignement nommé "pédagogie des tests").

Un grand nombre d’élèves faibles de 3ème sont contraints de redoubler dans certains lycées simplement pour améliorer les résultats de ces tests de la plus haute importance à l’issue de la 2ème.

A cause de cela, certains cours ont été supprimés dans de nombreux établissements, comme les cours d’arts plastiques, de musique, de langues étrangères, et même de sports, et l’enseignement de sujets qui ne feront pas partie des tests a été réduit. Des milliers d’établissements, essentiellement dans les quartiers défavorisés, sont visés par les fermetures à cause de leur incapacité à répondre aux normes nationales drastiques. Cette situation permet d’accroître le nombre d’écoles privées indépendantes et des EMOs (Education Management Organizations), qui forment des "entrepreneurs de l’éducation" à la gestion des écoles publiques privatisées qui se mettent en place.

La NCLB a été adoptée à l’issue d’un processus entamé depuis des décennies visant à dénier toute légitimité à l’école publique, à empêcher le développement et le financement d’écoles alternatives, et à encourager la création de modèles pour une nouvelle sorte d’école publique privatisée.

Le programme éducatif de Reagan était de "faire revenir Dieu dans la salle de classe" et de créer un système de bons de scolarité financés par l’Etat. Ces "bons de scolarité" aident financièrement les parents qui veulent mettre leurs enfants dans le privé et en particulier dans les écoles confessionnelles, qui étaient fort prisées à l’époque chez les chrétiens fondamentalistes.

Ces bons étaient décriés parce qu’ils remettent en cause le principe de séparation de l’église et de l’état. Après une décision de la Cour suprême en leur faveur en 1998, les bons de scolarité dans l’état du Milwaukee, dont bénéficiaient jusqu’alors environ 1500 élèves qui fréquentaient moins d’une vingtaine d’écoles laïques, étaient distribués à plus de 5000 élèves répartis dans près de 100 écoles, en majorité confessionnelles. Aujourd’hui, il y a environ 20.000 élèves du Milwaukee qui fréquentent les 122 établissements concernés par les bons de scolarité.

En 2002, la cour Suprême des Etats-Unis réglait la question de la séparation de l’église et de l’état en donnant le feu vert au programme de bons de scolarité à Cleveland, décrétant que le financement public d’écoles privées confessionnelles était une affaire de "choix". Ces programmes existent également en Floride, dans le Colorado, et le District of Columbia. Ce système de bons de scolarité se retrouve dans le programme de Mac Cain sur l’éducation (…).

Depuis le début des années 90, on voit se développer dans tout le pays, dans l’optique d’une "réforme" du système éducatif, des organismes privés, à but lucratif ou non. En 2004, il y avait 3.000 "charter schools" qui étaient fréquentées par les 3/4 d’un million d’élèves dans 37 états et dans le district of Columbia. Dans la ville de New York il y a 18 nouvelles "charters schools", ce qui porte le nombre total de ces établissements à 78 pour 24.000 élèves. Il y a actuellement à NY une école privée pour 18 écoles publiques.

Il existe des "charters schools" à but lucratif comme les célèbres "Edison Schools" fondées par John Chubb, professeur à l’institut conservateur Hoover. Il y a également un nombre croissant d’écoles militaires (*) publiques gérées par le privé, qui s’adressent aux élèves pauvres issus des minorités, surtout les noirs. Ces institutions tentent de séduire les parents et les élèves en leur promettant un environnement scolaire discipliné en même temps que la formation et la préparation à des carrières militaires. Et elles sont considérées par le Département de la Défense, qui participe au subventionnement, comme une filière permettant de trouver de nouvelles recrues destinées à une armée de volontaires.

Ce sont les écoles privées à but non lucratif qui recueillent actuellement le plus de suffrages dans la population et parmi les classes dirigeantes, y compris les troupes regroupées autour du candidat du parti démocrate à la présidence, Barack Obama. Ce qui permet de vendre ces écoles privées c’est qu’elles remplacent la "bureaucratie" de l’Education par un modèle de gestion plus efficace et plus moderne calqué sur le fonctionnement de l’entreprise privée.

