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Les yeux de Leila Alaoui.

La photographe franco-marocaine Leila Alaoui a été assassinée à Ouagadougou, lors des attentats du 15 janvier. L’émergence posthume de son travail, questionne dans le flot des représentations et de la propagation de l’évènement médiatique, la place du regard sur nos émotions individuelles et collectives face au terrorisme.

Leila Alaoui était photographe. Franco-marocaine, en mission pour Amnesty International à Ouagadougou, elle a été assassinée le 15 janvier 2016 dans un attentat revendiqué par AQMI ( Al-Qaïda au Maghreb islamique). L’organisation affirme par voix de communiqué avoir mené cette attaque contre l’hôtel Splendid, parce qu’il serait le lieu où s’organisait « la guerre contre l’Islam et la spoliation des richesses de l’Afrique » et dans la poursuite d’une « série d’opérations destinée à purifier les terres musulmanes des services occidentaux ».

Quiconque connaît le Burkina Faso, rira à l’invocation du prétexte religieux, dans un pays où 67 ethnies cohabitent en paix, soudées par les règles de parenté à plaisanterie, et où le respect de la croyance religieuse de l’autre n’a d’égal que celui du respect de l’intimité du frère ou de la sœur « burkindin ».

Certes, on ne peut nier, la spoliation des richesses de l’Afrique ainsi que la présence des services occidentaux au Burkina Faso. Cependant, après 27 années du pouvoir de Blaise Compaoré, pyromane et pompier de toute la sous-région, le peuple burkinabè depuis l’insurrection d’octobre 2014, marche à nouveau sur la voie de l’émancipation souveraine. On se doit donc d’interroger le vigilantisme de ces auto-mandatés de Dieu, sur des questions de souveraineté, à l’heure où le Burkina Faso reprend son destin politique en main.

S’il est possible que les « ouvriers de la terreur », communément appelés « djihadistes », aient été dans leur désœuvrement animés de ce qu’ils assimilaient à une foi religieuse, ou à une volonté anti-coloniale, il est certain, que les commanditaires poursuivent, eux,d’autres objectifs : la déstabilisation d’un processus d’émancipation démocratique en œuvre, dans un pays emprunt d’une culture politique populaire, souverainiste et internationaliste. Ces attentats arrivent au moment où, le Gouvernement National de la Transition mis en place au lendemain de l’insurrection, rend le pouvoir au nouveau président élu Christian Marc Kaboré. La Transition a entre autres opéré, l’année précédente, l’exhumation de Thomas Sankara et l’émission d’un mandat d’arrêt international contre l’ex-président Blaise Compaoré et Guillaume Soro, président de l’assemblée nationale ivoirienne. Avec l’inculpation de Gilbert Diendéré, ancien chef d’état-major de Blaise Compaoré et décoré de la légion d’honneur française en 2008, l’affaire dépasse de loin, les limites du territoire national burkinabè. C’est également le système et les ressorts de la France-Afrique qui est potentiellement interrogé et soumis à révélation.

En ne voulant nullement minimiser le caractère tragique des attaques, la peine des familles, et le drame que représente ces vies arrachées, il ne devrait pas être possible de déstabiliser un pays comptant 17 millions d’habitants en tuant 30 personnes. Dès lors, ce que nous nous devons d’interroger est le mode de représentation et de propagation de l’événement médiatique, en tant que vecteur et amplificateur d’émotions individuelles et collectives. (1) 

France 24 et le compte Twitter de l’ambassadeur de France furent les chefs d’orchestre de la médiatisation, reléguant la Radio Télévision Burkinabèe en lieux et place d’une officine de république bananière, privée ainsi de la mission d’information de son propre peuple en tant que service public. Le traitement médiatique international précéda ici, l’analyse et le traitement des évènements en cours au niveau national. L’image médiatique internationale dominante, dans une logique de « scoop » et « d’événement », a imposé sa représentation.

Ainsi, il faut montrer les corps morts et le sang. Transmettre minute après minute, la mise en scène macabre du drame, dans une abnégation de traitement, pour le coup religieuse et dogmatique, assimilant l’objectif de la caméra à un œil divin. Cet œil, pourtant n’est qu’une lentille posée sur une machine tenue par la main de l’homme, lui même soumis à une chaîne de production et à une économie de guerre où le capital du flux médiatique côtoie dans le grand marché, les flux des capitaux de l’uranium, de l’or ou de l’industrie de l’armement…

Car s’il est une chose, que les médias dominants partagent avec les terroristes des attaques de Paris ou de Ouagadougou, c’est une économie et une esthétique commune de la guerre.

Si les médias internationaux ont relayés le communiqué de AQMI, revendiquant les attaques et leurs motifs invoqués, quels sont ceux qui, au même titre, ont relayé, la déclaration de la Coalition contre la vie chère (CCVC) section Ouaga, publiée au lendemain des attentats de Ouagadougou ? À ma connaissance aucun média international. Cette déclaration condamnait pourtant les attentats et exige le départ des forces étrangères notamment américaines et françaises présentes sur le sol Burkinabè, source d’insécurité et d’agression contre notre Peuple. Cette déclaration, visant à la souveraineté militaire de la nation burkinabèe, est-elle moins légitime, parce que pacifiste, que la revendication terroriste d’AQMI exprimée par la violence des armes ?

L’ambition d’une véritable souveraineté culturelle ne peut faire fi d’une lutte indépendantiste visant à l’élaboration de visions collectives de la représentation, à travers les arts, mais aussi les médias.

Ce qui interpelle et bouleverse dans la mort tragique de Leila Alaoui c’est l’émergence posthume de son regard au milieu des représentations médiatiques. Dans l’impudeur du flux sanguinaire et voyeuriste de la représentation des attentats, l’oeuvre de la jeune artiste assassinée éclot en distillant la pudeur des milles visages du Nord de l’Afrique. Là où, le piège de la peur aurait pu se refermer en stigmatisant de manière ethniques et racialistes les populations vivants au Nord du Burkina Faso, Leila Alaoui offre les portraits multiples et singuliers Des Marocains(2), à l’heure où la globalisation tend à effacer les spécificités culturelles des différents groupes représentés. Son objectif fait face au regard consentant de l’autre qui accepte et partage le portrait. Cette femme racontait la traversée de la Méditerranée en trois photos : l’eau, le sable, et le portrait digne d’un homme. Elle préférait montrer la faille dans le mur plutôt que le mur.

Si les yeux de Leila se sont clos au Burkina Faso, pays des Hommes Intègres et de la multiplicité ethnique, son travail ne cesse de questionner notre regard. Là où les images des attentats de Ouagadougou iront rejoindre le flot des catastrophes passées et à venir, Leila Alaoui nous rappelle que nul homme ou femme ne doit être soumis à la laideur d’une image médiatique barbare. Depuis l’au-delà, elle persiste à enseigner l’exigence du point de vue, de la distance et du pouvoir contagieux de la croyance en l’autre et sa beauté.

Julie Jaroszewski

(1) https://www.cairn.info/revue-topique-2003-2-page-135.htm

Site de Leila Alaoui http://www.leilaalaoui.com/

(2) exposition de Leila Alaoui présentée dans le cadre de la Première Biennale des Photographes du Monde Arabe, à l’initiative de l’Institut du Monde Arabe et de la Maison Européenne de la Photographie.


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