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Zidane, la coupe du monde et la France.





Cubarte, 14 juillet 2006.


Certes une coupe du Monde de football relève plus des jeux du cirque et du ramollissement des cerveaux que de l’épanouissement des individus que de ce qu’on pourrait attendre d’un sport, l’épanouissement intégral des être humains. Pendant que l’on s’occupe de cela on oublie le reste. Mais l’engouement populaire peut aussi parfois traduire des choses plus importantes. Maradonna pour l’Argentine, la manière dont le gamin aux pieds d’or a su traduire, malgré ou à cause de ses chutes ou rechutes, le coeur d’un peuple humilié et sa volonté de renaissance. Le plaisir éprouvé devant un exploit, la vitalité, la virtuosité.

Zidane et toute l’équipe de France ont offert à la France ces moments magiques. Cuba vibre à la pelota mais ne connaît pas le football. Un sport national s’apprend dès l’enfance et pour avoir été à Cuba en 1998, je sais à quel point le football demeure encore étranger aux Cubains, ils ignorent à quel point cette équipe est techniquement aboutie, comment chacun y prend sa place au moment opportun. Au point de littéralement paralyser l’adversaire comme ce fut le cas avec le Brésil et son équipe de vedettes individualistes.

Zidane est un magicien, mais il y en a d’autres comme le défenseur Lilian Thuram, le petit Riberi et tous les autres, chacun sait agir au profit de tous. Donc ce sont ces qualités dans laquelle la France se reconnaît. On ne peut pas faire dire à un sport plus qu’il n’exprime, mais je crois qu’il y a là aussi les meilleures qualités de la France.

La France est un vieux pays, les Français ont un tempérament anarchiste, rebelle, à toute autorité, ils apparaissent peu sympathiques parce qu’ils râlent toujours, sont arrogants, convaincus d’être le sel de la terre, à leurs yeux tous les autres peuples manquent de goût, ne sont pas civilisés. La France a été et demeure une puissance colonisatrice, qui non seulement a exploité le continent africain, mais s’est enrichie au commerce triangulaire, reste la seule puissance coloniale dans les Caraïbes.

Quand l’on voit des villes aussi belles que Bordeaux, La Rochelle, Nantes, leurs monuments, leurs immeubles somptueux, on peut toujours voir suinter des pierres le sang et la souffrance des esclaves. Non contente d’exploiter, la France a été incapable de s’ouvrir aux autres, elle a prétendu imposer aux peuples colonisés sa « civilisation », au point de faire répéter aux petits Congolais à l’école primaire : « Nos ancêtres les Gaulois étaient blonds aux yeux bleus ».

Notre équipe de France reflète cette réalité coloniale, les transformations de notre peuple. Au XIX e siècle, les Français étaient blonds aux yeux bleus si on doit en croire les descriptions de Balzac, aujourd’hui les Français sont black, blanc, beurs (arabes en argot), et certains ont du mal à s’y faire. Le Pen le leader fasciste et raciste, d’autres aussi, ne cessent de dénoncer cette équipe, mais les jeunes des cités qui se sont révoltés à l’automne dernier parce qu’on tente dans les maintenir dans le statut de colonisés de leurs parents, crient « l’équipe de France c’est nous, la France c’est nous. » Nous verrons à propos du « cas Zidane » à quel point cette équipe est consciente de représenter la France métissée, anti-raciste, anti-colonialiste, populaire - une nation, d’en exprimer l’esprit mais aussi la tradition.


La France est donc arrogante, individualiste, Victor Hugo disait : « le Français est un Italien de mauvaise humeur. » Oui mais voilà la France a un visage contradictoire. Du point de vue de la qualité de ses productions, elle en est au stade de la manufacture tel que le décrit Marx. Il donne l’exemple de la fabrique de carrosse, comment des artisans excellent chacun dans un art apporte sa pièce parfaite et la monte. Ou encore une troupe de théâtre, rien de plus individualiste, jusqu’à l’hystérie, qu’une troupe de théâtre, les électriciens, les décorateurs, les habilleuses, les acteurs, mais quand tout cela fonctionne bien ensemble il y a la magie du spectacle.

