Grèce : le pavé dans la mare

La décision prise par le Premier Ministre grec, Papandréou d’avoir recours à un référendum populaire pour savoir si oui ou non la Grèce doit accepter le plan issu de l’accord européen des 26 et 27 octobre à Bruxelles, la concernant, est probablement un des moments politiques les plus passionnant de cette année finissante.

Cet évènement en dit long sur l’état de la « démocratie » en Europe et sur la manière dont les décisions sont prises.

UN SEISME POLITIQUE

Le séisme ne vient pas simplement de ce qui pourrais se passer,… Mais c’est d’abord la manière, à l’annonce de la décision grecque, dont ont réagi la classe politique dirigeante européenne, puis les bourses et marchés.

Le tollé des dirigeants européens, et en particulier ceux de l’Allemagne et de la France, éclaire singulièrement la « confiance » que ces « démocrates » ont dans les peuples. En effet, c’est sans nuance et sans la moindre pudeur qu’ils ont qualifié la décision d « irresponsable », tout en soulignant hypocritement que « la consultation du peuple est une bonne chose »… Ben voyons !... Les faux culs !.

La décision du référendum méritait au moins, de la part de personnages qui se qualifient de « démocrates » d’accompagner leur surprise de nuances. Or, chassez le naturel, il revient au galop… C’est la sauvegarde du système qui a eu la priorité dans leur réaction.

La réaction des marchés et banques est moins surprenante… On ne peut pas attendre de tels secteurs autre chose qu’une défense farouche de leurs intérêts financiers, même si pour cela il faut mettre des millions d’individus à genoux.

Quant au futurs bénéficiaires de la faillite de la Grèce, ( si ! si ! il y en a !), les détenteurs de CDS (Contrat Default Swap) liés à la dette grecque, qui garantissent un paiement - par les grandes banques alors menacées - en cas de réalisation du risque de faillite,… ils gardent un silence gourmand.

La démocratie devient très clairement un danger pour le système. Nous en avons ici la preuve irréfutable.

Résumons nous :

D’un côté, le peuple dit,… ou va dire, ou risque de dire « ce programme de réformes est inacceptable ».

D’un autre côté, les dirigeants européens disent, « ce programme de réformes est le seul qui puisse exister ».

Qui a raison ?... A vrai dire, les deux ! Sauf que les uns et les autres ne parlent pas de la même chose, ont des priorités, des intérêts différents.

Là est le vrai problème. Nous serions dans des systèmes dictatoriaux,… on comprendrait cette dichotomie d’attitudes,… mais nous sommes, du moins en principe, dans des « démocraties », et le divorce entre ce qu’est le peuple et ce qu’est le système est aujourd’hui flagrant… L’absurdité de la soit disante « démocratie représentative » - du moins dans sa forme actuelle - éclate au grand jour. Les représentants du peuple, « démocratiquement élus » peuvent s’avérer ses pires adversaires.

LE SENS DE LA DECISION

Ce n’est évidemment pas à l’issue d’une poussée de « démocratine » et d’une extase d’essence populaire que Papadréou a pris la décision.

Papandréou, comme tous les politiciens en Europe, fait partie de cette caste parasite qui profite du système, s’attribue des privilèges et impose la rigueur à la population.

Ce n’est certainement pas spontanément qu’il a pris la décision. Coincé qu’il est entre les intérêts divergents d’un côté de l’euro, de la classe dirigeante, des politiciens, des banques et des marchés,… et de l’autre des aspirations du peuple à une vie décente qui se révolte,… il navigue à vue.

Tant que la population supportait passivement le joug qu’on lui imposait, la classe dirigeante jouait « sur du velours »,… tout était possible. Aujourd’hui en Grèce, la « corde a cassé »,… la situation est devenue insupportable pour la population.

Papandréou devait donner des gages pour éviter l’explosion… C’est ce qu’il vient de faire.

Cette décision a aussi l’avantage pour lui et son équipe de « taper en touche »…De se défausser lâchement sur le peuple. Et si les choses empirent,… ce qui est probable, les futures élections législatives donneront une majorité à la droite qui héritera d’une situation pourrie. Papandréou pourra alors jouer l’oppositionnel aux décisions prises. L’alternance ça sert à ça ! Un coup la Droite, un coup la Gauche, un coup….etc.

Une autre hypothèse peut être envisagée : la technique du « moi ou le chaos », version grecque. Papandréou a peut-être tenu le raisonnement suivant : le peuple ne veut plus accepter la rigueur, il va rejeter le plan européen,… et bien, mettons le au pied du mur, mettons le au défi de voter contre et risquer le chaos… peut-être qu’il finira par se résoudre à l’accepter ce plan.

La manière dont va être posée la question lors de ce référendum ,s’il a lieu, va être un signe significatif de ce que l’on souhaite « faire dire » au peuple grec.

L’IMPASSE

Ne nous faisons pas d’illusions…Contrairement à ce que croient certains démocrates naïfs, le recours au peuple ne va rien régler…

Pourquoi ?

