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Le TNP ou la logique du leurre

Le compromis qui a été arraché dans les derniers jours de la conférence d’examen permet à chacun de sauver la face, de pouvoir se rassurer, de faire valoir ses talents de négociateur dans le cadre de la diplomatie atomique. De se leurrer. Pour combien de temps ?

N’ayant pas vocation à désarmer qui que ce soit, n’ayant pas la capacité de dissuader quiconque à trop enrichir d’uranium, (au nom de l’article IV), le TNP perd-il sa raison d’être ? Il n’a joué aucun rôle dans la désescalade (de 65.000 à 10.000 têtes nucléaires) entre les deux Grands au cours de ces 30 dernières années.

Et demain ? Durant le marathon onusien de New York, théâtralisé par Paris (1), le Moyen-Orient a été une carte maîtresse. Parce que la bombe israélienne est un secret de polichinelle, parce que l’Egypte présidait le groupe des Non Alignés (NAM) et parce que la promesse (non tenue) avait déjà été formulée en 1995, en échange d’une extension indéfinie du Traité, que réclamait mordicus l’Occident. Dans le cadre de ce marchandage qui a duré du 3 au 28 mai, la diplomatie égyptienne a marqué un point : le document final de 28 pages fait mention d’une conférence en 2012 qui viserait - gardons le conditionnel - à établir au Moyen-Orient une zone exempte d’armes de destruction massive. On aimerait déceler dans cette résolution le début du commencement d’une remise en cause du fameux "deux poids deux mesures’ ou des « doubles standards » auxquels faisait allusion le président Mahmoud Ahmadinejad. Mais les vieux réflexes perdurent et la Maison Blanche a tenu à rappeler dès le lendemain que les Etats-Unis ne voulaient guère « stigmatiser Israël » (2).

En échange, les Etats nucléaires (5 reconnus comme tels par le TNP sur 9) ont obtenu de la part des NAM une concession non négligeable : que l’on fasse l’impasse sur les conditions pratiques du processus de désarmement. Les NAM ont donc accepté, au grand regret du chef de la délégation iranienne (soutenu du bout des lèvres par quelques ONG pacifistes), que la mention d’une date-butoir pour le désarmement nucléaire total - 2025 - ne figure nulle part dans le document final. Bref, les Etats nucléaires - du moins les Cinq qui sont "passés à l’acte’ avant 1967 - bénéficient ainsi d’une sorte de non-lieu, quelles que soient leurs infractions (réelles ou supposées) en matière de prolifération verticale, un concept de plus en plus évincé du vocabulaire. Ils sont uniquement tenus de proclamer leur engagement à « progresser dans la voie du désarmement nucléaire général » ; ce qu’ils ont fait en adhérant au TNP, (article 6) et c’est ce qu’ils ont l’intention de promettre de façon aussi indéfinie que le TNP lui-même. Le désarmement ainsi formulé ou plutôt non formulé autorise donc le maintien d’armes nucléaires américaines en dehors de leur territoire ; la poursuite de la production de matières fissiles, les Chinois ayant refusé le moindre moratoire ; la paralysie des négociations à Genève sur un cut-off en raison de l’opposition des Pakistanais.

Avec pour toile de fond une hypothétique et improbable conférence sur les ADM au Moyen-Orient et, donnant-donnant, un désarmement nucléaire non spécifié renvoyé aux calendes grecques, on comprend que certains observateurs comme François Heisbourg (3) estiment que « c’est un match nul, et pas n’importe quel match nul, mais 0 à 0 » (4). Tandis que la partie n’est gagnée pour personne, on pourrait même estimer que l’addition risque d’être salée pour tout le monde.

