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Entretien avec la secrétaire-générale adjointe du Parti communiste libanais Marie Nassif-Debs

Le PCL a, dès le début de la crise syrienne, adopté une position qui repose sur trois refus, et une affirmation :

Non à la solution militaire prônée par le régime, non à la guerre civile communautaire défendue par l’opposition salafiste, non à toute intervention étrangère, oui à une solution politique interne reposant sur des changements radicaux.

1 – Quelle est l’analyse du Parti communiste libanais (PCL) sur les origines des troubles en Syrie ?

Marie Nassif-Debs : Pour comprendre la crise syrienne, il est nécessaire, dans le même temps, de jeter un coup d’œil à la situation intérieure du pays et aux troubles qui font rage dans la région depuis l’occupation de l’Irak en 2003. En fait, la situation intérieure syrienne connaît, depuis des décennies, des formes d’opposition aux politiques du parti Baas. Cette opposition n’est pas unifiée.

Il y a, tout d’abord, les démocrates et les groupes de gauche qui ont toujours tenté de créer, malgré la répression et l’incarcération, un processus de réformes sociales, économiques et politiques contre la politique dynastique, les abus de pouvoir, la corruption et tout particulièrement les politiques néo-libérales qui ont ravagé l’économie syrienne, essentiellement l’agriculture, mettant des centaines de milliers de Syriens au chômage. Il y a aussi l’opposition menée par les groupes islamistes, avec une majorité sunnite, qui essaient de prendre le pouvoir en instrumentalisant la religion, ou plutôt de prendre le pouvoir à la minorité alaouite.

Dans cette situation nationale instable, se sont ajoutés des facteurs extérieurs, à commencer par les tentatives américaines de briser l’alliance entre la Syrie, l’Iran et la Russie afin de mettre en place son projet dit du « Nouveau Moyen-orient », un plan géo-stratégique de la plus haute importance économique, avec les réserves de pétrole et de gaz que détient la région. Ils ont en outre la soutien d’Israël, celui des forces féodales du Golfe. Ils ont contribué à créer des groupes islamistes et salafistes qui se répandent dans tout le monde arabe. À cet égard, il est nécessaire de lire attentivement les directives de la politique étrangère de Washington, à commencer par le livre de Z. Brzezinski « Le grand échiquier » qui a inspiré la politique étrangère turque.

Bien entendu, deux ans après le début de la crise, les facteurs extérieurs sont devenus dominants, ce qui permet de dire qu’il y a une internationalisation du conflit, et que les troubles en Syrie vont hélas dans le sens d’une guerre civile communautaire qui rappelle celle qu’a connu le Liban entre 1975 et 1990. Dans de telles circonstances, une guerre aussi longue et destructrice ne pourra conduire qu’à l’effondrement de la Syrie.

2 – Est-ce que l’extrémisme religieux et les royaumes féodaux du Golfe ont désormais l’ascendant dans le monde arabe ou est-ce que les forces progressistes peuvent triompher à terme ?

Ce qui se passe en Syrie est un peu différent de la situation dans d’autres pays arabes, y compris en Égypte et en Tunisie. Les deux pays ont connu de véritables révolutions et les forces populaires qui en ont été à l’origine et se sont appuyées sur un vrai programme de changement et ce à tous les niveaux.

Il est vrai que ces révolutions ont été détournées un temps par les « Frères musulmans » et d’autres forces politiques islamistes payées par le Qatar et l’Arabie saoudite, mais la résurgence du mouvement en Égypte (sous le mot d’ordre du refus du règne de la Charia) et les préparatifs pour une révolte similaire en Tunisie font penser que les forces politiques démocratiques et progressistes sont bien ancrées dans le mouvement populaire et, par conséquent, peuvent triompher, et leur triomphe, en particulier en Égypte, influencera tout l’Orient arabe. Voilà pourquoi nous croyons que les tentatives des États-Unis, tout comme l’argent de l’Arabie saoudite et du Koweit (plus de 12 milliards de $) ne pourront pas empêcher le processus d’arriver à son terme.

