Il est l’un des « Cinq de Miami », ces agents secrets cubains infiltrés dans les milieux anticastristes de Floride pour une mission de renseignement et de contre-terrorisme. Arrêté en 1998 comme ses quatre compagnons, il a été condamné trois ans plus tard à dix-sept ans et neuf mois de prison pour « espionnage ». Il a été libéré en 2014. Fernando Gonzalez est aujourd’hui député au Parlement cubain et dirige l’Institut cubain d’amitié avec les peuples.
Le blocus décuple les effets de la crise sanitaire et place plus que jamais le pays dans une situation d’étranglement économique. Comment évaluez-vous les intentions de l’administration Biden ?
Fernando Gonzalez Durant l’administration Trump, nous avons atteint un paroxysme dans la guerre économique livrée à Cuba. Une guerre économique qui inclut ce blocus économique, commercial et financier, avec des entraves faites à l’importation de carburants, des transactions financières bloquées. L’un des derniers actes de Trump fut d’inclure Cuba dans la liste étasunienne des États accusés de parrainer le terrorisme. L’objectif : empêcher, au nom d’une prétendue lutte contre le terrorisme, toutes les banques internationales de procéder à des transactions impliquant Cuba sous peine d’être sanctionnées par Washington.
Cuba n’a jamais parrainé le terrorisme, bien au contraire : elle a été la cible d’actes terroristes fomentés aux États-Unis. Avec un bilan de plus de 3 000 morts et plus de 2 000 personnes que ces attaques ont laissé infirmes. Ces mesures prises par Donald Trump sont venues compléter un arsenal de 243 mesures prises sous son mandat pour intensifier la guerre économique. L’actuel président des États-Unis n’y a, pour l’heure, strictement rien changé. Bien qu’il ait pris des engagements durant sa campagne, bien qu’il ait participé, comme vice-président de Barack Obama, au processus qui avait un temps consisté à changer l’approche des États-Unis envers Cuba, Joe Biden n’a absolument rien fait depuis son élection. Il prend même, à son tour, des mesures coercitives supplémentaires.
Comment analysez-vous les manifestations du 11 juillet, à La Havane et dans plusieurs autres villes ? Les ingérences étasuniennes expliquent-elles à elles seules cet élan de mécontentement ?
Fernando Gonzalez Il y a eu une vague de mécontentement. Ce sont les médias et les réseaux sociaux qui ont renvoyé une telle image, avec un effet de loupe. Il y a eu des troubles localisés. Tous les participants n’ont pas pris part à des actes de vandalisme, mais un noyau d’entre eux s’est livré à des actes de violence, à des attaques contre des installations publiques, y compris des structures médicales. Est-ce que tous les participants avaient ces caractéristiques ? Non. Mais ces troubles ont été générés depuis les États-Unis. Avec de l’argent que les agences étasuniennes ont fait parvenir à Cuba à travers des organisations contre-révolutionnaires implantées à Miami.
Maintenant, peut-on dire que tous ceux qui ont participé à ces manifestations étaient payés par les États-Unis ? Non. Comment voyons-nous ces événements ? À Cuba, la situation économique est très compliquée. Le blocus a des impacts dramatiques sur la vie quotidienne des Cubains. À cela s’est ajoutée la pandémie, qui nous a privés de ressources essentielles, en mettant un coup d’arrêt brutal au tourisme. Et, dans de telles circonstances, le pays n’a pas renoncé à affecter les ressources nécessaires à la lutte contre le Covid-19. Au milieu de cette crise, le gouvernement des États-Unis a très cyniquement resserré encore le nœud coulant. Ils l’ont fait avec une motivation politique : faire monter le mécontentement, l’instrumentaliser au travers d’une campagne sur les réseaux sociaux. Est-ce qu’il y a des personnes mécontentes à Cuba ? Oui. Est-ce que nous avons fait tout ce qu’il fallait faire ? Non. Cela a été dit par la direction du gouvernement : nous ne devons pas seulement mieux communiquer, nous devons aussi mieux écouter. Nous avons appris de ces troubles. Ceux qui ont participé à ces manifestations sur la base de frustrations légitimes, il faut les écouter. Nous devons faire un effort pour les écouter, répondre à leurs attentes.
La réforme monétaire, avec l’abandon du peso convertible, a suscité un phénomène d’hyperinflation qui déborde les fortes hausses des retraites et des salaires des fonctionnaires. Quelles en sont les conséquences ? Comment endiguer l’envolée des prix ?
Fernando Gonzalez La régulation que nous visons n’implique pas seulement une réforme monétaire ; il est aussi question d’une réforme salariale, et d’autres changements. C’est un processus très complexe. Pendant un an, nous avons travaillé, réfléchi à la façon de conduire ces réformes pour que leur impact sur la population soit le moins sensible possible. Mais il y a toujours un impact, lorsqu’on est engagé dans une restructuration de cette ampleur. Nous voulons créer l’environnement propice à une économie plus efficace. Et cette restructuration implique un niveau d’inflation que nous avions anticipé. Seulement, avec la pandémie qui est venue conjuguer ses conséquences à celles du blocus, les revenus du pays ont été drastiquement réduits. Et une part considérable de ces ressources réduites a été affectée à la lutte contre le Covid. Ce qui a accentué les pénuries. Avec une demande très supérieure à l’offre de produits que nous avons, l’inflation est supérieure à ce qu’elle aurait été dans d’autres circonstances.
Pour atténuer ces effets, nous avions ouvert des magasins accessibles à ceux qui peuvent payer en devises, en dollars, pour permettre au pays d’engranger les devises qui nous auraient permis de soutenir l’approvisionnement des autres magasins, et de contenir l’inflation. Mais l’inscription par Trump de Cuba sur la liste des pays parrainant le terrorisme nous a fermé les portes des banques étrangères : nous ne pouvions plus rien faire, dès lors, de ces devises. Ce qui a entravé la portée de nos réformes. Ceci est une manifestation supplémentaire de la volonté du gouvernement des États-Unis d’asphyxier Cuba.
De quelles solidarités le peuple cubain a-t-il besoin aujourd’hui ?
Fernando Gonzalez Fondamentalement, le peuple de Cuba a besoin d’une solidarité politique. Que le monde fasse entendre à l’administration des EU son rejet de ce blocus. Nous sommes reconnaissants de toutes les manifestations de solidarité matérielle qui nous sont parvenues dans l’épreuve de la pandémie. Des pays amis nous ont par exemple fait parvenir des seringues. L’important est aussi de faire comprendre pourquoi nous manquons de médicaments, de matériel médical de base, de respirateurs : autant de biens dont l’importation est aujourd’hui entravée par le blocus. C’est cela, le sens d’une solidarité politique.