C’est la responsabilité individuelle qui prime, avec des objectifs clairs et des résultats qui sont évalués selon des normes nationales. Ce qui implique que les mauvais gestionnaires peuvent être licenciés à cause des piètres performances de leurs élèves. Il en va de même pour les enseignants, puisque les écoles privées suppriment la titularisation.

A une époque où l’Etat a progressivement supprimé les moyens pour l’éducation, insister sur la responsabilité et réduire la bureaucratie comporte l’attrait supplémentaire de la promesse que des transformations majeures peuvent être mises en oeuvre sans d’énormes perfusions d’argent public.

Le PDG de "Knowledge Is Power Program (KIPP - le savoir c’est le pouvoir)" a déclaré récemment : "le fait que nous donnions la priorité aux performances plaît aux patrons. De même que notre modèle décentralisé axé sur l’autonomie, la flexibilité et l’innovation …".

En échange, c’est le monde de l’entreprise qui a le plus soutenu ces "charter schools" :" le monde de l’entreprise, à la fois les chefs d’entreprise, via leurs propres oeuvres philanthropiques, mais également les programmes de dons d’entreprise ont sans aucun doute constitué les éléments déterminants du succès de notre campagne de collecte de fonds.

Le modèle Green Dot : comment aggraver une situation critique.

La société des "écoles publiques Green Dot" fait partie des nombreux organismes à but non lucratif qui sont vivement encouragés et dirigés par certains des membres les plus influents et les plus "clairvoyants" du monde de la finance, par des responsables civils, les instances éducatives et des personnalités politiques.

Green Dot est dirigé par Steve Barr, qui collecte des fonds pour le parti démocrate et qui a co-fondé l’association Rock the Vote, qui a incité des millions de jeunes gens à s’intéresser aux élections et les a fait inscrire sur les listes électorales. Le conseil d’administration comprend le doyen de Loyola Marymount Graduate School of Education et Susan Estrich, professeur de droit à l’Université de South California, responsable, en 1988, de la campagne présidentielle du démocrate Dukakis.

Green Dot propose ce qu’ils appellent les projets de "Transformation de l’Ecole", comme pour Locke. Leur objectif est de créer un modèle largement soutenu par la population qui incitera les districts scolaires à adopter cette formule.

Un élément important qui contribue à cet engouement pour la privatisation, c’est Teach for America (TFA), un organisme privé à but non lucratif qui depuis un certain nombre d’années réussit à recruter des diplômés des universités prestigieuses, de la côte est et d’ailleurs, pour enseigner pendant deux ans dans les écoles publiques et privées des quartiers défavorisés. Un certain nombre de ces étudiants finit par avoir la fibre de l’enseignement, mais ce n’est pas le but de TFA au départ. L’idée de TFA, c’est plutôt que ces jeunes gens aillent grossir les rangs de plus en plus importants des administrateurs scolaires expérimentés, les autres entrant dans le monde de l’entreprise en tant que partisans éclairés de ces pratiques éducatives. Les KIPP Schools, dont le siège est à San Francisco, ont été créées par deux anciens stagiaires de TFA. Et 250 étudiants recrutés par TFA sont actuellement à la Nouvelle Orléans, où, à la suite de la catastrophe due à l’ouragan Katrina, est mise en oeuvre une expérience massive de privatisation des écoles publiques.

Etant donné que Green Dot va remplacer une école publique, ses administrateurs sont tenus d’inscrire tous les élèves du district qui étaient pris en charge par Locke. Mais cela ne signifie pas qu’ils devront les garder. Il y a actuellement de nombreux facteurs en jeu qui poussent déjà les élèves vers la sortie, la répression étant le facteur principal.
Ces politiques scolaires qui renvoient les élèves de l’école pour les remettre à entre les mains de la justice sont appelées "le pipeline de l’école à la prison".