Primo, les diplomaties occidentales, en dépit de la prolifération des incantations abolitionnistes de certains, ont échoué dans leur stratégie de marginaliser les enjeux du désarmement. Depuis la deuxième guerre d’Iraq, une défiance est de plus en plus manifeste à l’égard de ceux qui s’érigent en gardiens du Temple et qui ont offert des sauf-conduits aux tricheurs ; d’où l’idée d’Ahmadinejad de modifier les acronymes du TNP en incluant le désarmement. Et le dirigeant iranien de poursuivre : « Comme dirait un dicton iranien "un couteau ne peut jamais couper son manche" ».

Secundo, comme l’avouait récemment un représentant du Quai d’Orsay, Téhéran « s’en est bien sorti ». En effet, on retiendra de la rencontre de 2010 que l’Occident bien-pensant, avec une France fanatiquement anti-iranienne, n’est pas parvenu à faire de Téhéran le bouc émissaire de la dérive prolifératrice. Le boycott du discours du président iranien, la censure de ses propos par les télévisions occidentales n’ont rien changé. Disposé à mettre en cause la compétence de l’AIEA en matière d’évaluation des risques, l’Iran, avec un budget de défense estimé à 6 milliards U$ (5), enrichit son uranium à 20 % depuis le mois d’avril. Mieux encore, les dirigeants de Téhéran ont trouvé des relais (de poids) à Brasilia et Ankara pour contourner les donneurs de leçons, dont les Français ; et relégué au second plan l’offre de la Commission Européenne de soutenir, techniquement et financièrement, la création d’une banque de combustible nucléaire placée sous le contrôle de l’AIEA (mars 2009).

Tertio, l’Interpol nucléaire, est détrôné. Certes, la proposition iranienne d’en exclure les Etats-Unis n’est pas crédible (6). La rallonge de 100 millions de dollars au budget de l’AIEA, censée lui donner un lifting mérité, équivaut plutôt à un lot de consolation. En tout cas, les tenants du code de bonne conduite (nucléaire) essuient une défaite en renonçant à toute prétention d’imposer à tout le monde la signature et la ratification du protocole additionnel - accepté par 85 sur 145 pays. Si l’Occident a cédé sur ce point, c’est aussi parce que la vertu de l’exemple ne s’y applique pas : les Etats-Unis sont les premiers réfractaires à toute inspection intégrale, qualifiée d’intrusion, que ce soit dans le cas du protocole additionnel ou du CTBT (7).

Le résultat en trompe-l’oeil de ces négociations rituelles reflète le désarroi des artisans d’un TNP victime de sa réputation (8), assimilé aux manigances de ceux qui brandissent le spectre d’ "Etats proliférants’, inadapté aux nouveaux rapports de forces nucléaires, déconnecté car non réformable. Dans la nouvelle configuration qui se dessine, des candidats à la bombe vont adopter soit la posture israélienne d’antan du nor deny nor confirm (9) (ne pas nier, ne pas confirmer - NdR), soit la position iranienne d’aujourd’hui. La dissuasion virtuelle (weaponsless deterrence), c’est-à -dire le comble de la dissuasion. Ces Etats flirteront subtilement avec l’ambiguïté nucléaire. Le flou aidant, sur la définition d’une arme, les conditions de retrait, la nature d’une violation, ils se maintiendront au "seuil’ (le Japon ?) avec ou sans bluff, (la Corée du Nord) sans exiger de statut, sans ambitionner de rejoindre quelque club que ce soit. Au nom de la dissuasion, bien sûr, ou de sa caricature.

Ben Cramer

(1) Cf. le site français http://francetnp2010.fr/ et le recours à Twitter

(2) Cf. "Le Monde’ 30-31 mai 2010

(3) Expert auprès de la FRS

(4) Conf. de presse, Paris, le 9 juin

(5) Cent fois moins que celui des Etats-Unis

(6) Suspension de tout Etat qui utilise l’arme nucléaire ou menace d’y recourir

(7) Comprehensive Test Ban Treaty, ou Traité d’interdiction des essais nucléaires

(8) Symbole de l’apartheid nucléaire pour certains, Traité de prolifération nucléaire pour d’autres

(9) Cf. http://www.cirpes.net/article209.html

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