L’équipe de France relève de cette tradition française, une technique impeccable, miraculeusement chaque artisan contribue au collectif. C’est très profond, notre paysannerie, nos artisans, mais aussi nos industries relèvent de cela, qu’il s’agisse de l’aéronautique, du nucléaire, ou du luxe, il y a toujours chez chaque ouvrier le goût de la belle ouvrage, la perfection du geste et le travail en équipe, une discipline collective. Si l’on ajoute à cela que nous sommes le pays de l’Etat, de la bureaucratie, avec de grands administrateurs attachés au service public, à la nation, des agents de l’Etat que rien ne peut corrompre comme l’inspecteur Javert des Misérables, on mesure à quel point le néo-libéralisme est profondément étranger à la France.

En 1995, alors que le monde entier subissait la vague néo-libérale sans bouger, la France s’est soulevée dans un grand mouvement de défense du service public, et elle n’a jamais cessé de se rebeller, multipliant les pratiques quasi-insurrectionnelles, y compris le refus de la Constitution européenne alors que 90 % des forces politiques et la totalité des médias faisaient pression en faveur du OUI, elle a dit NON.

Marx nous appelait « cette nation d’émeutiers », et voyait dans la France, le pays de la lutte des classes. De surcroît les Français détestent les Etats-Unis, ils ne supportent pas que l’on vienne leur imposer des modes de vie, que l’on croit être les maîtres du monde. Là encore, on peut leur dire tout le mal que l’on veut de Cuba, ils ont de la sympathie pour ce petit peuple qui résiste à l’Empire. Ils s’y reconnaissent. Comme le dit Fidel dans son discours à l’Université, les Français sont capables de mourir dans les tranchées même pour de mauvaises raisons.

Je passe ma vie à tenter d’expliquer aux Français ce qu’est Cuba, jamais je n’ai cessé de penser à mon pays en le faisant, le fond de mon discours est : « Si eux sont capables de se battre et de gagner, vous pourriez en faire autant ». Mon peuple de cabochards entend cela.


Ce long détour était nécessaire pour faire comprendre ce qu’a représenté Zidane et son geste lors de la coupe du Monde. Spontanément, certes les Français étaient tristes d’avoir perdu la coupe, mais sans même savoir ce qui s’était passé ils ont donné raison à Zidane, ils se sont montré solidaires de l’équipe et de son capitaine. C’était d’autant plus étonnant que le héros de l’histoire paraissait pétrifié, s’enfermait dans son mutisme.

Jacques Chirac, le président, a bien traduit l’esprit des Français en allant le consoler et le remercier dans le vestiaire, en les accueillant tous à l’Elysée. Sur le balcon, face à la foule qui applaudissait et qui criait « Zizou merci, on t’aime », l’équipe a fait une haie d’honneur à son capitaine, toujours muet et honteux. Hier, il a parlé devant les caméras de télévision, il a expliqué ce qui s’était passé. Il a dit « je m’excuse auprès des enfants et des éducateurs parce que ce geste n’est pas tolérable, il donne le mauvais exemple. Mais je ne le regrette pas, parce que regretter c’est dire que l’Italien avait raison, il n’avait pas raison. Je n’attaque personne, je me défends. Il m’avait tenu le maillot, je lui ai dit qu’à la fin du match je le lui donnerais. » A ce propos, il faut se souvenir du geste de Zidane après la victoire contre le Portugal, avec le capitaine de l’équipe adverse, ils ont échangé les maillots, et Zidane a enfilé celui du Portugal et a fait le tour d’honneur sous les couleurs du Portugal.

Une mentalité de grand seigneur, une courtoisie que les Français apprécient. Mais a continué Zidane, l’Italien a commencé à l’insulter, Zidane s’est éloigné et l’autre l’a poursuivi de ces insultes. « Il a dit des choses très dures, contre ma maman, ma soeur, il les a répété trois fois. On ne peut pas laisser passer cela. Je n’ai pas eu un coup de folie, j’étais calme, je devais ne pas tolérer cela. Je le répète mon geste est intolérable et c’était juste de me renvoyer, mais l’Italien est le coupable. Il ne devait pas dire ce qu’il a dit. » Et là , il s’est mis à expliquer ce que représentait l’équipe de France, la conscience qu’ils avaient tous de défendre des valeurs anti-raciste, une France différente, ils menaient ce combat-là et il ajouté : « Ce qui est grave c’est ce qu’a dit le vice-président du sénat italien, ’Nous avons vaincu une équipe de nègres, d’islamistes et de communistes ’, ne croyez vous pas que cela est bien plus grave que mon geste. C’est cela qu’il faut combattre. »

