Lettre ouverte à Monsieur François Hollande, Président de la République française
« Toutes les dictatures reposent sur un mensonge fondamental : elles n’ont d’autre objet que le pouvoir pour le pouvoir et le détournement de l’intérêt général au profit des intérêts sordides de quelques uns. Gouverner se transforme dès lors en exercice permanent de dissimulation » Denis Jeambar
« Les républiques finissent par le luxe ; les monarchies par la pauvreté. » Montesquieu
Monsieur le Président,
Au mois de mai 2012, le peuple français a porté son choix sur vous. Le peuple qui trime et qui souffre. Les Français d’en haut, ceux qui profitent du capitalisme sauvage, choisissent des domiciliations à l’étranger pour payer le moins d’impôts possible à leur pays, bénéficiant tout de même des avantages médicaux de la République. Cette race-là , déroutée par votre victoire, tremble pour ses sous et ses privilèges, imperméable à la solidarité nationale. Estomaqués de voir leur Président bling-bling dégagé de la scène politique par la volonté des urnes, les riches vous en veulent de chercher à les taxer pour redistribuer leurs richesses. La défaite de Sarkozy est l’échec d’une droite sournoise, mythomane, cynique, affairiste, appelant à la haine raciale et au rejet de l’autre. Ayant fait le choix de défendre les nantis et de s’acoquiner avec la monarchie marocaine, Sarkozy a misé sur une interdépendance à géométrie variable. Accommodant les grosses fortunes en France, conciliant et même complaisant vis-à -vis des despotes arabes qu’il a soutenus (Ben Ali, Moubarak) et même honorés(Kadhafi) dans l’avilissement de la République, il a montré une bienveillance outrée pour notre système, fermant les yeux sur ses violations, ses prédations, ses manquements, ses désordres chroniques, ses atteintes répétées aux droits les plus élémentaires des citoyens. A l’annonce de la réforme constitutionnelle marocaine en mars 2011 sous la pression du Mouvement du 20 février, Sarkozy a applaudi l’attitude d’un « roi visionnaire » et Alain Juppé a estimé que par « cette démarche résolue et attentive aux aspirations de son peuple, le roi Mohammed VI montre la voie d’une transformation pacifique et moderne des institutions et de la société marocaines. » Le journal Le Figaro a écrit : « ce que propose Mohammed VI pourrait être comparé à un système présidentiel à la française. » C’est ça la voix de la droite sans vertu, sans conscience et qui se trompe de mots et d’époque. Vous-même, malheureusement, avez « salué le processus de réforme démocratique, économique et sociale en cours dans le royaume à l’initiative du roi » avant de conclure à l’intention de Mohammed VI : « Je tiens à exprimer à nouveau à Votre Majesté les sentiments de haute estime que m’inspire l’oeuvre qu’elle accomplit. Je lui souhaite plein succès dans la mise en oeuvre des réformes qu’elle a décidées. » La conscience de tout démocrate est chagrinée par ces déclarations tonitruantes qui font de certains Français les complices d’un régime qui se maintient uniquement par sa tyrannie, génère pauvreté et ignorance, ne respectant même pas l’esprit de Sa Constitution infligée au peuple et taillée sur mesure pour la conservation du despotisme royal. Vous n’êtes pas sans ignorer que les Marocains sont descendus dans la rue pendant une année depuis le 20 février 2011.
Evitez-nous donc, Monsieur le Président, les désagréments d’une indulgence vipérine ! Notre réforme constitutionnelle ; manoeuvre en trompe l’oeil, est un contrat malhonnête qui confirme la prééminence absolue du roi sur les institutions de l’Etat. Sarkozy, l’habitué de Marrakech, le sait. Sa trivialité grossière lui a fait dire : « aidons ce pays et ce système qui nous le rendent si bien. » La nature du régime marocain repose sur des conflits d’intérêts et le trafic d’influence au plus haut sommet de l’Etat. Les affaires scandaleuses ne manquent pas. Des Français y sont mêlés de très près. Mais le Quai d’Orsay, on le sait, spécule toujours sur notre sort, défendant sa concupiscence, faisant du tort au combat des démocrates qui aspirent à vivre dans un Maroc nouveau, un Maroc où règne non pas la confusion, mais une réelle justice sociale. Ce Maroc-là est possible. Nous de le bâtirons hors de tout totalitarisme néfaste, loin du paternalisme occidental de mauvais aloi.
