RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Sur John Lennon, Cuba et les années 60

Il y a eu des erreurs commises à la fin des années 60, et il y a eu des erreurs commises dans les années 70 en tendant de corriger les erreurs des années 60, qu’ils ont à leur tour tenter de corriger dans les années 80. La tentative de les corriger à cette époque n’était pas une erreur mais, dans un certain sens, stérile parce que la "rectification des erreurs" - comme on l’appelait dans les années 80 - impliquait la destruction de tout un ensemble de mécanismes de marché et l’importation d’idées toutes faites d’Europe de l’Est qui étaient en train de miner les principes révolutionnaires à Cuba.

Une dépêche d’agence sur l’hommage Cubain à John Lennon, tel quel. En réponse, le chouette témoignage de José Perez. A lire. V.D

Cuba rend hommage à John Lennon, décrié auparavant.

LA HAVANE, 9 Décembre 2001, (Reuters) - Samedi, Communiste Cuba (note de CSP - merci pour la précision) a entamé une série de hommages à l’ex-Beatle John Lennon, à présent salué comme un "compagnon de route" malgré la déconsidération dont il faisait l’objet dans la passé pour exercice d’une influence décadente Occidentale dans les années 60 et 70.

Les autorités ont organisé deux jours d’activités, y compris des concerts, des expositions artistiques, et des présentations de livres et de documentaires, en commémoration du 21ème anniversaire du meurtre de John Lennon par un fan dément qui l’a abattu d’un coup de feu en 1980.

Lennon "est devenu un symbole de la Havane, et nous sommes ici pour rendre hommage à l’homme qui a brisé les conventions dans différents domaines de l’art," a dit l’historien de la ville Eusebio Leal lors d’un discours prononcé près de la statue de bronze du chanteur, dans un parc de la Havane.

La statue - désormais un lieu touristique fréquenté - fut inaugurée par Fidel Castro l’année dernière au cours d’une volte-face culturelle effectuée par les autorités à l’encontre d’un homme dont la musique n’était écoutée que derrière des portes closes.

"Il nous a donné des chants de protestation face à tant de crimes et d’injustices", a ajouté Leal, un officiel de haut rang du gouvernement de Castro.

L’ambassadeur Britannique Paul Hare a dit qu’il était ravi que Cuba honore la vie et l’oeuvre de Lennon. "Nous devons travailler ensemble pour la paix et toutes les valeurs que les Beatles représentaient", a-t-il dit aux journalistes.

Pendant environ 15 ans après la Révolution Cubaine de Castro en 1959 (sic), Lennon était une figure culte clandestine parmi la jeunesse Cubaine, ses albums circulaient sous le manteau et étaient écoutés derrière des portes closes. Ses disques étaient considérés par les autorités comme des "déviations idéologiques".

Dans un Cuba encore verrouillé mais plus libéral sur le plan culturel aujourd’hui, Lennon est présenté comme un rebelle né et une éternelle victime de l’harcèlement des Etats-Unis.

Les autorités Cubaines soulignent comment Lennon défendait l’égalité des races et les droits des travailleurs et des femmes, et sa campagne pacifiste aux Etats-Unis contre la Guerre au Vietnam qui lui a valu l’attention de la CIA.

Le compositeur et guitariste Cubain Luis Manuel Molina a dit que les attitudes négatives du passé envers les Beatles était le fruit de l’ignorance. "Il y avait une manque de compréhension au sujet des artistes qui étaient en avance sur leur temps", a-t-il dit.

Jose G. Perez, sur John Lennon et Cuba.

Commentaire :

Une des choses au sujet de Cuba qui m’a surpris lorsque j’y suis finalement retourné en 1979, après l’avoir quitté à l’age de neuf ans en 1960, était la quantité de rock and roll "occidentale" pure et dure et de musique de jeunes qu’on pouvait entendre - y compris les Beatles et Bob Dylan à ses débuts, considéré déjà comme ringard aux Etats-Unis, qui étaient envahis par les monopoles de l’industrie de la musique qui avaient renforcé leur prise mortelle sur la culture des jeunes en produisant des choses comme John Revolta et les Bee Gees ressuscités, et le disco.

J’étais surpris parce que je croyais, en écoutant les média avant de partir, que Lennon, les Beatles et le Rock and Roll étaient "verboten", des symptômes de la décadence impérialiste et tout ça. Oui, il y avait des personnes à Cuba qui pensaient ça. Et il y avait des gens qui avaient des bustes de Staline placés bien en vue sur leur téléviseur Noir & Blanc. Et il y avait aussi des gens qui écoutaient les Beatles toute la journée. Il y avait toutes sortes de gens à Cuba, avec toutes sortes de points de vue sur toutes sortes de sujets sur lesquels ils avaient peu de réticences à s’étendre. Pays libre et tout ça, quoi.

