RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
Interview de Miguel Pascuas, commandant fondateur des FARC

« Nous sommes ici afin de négocier une autre Colombie pour le plus grand nombre, pas pour nous rendre »

Il est arrivé, m’a serré la main et s’est assis à côté de moi. Il a commencé à boire un jus de fruits, levant parfois les yeux pour me regarder. Chacun de ses mouvements était silencieux. Je venais de terminer l’interview de Ricardo Tellez, plus connu sous le nom de Rodrigo Granda, l’un des chefs de la délégation des FARC dans les négociations avec le gouvernement colombien à La Havane. J’avais proposé à Tellez de m’aider à le convaincre de faire une interview. « Je vous le présente, et c’est qui lui décidera. Il n’a jamais donné d’interview de sa vie, et je crois qu’il n’a jamais été pris en photo », m’avait-il dit.

Je lui demande comment il se sent. « Bien, même si ma terre, ma forêt me manquent », me répond-il, ouvrant à peine la bouche, et il se remet à savourer son jus de fruits. Vraiment, cet homme est un paysan typique : réservé et avare de paroles devant les étrangers.

Miguel Angel Pascuas est né le 20 novembre 1940 dans la ville de Neiva, au sud du pays. Dès les débuts des années soixante, il entra dans la lutte guérillera. Il fut parmi les 52 hommes et les trois femmes qui, dans la région de Marquetalia au sud-ouest du pays, firent front à l’attaque de seize mille soldats assistés par des spécialistes étasuniens. Le 27 mai 1964, en plein assaut militaire, il fit partie des fondateurs des FARC, même si c’est seulement deux ans après qu’elles prendraient ce nom. « On dit que je suis le dernier membre des fondateurs qui reste en activité, mais il y a aussi Jaime Bustos. Il existe d’autres marquetaliens, mais ils se sont retirés pour cause de vieillesse ou de maladie. »

Cela fait 25 ans qu’il dirige le Sixième Front des FARC, l’un des plus actifs et des plus stratégiques. Il tient en échec les puissantes Forces Armées officielles, car il a réussi à porter la confrontation tout près de Cali, la troisième ville du pays.

Pour essayer de rompre son apparente indifférence, je lui dis que c’est la première fois de ma vie qu’il y a autant de dollars autour de moi. Les personnes présentes me regardent, intriguées. « Le gouvernement colombien offre plusieurs millions de dollars pour la tête de Tellez. Pour Pascuas, le Département d’ État des États-Unis donne 2,5 millions, et le gouvernement colombien, un million ». Je remarque que Pascuas préfère regarder son jus de fruits et le remuer.

Je lui propose de l’interviewer. Avec une incroyable économie de mots, il me dit qu’il n’a pas grand-chose à raconter. J’insiste. Il accepte, mais à une seule condition : que ça se passe dans un lieu ouvert. Il ne veut pas s’enfermer dans un salon. « Je ne réussis toujours pas à m’habituer à dormir dans une chambre, ni dans ce lit. J’ai l’oreille très sensible, habituée aux bruits de la montagne. A l’aube, je n’entends pas le bruit des petits animaux de la forêt, seulement celui des voitures qui passent, et ça me perturbe. Quand je suis dans le paramo [plaine d’altitude], je me couche sur les feuilles du frailejón [plante à feuilles velues poussant dans le paramo] et sur d’autres herbes. Et si c’est dans une zone chaude, j’utilise un hamac et une moustiquaire. Toujours en plein air. Vous ne pouvez pas imaginer la tranquillité qui règne dans la forêt, dans la campagne ». Je lui réponds que je ne peux l’imaginer, et que les moustiques me font paniquer, même si j’ai été élevé dans un quartier très pauvre qui en était infesté. J’arrive à lui tirer un sourire avec ça, même si je crois plutôt qu’il se moque de moi. En tout cas, il en résulte qu’il accepte de parler avec moi quelques jours plus tard.

« Je lutterai et lutterai pour la prise du pouvoir, tant que la santé et la vie me le permettent. Nous voulions que ce soit par la voie politique, et c’est pour cela que nous avons insisté pour dialoguer avec le gouvernement. Si seulement nous avions pu former un parti politique sans qu’ils nous tuent, comme ils l’ont fait avec l’Union Patriotique. Rappelez-vous qu’ils ont assassiné environ cinq mille de nos compañeros et compañeras. Alors nous avons dû renforcer le côté militaire. Dans les négociations actuelles, nous ne pouvons refaire les erreurs que nous avons commises durant celles menées dans la région du Caguan, au sud de la Colombie [entre 1998 et 2002]. Notre élan militaire était fort avant le Caguan, et nous avions réussi à occasionner de grandes défaites à l’ennemi. Lors de ces dialogues, nous avons fait confiance, et quand ils ont été rompus, l’ennemi a lancé l’assaut avec une grande force puisqu’il s’était préparé à la guerre. C’était au moment de ce qu’on a appelé le Plan Colombie, dirigé et armé par les gringos sous le prétexte de la guerre au narcotrafic, mais pour en finir avec nous, en fait. Mais on s’adapte aux nouvelles tactiques et aux stratégies de l’ennemi. Après chaque combat ou bombardement nous en faisons l’analyse pour décider de la façon de répondre et d’avancer.