J’espère, Monsieur le Président, que vous n’aurez jamais la faiblesse de Sarkozy pour tout ce qui brille, l’opulence des satrapes, l’ostentation des fortunés, l’éclat des yachts, la splendeur des palaces, la somptuosité des riads et le faste des palais. Ne versez pas dans la vénération du luxe et ne venez pas passer vos vacances et les fêtes de fin d’année à Marrakech, soit à la Mamounia, au Royal Mansour ni ailleurs, ou y construire une résidence secondaire comme votre prédécesseur,. N’acceptez point de largesses de la part de nos dirigeants. Le feriez-vous, vous accepteriez la compromission avec un régime qui sait s’y prendre avec les grimaciers de tout bord, droite et gauche confondues ; il sait contenter les frustrations des uns, combler les complexes des autres et assouvir les fantasmes de tous. Les Français qui acceptent nos privilèges bafouent les valeurs de la République, commercent avec la servitude et le despotisme. Ces Français-là , malheureusement, sont légion.
Notre roi des pauvres a fait un don d’un montant de 15 millions d’Euros au musée du Louvre, l’équivalent de près de 17 milliards de centimes. Une association de Blois a reçu de lui quelques millions d’euros pour achever la construction de sa mosquée. Ces sommes, petite partie visible de l’iceberg, viennent des caisses d’un pays sous-développé, en proie à des difficultés économiques et à une gigantesque grogne sociale. Bien utilisé, cet argent aurait pu éviter le drame de Casablanca qui a fait six morts et plusieurs blessés à Sidi Fateh le 17 mai 2012 où l’ancienne médina menace de s’effondrer sur 96% de ses habitants. Dans d’autres villes, foyers et mosquées engloutissent des humains sous leurs décombres. Ces millions d’Euros ajoutés aux dépenses irrationnelles et annuelles du festival Mawazine de Rabat, pourraient servir à construire des logements adaptés à une population qui vit la vie des cafards. Cet argent qui part en fumée dans des opérations de markéting caricatural et vain pourrait servir à édifier ou équiper les hôpitaux publics démunis d’où nos femmes enceintes sont expulsées pour accoucher seules comme la bête dans un couloir de dispensaire ou dans la rue. Ces milliards gâchés, pourraient servir à améliorer nos infrastructures, construire des entreprises et créer de l’emploi aux milliers de diplômés-chômeurs. Experts dans l’art de lustrer la vitrine, nos responsables ne savent s’adresser aux étrangers qu’à coups d’offrandes, négligeant de montrer une telle générosité vis-à -vis de leur peuple. Chaque sou que vous acceptez de nos dirigeants, c’est un peu de la sueur du peuple marocain, de sa souffrance et de son sang que vous prenez. Un pays développé comme le vôtre devrait refuser l’argent des indigents ! « Quelle époque terrible, disait W. Shakespeare, que celle où les idiots dirigent des aveugles. »
Au nom des intérêts économiques de votre nation, n’essayez pas de nous fourguer une petite centrale nucléaire, un sous-marin, quelques Rafales ou tout autre gadget comme Sarkozy l’a fait avec son TGV. Un pays pauvre dont la notion de la durée reste aléatoire ne peut mettre à profit l’économie du temps par un train à grande vitesse. Même si le gros de l’investissement provient de l’étranger, il fallait penser à l’efficacité, au rendement, à l’amortissement et à l’entretien d’un tel gouffre de dépenses qui ne répond en rien aux priorités pressantes du pays. Avec 25 milliards de dirhams que ce projet insensé va engloutir, on pourrait financer 10 mille médiathèques, 25 milles écoles et améliorer la qualité de l’enseignement car le Maroc souffre d’une carence endémique en matière scolaire. On créerait également 16 mille kilomètres de routes pour désenclaver des régions vivant au siècle des ténèbres. 25 milliards de dirhams auraient pu éradiquer nos bidonvilles pour offrir un toit aux millions de démunis... Le pays a des défis à relever et des priorités ; des cohortes de mendiants à nourrir, d’enfants à sauver de la rue, de familles à sortir de la précarité, de diplômés chômeurs à faire travailler, d’hôpitaux à équiper... Un long chemin social nous attend avant d’arriver au TGV.