Comme beaucoup d’autres mythes anti-Cubains, celui-ci qui prétend que Cuba était anti-Beatles n’est pas complètement faux. A la fin des années 60, pendant quelques années, il y avait des gens qui avaient été formés dans l’ancien Parti Communiste pro-Moscovite (qui s’appelait le Parti Socialiste Populaire - à ne pas confondre avec l’actuel Parti Communiste Cubain), ou qui simplement adhéraient à cette façon de penser, et qui ont réussi à prendre certains postes clés dans la bureaucratie de l’industrie du disque à Cuba. Et l’interdiction des Beatles n’était rien en comparaison du reste.

Les cibles les plus importantes étaient les jeunes chanteurs Cubains, les Bob Dylans, les Holly Nears et les Phil Ochs Cubains - "trovadores", c’est comme ça qu’ils s’appelaient, les conteurs, comme Silvio Rodriguez et Sara Gonzalez et Pablo Milanes et Noel Nicola. Des gamins qui allaient bientôt devenir des vedettes mondiales. Certains le sont encore, avec des disques de platine, qui ont rempli pendant des années, et qui remplissent encore, des stades entiers partout dans le monde (sauf, bien sûr, aux Etats-Unis, où on leur refuse le droit de se produire).

Mais il est vrai qu’à la fin des années 60, ces jeunes cubains ont eu du mal à obtenir de la compagnie de disques officielle de Cuba, EGREM, ne serait-ce que des réponses à leurs coups de fil, sans parler de se faire enregistrer un disque. Bien sûr, cela n’arrive "jamais" ailleurs qu’à Cuba. Partout ailleurs, n’importe quel jeune artiste qui veut réussir n’a qu’à décrocher le téléphone pour obtenir "toujours" une audition avec Dick Parsons, futur "uberfuhrer" de AOL Time Warner.

Voilà pour les contes de fées.

Toujours est-il que le monde officiel de la musique Cubaine n’aimait peut-être pas la musique que ces gamins faisaient, mais il s’est trouvé au moins quelques vieux rebelles du 26 Juillet qui ont pensé que cette musique était vachement "groovy". Et Haidee Santamaria, qui avait TOUJOURS été avec Fidel, contrairement aux kulturekampf kommisars, leur a accordé un toit à la Casa de las Americas où ils pouvaient se produire. Et l’Union des Jeunes Communistes les adorait. Et l’Institut du Film les transforma en "Groupe d’Expérimentation par le Son de l’ICAIC [Institut Cubain de l’Art et de l’Industrie Cinématographique]". Ca vous fait peut-être plus penser au nom d’un département de physique à la bonne vieille université de la Havane, mais c’était le nom du groupe. Le "groupe d’expérimentation par le son" enregistrait des chansons de Silvio et d’autres, et les disques sont sortis, et le "kulturekampf" de ceux qui voulaient que la musique en générale soit "nationale dans sa forme et socialiste dans son contenu" - pour reprendre le terme hérité de Moscou - s’est effondré.

La fin des années 60 fut une période très contradictoire à Cuba (comme toutes les autres périodes d’ailleurs, avant et après). Ce fut une période qualifiée (injustement selon moi) par certains de "Guévariste" - une tentative de sortir le pays de son arriération économique par la seule force de la volonté. C’était une politique d’extrême gauche et elle a échoué, comme l’a souligné Fidel dans un discours, le 26 Juillet 1970. C’était une erreur. Mais l’erreur fut accompagnée par tout un tas d’autres erreurs que les gens faisaient en tentant de rendre la révolution "trop révolutionnaire". Et il y avait les autres qui ont profité de la rigidité de cette période pour tenter d’imposer leurs propres schémas et programmes, y compris par des initiatives contre la musique des jeunes des années 60, qu’elle fusse Cubaine, Américaine ou des Iles Britanniques. Et comme cela arrive parfois lorsqu’une bande de vieux tentent de dépasser les jeunes par la gauche, on s’aperçoit généralement qu’ils arrivent par la droite.

L’incapacité de reconnaître le génie de la nouvelle génération de musiciens que la révolution avait inspirée était le moindre des maux. Ils ont aussi harcelé les homosexuels - c’est vrai - et les jeunes Cubains qui s’identifiaient à leur héritage Africain en portant des coupes de cheveux Afro et des dashikis (?), et les "éléments" (jeunes hommes) qui démontraient leurs tendances "anti-sociales" en portant des cheveux longs. Ils les harcelaient et les incorporaient dans l’armée, comme aux Etats-Unis. Bien sûr, ils ne les ont pas envoyés à l’autre bout de la planète pour massacrer d’autres personnes, mais d’une certaine façon, certaines de ces pratiques étaient presque des parodies ridicules de ce qui se passait à quelques kilomètres plus au Nord.