« Qu’est-ce-que je ressens à être l’un des hommes les plus pourchassés ? Je me sens très bien. Je n’ai pas peur, parce que je suis déjà habitué. Parfois, à cause de l’âge, ma santé me contrarie, mais pour diriger je n’ai pas de problème. Je n’ai jamais été blessé, c’est pour ça que je me considère très chanceux car j’ai participé à beaucoup de combats et de prises de villes. J’ai vu mourir des compañeros et des compañeras. J’ai dû les porter et les enterrer pour que l’ennemi ne s’empare pas des cadavres et ne fasse la fête, ni de la publicité avec. Parfois, j’ai dû dormir à leur côté jusqu’à ce que l’ennemi s’éloigne. En plusieurs occasions, j’ai dû rester caché plusieurs jours, alors que l’armée était très proche, tout en cherchant comment sortir de l’encerclement avec ma troupe.

« Quand j’entends qu’on nous traite de terroristes, ça ne me fait rien, parce qu’on sait que nous sommes en lutte pour une cause juste. Il est certain que la population civile souffre de cette guerre, même si nous essayons de la protéger. L’armée dit que nous nous abritons parmi la population civile, mais si seulement ils disaient la vérité : quand nous les harcelons, ils se cachent dans les écoles, les maisons et les hôpitaux. Ce sont des lâches. Ce n’est pas nous qui construisons les postes de police et militaires à l’intérieur des villages.

« Malheureusement, la guerre se rapproche chaque jour des zones très peuplées, des villes. L’armée exerce sa répression et tue les habitants parce qu’elle dit qu’ils collaborent avec nous. Les gens voient notre arrivée d’un bon oeil, oui, mais ils craignent la répression de l’armée. En vérité, si nous avons réussi à arriver aussi près des grandes villes, comme Cali, c’est parce que nous ne sommes pas des terroristes ; c’est parce qu’une partie importante de la population est de notre côté, sans être combattante. Il est impossible d’avancer dans la guerre révolutionnaire sans le travail politique avec la population, sans la maîtrise du terrain.

« Une semaine avant de partir à la Havane, l’armée m’a assiégé pour tenter de me capturer ou de me tuer. C’était dans la zone où je devais rencontrer les représentants de Cuba et de la Croix Rouge Internationale qui allaient me transférer. Quand l’hélicoptère est arrivé avec eux, nous avons pris toutes les précautions, car l’armée pouvait de nouveau imiter les emblèmes de la Croix Rouge, comme elle l’a déjà fait pour récupérer Ingrid Betancourt, même si c’est considéré comme un crime de guerre. Cet État ne peut pas agir proprement, bien que d’autres pays soient garants.

« Figurez-vous que pour sortir du pays vers Cuba et aller ensuite à Oslo entamer les discussions, le gouvernement a demandé à Interpol de retirer les mandats d’arrêts internationaux qui pèsent sur plusieurs d’entre nous. Au retour d’Oslo, le gouvernement a demandé à nouveau notre capture : il n’y a qu’à Cuba et en Norvège que ça n’est pas effectif. Est-ce que c’est logique ? Est-ce-que c’est honnête face aux pays garants de ce processus ?

« Je connais bien l’ennemi et son maître, les États-Unis. Ils veulent uniquement nous mettre à genoux, mais ils n’y parviendront pas. Nous sommes ici afin de négocier une autre Colombie pour le plus grand nombre, pas pour nous rendre ou nous vendre. Soyez sûr qu’ils n’y arriveront pas. Pourvu que les intentions du gouvernement soient sincères et que nous puissions parvenir à des accords nous mettant sur le chemin d’un dialogue pour la paix et la justice sociale. »

Interview réalisée par Hernando Calvo Ospina

http://hcalvospina.free.fr/spip.php?article420

Traduction : Hélène Vaucelle

URL de cet article 18391
  

Même Auteur
« Fidel Castro, Biographie à deux voix », interview d’Ignacio Ramonet
Hernando CALVO OSPINA, Ignacio RAMONET
« Ce livre est une semence qui va germer » Paris le 22 février 2007. Ignacio Ramonet est le directeur du mensuel français de référence Le Monde Diplomatique, mais aussi l’une des personnalités les plus prestigieuses parmi les intellectuels progressistes à travers le monde. Voici un an qu’est sortie en Espagne la première édition de son livre « Fidel Castro, Biographie à deux voix » où il s’entretient longuement et sans réserves avec le dirigeant principal de la révolution cubaine. Le livre se vend (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

"A quoi bon avoir des droits si on nous les retire au moment où on en a le plus besoin ?"

Kyle Kulinski

Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.