L’Union américaine pour les Libertés Civiles (American Civil Liberties Union, ACLU) conteste non seulement la politique de tolérance zéro qui implique l’intervention de la police même pour des incidents mineurs qui ont lieu dans le cadre scolaire, mais également d’autres politiques qui arrivent au même résultat, qui excluent définitivement ou temporairement les enfants de l’école, qui emploient des méthodes conduisant au découragement et qui imposent des exigences académiques drastiques à haut risque. Pour les élèves en difficulté ou limite, le projet de Transformation de l’Ecole de Green Dot rend encore plus aléatoire leur maintien au lycée de Locke, tout en augmentant les risques et les conséquences pour ceux qui en seront exclus.

Green Dot exige que tous les élèves portent un uniforme (comme c’est le cas pour la plupart des écoles privées), une condition qui a déjà contraint certains élèves à aller s’inscrire à Jordan High, un autre lycée de Watts. Ceux dont les chemises ne sont pas bien rentrées dans le pantalon sont envoyés en retenue. Il est interdit de parler à un élève, même si c’est votre cousin, d’une autre école à proximité. La politique beaucoup plus sévère concernant les retards et l’absentéisme fait partie du processus d’élimination. En fait, Green Dot est en train de créer un lycée parallèle pour accueillir des élèves qui ont été exclus de leur école (sorte de "boîte à bac" - censée les préparer à l’examen de fin d’études secondaires, NDLT).

Les élèves racontent qu’il y a actuellement dans l’enceinte de ce lycée davantage d’agents de sécurité armés. Ils disent qu’il y a plein de flics dans la rue à la sortie des cours, et donc, personne n’a le droit de traîner avec ses amis après l’école. Les journées de cours sont plus longues et l’année scolaire également. Et tous les étudiants n’auront pas seulement la possibilité, mais seront obligés de s’inscrire à un cycle d’études universitaires que beaucoup - étant donné l’instruction qu’ils (n’) ont (pas) reçue jusqu’à présent - trouveront peut-être difficile à envisager.

Ca, c’est le modèle d’un système scolaire "droit au but" qui n’a aucun scrupule à envoyer encore plus d’élèves dans le pipeline qui va de l’école à la prison.

Les principaux donateurs de Green Dot et d’autres écoles privées sont la "Bill and Melinda Gates Foundation" et la "Broad Foundation", créée par Eli Broad, un magnat de l’immobilier qui figure à la 42° place sur la liste Forbes des plus grandes fortunes d’Amérique. Ces deux fondations ont investi plus de 2 milliards de dollars dans les "charter schools" de tout le pays. Et l’an dernier, les deux fondations (Gates et Broad) ont créé un fonds de 60 millions de dollars pour que leur projet éducatif figure dans les programmes des élections de 2008. Le fait que des personnalités comme Gates et Broad s’engagent activement dans le projet de réforme de l’éducation publique montre bien que les classes dirigeantes sont résolues à ce que cette mutation se réalise rapidement.

Dans son discours sur l’éducation, Barack Obama a évoqué les dangers tels que lui et d’autres les voient : "l’Amérique n’a pas de problème plus urgent que de préparer nos enfants à se battre dans une économie mondiale. Une économie où les entreprises peuvent créer des emplois partout où il y a une connexion Internet et quelqu’un pour faire le travail. Ce qui veut dire que les enfants qui grandissent ici à Dayton seront mis en concurrence non seulement avec des enfants de Detroit ou de Los Angeles, mais également avec ceux de Beijing ou de Delhi !." Ce qui est en jeu, a-t-il ajouté, "c’est la question de savoir si nous, en tant que peuple, serons toujours au XXI°s les leaders de l’économie mondiale comme nous l’étions au XX°s … L’essentiel, ce n’est pas seulement une éducation de classe internationale pour que les travailleurs puissent rivaliser avec les autres et gagner, mais c’est une main d’oeuvre formée pour que l’Amérique puisse rivaliser avec les autres et gagner."

Des choix difficiles dans une période difficile.