Inutile de dire, TOUS ces abus "extrémistes" ont été abolis par le gouvernement révolutionnaire. Et il ne devrait étonner personne que toutes sortes d’idées réactionnaires aient pu trouver des moyens d’expression dans un pays qui ne faisait que commencer la construction du socialisme et où l’attention des dirigeants de la révolution était concentrée ailleurs - sur la lutte pour la survie. Cela a continué, pour autant que je sache, pendant 2 ou 3 ans et de manière très inégale à travers l’île. Je n’ai jamais su s’il s’était agit d’une ligne politique bien déterminée ou juste d’une série de "lignes directrices" informelles. Je n’ai jamais su non plus de quelle hauteur elles venaient, ni dans quelle mesure ces hauteurs laissaient délibérément s’exprimer ces positions rétrogrades qui étaient encore majoritaires à cette époque.

S’il a fallu plus de temps pour y remédier que nécessaire, c’est qu’il que tout cela faisait partie d’une politique erronée beaucoup plus large, qui devait être corrigée aussi, particulièrement dans le domaine économique. Et cet aspect des choses - s’assurer que les gens avaient de quoi manger - retenait toute l’attention de la direction du pays.

Silvio, en particulier, qui a donné au répertoire quelques excellentes chansons qui font allusion à cette période et à ces enjeux, comme la chanson Playa Giron [note de CSP - nom cubain pour la "Baie des Cochons"], qui parle d’un bateau de pêche qui porte ce nom, pas de la bataille. Evidemment, la chanson a tout à voir avec la bataille. Il y aussi la chanson Resumen de Noticias (Résumé de l’Actualité], qui dénonce ceux "qui ont marqué les limites du printemps", et dans laquelle il proclame qu’il "préfère parler de l’impossible, parce que nous connaissons trop bien le possible" - une attaque directe contre la (pseudo) esthétique officielle Marxiste du réalisme socialiste comme on peut l’imaginer. La chanson se termine avec ces mots :

Agradezco la participación de todos
los que colaboraron con esta melodà­a.
Se debe subrayar la importante tarea
de los perseguidores de cualquier nacimiento.
Si alguien que me escucha se viera retratado,
sépase que se hace con ese destino.
Cualquier reclamación, que sea sin membretes.
Buenas noches amigos y enemigos.

Traduction libre :

Je voudrais remercier tous ceux
qui ont contribué à la création de cette mélodie.
Nous devons souligner la tâche importante
de ceux qui persécutent les gens de tous origines.
Si quelqu’un qui m’écoute croit se reconnaître
qu’il sache que c’est tout à fait exact.
Toute réclamation qui ne soit pas sur un papier à en-tête sera acceptée.
Bonne nuit, amis et ennemis.


Cette chanson fut enregistrée à Cuba, et distribuée par "le circuit officiel" aux alentours de 1970 ou 1972, et pressée sur autant de disques vinyles qu’on pouvait trouver parce que Silvio, à Cuba, était plus grand que les Beatles.

Si vous êtes familier avec la musique, la littérature ou les films Cubains de ces dernières années, vous vous êtes sans doute rendus compte à quel point ils peuvent être critiques envers la réalité et les attitudes Cubaines, sans verser toutefois dans la propagande anti-Cubaine.

Comment est-ce que Cuba a réussi à trouver l’équilibre, malgré le blocus, entre l’honnêteté artistique et la loyauté envers un processus révolutionnaire, envers le peuple et la nation ? Par un processus de tâtonnements successifs, par des erreurs, en tombant à plat ventre et en n’ayant pas peur de se relever, d’en rire un peu,et en essayant de nouveau. En créant une société civile pluraliste (mais pas dans le sens bourgeois du terme) où, lorsque la bureaucratie musicale de l’EGREM ne vous aimait pas, il y avait toujours Haidee Santamaria et l’Institut du Film d’Alfredo Guevara (pas de relation avec le Che, mais un des amis les plus proches de Fidel depuis l’université) pour vous prendre sous leurs ailes.