Quand on lui a demandé : « Si vous pouviez repasser le film en arrière, souhaiteriez- vous une autre fin ? » Il a répondu : « Non, cela a été décidé en haut, cela devait être ma fin ! » Il a ajouté « j’ai toujours essayé d’être honnête, je ne suis qu’un être humain avec ses faiblesses ! Je vais commencer une autre vie, loin de la pression, je vais m’occuper de mes enfants, faire un voyage en Kabylie dans le pays de mes parents. » Calme et tranquille, comme ce poème de Joachim du Bellay que répètent tous les enfants français : « heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage et puis est revenu plein d’usages et de raison vivre entre ses parents le reste de son âge ».

La manière dont les Français ont approuvé Zidane nous renseigne sur ce que peut être ce pays. Ils ont le goût du panache, du geste gratuit, un peu à la manière dont un de nos rois, François premier écrivait au soir d’une terrible défaite : « Tout est perdu for l’honneur ! » (Tout est perdu sauf l’honneur). Ils ont apprécié que par sentiment humain, un individu renonce à l’apothéose de la gloire, au hochet d’une coupe, pour revendiquer sa simple dignité, celle de sa mère et de sa soeur. Ils ont reproduit à leur profit le geste de Zidane et n’ont même pas tenté de se présenter comme les véritables vainqueurs. Là encore Zidane a été exemplaire : « je ne sais pas si j’étais resté si nous aurions gagné, le tir au but est une loterie, parfois nous en avons bénéficié, cette fois ça a été l’Italie. » Il n’y a pas eu de manifestations contre les Italiens en général, pas de revendication à une victoire volée. Ils étaient comme Zidane, au-dessus de tout cela.

Il reste à expliquer pourquoi le vice président les accuse d’être des communistes. Je connais la famille de Zidane, sa tante, c’est une militante communiste. Les parents sont des ouvriers très simples, le père a souvent signé des appels à voter communiste. Zidane leur a offert une villa, mais la mère a peur pour son enfant, pour tout cet argent, cette publicité et Zidane ne cesse de reconnaître ce qu’il doit à ses racines modestes, celle du grand ensemble où il a grandi, la Castellane, celle de sa famille et de ses origines kabyles, il porte haut une courtoisie, une modestie populaire et la dignité des humbles, c’est celle qu’il a défendues un soir de coupe du monde, pour son dernier match.

La plupart des autres membres de l’équipe appartiennent à ce monde qui fut jadis celui du parti communiste français, de sa présence dans les quartiers populaires, des mairies ouvrières. Ils lui étaient reconnaissant de ses luttes anti-coloniales, et même si aujourd’hui ce parti n’est plus que le souvenir de lui-même, il conserve une image. Mais je crois que le vice-président italien faisait surtout référence à la querelle qui a opposé Lilian Thuram, soutenu par l’équipe à Nicolas Sarkozy. Quand le ministre de l’intérieur à parlé de la racaille des banlieues et des cités, ce qui a déclenché la révolte de l’automne, Lilian Thuram a dénoncé ces propos, une polémique s’en est suivi. Donc cette équipe aux origines populaires est considérée comme étant à gauche, tout en affirmant et revendiquant sa représentation nationale et ayant à ce titre des relations privilégiées avec le Président de la République.

Voilà pourquoi le cirque qu’est la coupe du monde a donné l’occasion à l’insupportable, l’arrogant et râleur peuple français de montrer qu’il vaut mieux que sa réputation.

Merci Zidane.

Danielle Bleitrach, sociologue.


- Source : Cubarte www.cubarte.cult.cu/fr



Que se passe-t-il à Cuba, par Danielle Bleitrach.


Sur John Lennon, Cuba et les années 60, par José Perez.

Comment Cuba a survécu au peak oil, par Megan Quinn.


Nouveau rapport de la Commission sur Cuba : la recette pour un nouvel échec, par Wayne S. Smith.




- dessin : Alex Falco Chang


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