La Nouvelle Commission sur les Compétences de la population active en Amérique" ("The New Commission on the Skills of the American Workforce" ), un panel composé d’anciens secrétaires d’état et de gouverneurs, de responsables de l’éducation au niveau des états et au niveau fédéral, de chefs d’entreprises et de responsables municipaux, a fait paraître un rapport en décembre 2006 intitulé : "Des choix difficiles dans une période difficile". Ce rapport indiquait que si "des améliorations n’étaient pas réalisées au niveau des écoles et des universités publiques d’ici 2021, de nombreux emplois partiraient dans les pays étrangers comme l’Inde ou la Chine, où les travailleurs ont davantage de formation et sont moins rémunérés que leurs homologues américains".

Au cours de ces dix dernières années, 1,5 milliards de personnes ont rejoint la main d’oeuvre mondiale, en Inde, en Chine et dans l’ex-Union soviétique. Il y a actuellement deux fois plus de jeunes de professions libérales dans des pays à bas salaires que dans les pays où les salaires sont élevés, et qui reviendront beaucoup moins cher que les Américains dans les décennies à venir. Les projections indiquent que, dans les 15 prochaines années, 40 millions d’emplois courraient le risque d’être délocalisés à l’étranger, y compris des emplois qui nécessitent d’avoir fait des études post-secondaire.

L’impact sur l’économie et sur l’emploi ne sera pas le même pour tous les travailleurs. Un rapport rédigé par le "National Center on Education and the Economy" intitulé "L’Amérique et l’économie mondiale" prédit une "pénurie de travailleurs avec un "bac"+2 ou plus, et une surabondance de travailleurs avec un niveau d’études très bas". Le rapport conclut que les enfants dont les parents ont des diplômes universitaires ont beaucoup plus de chances de monter dans les tranches de revenus élevés, tandis que ceux dont les parents ont un diplôme de fin d’études secondaires, ou qui ont abandonné l’école avant, ont plus de chances de tomber dans la tranche des salaires les plus bas. Et le rapport ajoute : "La structure des classes en Amérique est très dynamique … Toutefois, on peut dire que la middle-class se partage en deux courants égaux et opposés : ceux qui ont des diplômes universitaires bénéficient de l’ascenseur social et ceux qui n’en ont pas se retrouvent dans une trajectoire descendante".

Les recommandations de la "Nouvelle Commission sur les compétences de la population active" concernant la réforme du système public d’éducation ont été décrites par son président comme étant "un appel à un remaniement complet du haut jusqu’en bas". Parmi ces recommandations, il y a l’autorisation donnée aux circonscriptions scolaires de sous-traiter à des sociétés privées l’administration de toutes leurs écoles, organisées dans l’esprit des "charters schools". Elles seraient gérées comme une entreprise (les écoles bien gérées seraient récompensées et les administrateurs dont les élèves auraient de mauvais résultats seraient renvoyés). Les membres de la commission préconisent également que tous les élèves passent les examens nationaux à l’issue de la 2°, ce qui permettra de les séparer en deux groupes. Ceux qui ne "se sont pas mal débrouillés" pourraient être dirigés vers des institutions ("community colleges") qui assurent des formations courtes post-études secondaires ou vers un programme qui offre des passerelles pour poursuivre des études universitaires.

Rien n’est dit sur ceux qui n’entrent pas dans les deux catégories. Cette formule est destinée à créer un système d’apartheid où une grande majorité de ceux issus des classes populaires, en particulier ceux qui subissent les discriminations dans les ghettos, seraient relégués officiellement dans les "community colleges" ou dans des centres de formation professionnelle, au mieux, ou alors complètement exclus du système.

Et cela correspond parfaitement avec la vision et la ligne du Mouvement pour les "Charter Schools", Green Dot y compris.

C’est encore un système où la multitude des pauvres et des opprimés au coeur des grandes villes du pays n’a aucun avenir. Green Dot et le mouvement pour transformer radicalement le système éducatif public ne vont rien y changer.

"Ils ont réussi, pourquoi pas vous ?"