Il y a eu des erreurs commises à la fin des années 60, et il y a eu des erreurs commises dans les années 70 en tendant de corriger les erreurs des années 60, qu’ils ont à leur tour tenter de corriger dans les années 80. La tentative de les corriger à cette époque n’était pas une erreur mais, dans un certain sens, stérile parce que la "rectification des erreurs" - comme on l’appelait dans les années 80 - impliquait la destruction de tout un ensemble de mécanismes de marché et l’importation d’idées toutes faites d’Europe de l’Est qui étaient en train de miner les principes révolutionnaires à Cuba.

Je dis que la campagne des années 80 fut stérile parce qu’elle fut suivie par les années 90, l’époque où Cuba n’avait plus d’autre choix que d’accepter des mécanismes, bien plus capitalistes que ceux abolis au milieu des années 80, pour tenter de résoudre l’impact de la chute du camp socialiste. Mais cela dit, sans la campagne des années 80, les Cubains n’auraient pas eu la conscience des années 90 pour comprendre ce qu’ils étaient en train de faire, pourquoi ils le faisaient et où se situaient les limites.

La plupart de ces question ont à voir avec "l’organisation de l’économie". Cela signifie concrètement l’établissement d’une véritable démocratie, parce que vous pouvez toujours "voter" pour avoir toutes les écoles que vous voulez, si vous ne pouvez pas les "construire", le vote n’a aucun sens.

Alors la révolution a survécu non pas "malgré" ses erreurs, mais dans une large mesure "grâce" à ses "erreurs", celles d’une société qui apprend à marcher comme le ferait une personne, titubant et tombant au début, puis tentant de courir et s’écrasant contre des murs ou trébuchant sur des obstacles, puis devenant plus sage et plus mur et sachant quand marcher, quand courir et quand s’arrêter.

Mais pour revenir à l’article ci-dessus, il tend à donner l’impression que Cuba a livré une bataille opposant le Marxisme au Lennonisme, et n’aurait adopté ce dernier que dans un geste sentimental, presque sénile, au cours des dernières années. Ca, c’est des conneries.

J’ai été surpris lors de ma visite en 1979 à Cuba en parlant avec des gens de mon age - je venais d’avoir 28 ans à l’époque, l’age parfait pour sombrer dans la Beatlemania et Dylan et le mouvement anti-guerre du Vietnam - lorsque je me suis rendu compte que les Cubains de ma génération écoutaient et aimaient plus ou moins la même musique que moi. Et nous avons chanté ensemble des chansons de Dylan et des Beatles, et des chansons de Silvio et d’autres. Je fus encore PLUS surpris de découvrir qu’ils avaient entendu les Beatles sur la MEME station de radio que moi. WQAM de Miami, fréquence 560, avec le Show de Ricky Ticky dans le rôle du DJ entre 20h et 23h, qui passait TOUJOURS la chanson "good night my love" à la fin de l’émission. Je l’ai entendu de nouveau dans les années 90 sur une autre station. Il passait encore "good night my love".

J’ai même rencontré quelqu’un qui avait entendu, 12 ou 13 ans auparavant, en 66 ou 67, lorsque Rick Shaw avait passé la chanson "Mrs. Brown you’ve got a lovely daughter" en boucle, au moins 20 fois.La chanson venait de sortir et avait envahi le pays et Rick Shaw l’a passé comme ça, à l’époque où les DJ avait encore un contrôle sur leur programmation et ne se contentaient pas de diffuser une liste de chansons fournie par un ordinateur. Et les gamins à Cuba qui avaient 15 ou 16 ans dansaient sur la même station dans leurs soirées. Ils l’avaient entendu aussi. Ca demandait un peu de bricolage et il fallait orienter correctement le poste de radio pour se débarrasser d’un signal puissant d’une station voisine, mais il y avait ce modèle Soviétique qui s’en sortait très bien.

Une fille que j’avais rencontrée et qui avait entendu Rick Shaw passer Mrs Brown en boucle cette nuit-là dans les années 60 était une de ces gamines avec un poste Soviétique. Et cette nuit du 19 Juillet 1979, je me suis soûlé avec elle (et beaucoup d’autres) lorsque nous avons appris que les Sandinistes avaient marché triomphalement sur Managua [Nicaragua]. 20 ans après, la révolution avait finalement posé le pied sur le continent. Et après avoir marché autour du camp Julio Antonio Mella, et chanté l’hymne national Cubain, et écouté quelques chansons du Nicaragua sur les hauts-parleurs (on ne les connaissait pas à l’époque), et chanté l’hymne du 26 juillet, et chanté l’Internationale en espagnol et en anglais, Anita - elle était comme un guide pour mon groupe - et moi avons célébré jusqu’au bout de la nuit en chantant "Mrs Brown you’ve got a lovely daughter" et tout un paquet de tubes de Silvio et de Sara Gonzalez - et quelques chansons de la Guerre Civile d’Espagne - tout en vidant les restes des bouteilles de Pati Cruzado [rhum cubain] que quelques camarades inconscients et irresponsables avaient oublié de vider. (Risques d’incendie et tout ça).

