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De l’Empire et du Gouvernement : Opération Nazification (Counter Punch)

Le nouveau livre d’Annie Jacobsen s’intitule Operation Paperclip : The Secret Intelligence Program That Brought Nazi Scientists to America. Ce programme n’a plus grand chose de secret, bien entendu, et il ne fut jamais très intelligent. Jacobsen ajoute quelques détails ; quant au gouvernement américain, il continue à en dissimuler de nombreux autres. Mais les faits essentiels sont disponibles ; on se contente d’en expurger la plupart des livres d’histoire, des films, et des émissions de télévision.

Après la Deuxième Guerre Mondiale, l’armée étasunienne recruta mille six cent anciens scientifiques et médecins nazis, parmi lesquels quelques-uns des plus proches collaborateurs d’Hitler, ainsi que des hommes coupables de meurtre, de réduction en esclavage, d’expérimentation sur des êtres humains, ou encore des hommes reconnus coupables de crimes de guerre, des hommes acquittés de crimes de guerre, enfin des hommes qui ne passèrent jamais en jugement. Certains des nazis qui furent jugés à Nuremberg travaillaient déjà pour les États-Unis, soit en Allemagne, soit aux États-Unis, avant l’ouverture du procès. Depuis des années, le gouvernement étasunien en protégeait certains, contre la résurgence de leur passé, pendant qu’ils menaient leur vie, travaillaient, à Boston Harbor ou Long Island, dans le Maryland ou l’Ohio, au Texas ou en Alabama, ou ailleurs ; ou alors même gouvernement affrétait pour eux des avions à destination de l’Argentine, afin qu’ils échappent aux poursuites judiciaires. On classa secrètes des transcriptions intégrales de procès, afin d’éviter les révélations sur le passé de scientifiques étasuniens de premier plan. Parmi les nazis importés, certains étaient des imposteurs, qui s’étaient fait passer pour des scientifiques, mais un certain nombre d’entre eux acquirent les connaissances requises pour travailler dans leur domaine, au cours des années qu’ils passèrent au service de l’armée étasunienne.

Après la Seconde Guerre Mondiale, les occupants étasuniens de l’Allemagne déclarèrent que toutes les recherches militaires en cours devaient cesser, au nom du processus de dénazification dont cet arrêt constituait une étape. Cependant, ces recherches se poursuivirent et se développèrent, en secret, sous autorité étasunienne, aux États-Unis comme en Allemagne, et firent partie de ce qu’il n’est pas interdit de considérer comme un processus de nazification. Le recrutement ne porta pas uniquement sur les scientifiques. Dans l’Allemagne d’après-guerre, les États-Unis recrutèrent d’anciens espions nazis, dont la plupart avaient appartenu aux S.S., afin qu’ils espionnent – et torturent – les Soviétiques.

L’armée étasunienne se transforma, de bien des manières, lorsque d’anciens nazis commencèrent à y occuper des postes importants. Ce furent des spécialistes nazis des fusées, qui proposèrent de placer des bombes atomiques sur de tels engins, et qui commencèrent à développer le missile balistique intercontinental. Ce furent les ingénieurs nazis, qui avaient conçu pour Hitler un bunker souterrain à Berlin, qui élaborèrent alors dans les montagnes – Blue Ridge ou Catoctin – des forteresses souterraines pour le gouvernement étasunien. L’armée étasunienne employa des affabulateurs nazis renommés, afin qu’ils constituent des dossiers de renseignements, classés secrets, qui survendraient une menace soviétique exagérée. Les scientifiques nazis importèrent non seulement leur connaissance du tabun, du sarin, sans parler du thalidomide, pour développer les programmes étasuniens d’armes chimiques et biologiques, mais aussi leur goût prononcé pour l’expérimentation sur les êtres humains, que l’armée se mit à pratiquer de bon cœur, en collaboration avec la C.I.A., qui venait d’être créée. Toute manière bizarre, horrible, permettant d’assassiner un individu ou d’immobiliser une armée, présentait un intérêt pour leurs recherches. On développa de nouvelles armes, au nombre desquelles le gaz VX, et l’agent Orange. On initia une nouvelle campagne d’exploration, et de militarisation, de l’espace, et d’anciens nazis prirent la direction d’une nouvelle agence, baptisée la N.A.S.A.

