Sarkozy a donné ses voeux aux français, on m’a dit. J’aurais bien voulu les voir, mais j’ai pas eu le temps. C’était quel jour, déjà ?...En fait, j’ai plus la télé. Pareil pour la radio. Je les ai vendues, j’ai plus de fric. Mais, ça devait être bien. Je les enregistre d’habitude, les voeux.
J’en ai trois de Sarkozy. Non, j’en avais trois avant. J’en ai vendu deux à la foire à tout de Saint-Jean-sur-Richelieu. J’avais plus de fric. J’ai réussi à faire cinq euros avec celui de 2007. Un collector, y paraît. Après, ça plus été le même, ils disent les collectionneurs. Enfin, les collectionneurs qui en ont beaucoup et qui aiment. Je sais pas, j’ai pas eu le temps de le regarder. Je reconnais qu’il vaut mieux pas changer de coiffeur, on sait pas quoi dire au nouveau pour qu’il nous fasse la tête qui plaisait avant.
Avant, c’était plus court aussi, les voeux. L’an dernier, je suis pas sûr, en fait, pour dire vraiment sûr. J’ai failli le voir, mais j’ai pas eu le temps. L’infirmière m’a dit qu’il valait mieux que je monte dans l’ambulance sinon ils auraient plus assez de sang. J’avais vu le début, la musique. C’est ce que je préfère dans les voeux de télé. C’est dansant tout lent, comme un slow après 4h du mat et triste en même temps. Moi, je vois ça comme ça, mais le Percuté, qui picole sévère quand même, y se met au garde-à -vous pour l’intro.
« Algérie francaoui », y marmonne. Il est né à La Courneuve ce vieux con. On va l’appeler Percuté-Percuté, faut être réglo avec les bipolaires.
Tout le monde s’est arrêté de picoler et on a tous regardé derrière le bar. Oui, c’était bien lui, il levait l’épaule en rythme. Il a commencé à parler, mais Ahmed préparait déjà le quinté de la semaine d’après, alors forcément on a plus capté la téloche.
Déjà qu’on a du mal. On en a parlé d’ailleurs. On a du mal, parce que Sarkoziva il met plus de watt sur sa tête que dans ce qu’il dit. On écoute la tête et on entend rien. « Regarde-moi cette tête ! », c’est ce que tout le monde a dit, d’un coup. J’ai eu le temps d’entendre les premiers mots. Il a souri en regardant son index et il a dit « cher ». Dédé lui a répondu « Tu vas prendre.. ». On a rigolé.
Mais pas Daniel. Il vient de louer la dernière caravane au camping municipal. Il vivait dans un de ces machins gris avec des murs en papier Riz-la-Croix, que les représentants immo appellent « résidentiel ».
Il y habite plus dans le quartier Croix-mort. Il avait traité sa proprio. Un jour, elle était venue lui prendre la sonnette pour quinze jours de retard. Elle commençait à baver que ça sentait le mouton et la musique de goudronnés autour de la résidence. Ca tournait bled, quoi. Il a rien trouvé de plus fin que de lui répondre qu’elle se touchait un peu trop l’UMP, la vioque. Quinze jours plus tard, les keufs ils lui ont pas posé les valises doucement, sur le trottoir. Remarquez, y neigeait pas.
Je lui ai demandé à Daniel et j’aurais pas dû. Pas ma faute, monsieur Broutefeux, c’est Pernod Cric-crac qui conduisait, ce soir-là ....« Mais bien sûr que je lui avais pas payé le loyer à la vieille ! Avec quoi, je l’aurais payé, polard de mes deux ?!...Avec la Rolex du crétin ?!... » Le Picon-bière à Daniel a volé par dessus l’épaule de Dédé. Direct dans l’écran extra-large. Il disait « au bord du chemin », Sarkoziva, je m’en souviens quasiment sûr. Je crois qu’il avait une veste avec des raies à la Pacino et une cravate genre polyester chinois. La même que les vendeurs Darty. C’est là que j’avais acheté ma télé.
Dédé, il était pas content, il avait pas fini de payer l’écran. On commençait à bien se cartonner et tout. J’ai même pas pu finir la première mi-temps. Ce con d’Électricien !...Toujours avec sa boite à outils, il est pas foutu de faire un va-et-vient correct dans une pièce. Il pète les plombs à force de pas en branler une en faisant comme s’il bossait à mort pour endormir assez Dick. C’est pas le seul, d’accord.
Il a pété les plombs sans prévenir, j’aurais dû m’en douter. J’ai eu le temps de voir Sarkoziva « au bord du chemin », avec les doigts en croix et puis l’animateur qui faisait la bouche mouillée. Et j’ai gueulé. Le tournevis dans la poitrine, il est fondu, l’Électricien !...
On m’a dit que Dédé, il a vendu. Je sais pas si j’y serais retourné, de toute façon.
Une semaine à tirer à l’hôpital. Daniel buvait pas à côté de l’Électricien, maintenant il est nickel dans sa caravane. Tant mieux pour lui, mais je trouve quand même pas très casher qu’il aille se faire la foire à tout de Sainte-Marie les Gros pour vendre les voeux 2010. C’est quand même moi qu’avait eu l’idée, merde !...
Alain LASVERNE
Dernier ouvrage paru : Je sauverai le monde - Ed. Kyklos
http://www.kykloseditions.com/Je%20sauverai%20le%20monde.html