Et un des adultes responsables sur place - j’aimerais pouvoir dire qu’il s’agissait du Comandante Gallego Fernandez, héros de la Baie des Cochons, ministre de l’éducation à l’époque et qui devait prendre la parole cette nuit là sur le thème de l’éducation à Cuba, sauf qu’il avait compris que pour une nuit comme celle là , les livres d’instruction les plus appropriés se trouvaient être les étiquettes de quelques bouteilles de rhum - enfin bref, je "crois" qu’il s’agissait "peut-être" de lui, nous observait Anita et moi en train de boire et de nous peloter en chantant du Silvio et les Beatles et Mrs Brown et il a dit, avec un mélange d’admiration et de dégoût que je n’ai jamais pu définir, "Coño, Fidel tenà­a razón. Ustedes, los de aquà­ y los de allá, son los mismos." (Merde alors, Fidel avait raison. Vous tous, ceux d’ici et ceux de là -bas (ce qui signifie, principalement, Miami) sont les mêmes).

Ce qui signifie, lorsqu’on lit toutes ces conneries dans la presse bourgeoise sur la répression anti-Beatles dans la société Cubaine des années 60 et 70, ne les croyez pas une minute. J’étais un enfant des années 60, et ceux sur l’île l’étaient aussi.

Mais vous n’êtes pas obligés de me croire sur parole. Sur le site de NY Transfer News Collective (www.blythe.org), ils ont une page d’hommage à John Lennon, et un discours de Ricardo Alarcon, président de l’Assemblée Nationale de Cuba, prononcé lors de l’inauguration du mémorial de John Lennon à la Havane. Vous pouvez le lire, et juger sur pièces si ce que dit la presse bourgeoise est vraie ou non :

"Ici, devant l’excellent oeuvre d’art de José Villa, nous sommes revenus entendre ce que quelqu’un a dit il y a vingt ans ; "vous pouvez croire tout ce qu’on raconte sur cet homme, sauf qu’il est mort".

"Ce n’est pas la nostalgie qui nous rassemble ici. Nous ne sommes pas en train d’inaugurer un monument au passé, ni un site pour commémorer quelque chose de disparue. Ce lieu sera pour toujours un témoignage de lutte, un appel à l’humanisme. Il sera aussi un hommage permanent à une génération qui voulait transformer le monde, et à l’esprit rebelle et inventif d’un artiste qui contribua à forger cette génération et en même temps en est un de ses symboles les plus authentiques."

"Les années Soixante étaient bien plus qu’une période dans un siècle qui touche à sa fin. Avant toute chose, elles ont été une attitude face à la vie qui a profondément influencé la culture, la société et la politique, et a qui a traversé toutes les frontières. Un élan novateur s’est levé, victorieux, pour submerger toute la décennie, mais il était né bien avant cette époque et ne s’est pas arrêté, même aujourd’hui."

"Nous tournons nos regards vers ces années-là avec la tendresse d’un premier amour, avec la fidélité que ressentent tous les combattants pour leur première et plus lointaine bataille. Avec une animosité obstinée, certains dénigrent encore cette époque - ceux qui savent que pour tuer l’histoire, il faut d’abord lui arracher le moment le plus lumineux et le plus prometteur."

"C’est ainsi que sont les choses, et c’est ainsi qu’elles ont toujours été : pour ou contre les années 60".

Imaginez quelqu’un comme Alarcon parmi la classe politique Américaine ou Britannique en train de prononcer CE discours. Imaginez Clinton ou Bush ou Blair ou Powell.

Oui, il y avait un sacré paquet de connards à Cuba dans les années 60 - comme partout ailleurs. Mais, contrairement à presque partout ailleurs, à Cuba, les connards ont perdu. Et c’est pour cela qu’à Cuba aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement d’un mémorial dressé à la mémoire de Lennon, mais d’un hommage rendu à lui et à tout ce qu’il défendait. Ce n’est pas quelque chose que vous trouverez en Grande Bretagne ou aux Etats-Unis.

Jose G. Perez
Décembre 2001

 Traduction par Cuba Solidarity Project, décembre 2001.
http://viktor.dedaj.perso.neuf.fr/html

Le prix Nobel Günter Grass se joint à l’appel pour la libération des Cinq cubains emprisonnés aux USA.