Des décennies de conditionnement, de démissions devant les promesses des politiciens, de croyances en un système politique pervers et corrompu,… ont fait que le peuple grec, comme d’ailleurs tous les autres peuples en Europe, n’a pas la solution au problème posé. Il s’est livré pieds et poings liés à un système dont on lui cache les mécanismes et les objectifs, qu’il ne domine pas, sur lequel il n’a aucune prise réelle.

Des décennies de soumission à des pratiques électorales destinées à déresponsabiliser les citoyens -« votez, nous ferons le reste » - ne peut qu’aboutir à une situation chaotique… à partir de laquelle, toutes les dérives sont possibles.

Mais va-t-il avoir le courage de refuser ?

Ne doutons pas que d’énormes pressions « tout à fait amicales et paternalistes » vont être exercées sur le peuple grec pour qu’il se comporte de « manière responsable », autrement dit qu’il accepte le diktat européen, avec description à la clef de la « situation apocalyptique » qui l’attend s’il quitte l’euro. Et ce d’autant plus que les agences de notations commencent à menacer, de même que le FMI, en cas de refus grec du plan européen.

Le peuple a intérêt à bien voter sinon …

Moralité : un peuple a le droit de penser ce qu’il veut à la condition que ce soit conforme à l’intérêt des banques et des marchés financiers…. Et cet intérêt est politiquement garanti par la classe politique.

Ce qui va se passer, dans les semaines à venir, personne ne peut évidemment le prévoir…

Une seule certitude : il est désormais évident que la solution ne réside plus dans le système lui-même, ses manipulations banco-financières, ni par le jeu des institutions politiques.

Situation gravissime car, en Europe, aucun peuple n’a, dans l’immédiat la capacité, je dirais même la culture politique, qui lui permette de passer outre les règles du système et de ses institutions, d’élaborer une stratégie alternative de changement et de créer un rapport de force avec les profiteurs du système en place.

La crainte de chaos et de dérive totalitaire n’est pas écartée,… mais dès à présent c’est à l’élaboration d’une telle stratégie que nous devons nous consacrer.

DERNIERE MINUTE

C’est donc la thèse du « chantage », mené jusqu’au bout, qui a été retenue. Convoquer un chef de gouvernement pour lui faire changer de politique et surtout le dissuader (menaces de rétorsions à l’appui) de consulter son peuple sur des questions qui le concernent directement,… ça ne vous rappelle rien ?....

Cette fois-ci, c’est au nom de la logique des marchés financiers que s’est produite cette infamie.

Il ne fallait surtout pas que le peuple grec s’exprime… ça aurait donné des idées à d’autres et effrayé les marchés financiers. Mais que l’on ne s’y trompe pas, la mésaventure du peuple grec pèse, comme une « épée de Damoclès », si j’ose dire, sur tous les peuples d’Europe.

Après les Grecs sacrifiés sur l’autel de la finance, ça va être le tour des Italiens….

Conforté par cette mise au pas du peuple grec, Sarkozy va, en France, nous en rajouter une couche en matière de rigueur.

L’Euro, pour le moment, est sauf. Les marchés rassurés. L’illusion de la « suppression des paradis fiscaux » et d’une « taxe sur les transactions financières » est ressortie de la naphtaline.

Bref, rien de nouveau,… sinon que la situation devient de plus en plus insupportable.

Les peuples se taient, la finance passe !

La Grèce, berceau de la démocratie ? Peut-être !... Mais aujourd’hui assurément son tombeau !

Patrick MIGNARD

COMMENTAIRES  

07/11/2011 19:35 par AP Kotchik

« La décision prise par le Premier Ministre grec, Papandréou d’avoir recours à un référendum populaire pour savoir si oui ou non la Grèce doit accepter le plan issu de l’accord européen des 26 et 27 octobre à Bruxelles, la concernant, est probablement un des moments politiques les plus passionnant de cette année finissante. »

Je ne suis pas bien sûre que le terme soit le plus approprié, pathétique ou consternant me sembleraient mieux convenir.

Ceci étant votre papier - même s’il a été vite bousculé par la rapidité des événements - est pertinent, il est clair que le peuple grec est devenu le paillasson des dirigeants des autres pays européens, sur lequel ils tentent de nettoyer leurs chaussures sales...

07/11/2011 21:14 par Palmer

C’est pas réellement dans le sujet, mais pas réellement à côté non plus...

Quand les agences de presse helvétiques et les banquiers deviendraient PRESQUE révolutionnaires :

Leçons de la crise islandaise : laisser les banques faire faillite

Le spectaculaire rétablissement économique de l’Islande, au bord de la banqueroute il y a trois ans, enseigne qu’un gouvernement doit laisser les banques faire faillite plutôt que de s’attaquer au contribuable, relèvent des analystes.

L’île de l’Atlantique nord a vu ses trois plus grandes banques s’effondrer à l’automne 2008 dans le sillage de la crise mondiale et de la faillite du géant financier américain Lehman Brothers.

