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Captive : l’islamophobie peut aussi fleurir dans la jungle philippine.

Le dernier film de Brillante Mendoza, Captive, a beau être désordonné (reproche qui revient souvent dans les critiques), il est de bout en bout cohérent sur un point : c’est un pamphlet anti-musulman, qui semble trop bien coordonné avec l’offensive qui a éclaté de façon scandaleuse avec L’Innocence des musulmans pour être fortuit. Les scènes d’affrontement avec l’armée ont été tournées, "dans un souci de vérité", avec de vrais soldats de l’armée philippine, qui apparaît au générique - mais quand l’armée philippine se montre, l’armée états-unienne n’est pas loin.

Sur la valeur artistique du film, il est inutile de s’étendre : "une psychologie de comptoir" Critikat.com), "Pas si brillant, Brillante" (20 Minutes), "tendances de plus en plus prononcées à la surenchère et au manichéisme" (TF1 News), "un documentaire sur (...) l’enlèvement d’une actrice par son cinéaste" (Les Cahiers du Cinéma). Parlons donc du point de vue de l’auteur et de ses intentions. Le film montre "une multitude de détails liés à la vie en elle-même et à la survie" (c’est ce que l’auteur lui-même veut mettre en avant). On pouvait donc s’attendre à un film plein d’empathie et humaniste montrant otages et geôliers en proie aux mêmes problèmes de survie dans la jungle. Las ! on est loin du compte. Certes, on voit un terroriste découvrir la maison de sa famille (une cabane) ravagée et vide, un enfant-soldat expliquer son enrôlement par le massacre de sa famille (par qui ? pourquoi ?). Ce sont sans doute de tels détails qui font dire à une critique qu’il n’y a pas de point de vue dans le film. En réalité, au-delà de ces touches isolées et inopinées destinées à prouver l’objectivité de l’auteur, tout le film développe une vision manichéenne centrée sur le personnage de Thérèse Burgoine, l’humanitaire française (Isabelle Huppert). Même quand elle essaie de se rapprocher de l’enfant-soldat, c’est à partir d’une attitude paternaliste : elle ne laisse jamais oublier qu’en tant que Blanche européenne elle est porteuse de valeurs universelles qui la légitiment pour essayer de catéchiser Hamid : elle lui fait remarquer que son arme est trop lourde pour lui (on se croirait revenu dans la polémique sur les cartables trop lourds) et qu’elle fait trop de bruit pour ses "oreilles de bébé" (là c’est la vieille fille de voisine qui, dans Mon Oncle, bêtifie pour se mettre à la portée du neveu de Monsieur Hulot. Tous les dialogues auxquels prend part Thérèse, à grand renfort de grimaces huppertiennes, sont de la même eau). Peine perdue : Hamid se révélera être une petite brute fanatisée : alors que Thérèse en état de grâce, voit s’envoler un merveilleux oiseau, le sarimarok, symbole de paix (lesté de gros sabots), il la braque avec sa kalachnikov et lui ordonne de rejoindre les autres ; le musulman est insensible aux symboles.

Au fil des errances dans la jungle, on va ainsi voir défiler tous les clichés anti-musulmans : à chaque action violente, les terroristes crient en choeur : "Allahou akbar !" en brandissant leurs kalachnikovs et remercient Dieu le Tout Miséricordieux qui leur "montre la bonne voie" ; quand ils pénètrent dans un hôpital catholique pour y chercher refuge, leur chef prend soin de démolir une statuette de la Vierge à coups de crosse (depuis l’opération médiatique des Bouddhas de Bamian, on connaît le goût des Musulmans pour le vandalisme ; les Occidentaux, eux, se contentent de balancer sur les civils des bombes humanitaires) ; quand le chef lit des versets du Coran en arabe, un otage américain nous informe que ces gens sont trop frustes pour comprendre ce qu’ils lisent (c’est ainsi que, dans Des Hommes et des dieux, le Père Christian connaît mieux le Coran que les maquisards et est seul en mesure de l’interpréter correctement). Mais on va encore plus loin dans l’odieux lorsque les terroristes découvrent la caisse de Bibles de Thérèse et la balancent par-dessus bord : "poids inutile" ; dans la réalité, les sacrilèges sont le fait d’Occidentaux qui pissent sur des Corans ou s’amusent à les brûler dans les pays qu’ils ont attaqués et qu’ils occupent. Mais cet épisode révèle aussi l’intervention d’un scénariste américain ou américanisé totalement ignorant des réalités françaises : selon le film, tous les humanitaires français seraient motivés par la foi (on pourrait croire que la France est un royaume théocratique) ; en outre, ce ne sont pas les catholiques qui emportent partout et distribuent des piles de Bibles : c’est là une spécificité protestante, et on en apprend ici davantage sur la situation d’acculturation des Philippins que sur la France ; catholiques, les Philippins subissent, depuis leur annexion (pratique sinon officielle) par les Etats-Unis une influence culturelle, linguistique et religieuse massive.