EN COMPLEMENT

La Ballade de John et Cuba (Chicago Tribune)

Lennon rejoint Lénine dans la mémoire des générations révolutionnaires

par Achy Obejas

LA HAVANE — Qui l’eut cru ? Ici, petit à petit, John Lennon est en train de devenir un saint.

A toute heure de la journée ou de la nuit, des Cubains - ce sont en majorité des Cubains, bien que des cars de touristes s’arrêtent à des heures précises - viennent dans un endroit tranquille entre la 6eme et la 7eme rue du quartier arboré du Vedado et empilent des fleurs fraîches au pied de la statue de Lennon assis sur un banc, son bras reposant sur le dossier, avec la tête légèrement inclinée, comme s’il écoutait parler un ami.

Des milliers de personnes ont déjà succombé à l’invitation du Beatle de bronze et se sont assis à ses côtés, certains pour une photo, d’autres pour lui murmurer des secrets. Beaucoup se contentent de s’asseoir et de lui tenir compagnie en imaginant - pas difficile avec Lennon - d’autres alternatives.

Tout autour du Lennon Cubain - une figure tendre réalisée par le sculpteur José Villa - se consument des chandelles. Parsemés parmi les fleurs, on trouve des poèmes, des prières pour la paix, des descriptions détaillées de rêves et d’ambitions, parfois des excuses pour des malentendus du passé, et des promesses si Lennon voulait bien exaucer tel ou tel voeu. Un projecteur bien trop puissant éclaire la scène en permanence et un policier en uniforme est assis silencieusement dans l’ombre.

"San’ (Saint) Lennon," a dit le policier en faction ce 8 décembre, date anniversaire de l’assassinat de Lennon par un fan mentalement dérangé, sincèrement émerveillé de tout ce remue-ménage autour d’un Anglais mort il y a 21 ans.

Le culte de Lennon est si fort qu’un vidéo officiel de l’artiste Eduardo Molto intitulé "Yo Lo Vi en La Habana (Je l’ai vu à la Havane)" - vidéo dans lequel la silhouette habillée de blanc de Lennon sur la pochette du disque Abbey Road est superposée sur une rue de la Havane ainsi que sur le Malecon, l’avenue qui borde la mer - est considéré ici plus comme un documentaire provenant d’une autre dimension que comme une oeuvre imaginaire.

Bien avant l’inauguration officielle de la statue l’année dernière, Lennon faisait l’objet d’une vénération populaire. Pendant des années, des musiciens et des fans se sont réunis spontanément dans ce même parc à chaque anniversaire de sa mort pour chanter ses chansons jusqu’aux premières lueurs de l’aube.

A la Havane, un club Beatles se réunit chaque semaine depuis plus de dix ans pour chanter, visionner des clips et des documentaires, et parler des Fab Four [surnom donné aux Beatles - NdT à l’intention de ceux qui était sourds ou pas nés dans ces années là]. A partir de 1995 et pendant 3 ans, différents groupes académiques et professionnels ont tenu des conférences pour célébrer, examiner et réfléchir sur le groupe de Liverpool, bien que Lennon ait toujours émergé comme le personnage principal du groupe.

Et malgré les années d’interdit (officiellement nié), les Cubains en age dans les années 60 ont conservé les disques vinyles et les cassettes des Beatles et les ont présentés à leurs enfants. En fait, il n’est pas rare de rencontrer des Cubains de tous ages qui ne parlent pas un mot d’anglais mais qui sont capables de chanter en phonétique une bonne partie du répertoire des Beatles.

Alors ce n’est pas vraiment une surprise d’avoir vu la légende de Lennon grimper au fur et à mesure que la génération des années 60 grimpait les échelons de la bureaucratie Cubaine. Et lorsqu’un jeune écrivain chevelu habillé d’une veste en cuir noir au nom de Yoss émit l’idée d’une statue de Lennon, le Ministre de la Culture du pays, Abel Prieto, approuva sur le champ. Après tout, Prieto avait raconté les débats passionnés qui avaient enflammé les fans sur les mérites respectives de Lennon et Paul McCartney dans un de ses livres intitulé "El Vuelo del Gato (Le Vol du Chat)".

L’année dernière, Fidel Castro était présent à l’inauguration de la statue. Il a dit qu’il aurait aimé rencontrer Lennon et a exprimé son admiration pour les idées pacifistes de l’ex-Beatle, et a mis les persécutions des fans des Beatles à Cuba sur le compte de l’ignorance.

Cette année, la cérémonie de commémoration de la mort de Lennon a attiré plusieurs centaines de personnes dans le "parc Lennon" (ne pas confondre avec le parc Lénine, distant de quelques kilomètres) et fut marquée par la présence d’un orchestre national qui a interprété les oeuvres des Beatles.

