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Ahmadinejad à Times Square

J’avais décidé de ne pas mettre les pieds dans le pays de l’oncle Sam tant que Bush fils était au pouvoir. Non pas que je trouve la politique étrangère d’Obama différente de celle de son prédécesseur [1], mais disons que je préfère son discours du Caire, malgré son évidente démagogie, à tous les dégâts provoqués par les deux mandats du président-prédicateur qui a, bien malgré lui, popularisé le lancer de chaussures.

Ainsi, je me suis récemment retrouvé en train de flâner dans les rues de Manhattan, jouant du coude dans certains endroits pour me frayer un chemin au milieu d’une foule dense, bariolée et cosmopolite. Comme il se doit lors d’une visite de la « Big Apple », je me rendis, entre chien et loup, à Times Square. Situé entre la 42e rue et Broadway, cet endroit couru par tous propose un condensé de tout ce que les États-Unis peuvent produire comme stimuli pour les yeux. Écrans géants, enseignes lumineuses, films interactifs et j’en passe. De toute part, on est assailli par une publicité tapageuse, aguichante et intrusive. Entre l’extravagante boutique M&M’s, le surprenant écran qui photographie la foule, l’annonce du remake du « dîner de cons » et de celle d’une multitude de produits de consommation, il y avait vraiment de quoi avoir le tournis. Mais c’est en levant la tête que ma surprise fut la plus grande. Là -haut, entre une affiche de « Levis’s » et de « Guess », juste au-dessus d’une autre vantant les mérites du « Canada Dry », un visage accrocha mon regard. De profil, la barbe courte et grisonnante, l’air ténébreux, les pattes-d’oie bien marquées, le personnage trônait au milieu de vulgaires objets, symboles d’un mercantilisme exacerbé.

Je ne pouvais pas me tromper, il s’agissait bien du président iranien Ahmadinejad. Mais que faisait-il en cet endroit insolite ? Servait-il de top-modèle pour une marque quelconque ? Était-ce une annonce pour une prochaine visite officielle ? La lecture du message accompagnant l’effigie du président iranien ne laissait aucun doute : il s’agissait d’un message politique et non commercial ou de bienvenue. Bien au contraire, on pouvait lire, en grandes lettres, sur fond rouge : « He’s not welcome here » (Il n’est pas bienvenu ici). Aucune mention de son nom, ni de sa fonction sur cette affiche géante.

De plus, le message insinuait que les passants avaient leur rôle à jouer dans l’opposition à la venue d’Ahmadinejad en terre étasunienne. Information prise, il s’avère qu’il s’agissait d’une affiche faisant partie d’une campagne, lancée en mai dernier, qui visait à obliger les hôtels new-yorkais de refuser l’hébergement au président iranien lors de son passage à New York pour participer à la conférence de l’ONU sur la non-prolifération nucléaire. Cette campagne n’est pas terminée puisqu’elle s’échine, actuellement, à contraindre le Hilton Manhattan East à ne pas héberger Ahmadinejad et ses collaborateurs durant son séjour en septembre prochain en vue de sa participation à l’Assemblée générale de l’ONU. Sachant que 365 000 personnes par jour passent en moyenne par Times Square, cette publicité a sûrement un impact non négligeable sur l’opinion publique. Bien en vue sur l’affiche, l’offensive anti-Ahmadinejad est signée par un organisme nommé UANI, « United Against Nuclear Iran » (Unis contre le nucléaire iranien) [2]. Une visite sur leur site Web se révéla très instructive sur les personnalités qui tirent les ficelles de cet organisme.

UANI a été fondé en 2008 par Dennis Ross, Richard Holbrooke, Mark Wallace et James Woolsey pour servir de lobby afin d’influencer la politique américaine à mener contre l’Iran [3]. Les deux premières personnes ne font plus partie d’UANI car elles ont été nommées par l’administration Obama à des postes clés. Tout d’abord, le 23 février 2009, Dennis Ross a obtenu le poste de Conseiller Spécial pour le Golfe et l’Asie du Sud-ouest (incluant l’Iran) auprès de la Secrétaire d’État Hillary Clinton [4]. Le 25 juin suivant, il quitta le Département d’État pour se joindre à l’équipe de la Maison Blanche chargée de la Sécurité Nationale en qualité d’assistant spécial du président Obama et de directeur senior pour le Moyen-Orient, le Golfe Persique, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Asie du Sud [5]. Ross, qui a soutenu l’invasion de l’Irak, est un membre influant du lobby juif américain (AIPAC). Supporter inconditionnel de l’État hébreu, il est surnommé l’avocat d’Israël. Concernant l’Iran, il a toujours été en faveur d’une ligne dure. Il est, entre autres, coauteur d’un rapport préparé avec un groupe de travail présidentiel intitulé « Strengthening the Partnership : How to Deepen U.S.-Israel Cooperation on the Iranian Nuclear Challenge » (Renforcer le partenariat : comment approfondir la coopération entre les États-Unis et Israël sur le défi nucléaire iranien). C’est probablement pour le remercier de son appui auprès de la communauté juive américaine lors de la campagne présidentielle de 2008 qu’Obama le nomma à ce poste [6].

