« Sonorité blanche, hommes politiques noirs ». C’est le titre d’une récente chronique de Melissa Harris-Perry dans l’une des rares publications progressistes des Etats-Unis, The Nation (*). « Que se passe-t-il lorsque l’expérience noire est reléguée à un bruit de fond ? », s’interroge-t-elle dans une réflexion qui lui a été inspirée par la révolte des étudiants afro-américains de Harvard ce printemps. Le mouvement estudiantin qui a largement attiré l’attention des médias nationaux avait pour mot d’ordre : « Moi, aussi, je suis d’Harvard ». On devine le sous-entendu : il n’y a pas qu’Obama comme ancien étudiant noir à pouvoir rêver d’un destin national !
Les organisateurs de la campagne précisent leurs doléances dans les termes suivants : « Nos voix vont souvent inaudibles sur ce campus, nos expériences sont dévaluées, notre présence est remise en cause. » C’est pourquoi ils se proposent de « revendiquer leur retour, réclamer leur campus, rester debout pour dire : "Nous sommes ici. Cet endroit est à nous. Nous aussi, nous sommes de Harvard" ». Le campus doit donner les mêmes chances et perspectives pour tous. Harvard, qui affiche déjà le record national de graduation d’étudiants noirs, en a encore admis un nombre record cette année. Le président Obama et la « First lady » des États-Unis sont tous deux diplômés de la Harvard Law School. Des mesures exceptionnelles et des engagements significatifs de ressources permettent encore à cette institution universitaire de prétendre au statut de « meilleur campus américain pour les étudiants noirs ». Comment alors interpréter cet « effort des étudiants pour sortir de leur sentiment d’aliénation raciale ? » La campagne « Moi aussi, je suis de Harvard » (I, too, am Harvard) répond à un besoin de reconnaissance, pas à une demande de ressources supplémentaires, précise Melissa Harris-Perry. Ce besoin de reconnaissance est aussi bien social qu’individuel. Beaucoup d’Afro-Américains ne veulent pas être réduits à leur seule identité raciale. Les étudiants « ne prétendent pas qu’Harvard n’a pas investi les ressources adéquates ; ils révèlent que les étudiants noirs sont systématiquement "méconnus" et soumis à des micro- agressions, comme les présomptions d’avoir une intelligence plus faible, ce qui diminue leur capacité à agir en tant que citoyens à part entière au sein de la communauté de Harvard ».
Cette lutte ne se limite pas à un seul campus de Cambridge. Elle est également au cœur du débat sur le sens de la politique raciale de l’ère Obama. « The Color of His Presidency », titrait récemment en couverture le New York Magazine. L’auteur du dossier relevait que « si vous vous mettez à écrire une histoire sociale des années Obama (...) vous constaterez que la race, qui a tout saturé, le fait comme jamais auparavant ». Les élites blanches n’ont jamais autant parlé de race que sous la présidence Obama. « Pour raconter l’histoire de la race en Amérique, les Noirs doivent être inclus comme acteurs, pas seulement en tant que sujets (...) Il n’est pas exclu qu’avec la fin des années Obama, le cadre politique principal de la population noire se résorbe dans l’obscurité des Américains blancs ». L’ère Obama n’aura alors été qu’une brève parenthèse, voire une grande manipulation, sur fond d’enracinement de la règle « un dollar, une voix ». Une règle d’exclusion d’autant plus enracinée que la Cour suprême américaine a assoupli encore plus, le mercredi 2 avril dernier, les règles du financement électoral aux Etats-Unis, en déplafonnant les dons individuels comme elle l’avait fait il y a trois ans pour les entreprises. Ce qui éloigne encore plus la réédition d’un scénario à la Obama. La Cour suprême avait jugé « invalides » les limites imposées pour les dons des particuliers, en vertu du premier amendement à la Constitution américaine, qui protège, selon elle, la liberté d’un individu « à participer au processus électoral ». Dans son arrêt, la haute Cour juge que ce plafond faisait « une intrusion injustifiée dans la capacité des citoyens à exercer le plus fondamental des droits du premier amendement ». « Le gouvernement ne pourra plus limiter le nombre de candidats ou de causes qu’un donateur veut soutenir, pas plus qu’il ne pourra dire à un journal combien de candidats il peut promouvoir », écrit la majorité de juges de la Cour. En 2010, déjà, la Cour suprême avait supprimé les limites des contributions financières des entreprises et des syndicats, dans sa décision historique « Citizens United v. Federal Election Commission », que le président Obama avait fermement condamnée. L’injustice reprend partout ses « droits »...
Ammar Belhimer
(*) Melissa Harris-Perry, White Noise, Black Politics, What happens when the black experience is relegated to background noise ?, The Nation, 16 avril 2014.
(**) Le texte intégral de la décision est sur le lien :
http://www.supremecourt.gov/opinions/13pdf/12-536_e1pf.pdf