"Il est le héros des jeunes femmes qui viennent l’embrasser en rêvant d’une résurrection", a dit Eusebio Leal, l’historien de la ville, tandis que de jeunes femmes posaient leurs lèvres sur celles de la statue.

Plus tard dans la journée du samedi, des festivités ont présenté des exhibitions sur Lennon, la diffusion par câble d’un hommage à Lennon depuis New York, de nombreux ouvrages sur les Beatles présentés à la bibliothèque nationale, et un concert de rock officiel joué par des musiciens Cubains, pratiquement tout en anglais, sur la place Anti-Impérialiste José Marti, la même place en bord de mer sur laquelle Fidel Castro dénonce régulièrement la politique des Etats-Unis et le Capitalisme.

***

Pourquoi un tel engouement pour Lennon à Cuba ? Qu’a-t-il de plus que, disons, Bob Dylan, Bob Marley, Elvis Presley ou les artistes locaux ?

"C’était un progressiste," répond Kiko Mederos, l’imposant chanteur au cheveux bleus de Tendencia, un groupe de "métal" de Pinar del Rio, qui fait le concert sur la place. "C’était lui le cerveau, c’était lui le mec. Ici les gens se sont rendus compte très tot qu’il était différent. Il était comme le Che - on ne rencontre pas souvent de tels personnages".

La comparaison n’est pas totalement fausse : dans la manière que Lennon est présenté à Cuba, il n’était pas seulement un musicien de génie, mais un prophète de la paix et une victime de la persécution des Etats-Unis. Les causes défendues par Lennon - certaines précises, la plupart vagues - ont autant d’importance que sa manière d’interpréter une chanson.

Au cours d’un concert acoustique au Musée des Beaux-Arts, un autre film de Molto était accompagné des vers d’un poète Chilien [dont t’as oublié le nom ? NdT] qui concluait par "Oh Lennon, tu étais presque Lénine".

"Il était un symbole pour la paix mais il était plus que ça", dit Frank Munoz, membre du groupe Trio Efa, un groupe en hommage aux Beatles qui n’a pas été convié à la fête. (En réaction, Munoz et certains de ses copains se sont baladés de long en large entre les 8eme et 6eme rues en jouant à tue-tête "Love is Real" à la statue de Lennon).

"Ce qu’il y a avec Lennon, c’est qu’il représente une musique et un passé impossibles à retrouver",
conclut-il.

***

Pour l’instant, le passé Cubain des Beatles n’est pas très clair.

Des Cubains d’un certain age racontent des histoires où ils ont été attrapés par des garde-chiourmes révolutionnaires et menacés d’une coupe de cheveux - qui était parfois réalisée. On raconte que dans les années 60, un pantalon "jean" serré vous interdisait l’entrée à L’Union des Jeunesses Communistes, un passage obligé pour réussir dans la société Cubaine.

Quelques années en arrière, au cours d’une émission de télévision célébrant une association de jeunes, un ex-président de l’association, qui occupait ses fonctions dans les années 60, a demandé pardon à sa génération pour toute une série de malentendus et d’erreurs, en faisant clairement référence à la manière que les amateurs de rock avaient été traités à l’époque.

Et au milieu des années 90, les conférences sur les Beatles organisées par le gouvernement ont été l’occasion pour les fans de vider leur sac. Mais depuis que Castro a déclaré l’année dernière qu’il ne savait pas, personne ne s’est aventuré à dire le contraire.

Guillermo Vilar, qui tenait une rubrique de rock dans le journal Caiman Barbudo entre 1979 et 1989, jusqu’au moment où la crise économique qui a suivit la chute du bloc Soviétique obligea la fermeture temporaire du journal, dit que les Beatles - et par extension toute la musique rock - n’a jamais été interdite, mais seulement mal comprise.

"Au début de la Révolution, il se passait trop de choses ici pour penser à la musique rock", dit Vilar. "Il y avait une grande effervescence, beaucoup de changements. Nous avions à faire face à une bourgeoisie en fuite, à des menaces. Il y a eu la Baie des Cochons, la crise des Missiles. Puis les relations avec les Etats-Unis ont été rompues. Et non seulement nous ne recevions ni nourriture ni pétrole, mais tout d’un coup il y avait une certaine musique que nous ne comprenions pas."

Vilar avait des disques de Paul Anka et de Little Richard, mais il se souvient d’avoir entendu "Meet the Beatles" dans la maison d’un ami et "devenir fou".