Les théories de la guerre permanente, de la guerre illimitée, de la guerre novatrice, dans lesquelles la science et la technologie reléguaient au second plan la mort et les souffrances, alimentèrent le courant de pensée dominant. En 1953, lorsqu’un ancien nazi prit la parole à l’occasion d’un déjeuner organisé par la Jeune Chambre de Commerce de Rochester, le titre annonciateur de l’événement était le suivant : « Aujourd’hui, allocution du génial inventeur du missile V1, devant les membres de la Jeune Chambre ». L’étrangeté de cette annonce n’a pour nous rien de très évident, mais elle aurait sans doute choqué quiconque avait vécu aux États-Unis dans les années précédant la Seconde Guerre Mondiale. Jetez donc un œil à ce programme télé : un ancien nazi, qui fit mourir des esclaves au travail, en leur faisant assembler des roquettes dans une grotte, y tient la vedette. Peu après, le président Dwight Eisenhower regretterait ce qui suit : « l’influence globale – économique, politique, et même spirituelle – se fait sentir dans chaque ville, chaque capitole d’état, chaque bureau du gouvernement fédéral ». Eisenhower ne faisait pas allusion au nazisme, mais au pouvoir du complexe militaro-industriel. Cependant, lorsqu’il fit remarquer dans le même discours que « les politiques publiques elles-mêmes, pourraient devenir otages d’une élite de la science et de la technologie », et qu’on lui demanda de préciser ceux auxquels il pensait, Eisenhower nomma deux scientifiques, et l’un d’entre eux n’était autre que le nazi de la vidéo référencée en note.

Les diverses formes que prit la peur de l’U.R.S.S., furent à l’origine de la décision d’injecter 1600 des membres de l’élite scientifique et technologique hitlérienne dans l’armée étatsunienne ; certaines de ses craintes n’étaient pas déraisonnables, mais ce sont les boniments des marchands de peur qui suscitaient les autres. Avec le temps, cette décision, produit du fourvoiement de certaines intelligences, évolua. Mais la responsabilité en incombe au président Harry S. Truman. Le prédécesseur de Truman à la vice-présidence, Henry Wallace, dont nous aimons penser qu’il aurait fait prendre au monde une direction meilleure, poussa effectivement Truman à recruter des nazis, dans le cadre d’un programme de création d’emplois. D’après notre héros progressiste, c’eût été bon pour l’industrie américaine. Les subordonnés de Truman en débattirent, mais Truman décida. Au fur et à mesure que des bribes de l’Opération « Paperclip » étaient dévoilées, la Fédération Américaine des Scientifiques, à laquelle Einstein, appartenait, avec d’autres, insista auprès de Truman pour qu’il y mette une terme. Hans Bethe, le physicien nucléaire posa, avec son collègue Henri Sack, cette série de questions à Truman :

« Le fait que des Allemands puissent permettre à la nation d’économiser des millions de dollars, impliquait-il qu’on puisse acheter sa citoyenneté, son titre de résident ? Les États-Unis pouvaient-ils compter sur les scientifiques allemands pour œuvrer à la recherche de la paix, alors que leur haine des Russes était un réflexe conditionné, qui risquait de contribuer à accentuer les divergences entre les grandes puissances ? N’avait-on fait la guerre, que pour permettre à l’idéologie nazie de faire une entrée furtive dans nos institutions scientifiques, par une porte dérobée ? Voulons-nous la science, à n’importe quel prix ? ».

En 1947, l’Opération « Paperclip », n’avait pas encore eu le temps de grandir, ou si peu, mais elle était menacée d’interruption. Au lieu d’y procéder, Truman se servit du National Security Act pour réformer l’armée étasunienne, en même temps qu’il créait le meilleur allié dont pouvait rêver l’Opération « Paperclip » : la C.I.A.. C’est alors que le programme prit son envol, produit d’une volonté, d’une intention, au vu et au su du même Président des États-Unis qui, en tant que sénateur, avait déclaré que si la victoire penchait côté russe, les États-Unis devraient venir en aide aux Allemands, et vice-versa, afin de s’assurer que le nombre de morts soit le plus élevé possible, le même aussi qui largua deux bombes atomiques sur des villes japonaises, gratuitement, par pure brutalité, le même enfin qui nous valut la guerre de Corée, la guerre non déclarée, les guerres secrètes, l’empire – en expansion constante – de bases militaires, le secret militaire dans tous les domaines, la présidence impériale, le complexe militaro-industriel. À la fin de la guerre, le Service Étasunien de la Guerre Chimique reprit l’étude des armes chimiques allemandes, afin de justifier la prolongation de son existence. George Merck diagnostiqua les menaces d’armes biologiques qui pesaient sur l’armée des États-Unis, et lui vendit en même temps les vaccins permettant de les contenir. La guerre était synonyme d’affaires, qui allaient se révéler juteuses, et pendant longtemps.