Soyez vigilant, Monsieur le Président, quant à certains responsables français aux moeurs légères qui viennent à Marrakech ou ailleurs souiller nos enfants et tout faire pour étouffer les scandales aussitôt projetés sur la scène publique. L’affaire DSK a défrayé la chronique car le gros-socialiste-caviar a eu le malheur d’exercer sa pathologie libidinale sur une femme de chambre noire aux Etats-Unis. Luc Ferry accuse à la télévision un ancien ministre français de « se taper des petits garçons à Marrakech » sans que ce crime soit instruit réellement et sans que le nom du coupable soit connu du public. Dans le même ordre de perversion, un autre ministre français, invité à la Mamounia, est surpris par sa femme avec un garçon. La noble dame provoque un esclandre, saccage tout dans la Suite sans que cela porte le moindre préjudice à la République et sans que personne ne s’en offusque. Le pitoyable ministre est rapatrié sur le champ et l’affaire étouffée grâce à l’intervention de l’ambassadeur de votre pays à Rabat. Le Palais royal, dit-on, a réglé la note salée des dégâts occasionnés par le couple hautement civilisé. La vérité qui blesse la voici ; le Maroc s’accommode des frasques de ces tristes individus car il a besoin de leur influence pour l’aide économique européenne et sur le dossier du Sahara. Du côté français, le Maroc est un allié sûr dans la lutte contre le terrorisme et contre l’immigration clandestine. Pour certains, c’est une terre bénie pour y faire des affaires et assouvir ses déviances. Un havre de paix et de profit à deux heures et demie de Paris. Concernant l’immigration, certains responsables français disent que la France n’est pas la poubelle du monde. Au Maroc plusieurs voix s’élèvent pour dire que leur pays n’est pas le bordel des Français qui viennent exploiter la misère d’une population aux abois, prête à se vendre pour quelques Euros. Gandhi avait raison : « la pauvreté est la pire forme de violence. » L’ignorance en est une autre.
Monsieur le Président, ne consacrez plus la Légion d’honneur et autres distinctions républicaines aux voix fausses du Maroc ; minables lobbyistes pro-monarchiques, artistes ratés ou frauduleux, intellectuels vains ou farineux, politiciens véreux, tortionnaires ou hommes d’affaires douteux... pour faire plaisir aux zélateurs amis de la France. Les Marocains honorés sous Sarkozy, Chirac ou Giscard d’Estaing sont des sous-fifres, des troncs creux à la solde de la futilité, remplis de suffisance médiocre, faisant corps contre les créateurs engagés, contre la vérité, la justice, ne s’engageant jamais pour quelque cause qu’une fois le danger écarté. Les artistes et intellectuels marocains authentiques ne lèchent pas les pâquerettes pour une médaille ou une reconnaissance. Ceux-là cherchent à vivre dans la dignité d’un Etat de droit où la démocratie est une réelle synergie entre l’Etat et le peuple, un Maroc debout, décomplexé, sous aucune tutelle. Leur combat ne se soucie guère de notoriété dérisoire ni de ces signes vaniteux. Leur discours franc et sincère fait d’eux des êtres dangereux, marginalisés, labellisés infréquentables car politiquement incorrect mais fiers de défendre des idéaux. La plupart des Encensés de la France sont comme leurs Maîtres, ils vivent dans l’illusion d’un pouvoir usurpé. La Légion d’honneur doit être le sacre de ceux qui le méritent et non l’occasion de montrer combien la France préfère les nains, les invertébrés, les ouistitis, les perroquets et les béni oui-oui d’un système archaïque. « Le meilleur des princes, dit la sagesse persane, est celui qui fréquente le savant ; le pire des savants est celui qui fréquente le prince ! »
N’acceptez pas et ne permettrez à aucun de vos ministres de recevoir quelques hectares dans la palmeraie de Marrakech ou ailleurs, offerts par le Pouvoir marocain pour acheter votre silence, votre connivence et votre conscience. Comment la Vème République, héritière des Lumières et de la révolution de 1789 accepte-t-elle que certains de ses hauts fonctionnaires se laissent corrompre de la sorte ? Rachida Dati s’est prêtée à notre petit jeu, entraînant son ancien patron dans la noce. La droite politicienne y est passée dans sa presque totalité. Une frange importante de la gauche-caviar aussi. Les plus incorruptibles finissent par succomber au chant de nos mauvaises sirènes. J’ai bien peur que votre ministre des Affaires étrangères soit déjà en piste pour la danse du ventre lui qui considère que la démocratie au Maroc est « un exemple pour la région ». Ne vous étonnez pas alors si nous essayons de vous soumettre à notre sport national. Nous allons le faire, assurément. Un premier pas royal a été réalisé dans ce sens au lendemain même de votre élection. Notre maillon fort dans votre gouvernement s’appelle Najat Belkacem. Même si elle ne siège plus au CCME (Conseil de la Communauté Marocaine à l’Etranger), organisme de lobbysme pro-monarchique, elle est tout indiquée pour nous ouvrir la voie. Elle a montré patte blanche en déclarant à un journal marocain que le CCME « s’expliquera d’abord sur les sujets dont (il) sera saisi par Sa Majesté ». Ne minimisez pas notre aptitude à coopter ceux qui peuvent nous servir. Nous savons y faire et nous y mettons le prix qu’il faut. C’est notre force, l’unique langage que nous savons si bien manier. En tant que corrupteurs professionnels, notre impératif est de vous contaminer. Votre devoir est de repousser ce que vous appelez « les règles illégitimes de la corruption. »
Deux livres publiés à Paris cette année, Le Roi prédateur et Paris-Marrakech expliquent pourquoi je vous interpelle ; il est urgent que les responsables français cessent de se compromettre avec nos dirigeants dans les affaires ou en acceptant terrains, demeures ou séjours de luxe au Maroc aux frais de la princesse. Les hommes d’influence perdent toute indépendance vis-à -vis de leurs donateurs, protecteurs ou associés dès lors qu’ils investissent le champ économique car les relations personnelles parasitent les intérêts généraux. Le Maroc ne peut être une nouvelle aventure coloniale du protectorat, ni Marrakech devenir l’eldorado sexuel de certains Français. Si le droit international était appliqué au Maroc et si la justice n’était pas aux ordres (comme le gouvernement, les partis politiques, les deux chambres des représentants), les prisons seraient remplies d’hommes d’affaires des deux bords.