Mais le comble est atteint dans deux autres épisodes : lorsque l’amie de Thérèse meurt, les terroristes veulent l’abandonner sans sépulture ; aussitôt, révolte des Chrétiens : "Nous, nous enterrons nos morts !" et fières déclarations des Musulmans : "Nous, nous n’enterrons pas les Chrétiens !". Là encore, c’est une dénégation de la réalité, remplacée par des slogans de propagande : combien d’exemples, dans la réalité, de corps musulmans profanés par les Occidentaux ; le souvenir de Kadhafi, tué comme un chien, et déclenchant, en guise de discours funèbre, les rires de hyène d’Hillary Clinton est encore frais. Enfin, on ne nous épargnera pas le cliché du mariage musulman d’urgence, censé permettre au guerrier musulman en campagne d’assouvir ses besoins, dont les medias nous avaient abreuvés, il y a 20 ans déjà , à propos des terroristes algériens du GIA (dont seuls les medias ignorent encore qu’ils étaient manipulés par l’armée algérienne). Il faut reconnaître qu’il est traité dans le film comme un vrai mariage : les chefs terroristes restent fidèles à leurs femmes-otages qui, en retour, se prennent d’affection pour eux. Mais alors intervient Thérèse dans son rôle de commissaire politique pour leur faire honte ; le film donne une "version équatoriale du syndrome de Stockholm", écrit un critique : en effet, le spectateur doit être convaincu que de telles sympathies entre otages et terroristes vivant ensemble pendant plus d’un an sont contre-nature et ne peuvent être dues qu’à la faiblesse d’esprit des Philippines ainsi séduites (seule la femme blanche reste ferme sur ses principes même dans les pires situations).

La "multitude des petits détails" ne peut donc cacher la cohérence anti-musulmane de l’ensemble. Par contre, elle a complètement fait perdre de vue au cinéaste la situation politique des Philippines. Hors quelques allusions à la Présidente (Cory Aquino), on ne saura rien du contexte de la guerilla d’Abu Sayyaf, qui semble s’être déclenchée sur un coup de tête de quelques illuminés ! Captive adopte le point de vue contraire du Colombien H. Morris qui, dans Impunity, choisissait, à propos des Farc, de montrer l’envers des "violences" de la guerilla, c’est-à -dire le génocide perpétré par l’armée sur les paysans ; ou encore d’A. Weerasetakul qui, dans Oncle Boonmie, faisait passer, au milieu d’images oniriques, des références aux massacres de communistes par le régime thaïlandais. En fait, comme dans le cas des FARC, on a affaire aux Philippines à une guerre de plus de 40 ans, ponctuée de massacres de l’armée, sur un fond de misère et d’injustice sociale. Il faudrait aussi replacer les Philippines dans leur contexte géographique : le Nord est un îlot catholique au milieu d’une mer bouddhiste (Chine) ou musulmane (Malaisie, Indonésie), tandis que le Sud, la grande île de Mindanao et le chapelet d’îles qui la prolongent vers l’Ouest sont à majorité musulmane et regardent vers la Malaisie et l’Indonésie.

Plutôt que l’appréciation du critique du Monde, qui parle d’"intelligence politique aiguë" (!), je retiendrais donc plutôt celle, de Clémentine Gallot pour le magazine Trois couleurs : "le cinéaste s’"égare dans une errance terne et pesante faisant de sa fiction historique un objet curieux tant il est peu politique".

Qu’est-il donc arrivé à Brillante Mendoza , lui si percutant dans Kinatay (2009) et si humain et émouvant dans Lola, odyssée, dans une Manille inondée par la mousson, de deux grands-mères Courage qui tiennent chacune sa famille à bout de bras ? Peut-être veut-il en faire trop : après avoir présenté cet été Captive au Festival de Berlin (sans succès), il présente Thy Womb à la Mostra, ce qui, apparemment, l’oblige à recycler des séquences d’un film à l’autre : l’accouchement filmé en gros plan, et totalement hors sujet, dans Captive, dans l’épisode de l’hôpital, fournit la première scène de Thy womb !

La liberté d’expression, dans l’Empire, semble de plus en plus se borner à ridiculiser ou rendre odieux les musulmans et le cinéma sert à une propagande répétitive qui finit par produire asphyxie et nausée.

Pour finir sur une bouffée d’air pur, rappelons qu’on peut toujours voir La Part des Anges.

Rosa Llorens

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