"SI les choses avaient été normales", dit il, "Capitol Records aurait distribué les disques des Beatles à Cuba, nous aurions entendu leur musique sur Radio Kramer (une radio états-unienne basée à la Havane avant la révolution). Mais rien n’était normal, et rien ne l’a jamais été, parce que nous subissons le blocus des Etats-Unis".

A la place, les jeunes Cubains comptaient sur les radios à ondes courtes pour capter WQAM à Miami. Ceux qui avaient des parents privilégiés qui pouvaient voyager les suppliaient des leur ramener un disque ou deux des Beatles, qu’on faisait partager ensuite aux amis dans des soirées. De manière ironique, l’engouement pour les Beatles a été provoqué par les propres enfants de ceux qui étaient au pouvoir.

"Ici, comme aux Etats-Unis, il y avait un véritable fossé entre les générations", dit Vilar, qui a produit de nombreuses émissions musicales à la radio et à la télévision. "Mon père détestait mes pantalons serrés. Je voulais porter des cheveux longs mais ils étaient trop bouclés, mais mes mes parents faisaient des commentaires sur tous mes amis qui les avaient longs."

Mais l’impact mondial des Beatles a eu une résonance particulière ici. Leur musique est devenue l’hymne des aspirations de toute une génération de Cubains.

"A cause du blocus, c’est presque comme si nous étions estropiés," dit Vilar. "Pour nous, les Beatles étaient une manière de nous connecter avec le reste du monde à une époque où nous étions totalement seuls. C’est la seule chose que nous avions en commun."

Selon Vilar, le culte de Lennon a démarré à un autre moment de crise à Cuba, en 1990, pour le 10eme anniversaire de sa mort, lorsque Cuba, au lendemain de la dissolution de l’Union Soviétique, s’est retrouvée une fois de plus seule au monde, le dernier bastion du communisme.

"Il y a eu un concert dans ce parc, un concert improvisé" dit il. "Des musiciens Cubains comme Carlos Alfonso et Carlos Varela sont venus et ont chanté des chansons de Lennon. Et tout d’un coup nous étions connectés de nouveau, nous nous sommes souvenus des jours meilleurs."

Que le culte à Lennon existe ne signifie pas pour autant que les musiciens Cubains, à part ça très doués, aient la moindre idée sur le rock ’n’ roll. Tout le concert sur la place, par exemple, était exécuté en play-back, sans aucune improvisation.

"C’était pour simplifier les changements de groupes sur la scène" dit Mederos, membre d’un groupe de "métal".

A part la chanson "Anytime at All" jouée par un groupe appelé Buena Fe et un collectif anonyme de rappeurs de la Havane, la plupart des morceaux ont été sur-joués, et manquaient de l’ambiance "cool" qui caractérisait si bien Lennon. [NdT - en tant que fan inconditionnel de Lennon, je déclare le journaliste musicalement totalement incompétent]

De plus, alors que Lennon luttait contre le status quo, les rockers Cubains le recherchent.

"C’est bon pour nous que ceci soit officiel" dit Mederos, sans la moindre ironie. "Nous nous tuons à faire tomber des barrières - alors plus c’est officiel, et meilleur c’est pour nous."

Cependant, tout le monde n’était pas content. Dès le lundi suivant les festivités, l’éditorial de Granma - journal officiel du Parti Communiste Cubain - a transmis ses félicitations, et a aussi fortement suggéré que les autorités culturelles planifient un hommage similaire à un artiste Cubain...

Au concert du musée, le personnel s’est ouvertement rebellé contre le trop-plein de Lennon. A la fin du show, il a entamé un récital dans les couloirs, non pas de Lennon, mais du très kitch "Alpiste" de José José.

http://articles.chicagotribune.com/2002-01-01/features/0201010246_1_john-lennon-cubans-la-habana

URL de cet article 2826
   
Même Thème
« Fidel Castro, Biographie à deux voix », interview d’Ignacio Ramonet
Hernando CALVO OSPINA, Ignacio RAMONET
« Ce livre est une semence qui va germer » Paris le 22 février 2007. Ignacio Ramonet est le directeur du mensuel français de référence Le Monde Diplomatique, mais aussi l’une des personnalités les plus prestigieuses parmi les intellectuels progressistes à travers le monde. Voici un an qu’est sortie en Espagne la première édition de son livre « Fidel Castro, Biographie à deux voix » où il s’entretient longuement et sans réserves avec le dirigeant principal de la révolution cubaine. Le (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

L’affaire Julian Assange aurait été réglée en quelques mois si nous avions une presse agressive et indépendante qui aurait mis une claque aux autorités américaines et britanniques pour leur persécution criminelle d’un journaliste qui a révélé des crimes de guerre.

Stefania Maurizi

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.