Votre visite officielle au Maroc du 3 au 4 avril 2013 est une épreuve risquée. Nos dirigeants vous feront vivre leur Maroc à eux, celui du faste, du fric et de l’hypocrisie. Ils ne manqueront pas d’ingéniosité pour faire de vous un DSK, un BHL, un Sarkozy... Ils ne vous révéleront pas le secret de leurs centres de torture ni ne deviseront devant vous sur le tabasse des manifestants pacifiques dès lors qu’ils protestent contre la cérémonie d’allégeance, contre la Liste civile du roi ou uniquement quand ils revendiquent justice et démocratie. Ils ne vous montreront pas les bidonvilles de la déchéance, ne vous entretiendront pas sur les dizaines de jeunes immolés par le feu de désespoir sous le regard des badauds (*)... Ils feront briller leur vitrine de mille éclats pour vous et vous verrez miroiter dans leur regard sournois et prédateur le plus beau pays du monde. La rue marocaine gronde. Les hommes intègres mettent en garde le système. Certains journalistes ont perdu leur travail ou sont allés en prison... Personne ne veut entendre les voix de la vérité. La réalité quotidienne du peuple marocain est faite de boue, de pauvreté, de larmes, de sang et de souffrance.
Que peut attendre quelqu’un comme moi d’un président tel que vous ? Je ne suis pas Français ni ne vis en France. J’ai assisté au printemps arabe dans mon pays. J’ai marché avec les gens et j’ai entendu leurs slogans. Les hommes honnis par la rue sont toujours là , au coeur du Pouvoir. Galéjade ou obstination ? C’est à ce titre que le printemps marocain n’est pas mort. Il reviendra inévitablement car les promesses constitutionnelles de façade ne changent rien aux conditions difficiles des populations. Vous n’êtes pas le président d’une république bananière, Mais l’homme de cette grande nation dont nous vivons les valeurs républicaines par procuration, même en tant de crise. J’attends de vous de ne pas vous comporter avec mon pays comme l’a fait votre prédécesseur. La droite française au pouvoir, c’est le Maroc sous tutelle et l’Hexagone sous influence. Mon souhait le plus farouche, vous l’avez déclaré le soir même de votre triomphe aux élections présidentielles : « Président de la République, il me reviendra de porter les aspirations qui ont toujours été celles du peuple de France, la paix, la liberté, le respect, la capacité de donner aux peuples le droit aussi de s’émanciper de dictatures ou d’échapper aux règles illégitimes de la corruption. Eh bien oui, tout ce que je ferai sera aussi au nom des valeurs de la République partout dans le monde. »
J’espère que vous mettrez en pratique ces belles paroles et que vous respecterez vos promesses. « L’homme supérieur, disait Confucius, c’est celui qui d’abord met ses paroles en pratique, et ensuite parle conformément à ses actions » Vous donnez de vous l’image d’un président honnête et normal. Ces deux qualités exigent de vous une probité républicaine sans faille. Ne soyez pas aveugle ni sourd aux malheurs des peuples. Ne laissez pas la corruption vous atteindre et soyez du côté de la justice et du droit. L’Histoire dira alors de vous que vous avez été un grand Chef d’Etat !
Abdelhak SERHANE, écrivain marocain
(*) Entre 1995 et 2010 on estime à 1 million le nombre de Marocains, qualifiés pour la plupart, qui ont quitté le pays. Pas à cause d’une guerre civile, mais à cause d’une machine de guerre mise en service par le système contre les esprits libres et les intelligences nobles pour ne conserver que les invertébrés, les incapables, les déplorables... tous ceux dont l’aptitude naturelle à la servitude soutient le makhzen dans ses archaïsmes les plus haïssables
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