Cela dit, les transformations qui affectèrent les États-Unis après la Deuxième Guerre Mondiale furent-elles radicales, et dans quelle mesure peut-on les attribuer à l’Opération « Paperclip » ? Un gouvernement, prêt à accorder l’immunité aux criminels de guerre, nazis comme japonais, en échange d’informations sur leurs pratiques criminelles, ne se place-t-il pas déjà sur un mauvais terrain ? Ainsi que l’un des accusés du procès de Nuremberg le plaida, les États-Unis avaient déjà entamé leurs propres expériences sur des êtres humains, et leurs justifications étaient quasiment identiques à celles que les nazis présentèrent. Si cet accusé en avait été informé, il aurait pu faire remarquer qu’à l’instant même où il se défendait, les États-Unis menaient des expériences de ce type au Guatemala. Ce sont les Étasuniens qui avaient enseigné aux nazis, une partie de leurs pratiques en matière d’eugénisme, et autres penchants ignobles. Certains des scientifiques de « Paperclip » avaient travaillé aux États-Unis avant la guerre, tout comme de nombreux Étasuniens avaient travaillé en Allemagne. Les deux mondes n’étaient pas cloisonnés.

Par-delà les crimes de guerre secondaires, aussi sadiques et scandaleux soient-ils, qu’en est-il du crime de guerre lui-même ? Nous nous imaginons que la culpabilité des États-Unis serait moindre, sous prétexte que leurs manœuvres obligèrent les Japonais à lancer la première attaque, et aussi parce qu’ils poursuivirent effectivement en justice certains des battus de la guerre. Mais l’impartialité aurait dû commander que l’on instruise également le procès des Étasuniens. Les bombes qu’ils larguèrent sur des civils tuèrent, blessèrent, ou détruisirent, plus que n’importe lequel des camps de concentration – des camps qui, en Allemagne, eurent en partie pour modèles les camps étasuniens de rétention d’Indiens d’Amérique. Est-il possible que les scientifiques nazis aient pu se fondre avec tant de facilité dans l’armée étasunienne, parce qu’une institution qui avait déjà agi comme elle l’avait fait aux Philippines, n’avait pas grand besoin d’être nazifiée ?

Cependant, quelle qu’en soit la raison, nous pensons que le largage de bombes incendiaires sur les villes japonaises, ou le fait d’avoir rasé les villes allemandes, ne sont pas aussi choquants que le recrutement de scientifiques nazis. Mais qu’est ce qui nous choque, exactement, dans l’histoire des scientifiques nazis ? À mon avis, cela ne devrait pas être leur participation à des massacres perpétrés par le mauvais camp, une erreur qui, dans l’esprit de certains, serait compensée par leur participation à d’autres massacres, perpétrés par le bon camp. Je pense que cela ne devrait pas être non plus, uniquement, parce qu’ils se livrèrent à des expérimentations démentes sur les êtres humains, ou eurent recours aux travaux forcés. Oui, je pense que ces actes doivent nous choquer. Mais la construction de roquettes, qui tuent des individus par milliers, doit nous choquer tout autant. Cela doit nous choquer, quels que soient ceux pour lesquels on effectue ce travail.

Comme il est curieux d’imaginer une société civilisée, quelque part sur cette terre, dans quelques années. Un immigrant, dont le passé porterait trace d’un passage dans l’armée étasunienne, pourrait-il trouver un emploi ? Faudrait-il procéder à une enquête ? Avait-il torturé des prisonniers ? Téléguidé des avions tueurs d’enfants ? Rasé des maisons, abattu des civils, dans un certain nombre de pays ? Utilisé des bombes à fragmentation ? De l’uranium appauvri ? Du phosphore blanc ? Avait-il occupé un emploi dans le système carcéral étatsunien ? Dans le système de rétention des immigrés ? Dans un couloir de la mort ? Jusqu’où faudrait-il approfondir cette enquête ? Un certain niveau de je-ne-faisais-qu’-obéir-aux-ordres serait-il considéré comme acceptable ? Se contenterait-on d’accorder de l’importance à ses actes passés, ou en donnerait-on également à sa vison du monde ?

David Swanson est l’auteur de War is a Lie. Il habite en Virginie.

http://www.counterpunch.org/2014/02/21/operation-nazification/

traduction Hervé Le Gall

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