3 – Quelle est l’analyse que fait le PCL de l’implication du Hezbollah en Syrie ?

Le PCL a, dès le début de la crise syrienne, adopté une position basée sur l’analyse que je viens de développer. Cette position repose sur trois refus, et une affirmation : Non à la solution militaire prônée par le régime, non à la guerre civile communautaire défendue par l’opposition salafiste, non à toute intervention étrangère, oui à une solution politique interne reposant sur des changements radicaux.

Et quand nous parlons d’une solution interne syrienne sans intervention étrangère, cela signifie que nous sommes contre l’intervention du Hezbollah mais aussi des forces politiques libanaises alliées aux États-unis et à l’Arabie saoudite (et menées par l’ancien premier ministre Saad Hariri) dans les affaires intérieures syriennes. C’est pourquoi, depuis mars 2011, nous avons appelé à préserver le Liban et à donner à l’armée libanaise un appui politique pour empêcher que l’on utilise nos frontières pour fournir des armes aux rebelles syriens. Nous étions le seul parti politique à déclarer que la politique de « neutralité » adoptée par le gouvernement ne mènerait qu’à l’impasse dans le conflit au Liban, en raison des divisions politiques et religieuses.

4 – Quels sont les principaux effets de la crise syrienne sur le Liban ? Et comment le PCL tente de traiter la question de la division communautaire au Liban ?

Étant donné l’évolution du conflit syrien et les divisions communautaires verticales, qui ont toujours été à l’origine des problèmes libanais et qui vont aujourd’hui dans le sens d’un conflit sunnite-chiite (encouragé par l’Arabie saoudite mais aussi par l’Iran), nous croyons que le Liban est menacé par une nouvelle guerre communautaire, poussée par les différentes factions de la bourgeoisie libanaise qui ont construit leur régime sur la base des quotas communautaires. C’est ainsi que nous lisons les explosions militaires parfois à Tripoli, parfois dans le Bekaa, parfois dans le Sud, à quoi s’ajoute le retour des voitures piégées. C’est en ce sens que nous voyons également le développement des groupes salafistes, y compris ceux dans les camps de réfugiés palestiniens (avec le groupe « Al Nosra », un groupe proche d’ « Al Qaeda »). Sans oublier les centaines de milliers de réfugiés syriens (certains liés à l’Armée syrienne libre) entrant légalement ou non dans le pays, avec tout les problèmes militaires et sociaux que cela soulève dans un petit pays comme le Liban (4,5 millions de personnes, dont 400 000 Palestiniens).

Par conséquent, l’initiative prise par notre parti consiste à créer un rassemblement politique et social sous le mot d’ordre de la préservation de la paix civile et du travail pour un changement démocratique, commençant par un appel à une Conférence constitutionnelle nationale.

Le but de cette conférence est de remettre en question les principes mêmes du système politique confessionnel et d’en proposer un nouveau sur les principes de la démocratie et de l’égalité, à commencer par des changements dans les statuts personnels confessionnels sur les états civils et en finissant par la modification de la Constitution.

5 – Comment êtes-vous entrée au Parti communiste ?

J’ai commencé ma vie de militante à l’âge de 16 ans, quand nous avons commencé à étudier le marxisme : j’ai découvert que mes révoltes contre la pauvreté et l’injustice avaient un nom qui pouvait changer la société par l’engagement politique.

J’ai donc commencé à lire mais aussi à étudier sur ce qui s’était passé au Liban et dans le monde arabe et à analyser le problème des divisions religieuses qui m’ont toujours gêné, en particulier pendant les heures de catéchisme où les musulmans n’étaient pas autorisés à assister aux cours.

