4 septembre 2005.
L’encyclopédie Blogger dit que le Blog est une forme de communication informelle, et j’ajouterais, moi, grand lecteur de Blogs, que c’est un récipient extraordinaire pour vomir. Alors, vomissons.
Aujourd’hui nous sommes le quatre septembre et il y a trente cinq ans de cela, un jour semblable à celui ci, de printemps au Chili, nous avions célébré le triomphe de l’Unité Populaire, la victoire électorale de Salvador Allende, du Camarade Président Salvador Allende. Nous savons tous comment s’est terminée cette expérience démocratique et socialiste à la Chilienne, et nous savons qu’alors que le dégoût et le vomi leur étranglent la gorge, les Chiliens doivent vivre avec leurs satrapes, avec leurs tortionnaires, avec ceux qui ont fait disparaître des personnes, qui ont assassiné et volé à pleines mains. Vomitif.
Il y a quelques jours est mort d’un cancer le général Forestier, un tortionnaire, un assassin, un sujet qui a nié l’existence des disparus et qui a cassé sa pipe sans l’ombre d’une inculpation pour ses crimes. Un sujet vomitif. Le gouvernement chilien a envoyé ses sincères condoléances à la famille de Forestier. Vomitif. Sa mort ne m’a pas attristé, moi, cela en fait un de moins, et c’est au moins ça, un de moins. Une semaine plus tôt, le même gouvernement chilien, au nom de la « cohabitation nationale », a amnistié un criminel qui a séquestré et égorgé Tucapel Jimenez, syndicaliste chilien, tenace et courageux opposant à la dictature. La cohabitation aussi est vomitive si elle se fonde sur de grands pardons passés dans le dos des victimes.
Ne manges jamais avant de lire la presse. Aujourd’hui, le quatre septembre, c’est encore l’été en Espagne, un pays où la gauche doit être très light et la droite toujours plus fascitoïde. Un pays où l’acte de penser ou d’avoir l’ingénuité de lancer un débat est considéré comme hautement inconvenant, où le football, le cyclisme, le tennis, le golf et la formule 1 sont les seules préoccupations suggérées. Un pays d’athlètes de bar. Vomitif.
J’ouvre le journal et je lis qu’une sub-normale que j’ai entendu dire une fois très sérieusement qu’elle maintenait, lorsqu’elle écrivait, des synergies sexuelles avec la table de sa cuisine et son aspirateur, est nommée rédactrice de la section « hommes » du supplément dominical. « Que les hommes qui me lisent n’aillent pas penser que je suis contre eux, en réalité j’aime tous les hommes », déclare-t-elle dans ses premières lignes. Vomitif. Chair de Blog.
Il y a quelques mois j’étais à Séoul, et en passant avec des amis chiliens par la zone américaine j’ai rencontré deux Marin’s des Etats-Unis. Ils parlaient espagnol avec l’accent des caraïbes. Ils venaient de Puerto Rico, un pays latino-américain qui représente une étoile du drapeau yanqui. Ils allaient en Irak, mais avant de les envoyer à la boucherie d’Irak on leur avait offert une semaine en Corée du Sud. L’un avait reçu en cadeau un graveur de MP3, l’autre une caméra vidéo digitale. « Ce pays était communiste, et nous l’avons sauvé », dit l’un. « L’Amérique m’a donné la chance d’être ici », dit l’autre. Puis ils m’ont confié que leur anglais n’était pas très bon, et qu’ils allaient en Irak parce qu’au retour ils obtiendraient la citoyenneté des Etats-Unis, bien sûr s’ils ne revenaient pas enveloppés de sacs plastiques. Vomitif. Je leur ai demandé ce qu’ils pensaient des « volontaires du Kansas et d’Alabama » qui, dans de confortables caravanes et armés jusqu’aux dents, surveillaient la frontière sud des Etats-Unis, prêts à tirer sur les « épaules mouillées », les plus pauvres d’entre les pauvres, ceux à qui l’on a retiré jusqu’à la dignité et qui tentent d’entrer au « pays de la chance », dans cette « Amérika Amérika » qui a reçu et formé des mouchards aussi géniaux qu’Elia Kazan. « En Amérique, tout le monde peut devenir président », dit l’un. « Avec des efforts, tout le monde peut profiter de l’american dream », signala l’autre.