(…)

Les dirigeants de ce pays croient qu’ils font face à une forte compulsion, provenant des besoins fondamentaux de ce système, d’élever le niveau d’instruction de la population active américaine dans son ensemble. Non pas pour donner la possibilité à chacun de devenir un "travailleur du savoir", ce qui, ils en ont conscience, est impossible, mais afin de conserver le plus possible à ce pays sa compétitivité dans l’économie mondiale.
Parallèlement, ils se retrouvent confrontés à la difficulté d’avoir à contrecarrer une agitation éventuelle à cause des divisions croissantes entre les classes populaires au bas de l’échelle et le reste de la population, que ces réformes n’empêcheront pas. Eli Broad, l’entrepreneur prospère, qui finance Green Dot et bien d’autres écoles privées, a écrit que s’ils ne procédaient pas à ces changements, ils courraient le risque de "créer un fossé encore plus profond entre la middle-class et les pauvres. Ce fossé menace notre démocratie, notre société et l’avenir économique de l’Amérique".

Cette mutation en cours de l’école publique va, nous dit-on, "mettre tout le monde sur le même pied d’égalité", sous-entendu : si vous échouez, ce sera de votre faute. "Nous vous avons donné votre chance et vous ne l’avez pas saisie". Mais la propagande qui prétend que tout le monde pourra avoir un emploi correspondant à ses diplômes universitaires cache la réalité de l’économie capitaliste-impérialiste actuelle, à savoir que 50% des emplois qui sont créés aujourd’hui sont des emplois de services payés au salaire minimum. Et donc, ce que ces changements vont véritablement contribuer à faire, c’est encourager un climat où l’opinion publique mettra encore plus ses propres échecs, dus aux agissements des capitalistes-impérialistes, sur le compte des masses populaires".

Et la petite proportion d’élèves qui réussiront à l’université et auront accès à un emploi hautement qualifié serviront de références, d’intermédiaires idéologiques pour montrer que le système fonctionne : "Ils ont bien réussi, eux, pourquoi pas vous ?". Cela va créer des divisions encore plus grandes entre ces communautés opprimées, ce qui permettra aux responsables politiques et à la police de légitimer le massacre de toute une partie de la jeunesse avec l’aval de la population.

Green Dot, c’est ce qui va servir à transformer les écoles des ghettos en îles fortifiées en plein milieu d’un océan d’apartheid.

Traduction Des bassines et du zèle http://blog.emceebeulogue.fr/

Article Original
Restructuring Inner-City Schools for the Global Marketplace : Locke High School and the Green Dot "Solution" September 27th, 2008


NB : Les références données par l’auteur sont dans l’article original (en anglais, donc)

Sauf :

Les "charters schools" militaires :
Une des premières "charters schools" militaires à avoir été créée (en 1999) est l’ Oakland Military Institute. 90% des élèves sont noirs ou latinos.

Ce que pense de l’Education un chef d’entreprise :
D’après Don Fisher, qui a fondé les boutiques Gap, et qui a donné des dizaines de millions de dollars pour aider les écoles KIPP et d’autres "charter schools" : "Je suis un homme d’affaires et je pense que l’éducation, c’est un commerce, et je pense que chaque école est une entité séparée - ce n’est pas bien différent d’un magasin Gap".

Notes annexes :

*Watts : http://fr.wikipedia.org/wiki/Watts

* "charter school" : c’est une école "publique" qui s’adresse aux élèves depuis la maternelle jusqu’à la terminale. Gérée par une société privée, elle ne dépend pas du conseil scolaire du district. Elle a souvent des programmes et une philosophie éducative différents des écoles publiques gérées par l’état.

* bons scolaires (school vouchers)
Les bons scolaires sont distribués aux parents qui veulent envoyer leurs enfants dans une école privée, confessionnelle ou pas. Ces bons servent à payer tout ou partie des frais de scolarité qu’a fixés l’école privée. Si ces bons ne couvrent la totalité des dépenses, les parents doivent alors payer le complément. Plus l’uniforme exigé par certaines écoles.

* "travailleurs du savoir"
http://fr.computers.toshiba-europe.com/innovation/download_whitepaper....

Et en anglais, un article sur la loi NCLB :
Kozol Criticizes No Child Left Behind at GVSU - October 16, 2007
http://www.mediamouse.org/features/101607kozol.php

Ouille, ouille, ouille ! Darcos sur la piste des "charter schools" :

Un rêve en Amérique
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/education/un-reve-en-amerique...

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