Les banques sont devenues insolvables en quelques semaines et Reykjavik n’a pas eu d’autre choix que de les laisser faire faillite et de demander une aide de 2,25 milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI). Les actifs du secteur bancaire islandais étaient onze fois plus élevés que le produit intérieur brut (PIB) du pays.

Laisser couler

Après trois années de sévères mesures d’austérité, l’économie du pays montre aujourd’hui des signes de bonne santé. "L’enseignement qui peut être tiré de la sortie de crise par l’Islande est qu’il est important de faire supporter le moins possible le coût de la crise financière par le contribuable et par les finances du gouvernement", explique l’analyste Jon Bjarki Bentsson, de la banque Islandsbanki.

Le prix Nobel d’économie américain Paul Krugman partage son avis. "Là où tous les autres ont renfloué les banques et laissé les citoyens en payer le prix, l’Islande a laissé les banques aller à la faillite et a, en fait, augmenté son filet de protection social", a-t-il récemment écrit dans le "New York Times".

Signes de bonne santé
L’ancien Premier ministre islandais Geir Haarde, au pouvoir en 2008, poursuivi actuellement par une cour spéciale pour sa gestion de la crise, est convaincu que son gouvernement a bien réagi en laissant les banques aller à la faillite. "Nous avons sauvé le pays de la banqueroute", avait-il affirmé en juillet à l’AFP.

Trois ans après la crise, l’Islande se porte plutôt bien. Pour la première moitié de 2011, elle a enregistré une croissance de 2,5% et table sur 3% pour l’ensemble de l’année.

(ats / 07.11.2011 19h44)

(Les italiques sont de moi...)

07/11/2011 21:39 par E.W.

élaborer une stratégie alternative de changement et de créer un rapport de force avec les profiteurs du système en place (...) dès à présent c’est à l’élaboration d’une telle stratégie que nous devons nous consacrer.

Oui.

Où, quand (dés à présent, ok), comment, avec qui, avec quoi ? Sérieusement ?

Il faut bien distinguer que de telles absurdités (domination de l’oligarchie financière, déculturation politique du peuple) sont dû à l’ennemi (de classe) qui fait son lit sur les faiblesses de l’adversaire (nous) mais surtout dû à ces faiblesses proprement dites, qui sont autant de portes ouvertes à l’ennemi.

Au final c’est nous, le peuple, que je blâmerai car je ne peux reprocher à notre ennemi de se battre avec toute sa force (et toute la félonie qui le caractérise) mais je peux nous reprocher à nous de ne pas mener la lutte avec toute la force que nous pourrions mettre en oeuvre (ou si cela est tout ce dont nous sommes capable, je me contenterai de le ponctuer d’un LOL).
Répudiant même l’argument que "eux" sont censés nous représenter (nous défaussant de notre responsabilité) ; bien que reposant sur des faits justes (eu égard au combat de nos aïeux), rapporté à la réalité actuelle ceci est une affirmation erronée exploitant notre crédulité : faiblesse exposée à l’ennemi, donc.

Dés lors, comment pourrions nous nous montrer compétent (à fomenter une stratégie -révolutionnaire ? (sic)-) alors que nous venons de démontrer précisément ne pas l’être ?

Si tant est que, dans un sursaut de lucidité, nous préparions cette stratégie, sommes nous prêt à intégrer (dans cette stratégie) le fait que l’ennemi répondra à notre attaque (puisque ça en sera une même si nous concevons cette stratégie dans le pacifisme le plus absolu, tout ce qui peut porter atteinte à "leurs" intérêts sera instantanément perçu comme une menace) par une violence inouïe et par conséquent inclure dans cette stratégie les sacrifices qui s’imposent compte tenu du rapport de force complétement disproportionné (ce qui exclu de facto pouvoir partir sur la base d’une stratégie absolument pacifiste à moins d’être foncièrement suicidaire) ?

08/11/2011 13:51 par Anonyme

Bravo pour ce survol grec.
Et par la bande (comme au hockey), bravo pour cette mise en lumière de ce qui crève les yeux, ce crachat sur la démocratie.

Vous avez l’art de la formule claire et efficace.
Des formules frondes qui dénoncent en deux mots trois mouvements, l’hypocrisie dans laquelle le bataillon médiatique nous maintient :

« Les représentants du peuple, « démocratiquement élus » peuvent s’avérer ses pires adversaires. »
- « votez, nous ferons le reste » -

« d’énormes pressions « tout à fait amicales et paternalistes » »
« Le peuple a intérêt à bien voter sinon … »
« Les peuples se taisent, la finance passe ! »

L’Infamie tant financière que militaire est en expansion de façon exponentielle.
Nous sommes acculés à basculer dans un monde de violence.
Nous avons la force du nombre, eux la force de toutes les armes, médiatiques, militaires, financières, politiques, économiques, énergétiques, technologiques, alimentaires et même médicales (H1N1).

Nos enfants ont un horizon menaçant.

Serge Charbonneau
Québec

10/11/2011 22:28 par Palmer

En Grèce il y a des flics très courageux et bien élevés :

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