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Lettre Ouverte à propos d’un Faux Débat

Le numéro de décembre de Points Critiques, organe de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB), a publié un dossier sur "la liberté d’expression" qui contient un article par Jean Vogel attaquant Jean Bricmont nominalement et quelques autres qui l’attaquent par allusion. Suivirent d’autres articles ici et là prenant pour cible Jean Bricmont, professeur belge de physique mathématique bien connu pour son opposition à la censure et aux guerres "humanitaires".

C’est l’article de Vogel qui constitue la pièce de résistance dans ce festin anti-Bricmont. Ce qui est absolument remarquable dans ce texte c’est qu’il illustre parfaitement l’argument de Bricmont qu’il est en train de vouloir démolir !

L’argument de Jean Bricmont, cité par Vogel, est le suivant :

Si le lobby sioniste fonctionne en apparence comme tous les autres lobbies, à travers le ciblage, la propagande, les pressions, la corruption, etc., il s’en distingue par un facteur essentiel qui permet d’expliquer sa puissance extraordinaire, il inspire la peur : l’Occident "n’a aucun intérêt, à long terme, à soutenir Israël (et à s’aliéner tant de gens dans le monde). Mais qui, dans les hommes ou femmes politiques ou les hommes ou femmes d’affaires, va faire ce calcul ? Et qui, à supposer qu’il ou elle le fasse, va oser le dire ? On ne peut rien comprendre à ce qui se passe en Europe et aux Etats-Unis tant qu’on ne prend pas en compte le facteur de peur - peur des organisations sionistes, de leurs campagnes de dénigrement et d’intimidation".

Comment Vogel répond-il à cette affirmation ?

D’abord en la ridiculisant : "C’est un homme de science, il l’a vérifiée ex-pé-ri-men-ta-le-ment par une enquête auprès d’un échantillonnage de dizaines de "personnes d’origine non-juive’" qui avouent se taire "ce qu’ils pensent sur l’Etat qui se dit "Etat juif’ de peur d’être traité d’anti-juif et d’être assimilé aux antisémites du passé." Trop absurde pour en débattre.

Et puis, le ridicule ne tuant toujours pas, Vogel se met à confirmer cette thèse, et le bien-fondé de cette peur, en accablant la personne d’origine non-juive, c’est-à -dire Bricmont, qui a osé en dire trop.

Une personne d’origine non-juive qui ne se tait pas par culpabilité envers la Shoah ? Un malade…

"Jean Bricmont est hostile à la psychanalyse et c’est dommage, car le soin constant avec lequel il répète qu’étant né en 1952 il n’est pour rien dans ce que les Juifs ont subi et qu’il n’y a de culpabilité ou de responsabilité qu’individuelles, cette insistance obsessionnelle à rappeller son innocence est très probablement une clé du ressort de sa position et de son engagement."

Arrêtons-nous ici un instant. Cela veut dire quoi, exactement ?

Cela ne dit rien, cela insinue. Mais quoi ? Que Jean Bricmont serait en réalité la réincarnation d’un gardien à Auschwitz ? Non, c’est plus vague que cela. C’est si vague qu’on ne peut pas accuser Vogel d’avoir dit quoi que ce soit. Mais il fait ce qu’il peut pour créer un malaise, un soupçon…

On utilise comme d’habitude la "culpabilité par association", ou par fréquentation, tentant de lier Bricmont, "l’atypique", libre penseur hors de toute chapelle, aux personnes avec qui il n’a jamais partagé que quelques discussions contradictoires, exercice que Bricmont affectionne particulièrement, ne refusant jamais le débat.

L’opposition à la loi Gayssot suscite un procès d’intention. Ce n’est pas nouveau. Comme d’autres, Bricmont est opposé à toute loi qui limite la liberté d’expression, pour un tas de raisons qui dépassent l’objet de ces lois ou la question d’Israël.

Vogel écrit que Bricmont "envisage la banalisation des discours antisémites et négationnistes comme une contribution utile à la "déculpabilisation’ de l’opinion et donc ainsi à sa "désionisation’." Cette phrase est inexacte et participe à la confusion régnant en France entre défense de la liberté de la parole et défense du contenu du discours interdit. Le seul discours que Bricmont cherche à défendre concerne la critique d’Israël qui pourrait mettre en question le soutien de l’Occident à Israël dans son conflit avec les Palestiniens, si toutes les personnalités influentes osaient dire ce qu’elles en pensent. En France, contrairement à ce qui se passe au Royaume Uni ou même aux Etats-Unis (où le lobby pro-israélien est pourtant plus puissant), on va jusqu’à invoquer la loi "contre l’incitation à la haine raciale" pour criminaliser le mouvement international de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) qui vise à obliger Israël de respecter le droit international et les droits de l’homme. Cela illustre les conséquences réelles des lois réprimant la liberté d’expression.

Puisque Vogel aime la psychologie, on pourrait suggérer - ouvertement ! - que ce procès d’intention procède d’une certaine peur proche de la paranoïa selon laquelle le monde extérieur à la communauté juive ne veut qu’une chose : la liberté d’être antisémite, de haïr les juifs, de les exterminer même.

Alors, je pourrais - mais hélas je crois que cela ne servirait à rien - l’assurer que cela n’est pas vrai. Nous autres, nous connaissons trop de personnes d’origine juive que nous aimons, que nous estimons, dont nous avons même besoin dans notre vie quotidienne, pour jamais être antisémites. En effet, c’est cette connaissance humaine, et non pas la mémoire culpabilisante de l’Holocauste, qui est notre garde-fou contre l’antisémitisme. Dans le monde d’aujourd’hui, s’il y a deux choses qui risquent de susciter un nouveau sentiment anti-juif, ce sont d’abord Israël, et puis l’effort de faire de la Shoah la religion dogmatique de notre époque, une religion qui sacralise une seule communauté humaine en laissant les autres en dehors. C’est un danger que certaines "personnes d’origine non-juive" sont mieux placées pour sentir autour d’elles que les juifs progressistes qui se hâtent de faire la police de la pensée tuant toute hérésie dans l’oeuf. Ils devraient, au contraire, remercier leur ami Jean Bricmont qui essaie de prémunir tout le monde contre ce danger.

Depuis que Noam Chomsky a osé en donner l’exemple, on a tendance en France à dénigrer la défense de la liberté d’expression comme une excentricité américaine, bonne pour les cowboys mais pas pour nous. C’est faux. Malgré sa sanctification par la Constitution, la liberté d’expression a souvent été violée aux Etats-Unis - surtout aux dépens des personnes et des mouvements progressistes. C’est pour cela que la gauche américaine est farouche dans sa défense des libertés, sachant que si elles ne sont pas respectées, c’est elle qui sera la principale cible de la répression. C’est un système de lois fondé sur le respect des libertés qui, en Europe comme ailleurs, est le meilleur moyen de défense de la gauche et de tous les citoyens, y compris ceux d’origine juive. Une minorité qui cherche à se défendre en limitant les libertés universelles manque gravement de sagesse politique.

Diana Johnstone

VOIR AUSSI : http://www.legrandsoir.info/Les-trois-formules-du-professeur-Bricmont.html

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