Deux années après, en 1967, j’ai rejoint le Parti communiste libanais, pendant la Bataille du Second congrès, comme nous l’appelons. C’était la bataille pour remettre le PCL dans la voie du changement démocratique, car pendant 25 années l’ancienne direction avait suspendu tout congrès. C’est aussi ce Congrès qui a donné un nouveau souffle au communisme au Liban et dans la région, en corrigeant la ligne du PCL et en insistant sur l’union de la lutte de classe et de la lutte pour la libération nationale, avec au premier plan le problème palestinien comme problème central du mouvement de libération arabe.

6 – Quelle est la force du mouvement communiste dans la vie politique et le mouvement ouvrier libanais ?

Le mouvement communiste était et reste la base du mouvement syndical. Les militants syndicalistes du Parti communiste libanais ont été, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et jusqu’à présent, les instigateurs de toutes les réformes en matière sociale : le Code du travail (1948), la sécurité sociale et médicale (1963), la loi sur les retraites etc. En outre, ce sont les militants communistes qui ont créé le mouvement syndical chez les enseignants (au début des années 1970) et, pendant 30 ans, nous avons lutté pour le changement des statuts dans la fonction publique, notamment sur les libertés syndicales. Et n’oublions pas le rôle des communistes dans l’agriculture, parmi les ouvriers agricoles et les paysans pauvres.

Le PCL est bien ancré dans la classe ouvrière libanaise. Le parti a mené la lutte pour améliorer la situation à la campagne. C’est le seul parti, ou presque, qui travaille sur des bases sociales non-confessionnelles. Pour toutes ces raisons, il a une influence non négligeable parmi les masses. Les statistiques nous donnent actuellement un peu moins de 12% des voix des électeurs, mais nous n’avons pas de députés à cause du système électoral confessionnel (sur la base de la représentation des confessions religieuses) que la bourgeoisie a adopté afin de pouvoir continuer à monopoliser le Liban. Voilà pourquoi nous, comme nous l’avions dit précédemment, optons pour la suppression complète du système confessionnel derrière lequel se cache la bourgeoisie. Elle l’utilise pour diviser les travailleurs et les masses populaires chaque fois qu’elle voit son système menacé.

7 – Quelle est la situation du droit des femmes au Liban comparé aux autres États arabes ?

Les luttes pour les droits des femmes étaient une priorité du PCL depuis sa création en 1924. Par ailleurs, le mouvement des femmes au Liban est un des plus anciens du monde arabe et la femme arabe était une des premières dans cette partie du monde à voir reconnu son droit de vote et celui d’être éligible (1953).

Mais le problème persiste dans le régime libanais qui a donné ses prérogatives en termes de statut personnel et politique aux différents leaders confessionnels. Les discriminations continuent ainsi à peser lourd. Il est vrai qu’au cours des 12 dernières années, nous avons réalisé un grand pas en avant dans les luttes, nous avons contribué à faire changer les lois, mais nous avons encore un long chemin à parcourir, afin d’appliquer la parité dans la fonction publique et un quota de femmes dans les institutions de pouvoir (au parlement, il n’y a actuellement que 4 femmes sur 128 députés).

8 – Quels sont vos espoirs pour le mouvement communiste au Liban dans les années à venir ?

Nous espérons parvenir à imposer un changement démocratique radical, notamment un régime laïc basé sur le code civil. Nous espérons également parvenir, par notre travail, à empêcher que notre pays sombre dans la guerre civile, et finalement, nous espérons libérer le reste de notre territoire sous occupation israélienne. Il reste un objectif : réaliser l’unité du mouvement de la gauche arabe (pour lequel nous travaillons depuis trois ans) afin de libérer des ressources et des richesses du pillage impérialiste et de réaliser le progrès social pour nos peuples sur la voie du socialisme.

Entretien avec Marie Nassif-Debs réalisé par le magazine irlandais « Look left »

Traduction MA pour Solidarité Internationale PCF

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