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Analyse d’article "journalistique"

Cuba : Nous ne sommes pas sortis du bois.

Information ou sensation ?

« La crise économique perturbe à nouveau le modèle cubain » C’est ce que nous pouvons lire dans Le Monde (et qui est repris par Le Devoir). [1] « Trois ans après la maladie qui l’a écarté du pouvoir, Fidel Castro a fêté, jeudi 13 août, ses 83 ans, dans un climat "morose" » On dit que Cuba traverse la pire crise économique depuis la « période spéciale ». La « période spéciale », ouf ! On a dû chercher longtemps avant de trouver le qualificatif « spéciale » pour cette période.

« Cette « période spéciale » qui avait suivi l’implosion de l’URSS, l’ex-soutien communiste . » Vous savez ce soutien « communiste ». Ici, cette description de la « période spéciale » n’a rien de vraiment "informatif" mais il s’agit de bien remuer les braises du cliché classique. On a réussi à "plugger" (excusez l’anglicisme) le terme « communiste ». Le mot, bien qu’il ne veuille pas dire grand-chose aujourd’hui, a toujours son effet : bombe émotive. Il s’agit de brasser les cendres en espérant réchauffer le sentiment populaire contre ce groupe « d’indésirables » à Cuba et dans ces pays de « l’Est » qui vivaient en bêtes à peine civilisées. Grosso modo, disons que les "méchants communistes" se soutenaient jusqu’au jour de la « période spéciale ».

Quel titre et quel article ! Quelle banalité au niveau informatif ! Les médias ont vécu une longue « période spéciale » qui a précédé les 83 ans de Fidel. Pendant cette « période spéciale » on scrutait le côlon de ce démon de Castro en espérant qu’il soit en si mauvais état que ses jours soient comptés. Malheureusement, le vieux maudit est en pleine forme. On peut se demander si la « période spéciale » médiatique concernant l’état de santé du grand dérangeant va enfin prendre fin ? Si on s’attardait autant sur les écrits de Fidel Castro (que l’on peut lire en français sur Le grand soir [2]) que sur l’état de son côlon, je crois qu’on trouverait autre chose que des niaiseries pour faire des articles vides et démagogiques.

Bonnes gens, bonnes gens. Oyez, oyez ! « La crise économique perturbe le modèle cubain » Oh ! J’allais oublier : perturbe « à nouveau » le modèle cubain. Quelle étrangeté de lire ce propos sur cette fameuse crise ! Une crise totalement capitaliste qui perturbe non seulement la petite île cubaine mais le monde entier. Quelle tristesse aussi de constater que « LA crise » ne semble pas perturber « LE » modèle capitaliste ! Un modèle qui ne survit qu’en exploitant les plus pauvres, les plus démunis ainsi que l’ensemble des ressources de notre mère la terre (comme le dit si souvent Evo Morales). Un modèle qui agit comme une pelle mécanique qui creuse à grands coups ce fossé, déjà profond, entre les extrêmement riches et les indécemment pauvres.

On parle du « modèle cubain ». De la démagogie à l’état pur. La démagogie consiste à dire ce que le sentiment populaire colporte. On active le préjugé. La réalité c’est que le « modèle cubain » s’en sort tout aussi bien que n’importe quel modèle. La réalité c’est que « la crise » n’a pas été causé par le modèle cubain. La réalité c’est que Cuba survit grâce à son modèle depuis bientôt 50 ans. Cuba a survécu cinq décennies avec ses vieux bazous à un injuste embargo maladif imposé par les puissants États-Unis. Quel malheur que de vouloir vivre différemment qu’un voisin qui est de la plus grande puissance impériale de la planète !

Tout cet article du Monde est cousu de fil propagandiste. On nous dit que « les autorités » cubaines désignent deux grandes causes à la crise actuelle. Les trois terribles ouragans de 2008 qui ont ravagé l’île (10 milliards de dollars qu’on dit : « évalués par La Havane » ce qui veut insinuer que c’est probablement "douteux") et la chute du prix du nickel, sa principale exportation. C’est tout de même difficile de nier que ces deux causes ne sont pas bien réelles.

On souligne aussi le paradoxe des revenus du tourisme qui diminue pendant que leur nombre de visiteurs à Cuba se rapproche du record de 2008 (2,35 millions de personnes). Ah ! La crise… les touristes sont très nombreux, mais dépensent moins, Le Monde a vérifié les livres comptable de Cuba !