La majorité des soldats morts en Irak, presque deux mille, sont des noirs et des latinos. J’en connais un qui a eu une attaque d’intelligence latine et qui a déserté, le fils du compositeur nicaraguayen Carlos Mejàa Godoy. Comme il n’était pas encore citoyen américain les yanquis ne savaient pas quoi faire de lui, parce que l’Amérique n’embauche pas de mercenaires et, comme l’on sait, les noirs pauvres et les latinos s’en vont tuer des civils irakiens et mourir entre le Tigre et l’Euphrate de leur plein gré. Vomitif. Chair de Blog.
En novembre de l’an dernier, le cyclone Michelle a frappé les Caraïbes et s’est acharné sur Cuba. Selon Ben Wisner, de l’Institut du Développement de la London School of Economics, le cyclone qui a affecté près de 25 000 foyers, dont 2800 totalement détruits, n’a causé que 5 morts dans la population cubaine. Le gouvernement cubain a évacué 700 mille personnes, 6.36 % de sa population en moins de 24 heures. Les Forces Armées Révolutionnaires sont arrivées au sud de l’île pour aider la population, et c’est ce qu’elles ont fait. Elles n’avaient pas reçu l’ordre de tirer ni de tuer pour « maintenir l’ordre ».
Il y a une semaine, le cyclone Katrina a dévasté l’Etat de la Louisiane et les morts se comptent par milliers. La majorité des morts sont des noirs et des latinos, leurs corps flottent dans les rues inondées de la Nouvelle Orléans, tout près du Superdôme, le gigantesque stade qui devrait servir de centre de refuge et d’évacuation. Le président Bush était en vacances. Condolezza Rice s’achetait des chaussures dans une boutique chic réservée à des femmes comme elle.
C’était une tragédie prévisible. En 2001, la revue Scientific American a prévenu de l’état lamentable des digues destinées à contenir la crue du Mississipi, de l’obsolescence des systèmes de pompage en cas d’inondation, de la multiplication incontrôlée d’habitations dans des zones à haut risque, et de l’insuffisance des voies d’évacuations. Cette même année l’Agence Fédérale du Contrôle des Urgences a alerté le gouvernement, déclarant que si l’on ne prenait pas des mesures immédiates, un cyclone aurait des conséquences catastrophiques pour la Nouvelle Orléans. Les ingénieurs militaires des Etats Unis ont recommandé l’approbation urgente d’un budget de 27.1 millions de dollars pour consolider les digues. Le gouvernement Bush l’a approuvé, mais à l’heure d’envoyer l’argent il a décidé d’en détourner 80% pour assurer les coûts toujours plus élevés de l’occupation de l’Irak.
C’est ainsi que l’on planifie les catastrophes impériales. C’est ainsi que l’on condamne des centaines de milliers de personnes à mourir de soif, de manque d’assistance médicale, écrasés sous les décombres, noyés sous les eaux, ou dévorés par les caïmans du Mississipi. Vomitif.
Les télévisions du monde montraient des naufragés sur les toits de leurs maisons, certains -ils ne manquent jamais- agitant le drapeau aux rayures et aux étoiles qui ne leur a pas même servi de serviette. Vomitif.
Quand l’Etat nous abandonne, quand la nécessité s’impose, quand la soif et la faim menacent de tuer, l’instinct de survie ordonne de violer les lois qui ne servent plus. Il est légitime de piller un supermarché si l’aide n’arrive pas. Et le gouverneur de l’Etat de Louisiane, Kathren Blanco, au lieu d’accélérer l’aide humanitaire, a armé de fusils M-16 trois mille soldats de la garde d’Etat. « Ils savent comment abattre un homme d’un coup de feu, ils sont désireux de le faire et j’espère qu’ils le feront ». Ses mots font partie de l’histoire nord-américaine. Cette femme est une républicaine de souche. Vomitif.