D’autre part, le 22 janvier 2009, Richard Holbrooke a été officiellement nommé envoyé spécial pour l’Afghanistan et le Pakistan par Barack Obama [7]. Ambassadeur des États-Unis auprès des Nations Unies de 1999 à 2001, il est partisan de la fermeté envers l’Iran. Il a d’ailleurs fait partie du groupe de travail présidentiel, avec Dennis Ross, qui a rédigé le rapport cité précédemment.

En plus des deux fondateurs, un autre membre d’UANI a été promu à un poste d’importance. Il s’agit de Gary Samore qui, depuis janvier 2009, est assistant du président Obama et Coordinateur de la Maison Blanche pour le contrôle des armes de destruction massive, de leur prolifération et du terrorisme. De 2001 à 2005, il a été directeur d’études à l’« International Institute for Strategic Studies » (IISS). C’est cet institut qui, en 2002, « estimait que le régime de Bagdad n’était pas en mesure de développer rapidement l’arme nucléaire mais que ses capacités en matière d’armement chimique et biologique demeuraient ». Le 9 septembre 2002, Gary Samore déclarait à CNN qu’ « il vaut mieux agir militairement contre l’Irak tant que ses capacités sont encore éloignées de ses objectifs que d’attendre qu’il soit doté de l’arme nucléaire » [8].

Ce n’est pas tout. Des 17 membres du comité consultatif d’UANI, la plupart sont des proches de Bush junior ou du lobby juif américain. Ainsi le président d’UANI, Mark D. Wallace a été un élément actif dans la campagne électorale 2004 de George W. Bush. Un autre membre, Alan Solow, est chairman de la Conférence des présidents des principales organisations juives américaines. Il est, entre autres, président du « Jewish Community Centers Association », vice-président de la « World Confederation of Jewish Community Centers » et directeur de la « Jewish Community Centers of Metropolitan Chicago ». Frances Fragos Townsend a été l’assistante de George W. Bush pour la sécurité et l’antiterrorisme et présida le « Security council » de mai 2004 à janvier 2008.

Il serait fastidieux d’énumérer en détails les fonctions des autres personnalités d’UANI. Il est cependant important de noter qu’environ la moitié des membres restants ont servi de manière directe ou indirecte dans l’administration Bush fils.

Il est clair qu’UANI est un nid de « faucons » anti-iraniens qui ont déjà fait leur preuve lors du règne de George W. Bush et qui ont été les artisans de l’invasion de l’Irak en usant d’arguments fallacieux. Le plus inquiétant, actuellement, vient du fait que, dans le dossier iranien, le président Obama s’est entouré des plus belliqueux d’entre eux.

Va-t-on assister à un autre épisode de la guerre du Golfe ? L’Iran subira-t-il le même sort que l’Irak ? Les installations nucléaires iraniennes seront-elles bombardées par Israël, comme ce fut le cas pour l’Irak, sous l’aile protectrice des États-Unis et de l’AIPAC ? J’ose croire que les bourbiers irakien et afghan sauront les décourager.

Mais pourquoi diable ai-je levé la tête à Times Square ? N’aurais-je pas dû me contenter de l’extravagante boutique M&M’s et du surprenant écran qui photographie la foule ?

Montréal, le 12 août 2010.

Ahmed Bensaada est docteur en physique - Montréal (Canada).

Références

1. Ahmed Bensaada. (Page consultée le 9 août 2010). Mais qui est donc Barack Hussein Obama ?, [En Ligne]. Adresse URL : http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5114229

2. UANI. (Page consultée le 10 août 2010). United Against Nuclear Iran, [En Ligne]. Adresse URL : http://www.unitedagainstnucleariran.com/

3. International Accounting Bulletin. (Page consultée le 10 août 2010). KPMG departure sends out a key message : UANI, [En Ligne]. Adresse URL : http://www.vrl-financial-news.com/accounting/intl-accounting-bulletin/...

4. U.S. Department of State (Page consultée le 9 août 2010). Appointment of Dennis Ross as Special Advisor for The Gulf and Southwest Asia, [En Ligne]. Adresse URL : http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2009/02/119495.htm

5. The Washington Post. (Page consultée le 11 août 2010). Dennis Ross Is Moved From State Department Post to White House, [En Ligne]. Adresse URL : http://voices.washingtonpost.com/44/2009/06/15/dennis_ross_is_moved_fr...

6. Bakchich Info. (Page consultée le 10 août 2010). Obama voit la vie en Ross, [En Ligne]. Adresse URL : http://www.bakchich.info/Obama-voit-la-vie-en-Ross,08599.html

7. U.S. Department of State (Page consultée le 9 août 2010). Biography of Richard C. Holbrooke, [En Ligne]. Adresse URL : http://www.state.gov/r/pa/ei/biog/129337.htm

8. IRIS. (Page consultée le 11 août 2010). Armes irakiennes : l’embarras des spécialistes du désarmement, [En Ligne]. Adresse URL : http://www.iris-france.org/Citations-2003-07-17.php3

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