Question de mettre un peu de glaçage sur le gâteau de la propagande subtile, on note que ce sont ces braves États-Unis qui ont participé presque généreusement à sauver Cuba à la suite des trois ouragans dévastateurs : « En raison des destructions subies par les récoltes, Cuba a dû presque doubler ses importations alimentaires (payées en devise [en quoi d’autre ?]), principalement en provenance des États-Unis depuis que Washington a exclu ce type de produits de l’embargo imposé à l’île depuis 1960. » Voyez, bonnes gens, Washington n’est pas si chien que cela, il a exclu ce type de produits de l’embargo imposé à l’île depuis 1960. On sent ici, toute cette bonne volonté de la part du géant qui veut mettre au pas ce minable David effronté.

On note un « signe de la gravité de la crise cubaine » : Raul Castro a prévenu, dans son discours, que l’État allait mettre fin « aux allocations excessives ». Le Monde sous-entend rapidement que la gratuité de l’éducation et des soins de santé sera plus que probablement affectée. Cette fausse présomption est sûrement ressentie comme une petite jouissance, une petite victoire de ce bon monde capitaliste. Enfin, les Cubains n’auront plus ces « excessifs » privilèges. Le bon monde capitaliste ajoute probablement dans sa petite tête : ces maudits Cubains devront enfin travailler pour être soignés (comme si les Cubains étaient des gens à vivre bien assis sur leur cul en ne travaillant pas à la sueur de leur front).

Bref, le Monde nous dresse un sombre portrait de « la crise cubaine ». Plus ça va mal à Cuba, plus c’est une bonne nouvelle ! Vous dites que j’exagère. Voyons ! Souvent il faut lire entre les lignes et encore plus souvent il faut "sentir" l’odeur qu’on nous transmet entre les lignes.

Pensons à cette terrible épidémie de choléra au Zimbabwe, plus il y avait de morts plus on jouissait de cette victoire contre ce vieux toqué de Mugabe. Au diable les Humains qui crèvent, il faut abattre le vieux torrieu. Eh oui, on nous fait sentir entre les lignes. Il faut être conscient lorsqu’on lit un article comme celui du Monde, que l’information véhiculée par l’article n’est qu’accessoire à bien aiguiller votre sentiment.

Dans le cas présent, il s’agit de nous faire ressentir l’échec (sic) du modèle cubain. Il faut être conscient que cette présentation de la réalité cubaine est dépeinte avec la couleur victorieuse du capitalisme. Mais la réalité mondiale dans laquelle baigne Cuba et dans laquelle nous baignons tous est tout autre. Nous constatons les terribles lacunes du système capitalisme. Un système reposant sur l’injustice et l’exploitation.

La planète s’épuise, l’air, l’eau et l’environnement dans son ensemble sont souillés et détruits pour le profit (pour la sainte-croissance). Ce qui se passe à Cuba n’est rien d’exceptionnel, tous les pays vivent présentement une sorte de tourmente économique. Le chômage est à la hausse partout chez nous et nos services publics disparaissent à grandes vitesses. Les missionnaires (sic) du privé sont là comme des charognards pour nous sauver (sic) en nous faisant payer avec notre dernier centime.

On parle de « douloureuses restrictions budgétaires à Cuba » comme si nous ne vivions pas les mêmes ici dans nos pays qui ne subissent AUCUN EMBARGO. On parle de l’âge de la retraite à Cuba qui sera repoussé de 5 ans comme si nous ne vivions pas exactement la même situation ici. Une retraite à 65 ans pour les hommes et à 60 ans pour les femmes. En tout cas pour les femmes, c’est même mieux qu’ici.

La description des conditions de vie est catastrophique : On coupe l’air conditionné, on utilise les boeufs plutôt que les tracteurs, on ne produit même plus la même quantité de pétrole qu’avant la crise, c’est l’horrible bête noire de Washington qui comble les besoins énergétiques (à coût préférentiel, le crosseur !) On rapporte que Raoul Castro a « martelé » : « La terre est là et attend votre sueur ! » C’est terrible à Cuba, mes amis. Jouissez-vous un peu devant de si bonnes nouvelles ?