Et le prix du pétrole grimpe et grimpe. Certains gouvernements, parmi eux le gouvernement espagnol, décident d’aider, non pas les Nord-américains mais Rumsfeld, Dick Cheney, la Shell, la Texaco, Halliburton, en envoyant des milliers de barils pour que la minorité opulente des Etats Unis ne voie pas s’altérer l’American way of life. Vomitif.
A la Maison Blanche, un intellectuel texan, ex alcoolique mal régénéré, fondamentaliste religieux et totalement crétin, demande une entrevue au pieu révérend Pat Robertson, l’homme qui réclame l’assassinat du président vénézuélien Hugo Chavez. Ses yeux minuscules de truand limité cherchent le Venezuela sur la carte de l’Afrique. Vomitif. Chair de Blog.
Gijón, Espagne, 4 septembre 2005.
Luis Sepúlveda, écrivain, est membre d’Attac et collaborateur du Monde Diplomatique.
– Traduction : Amandine Py
Luis Sepúlveda est né le 4 octobre 1949 à Ovalle, une petite ville du nord du Chili.
Il milite très jeune au sein des Jeunesses communistes. Étudiant, il est emprisonné sous le régime de Pinochet : " A la fin d’un procès sommaire du tribunal militaire, en temps de guerre, à Temuco en février 1975, au terme duquel je fus accusé de trahison de la patrie, conspiration subversive, et appartenance aux groupes armés, entre autres délits, mon avocat commis d’office (un lieutenant de l’armée chilienne) est sorti de la salle - nous sommes restés dans une salle à côté - et, euphorique, m’a annoncé que ça s’était bien passé pour moi : j’avais échappé à la peine capitale et j’étais condamné seulement à vingt-huit ans de prison. J’étais à l’époque un jeune homme de vingt-cinq ans et je calculais que je ne serais sorti qu’à cinquante trois ans ... J’ai beaucoup appris à Temuco, la prison où l’on enfermait les opposants politiques. Il y avait là -bas près de trois cents professeurs d’université, incarcérés eux aussi, qui nous faisaient partager leur savoir...Un jour en 1977, grâce au travail, à la constance des membres d’Amnesty International, j’obtins que les militaires revoient mon cas et finalement, ils transformèrent mes vingt-cinq ans de prison en huit ans d’exil. En réalité, démonstration du respect des militaires chiliens pour la justice, je passais seize longues années sans pouvoir toucher le sol chilien".
Il a été libéré contre huit ans d’exil en Suède, grâce à l’intervention d’Amnesty International.
Son premier roman Le Vieux qui lisait des romans d’amour traduit en 35 langues lui vaut une renommée mondiale.
Il est l’auteur de :
Le Vieux qui lisait des romans d’amour (Métailié, 1992 ; Le Seuil, 1995).
Le Monde du bout du monde (Métailié, 1993 ; Le Seuil, 1995) .
Un Nom de torero (Métailié, 1994 ; Le Seuil, 1996).
Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler (Métailié-Le Seuil, 1996).
Le Neveu d’Amérique (Métailié , 1996 ; Le Seuil, 1998) .
Rendez-vous d’amour dans un pays en guerre (Métailié, 1997 ; Le Seuil, 1999) .
Journal d’un tueur sentimental (Métailié, 1998).
Yacaré suivi de Hot Line (Métailié, 1999) .
Les Roses d’Atacama (Métailié , 2001).
– Source : www.alalettre.com
Comité Chili Amérique Latine
http://comitechiliamlatine.free.fr
Radio Contrastes
http://radiocontrastes.free.fr
Radio Nuestra América
http://radionuestraamerica.free.fr
Pleure, Argentine, par Luis Sepúlveda - Il manifesto.
Chili : Mémorial des années heureuses, par Luis Sepúlveda.