Voyons, ce n’est pas si terrible que ça et les Cubains n’ont pas peur d’offrir leur sueur à la terre. Le Monde nous fait, par la bande, un petit éloge du secteur privé, vous savez, ces missionnaires qui nous sauvent. On dit : « Jusqu’en 2008, la moitié des terres arables de l’État étaient en friche et 60 % des aliments produits à Cuba l’étaient par des agriculteurs « privés », exploitant 35 % des terres. » D’une pierre deux coups. Éloge des missionnaires du privé et démonstration de l’inefficacité de l’État. Tout le monde sait que les États sont totalement inefficaces (sic). Voyez bonnes gens, le gouvernement cubain qui avait la presque totalité des terres en avait la moitié en friche. Oui, 50% en friche. Si on manque de légumes à Cuba c’est dû à la bêtise de l’État (sic). Heureusement, le secteur "privé" fournissait 60% des aliments (d’où viennent ces données ?).

On note que la distribution des terres à des petits producteurs commencée en 2008 et qui est devenue une « priorité nationale » a permis à 80 000 candidats de se voir attribuer des lopins. Par contre, on souligne que le gros des demandes n’est pas satisfait en raison des lenteurs de l’administration. Et v’lan ! Voyez, une fois de plus, mes chers amis, quelle inefficacité que cette grosse administration cubaine. Lorsqu’on tricote un article comme celui-ci, il ne faut pas en rater une. Et le tout se termine avec la conclusion rituelle habituelle concernant les prisonniers politiques, la commission cubaine pour les droits de l’homme et la réconciliation, toujours « illégale mais tolérée ». On tolère l’illégal !

Et on mentionne que Raoul dit à Hilary de se mêler de ses affaires. Voyons, mes chers amis, est-il possible que Mme Clinton se mêle des affaires des autres ? Voyons ! Ah ! Il est fou ce Raoul !

La chute de l’article n’a rien à envier aux plus grands auteurs théâtraux : « Fait « rarissime » le quotidien officiel Granma a évoqué à sa une, le 5 août, les manifestations spontanées et les heurts qui avaient éclaté à La Havane en 1994… » « Rarissime », on n’en manque pas une, ici c’est le contrôle de l’information. Chez nous avec notre presse à l’unisson (qui me censure de plus en plus sur leur site officiel), on ne censure pas l’information, on la déforme tout simplement et on censure ceux qui disent autrement.

On poursuit la description de cet événement jouissif de la « période spéciale » : « Arrivé précipitamment en Jeep, Fidel Castro avait alors réussi à calmer les protestataires en dialoguant avec eux. « Ce fut une grande victoire et un avertissement à ceux qui tentent de s’élever contre la révolution », conclut Granma. » Eh oui, non seulement Granma pourrait conclure ainsi, mais le monde entier. Mais la véritable chute théâtrale est la suivante : « Le pouvoir, qui vient de déplafonner les salaires et de réduire les prix de vingt-quatre produits de base, craint-il que les mêmes causes produisent les mêmes effets ? Si de tels mouvements d’humeur devaient se reproduire, Fidel Castro, dont l’état de santé relève du secret d’État, ne serait plus en mesure de rééditer l’exploit de 1994. »

Et v’lan ! On constate que la maladie médiatique du côlon de Fidel n’est pas du tout guérie. La santé de tous les chefs d’État est toujours un secret d’État.On sent que Le Monde a allumé des lampions à Notre-Dame pour que des manifestations spontanées et des heurts surviennent dans la trop calme Havane.

Ah ! Mon dieu, son allah et puis l’autre, nous ne sommes pas sortis du bois. Heureusement, il y a Le Monde diplomatique !

Serge Charbonneau
Québec

[1] http://www.lemonde.fr/archives/article/2009/08/14/la-crise-economique-...

http://www.ledevoir.com/2009/08/17/263068.html?fe=7439&fp=216249&a...

[2] La crise économique vu par Fidel Castro
http://www.legrandsoir.info/Une-cause-juste-a-defendre-et-l-espoir-d-a...

Les bases yankees et la souveraineté latino-américaine
http://www.legrandsoir.info/Les-bases-yankees-et-la-souverainete-latin...

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http://www.legrandsoir.info/Sept-poignards-au-coeur-de-notre-Amerique-...

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